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Date : 20060405

Dossier : A-275-05

Référence : 2006 CAF 136

CORAM :       LE JUGE LÉTOURNEAU

                        LE JUGE NOËL

                        LE JUGE EVANS

ENTRE :

A.Y.S.A. AMATEUR YOUTH SOCCER ASSOCIATION

appelante

et

L'AGENCE DU REVENU DU CANADA

intimée

Audience tenue à Vancouver (Colombie-Britannique), le 4 avril 2006.

Jugement prononcé à Vancouver (Colombie-Britannique), le 5 avril 2006.

MOTIFS DU JUGEMENT DE LA COUR :                                                               LE JUGE NOËL

Y ONT SOUSCRIT :                                                                                  LE JUGE LÉTOURNEAU

                                                                                                                               LE JUGE EVANS


Date : 20060405

Dossier : A-275-05

Référence : 2006 CAF 136

CORAM :       LE JUGE LÉTOURNEAU

                        LE JUGE NOËL

                        LE JUGE EVANS

ENTRE :

A.Y.S.A. AMATEUR YOUTH SOCCER ASSOCIATION

appelante

et

L'AGENCE DU REVENU DU CANADA

intimée

MOTIFS DU JUGEMENT DE LA COUR

LE JUGE NOËL

[1]              L'appelante interjette appel, en vertu des paragraphes 172(3) et 180(1) de la Loi de l'impôt sur le revenu, L.R.C. 1985 (5e suppl.), ch.1, avec modifications (la Loi), de la décision du ministre du Revenu national (le ministre) de refuser de l'enregistrer comme organisme de bienfaisance en vertu de la Loi.

Les faits

[2]              Les faits ne sont pas contestés. Il suffit de dire que l'appelante a été constituée pour promouvoir le sport du soccer, notamment le soccer amateur chez les jeunes. Son principal objectif est d'offrir aux jeunes la possibilité de tirer fierté de leurs capacités et de leurs talents au soccer.

[3]              L'appelante croit que ses activités favoriseront des attitudes positives à l'égard de la santé physique et des sports d'équipe de même qu'une meilleure gestion du temps, et encourageront les jeunes à consacrer leur temps à améliorer leur forme physique et leur jeu d'équipe plutôt que de s'adonner à des activités illicites et à des comportements antisociaux.

[4]              L'appelante ne peut poursuivre ses activités que dans la province de l'Ontario, et sa demande d'enregistrement comme organisme de bienfaisance a été présentée dans la perspective qu'elle poursuivrait ses activités uniquement en Ontario.

[5]              Il est reconnu que l'objectif de l'appelante, la promotion du soccer, est une fin en soi, et n'est pas accessoire à un autre but.

Les dispositions légales

[6]              La Loi comprend une définition limitée de l'expression « oeuvre de bienfaisance » et énonce les circonstances dans lesquelles une telle oeuvre peut être enregistrée comme organisme de bienfaisance en vertu de la Loi :

Définitions
149.1.(1)
Les définitions qui suivent s'appliquent au présent article.

Definitions
149.1.(1)
In this section,

[ ... ]

...

« oeuvre de bienfaisance »

"charitable organization"

« oeuvre de bienfaisance » Oeuvre, constituée ou non en société :

"charitable organization" means an organization, whether or not incorporated,

a) dont la totalité des ressources est consacrée à des activités de bienfaisance qu'elle mène elle-même;

(a) all the resources of which are devoted to charitable activities carried on by the organization itself,

b) dont aucune partie du revenu n'est payable à l'un de ses propriétaires, membres, actionnaires, fiduciaires ou auteurs ni ne peut servir, de quelque façon, à leur profit personnel;

(b) no part of the income of which is payable to, or is otherwise for, the personal benefit of any proprietor, member, shareholder, trustee or settler thereof,

[...]

...

Définitions
248.(1)
Dans cette Loi,


Definitions
248.(1)
In this Act,

« organisme de bienfaisance enregistré » L'organisme suivant, qui a présenté au ministre une demande d'enregistrement sur formulaire prescrit et qui est enregistré, au moment considéré, comme oeuvre de bienfaisance, comme fondation privée ou comme fondation publique :

"registered charity" at any time means

a) oeuvre de bienfaisance, fondation privée ou fondation publique, au sens du paragraphe 149.1(1), qui réside au Canada et qui y a été constituée ou y est établie;

(a) a charitable organization, private foundation or public foundation, within the meanings assigned by subsection 149.1(1), that is resident in Canada and was either created or established in Canada, or

b) division -- annexe, section, paroisse, congrégation ou autre -- d'une oeuvre de bienfaisance, fondation privée ou fondation publique, au sens du paragraphe 149.1(1), qui réside au Canada, qui y a été constituée ou y est établie et qui reçoit des dons en son nom propre.

