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Date : 19980724

A-294-98 A-295-98 A-310-98

CORAM :      LE JUGE MARCEAU LE JUGE LINDEN

LE JUGE ROBERTSON

Entre:

APOTEX INC. et NOVOPHARM LTD.,

coappelantes,

et

THE WELLCOME FOUNDATION LIMITED, GLAXO WELLCOME INC., INTERPHARM INC. et ALLEN BARRY SHECHTMAN,

intimés.

Audience tenue à Ottawa (Ontario) le mercredi 22 juillet 1998.

Jugement rendu à Ottawa (Ontario) le vendredi 24 juillet 1998.

MOTIFS DU JUGEMENT :                                                        LE JUGE MARCEAU

Y A SOUSCRIT:                                                                           LE JUGE LINDEN

MOTIFS CONCOURANTS :                                                 LE JUGE ROBERTSON

Date : 19980724

A-294-98 A-295-98 A-310-98

CORAM :         LE JUGE MARCEAU LE JUGE LINDEN

LE JUGE ROBERTSON

Entre:

APOTEX INC. et NOVOPHARM LTD.,

coappelantes,

et

THE WELLCOME FOUNDATION LIMITED, GLAXO WELLCOME INC., INTERPHARM INC. et ALLEN BARRY SHECHTMAN,

intimés.

MOTIFS DU JUGEMENT

LE JUGE MARCEAU

[1]         Le 25 mars 1998, le juge Wetston, de la Section de première instance, a prononcé un jugement au sujet des trois actions réunies, qui avaient été entamées en 1990, 1991 et 1993 respectivement, et qui portaient sur la validité et la contrefaçon d'un brevet relatif à un

Page : 2 médicament, la zidovudine, sous forme posologique pharmaceutique. Aux termes de son jugement, le juge Wetston a notamment prononcé une injonction permanente interdisant aux appelantes de fabriquer et de distribuer toute composition pharmaceutique contenant de la zidovudine et ordonnant la remise pour destruction de deux inventaires existants de capsules de zidovudine du fabricant. Les appelants ont interjeté des appels distincts du jugement et ont immédiatement présente une requête en sursis d'exécution de l'injonction et des ordonnances de remise du médicament. La requête a été rejetée par le juge Campbell, de la Section de première instance, le 24 avril 1998. Notre Cour est saisie des deux appels réunis qui ont été interjetés de la décision du juge Campbell par chacune des appelantes.

[2]         J'en suis venu à la conclusion que les appels sont bien fondés. Compte tenu de l'urgence de l'affaire, je vais exposer brièvement le raisonnement qui m'a amené à cette conclusion.

[3]         Les deux appelantes fabriquent et distribuent des capsules de zidovudine depuis de nombreuses années : Apotex Inc., depuis 1992, année où elle a obtenu, en vertu du Règlement sur les médicaments brevetés (avis de conformité)', un avis de conformité l'autorisant à vendre sa composition de zidovudine, et Novopharm, depuis avant même 1990, en liaison avec sa marque de commerce NOVO.AZT. Les deux fabricants de médicaments génériques se sont acquis une solide réputation au sujet de leurs produits. Novopharm a déjà obtenu l'inscription de sa formulation du Québec, où elle contrôle 60 pour 100 du marché des

1 DORS/93-133.

Page : 3 produits génériques de zidovudine. Apotex est sur le point d'obtenir l'inscription de son

propre produit sur les formulaires québécois et ontariens, inscription qui lui permet d'espérer augmenter considérablement sa part de marché. Les deux fabricants ont également négocié des contrats de longue durée au sujet de leurs produits avec plusieurs hôpitaux canadiens et ont accru considérablement leurs ventes à l'exportation.

[4]         Une injonction a été prononcée pour enjoindre aux deux appelantes de cesser sur-le­champ toute activité de commercialisation impliquant des produits de la zidovudine. Si l'appel réussit, il deviendra alors clair que cette injonction a été prononcée par erreur et que l'important manque à gagner subi par les deux appelantes en raison de leur exclusion du marché leur aurait été infligé sans véritable justification et uniquement par suite d'une erreur judiciaire. Comme les intimés n'ont offert aucun engagement au sujet des dommages-intérêts, les appelantes n'auront aucun moyen d'être indemnisées de leurs pertes. Les appelantes ne pourraient pas non plus invoquer de droit d'action contre les intimés ou tout autre défendeur éventuel.

