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Date : 20030506

Dossier : A-184-01

Référence : 2003 CAF 211

CORAM :       LE JUGE DESJARDINS

LE JUGE NOËL

LE JUGE NADON

ENTRE :

                                                    SOUCY INTERNATIONAL INC.

                                                                                                                                                       appelante

                                                                                   et

                                                                 CAMOPLAST INC.

                                                                                                                                                           intimée

                                       Audience tenue à Montréal (Québec), le 6 mai 2003.

                               Jugement rendu à l'audience à Montréal (Québec), le 6 mai 2003.

MOTIFS DU JUGEMENT DE LA COUR :                                                     LE JUGE DESJARDINS


Date : 20030506

Dossier : A-184-01

Référence : 2003 CAF 211

CORAM :       LE JUGE DESJARDINS

LE JUGE NOËL

LE JUGE NADON

ENTRE :

                                                    SOUCY INTERNATIONAL INC.

                                                                                                                                                       appelante

                                                                                   et

                                                                 CAMOPLAST INC.

                                                                                                                                                           intimée

                                              MOTIFS DU JUGEMENT DE LA COUR

                              (Prononcés à l'audience à Montréal (Québec), le 6 mai 2003)

LE JUGE DESJARDINS

[1]                 Nous sommes saisis de deux appels, le premier dans le dossier A-184-01 (Camoplast Inc. c. Soucy International Inc., 2001 CFPI 169, [2001] A.C.F. no 330 (C.F.P.I.) (QL), juge Blais, rendu le 9 mars 2001), et le second dans le dossier A-428-01 (T-2006-99, juge Pinard, rendu le 28 mai 2001, jugement non rapporté).

[2]                 Ces deux appels furent réunis aux fins d'audition.


[3]                 Nous avons entendu l'appel dans le dossier A-184-01 et rendons maintenant jugement dans ce dossier.

[4]                 Pour les raisons que nous donnerons plus loin, les motifs du présent jugement devront être versés dans le dossier A-428-01.

1.          Historique des procédures

[5]                 Dans l'action principale, Camoplast Inc. ( « Camoplast » ) poursuit Soucy International Inc. ( « Soucy » ) pour contrefaçon du brevet canadien no 2,182,845. Soucy a produit une défense et une demande reconventionnelle faisant valoir l'invalidité de ce brevet.

[6]                 Après les procédures normales d'introduction d'instance, une première série d'interrogatoires au préalable de l'inventeur Denis Courtemanche eut lieu en mai et juin 2000. À cette occasion, des objections ont été formulées par Camoplast. Elles furent maintenues par le protonotaire au motif que les questions visées n'étaient pas pertinentes ou qu'elles visaient la validité d'un autre brevet, lequel n'était pas en jeu ([2000] A.C.F. no 1825 (C.F.P.I.) (QL)).


[7]                 Le 15 décembre 2000, Soucy présenta devant le protonotaire une première requête pour permission de modifier sa défense et demande reconventionnelle, selon la règle 75 des Règles de la Cour fédérale (1998), afin d'y intégrer certains faits nouveaux que Soucy affirmait avoir été portés à sa connaissance à l'occasion de l'interrogatoire au préalable de l'inventeur Denis Courtemanche.

[8]                 Le protonotaire refusa l'amendement. Soucy en appela de cette décision et soumit devant le juge de première instance deux nouveaux affidavits au soutien de sa demande d'amendement. Le juge Blais se dit incompétent à recevoir cette nouvelle preuve. Il se déclara autorisé à réviser la décision du protonotaire uniquement sur la foi du dossier tel que constitué devant le protonotaire. Il confirma par la suite la décision du protonotaire mais invita Soucy à présenter devant le protonotaire une nouvelle requête en amendement appuyée, cette fois, des deux nouveaux affidavits.

[9]                 Soucy porta en appel la décision du juge Blais (dossier A-184-01) mais, en même temps, présenta une deuxième requête en amendement devant le protonotaire, laquelle fut accueillie. Cette décision fut portée en appel par Camoplast. Elle fut cependant maintenue par le juge Pinard qui confirma la deuxième décision du protonotaire permettant l'amendement. Camoplast porta en appel la décision du juge Pinard (dossier A-428-01).

[10]            Dans une ordonnance en date du 9 mai 2002, notre Cour ordonna que ces deux appels soient entendus successivement, par une seule formation, l'appel dans le dossier A-184-01 devant être entendu le premier (2002 CAF 189, [2002] A.C.F. no 724 (C.A.F.) (QL)).


2.          L'appel dans le dossier A-184-01

[11]            Dans sa première requête en amendement du 15 décembre 2000, Soucy demanda l'addition des paragraphes suivants à sa défense et demande reconventionnelle :

16.1          Le Brevet en litige, soit le Brevet canadien no. 2,182,845 a fait l'objet d'une demande de brevet et de l'émission d'un brevet américain similaire lequel fut émis sous le numéro USP 5 730 510; dans le Brevet américain, la revendication no. 1 du Brevet canadien n'est pas reproduite et cet élément ajoute aux arguments d'invalidité du Brevet en litige, tel que décrit aux paragraphes 14, 15 et 16 qui précèdent.