(b) a branch, section, parish, congregation or other division of an organization or foundation described in paragraph 248(1) "registered charity" (a), that is resident in Canada and was either created or established in Canada and that receives donations on its own behalf,

that has applied to the Minister in prescribed form for registration and that is at that time registered as a charitable organization, private foundation or public foundation;

[7]              La Loi ne définissant pas le mot bienfaisance, il faut recourir à la common law pour déterminer si les fins poursuivies par une oeuvre sont des fins de bienfaisance et si elle peut donc être enregistrée comme organisme de bienfaisance.

La décision contestée

[8]              Les différents échanges entre l'appelante et le ministre se sont terminés par une lettre de refus définitif datée du 8 juin 2005 dans laquelle le ministre résume les motifs du refus comme suit :

[traduction]

Nous vous informions dans une lettre précédente que de l'avis des tribunaux, la promotion du sport ne vise pas des fins de bienfaisance. [...] Comme les objectifs officiels [de l'appelante] établissent que ses fins sont de promouvoir le sport du soccer, elle ne peut être enregistrée comme organisme de bienfaisance.

Les activités de l'Association, décrites dans sa demande sont centrées sur ses objectifs officiels et l'utilisation de moyens comme l'organisation de camps de perfectionnement, de camps d'entraîneurs, de parties et de tournois. Comme elles visent des fins qui ne sont pas des fins de bienfaisance selon la loi, soit la promotion du sport, les activités [de l'appelante] ne sont pas des activités de bienfaisance.

Même si la promotion de la santé peut comprendre des activités ayant pour but d'améliorer la forme physique des jeunes grâce à des activités sportives, nous sommes d'avis que [l'appelante] s'attache à la promotion du sport du soccer et qu'elle ne peut donc être enregistrée.

La thèse de l'appelante

[9]              L'appelante reconnaît que la jurisprudence confirme en très grande partie la thèse du ministre selon laquelle la promotion du sport en soi n'est pas considérée comme une fin de bienfaisance.

[10]          Toutefois, l'appelante invoque ce qui semble être une dérogation à cette jurisprudence, soit une décision de la Haute Cour de justice de l'Ontario, Cour divisionnaire, dans Re Laidlaw Foundation (1984), 13 D.L.R. (4th) 491, à la page 506 et aux pages 523 et 524, confirmant une décision antérieure de la Cour des successions et des tutelles ((1983), 18 E.T.R. 77), qui avait conclu que la promotion du sport amateur faisant appel au développement de la forme physique poursuivait des fins de bienfaisance.

[11]          L'appelante prétend qu'en Ontario du moins, la décision Re Laidlaw Foundation fait autorité en établissant que la promotion de l'athlétisme sert des fins de bienfaisance. Comme elle entend poursuivre ses activités en Ontario, elle prétend que c'est la common law de l'Ontario qui doit s'appliquer pour décider si elle a les qualités d'organisme de bienfaisance au sens de la Loi.

[12]          À l'appui de cet argument, l'appelante invoque l'article 8.1 de la Loi d'interprétation, L.R.C. 1985, ch. I-21, formulé comme suit :

Tradition bijuridique et application du droit provincial

8.1 Le droit civil et la common law font pareillement autorité et sont tous deux sources de droit en matière de propriété et de droits civils au Canada et, s'il est nécessaire de recourir à des règles, principes ou notions appartenant au domaine de la propriété et des droits civils en vue d'assurer l'application d'un texte dans une province, il faut, sauf règle de droit s'y opposant, avoir recours aux règles, principes et notions en vigueur dans cette province au moment de l'application du texte.

Duality of legal traditions and application of provincial law

8.1 Both the common law and the civil law are equally authoritative and recognized sources of the law of property and civil rights in Canada and, unless otherwise provided by law, if in interpreting an enactment it is necessary to refer to a province's rules, principles or concepts forming part of the law of property and civil rights, reference must be made to the rules, principles and concepts in force in the province at the time the enactment is being applied.

[Non souligné dans l'original.]

Analyse et décision

[13]          À mon humble avis, il n'est pas nécessaire de recourir à la common law de l'Ontario dans la présente affaire, parce que même si le droit en Ontario est tel que l'appelante le laisse entendre, la Loi définit déjà le statut fiscal de l'appelante d'une manière qui élimine la possibilité qu'elle soit enregistrée comme oeuvre de bienfaisance. C'est ce qui ressort du texte de la Loi et de son historique.