[5]         Si les dommages non indemnisables en question se limitaient à la perte des stocks et au manque à gagner imputables à l'impossibilité de conclure des ventes tant que l'appel est en instance, perte qui prendrait fin avec un jugement leur donnant gain de cause en appel, les appelantes seraient aux prises avec une situation malheureuse qu'on pourrait qualifier de déplorable, mais non d'irrémédiable. Le seul fait qu'un défendeur à une action en contrefaçon de brevet subirait un préjudice financier au cours de l'appel interjeté d'un jugement

Page : 4 défavorable ne suffit pas en soi pour justifier le sursis de l'injonction prononcée contre lui. Autrement, le sursis devrait être automatique en pareil cas indépendamment des autres circonstances, et le jugement de première instance serait dépourvu de tout effet. L'octroi du sursis devrait toujours demeurer une décision discrétionnaire à prendre en tenant compte de tous les facteurs en présence et dans le seul but de faire justice à toutes les parties.

[6]         J'estime toutefois que les pertes irréparables que les appelantes subiront en l'espèce pour avoir été forcées de se retirer temporairement du marché-seront non seulement considérables, mais qu'elle dépasseront la valeur des stocks et de la privation des ventes et des profits pour un temps limité. Ainsi qu'il a déjà été mentionné, les deux appelantes sont sur le marché depuis de nombreuses années, elles se sont acquises une solide réputation à l'égard de leurs produits et se sont taillées une importante part du marché dans l'industrie. Il me semble que la preuve indique qu'une perte de part de marché comporte nécessairement, en raison de la nature du marché en question, de graves répercussions qui continueront à se faire sentir longtemps après le prononcé d'un jugement favorable à l'issue de l'appel. À mon avis, les appelantes ont démontré qu'elles subiront nécessairement un préjudice grave et irréparable.

[7]         Comme il n'y a aucun doute que les appels interjetés du jugement prononcé par le juge Wetston soulèvent de graves questions, étant donné que la conclusion de validité du brevet sur lequel il repose soulève d'épineuses questions, ainsi que le juge Wetston l'a lui­même reconnu et, après lui, le juge des requêtes, eu égard aux principes élaborés dans la jurisprudence et qui ont été réitérés récemment par la Cour suprême du Canada dans l'arrêt

Page : 5 RJR -MacDonald Inc.2, il n'y a qu'un seul motif qui permettrait de refuser le sursis d'exécution. Celui-ci pourrait en effet être refusé si le report d'exécution des injonctions risquait de causer aux intimés un préjudice tout aussi irréparable pour le cas où l'appel sera jugé mal fondé et où la prépondérance des inconvénients ne favoriserait pas l'octroi du sursis. Or, cette éventualité doit être écartée, étant donné que le juge des requêtes n'a pas conclu que les intimés risquaient de subir un préjudice irréparable et que, de toute façon, une telle conclusion n'aurait pas été justifiée. La preuve n'appuie pas l'argument que les intimés subiraient un autre dommage significatif autre que le manque à gagner dont les appelantes ont été victimes, et qu'un tel dommage pourrait être réparé intégralement par le paiement d'une somme équivalant aux recettes des ventes qu'elles auraient réalisées n'eût été le sursis. Je ne vois pas comment le monopole que confère la propriété d'un brevet pourrait être considéré comme ayant une valeur indépendante des profits qui peuvent être tirés de la commercialisation de l'invention brevetée.

[8]         Le refus du juge des requêtes d'accorder le sursis demandé s'explique, à mon humble avis, par une méconnaissance de sa part de la notion de préjudice irréparable. Le juge a en effet estimé à tort que le préjudice irréparable doit nécessairement menacer la viabilité même de l'entreprise concernée et il a estimé sans raison valable que la perte constituait simplement un risque commercial normal et prévisible. À mon sens, il a mal exercé son pouvoir discrétionnaire. Sa décision ne doit pas être confirmée.

2               R.J.R. MacDonald Inc. c. Canada (procureur général), (1994), 54 C.P.R. (3d) 114

Page : 6 [9]       Je suis d'avis que l'appel doit être accueilli et que l'exécution du jugement rendu par le juge Wetston le 25 mars 1998 devrait, en ce qui concerne le prononcé d'une injonction permanente et la remise des stocks, être suspendue en attendant l'issue de l'appel dont il fait l'objet. J'estime également qu'il devrait être enjoint aux intimés de rendre les capsules de zidovudine qui ont été saisies aux appelantes.

« Louis Marceau »

J.C.A.

« Je suis du même avis.

A.M. Linden, J.C.A. »

Traduction certifiée conforme

artine GuW, LL.L.

~F, eheral Tourt of ~kypeal

Cour b'çippel febirate

Date : 19980724

A-294-98 A-295-98 A-310-98

CORAM :        LE JUGE MARCEAU LE JUGE LINDEN

LE JUGE ROBERTSON

Entre:

APOTEX INC. et NOVOPHARM LTD.,

coappelantes,

et

THE WELLCOME FOUNDATION LIMITED, GLAXO WELLCOME INC., INTERPHARM INC. et ALLEN BARRY SHECHTMAN,

intimés.