                                                                            ...

17.            viii.           Chenille Aktiv no. de série 4375 à pas triple, dont les trois pas successifs diffèrent en configuration l'un de l'autre, laquelle fut fabriquée et vendue avant la date de dépôt du Brevet;

                ix.             Chenille Soucy-Quimpex qui comporte un pas triple qui se répète à deux endroits sur toute la longueur de la chenille, laquelle fut fabriquée et vendue avant la date de dépôt du Brevet;

                x.              Chenille Yokohama pour Arctic Cat, pièce no. 602-001, qui comporte une configuration à pas variables qui se répète ailleurs sur la chenille, laquelle fut produite et testée en décembre 1991 et janvier 1992.

                                                                            ...

18.1          M. Courtemanche a reçu mandat de M. Lecours pour les travaux préparatoires qui ont mené à la demande de Brevet canadien no. 2,143,802 (Lecours) et ainsi, M. Courtemanche et son équipe étaient tout à fait au courant des travaux de M. Lecours sur la diminution de bruit qui peut être émis par des chenilles de motoneige et ce, avant la date de dépôt du Brevet en litige.

18.2          La demanderesse a fabriqué au cours des années 1979 à 1991 des chenilles pour la société Arctic Cat, ces chenilles étant utilisées sur des motoneiges de marque Aktiv et elle sait donc que les motoneiges Aktiv ne sont plus produites depuis 1991-1992.


[12]            Le 24 janvier 2001, le protonotaire rejeta cette requête en s'appuyant sur le paragraphe 12 des représentations écrites de Camoplast, lequel se lit comme suit :

12.      Puisque les parties ont déjà procédé à deux séances d'interrogatoire dans le présent dossier et que les amendements proposés par la partie requérante concernent des faits dont elle avait le (sic) connaissance bien avant la tenue de ces interrogatoires et qu'au surplus elle a questionné M. Denis Courtemanche sur ces faits, questions qui ont fait l'objet d'objections et qui ont été maintenues par cette honorable cour, il est dans l'intérêt de la justice que les amendements proposés par la partie requérante soit (sic) rejetés;

[13]            Camoplast nous invite à confirmer cette décision parce que les affirmations au soutien de la demande de Soucy sont fausses car, dit Camoplast, Soucy avait une connaissance de tous les faits qualifiés de « nouveaux » bien avant le dépôt de sa requête pour amender.

[14]            Les principes qui guident notre Cour en matière d'amendement sont les suivants.

[15]            Dans Enoch Band of Stony Plain Indians v. Canada, [1993] F.C.J. No. 1254 (F.C.A.) (QL), paragraphe 8, le juge Décary, au nom de notre Cour, affirmait que "the Court will only ... deny amendments in plain and obvious cases where the case is beyond doubt." (Pour une application de cette décision, voir Hoechst Aktiengesellschaft v. ADIR (1999), 82 C.P.R. (3d) 344, rendu le 14 juillet 1998, [1998] A.C.F. no 1028 (C.F.P.I.) (QL), juge Reed).

[16]            Dans Canderel c. Canada, [1994] 1 C.F. 3 (C.A.), page 10, le juge Décary, au nom de notre Cour, reprenait en ces termes les critères devant s'appliquer en matière d'amendement :


[...] que même s'il est impossible d'énumérer tous les facteurs dont un juge doit tenir compte en décidant s'il est juste, dans une situation donnée, d'autoriser une modification, la règle générale est qu'une modification devrait être autorisée à tout stade de l'action aux fins de déterminer les véritables questions litigieuses entre les parties, pourvu, notamment, que cette autorisation ne cause pas d'injustice à l'autre partie que des dépens ne pourraient réparer, et qu'elle serve les intérêts de la justice.

[17]            Dans Visx c. Nidex, [1998] F.C.J. No. 1766 (F.C.A.) (QL), le juge Sexton, au nom de notre Cour, se déclarait lié par l'affaire Meyer v. Canada, 62 N.R. 70, [1985] F.C.J. No. 929 (F.C.A.) (QL), juge Mahoney), laquelle citait et approuvait le passage suivant de la décision Stewart v. North Metropolitan Tramways Co. (1886), 16 Q.B.D. 556 concernant les critères devant s'appliquer en matière d'amendement;

The rule of conduct of the Court in such a case is that, however negligent or careless may have been the first omission, and however late the proposed amendment, the amendment should be allowed, if it can be made without injustice to the other side. There is no injustice if the other side can be compensated by costs: but, if the amendment will put them into such a position that they must be injured, it ought not to be made.

[18]            Il n'est pas contesté qu'en l'espèce Camoplast ne subit aucun préjudice si l'amendement est reçu.

[19]            Quel qu'ait été le moment où Soucy a pris connaissance des faits qu'elle veut maintenant ajouter, cette situation ne constituait pas, selon les critères de Visx précitée, un motif pour refuser à Soucy la permission de modifier ses procédures.