[14]          Selon les paragraphes 110.1(1) et 118.1(1) de la Loi, les sociétés et les particuliers peuvent demander une déduction pour les dons qu'ils ont faits à un organisme de bienfaisance enregistré, de même qu'à une association canadienne enregistrée de sport amateur. L'expression « association canadienne enregistrée de sport amateur » est définie comme suit au paragraphe 248(1) :

Définitions

Definitions

248.(1) Les définitions qui suivent s'appliquent à la présente loi.

248.(1) In this Act,

[...]

...

« association canadienne enregistrée de sport amateur » "registered Canadian amateur athletic association"

"registered Canadian amateur athletic association" « association canadienne enregistrée de sport amateur »

« association canadienne enregistrée de sport amateur » Association, résidant au Canada, qui est constituée en vertu d'une loi en vigueur au Canada et qui présente les caractéristiques suivantes :

"registered Canadian amateur athletic association" means an association that was created under any law in force in Canada, that is resident in Canada and that

a) il s'agit d'une personne visée à l'alinéa 149(1)l);

(a) is a person described in paragraph 149(1)(l), and

b) son but premier et sa mission principale consistent à promouvoir le sport amateur au Canada à l'échelle nationale;

(b) has, as its primary purpose and its primary function, the promotion of amateur athletics in Canada on a nation-wide basis,

c) elle a présenté au ministre, sur formulaire prescrit, une demande d'enregistrement, elle a été enregistrée et son enregistrement n'a pas été annulé par application du paragraphe 168(2).

that has applied to the Minister in prescribed form for registration, that has been registered and whose registration has not been revoked under subsection 168(2);

[Non souligné dans l'original.]

[15]          L'alinéa 149(1)l), auquel il est fait référence ci-dessus, vise une certaine catégorie d'organisations qui, parce qu'elles exercent des activités à des fins non lucratives, sont exonérées de l'impôt prévu à la Partie I (organisations à but non lucratif). Sont comprises dans cette catégorie les organisations à but non lucratif dont le but premier et la mission principale consistent à promouvoir le sport amateur au Canada :

Exemptions diverses
149.
(1) Aucun impôt n'est payable en vertu de la présente partie, sur le revenu imposable d'une personne, pour la période où cette personne était

Miscellaneous exemptions
149.
(1) No tax is payable under this Part on the taxable income of a person for a period when that person was

[...]

...

Organisations à but non lucratif

Non-profit organizations

l) un cercle ou une association qui, de l'avis du ministre, n'était pas un organisme de bienfaisance au sens du paragraphe 149.1(1) et qui est constitué et administré uniquement pour s'assurer du bien-être social, des améliorations locales, s'occuper des loisirs ou fournir des divertissements, ou exercer toute autre activité non lucrative, et dont aucun revenu n'était payable à un propriétaire, un membre ou un actionnaire, ou ne pouvait par ailleurs servir au profit personnel de ceux-ci, sauf si le propriétaire, le membre ou l'actionnaire était un cercle ou une association dont le but premier et la fonction étaient de promouvoir le sport amateur au Canada;

(l) a club, society or association that, in the opinion of the Minister, was not a charity within the meaning assigned by subsection 149.1(1) and that was organized and operated exclusively for social welfare, civic improvement, pleasure or recreation or for any other purpose except profit, no part of the income of which was payable to, or was otherwise available for the personal benefit of, any proprietor, member or shareholder thereof unless the proprietor, member or shareholder was a club, society or association the primary purpose and function of which was the promotion of amateur athletics in Canada;

[16]          Lorsqu'une organisation possède les caractéristiques énoncées à l'alinéa 149(1)l), elle est également exonérée de l'impôt visé par les parties IV, IV.1, VI et VI.1, conformément au paragraphe 227(14); et selon le paragraphe 181.1(3), aucun impôt n'est payable en vertu de la Partie I.3.

[17]          Ainsi, une association canadienne enregistrée de sport amateur est exonérée d'impôt, et ses bienfaiteurs peuvent obtenir une déduction ou un crédit d'impôt. Comme un organisme de bienfaisance enregistré, elle ne paie pas d'impôt et peut émettre des reçus officiels.