MOTIFS DU JUGEMENT

LE JUGE ROBERTSON

[1]         Il me semble que le courant jurisprudentiel commençant avec l'arrêt Laboratoire Pentagone Ltée. c. Parke, Davis & Co., (1968), 55 C.P.R. 105 (C.S.C.) sur lequel le juge des requêtes a fondé son refus d'accorder le sursis demandé, a été largement inversé par la Cour

Page : 2 suprême du Canada dans les arrêts R.J.R. MacDonald Inc. c. Canada (procureur général), (1994), 54 C.P.R. (3d) 114, et Procureur général du Manitoba c. Metropolitan Stores (MTS) et al., (1987), 38 D.L.R. (4th) 321 (C.S.C.). Pour cette raison, il faut présumer que le juge des requêtes a commis une erreur de droit. Ceci étant dit, je suis également d'avis que le fait qu'une injonction a déjà été prononcée à l'issue d'une instruction au fond constitue un facteur pertinent dont il faut tenir compte lorsqu'il s'agit d'examiner le troisième volet du critère à trois volets, à savoir la prépondérance des inconvénients. Toutefois, on ne saurait considérer que ce facteur impose à celui qui réclame un sursis d'exécution la charge d'établir qu'il subira [TRADUCTION] « un préjudice qui aura des répercussions très graves qui menaceront la viabilité même de l'entreprise concernée » pour reprendre les propos du juge des requêtes.

[2]         À l'instar du juge Marceau, je suis d'avis que les appels soulèvent à la fois de graves questions de droit pur et des questions mixtes de droit et de fait. Je suis également d'avis que les appelantes subiront un préjudice irréparable si le sursis demandé n'est pas accordé et que ce préjudice risque de persister longtemps après qu'elles auront obtenu gain de cause dans leur appel (voir aussi l'arrêt Allen & Hamburys Ltd. v. Torpharm Inc. et al. (3 avril 1998), arrêt non publié n ° M22216 (C.A. Ont.)). Le préjudice est irréparable parce qu'il n'y a personne qui peut réparer les pertes, en supposant que leur montant puisse être établi. En revanche, je constate que, dès l'introduction de l'instance, il a été jugé que les intimés ne subiraient pas de préjudice irréparable si on permettait aux appelantes de commercialiser leur produit respectif, d'où le rejet de leur demande d'injonction interlocutoire. Mais, en dernière analyse, la balance penche en faveur des appelantes, en ce qui concerne la prépondérance des inconvénients,

Page : 3 compte tenu notamment du refus des intimés de s'engager à payer les dommages se rapportant aux pertes causées par le maintien en vigueur de l'injonction pendant toute la durée d'un appel à l'issue duquel elles obtiendraient gain de cause.

[3]         L'argument des intimés suivant lequel un tel engagement les exposerait à une responsabilité illimitée n'est pas convaincant, ne serait-ce que parce qu'ils auraient été obligés de donner un tel engagement s'ils avaient réussi dès le départ à obtenir une injonction interlocutoire. Le seul autre motif avancé pour refuser de donner un engagement est que la loi ne l'exige pas. C'est vrai, mais cette raison n'est, à elle seule, pas suffisante. C'est le cas lorsqu'il est dans l'intérêt de la justice de préserver le statu quo en attendant qu'une décision soit rendue au sujet des appels. Compte tenu de tous les facteurs pertinents, notamment du fait que les sursis concernent un jugement sur le fond, je suis d'avis que la réparation demandée devrait être accordée.

[4]         Je disposerais des appels de la manière proposée par mon collègue.

J.T. Robertson

J.C.A.

Traduction certifiée conforme

artine QUay, LL.L.

COUR FÉDÉRALE DU CANADA SECTION D'APPEL

AVOCATS ET PROCUREURS INSCRITS AU DOSSIER

N ° DU GREFFE:                                     A-294-98 A-295-98 A-310-98

INTITULÉ DE LA CAUSE:                    APOTEX INC. et NOVOPHARM LTD. c. THE WELLCOME FOUNDATION LIMITED, GLAXO WELLCOME INC.,

INTERPHARM INC. et

ALLEN BARRY SHECHTMAN

LIEU DE L'AUDIENCE :                     Ottawa (Ontario)

DATE DE L'AUDIENCE :                    22 juillet 1998

MOTIFS DU JUGEMENT des juges Marceau, Linden et Robertson en date du 24 juillet 1998

ONT COMPARU

Me Carol Hitchman                                                       pour les coappelantes Me Harry Radomski

Me David Scrimger

Me Peter Stanford                                                         pour les intimés Me Patrick Kierans

Me Andrew Schaughnessy

PROCUREURS INSCRITS AU DOSSIER

Hitchman & Sprigings                                                    pour les coappelantes Toronto (Ontario)

Goodman & Goodman Toronto (Ontario)

Ogylvy Renault                                                              pour les intimés Toronto et Ottawa (Ontario)

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