[20]            L'objet de l'amendement étant de permettre que soient cernées les véritables questions en litige, le protonotaire ne pouvait rejeter la requête en amendement présentée par Soucy pour les motifs invoqués par Camoplast.


[21]            Camoplast a soutenu devant nous que de toute façon la preuve présentée au soutien de la requête était insuffisante à sa face même pour permettre l'amendement. Vu qu'il apparaît clairement des représentations écrites de Camoplast que cet argument n'a pas été présenté ni devant le protonotaire, ni devant le premier juge, il n'y a pas lieu d'en traiter en appel.

[22]            Le protonotaire s'est donc mal dirigé en droit.

[23]            Le premier juge se devait d'intervenir selon les principes établis dans l'affaire Canada c. Aqua-Gem Investments Ltd., [1993] 2 C.F. 425 (C.A.), aux pages 462-463. Le juge MacGuigan, au nom de la majorité, s'exprimait ainsi :

    Je souscris aussi en partie à l'avis du juge en chef au sujet de la norme de révision à appliquer par le juge des requêtes à l'égard des décisions discrétionnaires de protonotaire. Selon en particulier la conclusion tirée par lord Wright dans Evans v. Bartlam, [1937] A.C. 473 (H.L.) à la page 484, et par le juge Lacourcière, J.C.A., dans Stoicevski v. Casement (1983), 43 O.R. (2d) 436 (C. div.), le juge saisi de l'appel contre l'ordonnance discrétionnaire d'un protonotaire ne doit pas intervenir sauf dans les deux cas suivants:

a) l'ordonnance est entachée d'erreur flagrante, en ce sens que le protonotaire a exercé son pouvoir discrétionnaire en vertu d'un mauvais principe ou d'une mauvaise appréciation des faits,

b) l'ordonnance porte sur des questions ayant une influence déterminante sur l'issue du principal.

Si l'ordonnance discrétionnaire est manifestement erronée parce que le protonotaire a commis une erreur de droit (concept qui, à mon avis, embrasse aussi la décision discrétionnaire fondée sur un mauvais principe ou sur une mauvaise appréciation des faits) ou si elle porte sur des questions ayant une influence déterminante sur l'issue du principal, le juge saisi du recours doit exercer son propre pouvoir discrétionnaire en reprenant l'affaire depuis le début.


[24]            Soucy demande en conclusion que les dépens lui soient accordés sur une base avocat-client. Nous ne croyons pas que cette demande soit justifiée.

[25]            L'appel sera donc accueilli avec dépens devant notre Cour et en première instance et la décision du juge de la Section de première instance sera annulée. L'appel de la décision du protonotaire devant le premier juge sera accueilli et la décision du protonotaire sera annulée. L'appelante Soucy sera autorisée à modifier sa défense et demande reconventionnelle pour y ajouter les paragraphes recherchés.

3.          L'appel dans le dossier A-428-01

[26]            L'appel dans le dossier A-428-01 est maintenant devenu sans objet. Il sera rejeté sans frais pour ce motif.

                                                                                                                   

                                                                                      « Alice Desjardins »            

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                                                                                                             j.c.a.                      


                                                                                                

                                                                 COUR FÉDÉRALE DU CANADA

                                                                              SECTION D'APPEL

Date : 20030506

Dossier : A-184-01

Entre :

                                                                 SOUCY INTERNATIONAL INC.

                                                                                                                                                                                 appelante

                                                                                                et

                                                                              CAMOPLAST INC.

                                                                                                                                                                                     intimée

                                                                                                                                                                                  

                                                           MOTIFS DU JUGEMENT DE LA COUR

                                                                                                                                                                                  


                                                                COUR FÉDÉRALE DU CANADA

                                                                             SECTION D'APPEL

                                                             AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

                                                                                                                                                                                                 

Appel du jugement rendu en Section de première instance le 9 mars 2001 dans le dossier T-2006-99.

DOSSIER :                                                     A-184-01

INTITULÉ:                                                     SOUCY INTERNATIONAL INC.

                                                                                                                                                                              appelante

                                                                                               et

                                                                              CAMOPLAST INC.

                                                                                                                                                                                    intimée

LIEU DE L'AUDIENCE :                                    Montréal (Québec)

DATE DE L'AUDIENCE :                                  Le 6 mai 2003

MOTIFS DU JUGEMENT DE LA COUR (DESJARDINS, NOËL, NADON, J.C.A.)

PRONONCÉS ÀL'AUDIENCE :             LE JUGE DESJARDINS

DATE DES MOTIFS :                                        Le 6 mai 2003

COMPARUTIONS:

Me Eric Ouimet                                                                                        POUR L'APPELANTE

Me Jean Carrière                                                                                     POUR L'INTIMÉE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER:                                                                                                                         

Brouillette Charpentier Fortin

Montréal (Québec)                                                                                    POUR L'APPELANTE


Mendelsohn

Montréal (Québec)                                                                                    POUR L'INTIMÉE


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