[18]          Ce statut, similaire à celui d'organisme de bienfaisance, accordé par la Loi aux associations canadiennes enregistrées de sport amateur, remonte au Livre blanc de 1969 sur la réforme fiscale, dans lequel il était proposé que ces associations soient traitées comme des organismes de bienfaisance par le fisc (Propositions de réforme fiscale, E.J. Benson, (1969), page 17). À l'époque, il n'y avait pas d'ambiguïté quant à l'état de la common law : dans l'ensemble des pays de common law, les tribunaux avaient toujours soutenu que la promotion du sport ne poursuivait pas des fins de bienfaisance à moins d'être accessoire à des fins de bienfaisance (Re Nottage, [1895] 2 Ch. 649; Re Patten, [1929] 2 Ch. 276 (Eng. Ch. Div.); Laing c. Commissioner of Stamp Duties, [1948] N.Z.L.R. 154; Williams' Trustees c. IRC, [1947] A.C. 447; IRC c. City of Glasgow Police Athletic Association, [1925] A.C. 380; Re Grey, [1925] Ch. 362 (Eng. Ch. Div)).

[19]          S'appliquant à l'année d'imposition 1972 et aux années subséquentes, les modifications apportées à la Loi (S.C. 1974-75-76, ch. 26, par. 103(3)) ont permis aux organisations à but non lucratif dont la mission principale est la promotion du sport amateur au Canada de s'enregistrer conformément à la Loi et d'émettre des reçus officiels à la condition d'oeuvrer à l'échelle du pays. À la même occasion, l'alinéa 149(1)l) a été modifié pour permettre précisément à ces organisations de distribuer des revenus à leurs associations membres qui partagent le même but, sans perdre leur exonération d'impôt (voir la fin de l'alinéa 149(1)l)). Il semble que le but de cette dernière modification était de permettre aux associations canadiennes enregistrées de sport amateur de s'acquitter de leur mandat à l'échelle du pays.

[20]          Il faut présumer qu'en définissant ce statut en 1972, le législateur savait qu'aucun organisme, dont le but premier était la promotion du sport amateur, ne pouvait être homologué comme organisme de bienfaisance en vertu de la common law, et donc, en vertu de la Loi. C'est dans ce contexte que le législateur a choisi d'offrir aux associations de sport amateur un traitement analogue à celui des organismes de bienfaisance, mais seulement si elles satisfaisaient aux exigences énoncées au paragraphe 248(1).

[21]          Ce bref historique de la Loi nous montre que le législateur fédéral avait réfléchi à la question du traitement fiscal réservé aux associations de sport amateur et qu'il était disposé à renoncer à des recettes fiscales pour promouvoir le sport amateur au Canada, mais seulement si les fonds devaient être dépensés dans tout le pays. Il ne voulait pas aider au financement de ces associations si les bénéficiaires étaient limités à une province ou à une région.

[22]          À mon avis, cette évolution exclut la possibilité qu'une association de sport amateur soit traitée comme un organisme de bienfaisance en vertu de la Loi. Le législateur a accordé un statut spécial à ces associations sous réserve de certaines conditions précises. Il faut donc présumer que le législateur a occupé le champ relatif au traitement fiscal des associations de sport amateur, sans égard à leur statut au regard du droit en matière d'organismes de bienfaisance. En effet, comme cette affaire l'illustre, une conclusion contraire équivaudrait à contrecarrer l'intention explicite du législateur de limiter le financement fédéral des associations de sport amateur à celles qui oeuvrent à l'échelle de tout le pays.

[23]          Je conclus donc que, quel que soit l'état de la common law, la Loi exclut qu'une association comme l'appelante, dont le but premier est la promotion du sport amateur, puisse être enregistrée comme un organisme de bienfaisance en vertu de la Loi. Ainsi, l'article 8.1 de la Loi d'interprétation n'est d'aucune utilité pour l'appelante.

[24]          Je suis d'avis de rejeter l'appel, avec dépens.

« Marc Noël »

Juge

« Je souscris aux présents motifs »

« Gilles Létourneau »

Juge

« Je souscris aux présents motifs »

« John M. Evans »

Juge

Traduction certifiée conforme

Jacques Deschênes, LL.B.


COUR D'APPEL FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

DOSSIER :                                                                             A-275-05

INTITULÉ :                                 A.Y.S.A. Amateur Youth Soccer Association c. ARC

LIEU DE L'AUDIENCE :                                                      Vancouver (Colombie-Britannique).

DATE DE L'AUDIENCE :                                                    Le 4 avril 2006

MOTIFS DU JUGEMENT :                                                 LE JUGE NOËL

Y ONT SOUSCRIT :                                                              LES JUGES LÉTOURNEAU ET EVANS

DATE DES MOTIFS :                                                           Le 5 avril 2006

COMPARUTIONS :

Blake Bromley                                                                     POUR L'APPELANTE

Kathryn Chan

Lynn M. Burch                                                                    POUR L'INTIMÉE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Benefic Law Corp                                                               POUR L'APPELANTE

Vancouver (Colombie-Britannique)

John Sims, c.r.                                                                     POUR L'INTIMÉE

Sous-procureur général du Canada

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