Décisions de la Cour d'appel fédérale

Informations sur la décision

Contenu de la décision

Date : 20040305

Dossier : A-363-02

Référence : 2004 CAF 93

CORAM :       LE JUGE DÉCARY

LE JUGE SEXTON

LA JUGE SHARLOW

ENTRE :

                          FIRST CANADIANS' CONSTITUTION DRAFT COMMITTEE

                                  THE UNITED KOREAN GOVERNMENT (CANADA)

                                                                                                                                               appelant

                                                                             et

                                     SA MAJESTÉ LA REINE DU CHEF DU CANADA

                                                                                                                                                  intimée

                                       Audience tenue à Ottawa (Ontario), le 3 mars 2004.

                                       Jugement rendu à Ottawa (Ontario), le 5 mars 2004.

MOTIFS DU JUGEMENT :                                                                                  LE JUGE DÉCARY

Y ONT SOUSCRITS :                                                                                          LE JUGE SEXTON

                                                                                                                         LA JUGE SHARLOW


Date : 20040305

Dossier : A-363-02

Référence : 2004 CAF 93

CORAM :       LE JUGE DÉCARY

LE JUGE SEXTON

LA JUGE SHARLOW

ENTRE :

                          FIRST CANADIANS' CONSTITUTION DRAFT COMMITTEE

                                  THE UNITED KOREAN GOVERNMENT (CANADA)

                                                                                                                                               appelant

                                                                             et

                                     SA MAJESTÉ LA REINE DU CHEF DU CANADA

                                                                                                                                                  intimée

                                                       MOTIFS DU JUGEMENT

LE JUGE DÉCARY

[1]                Il s'agit de l'appel interjeté contre la décision du juge O'Keefe ((2002) 222 F.T.R. 152) dans laquelle il a rejeté la requête par laquelle l'appelant avait interjeté appel contre la décision de la protonotaire Aronovitch adjugeant à son encontre des dépens s'élevant à 500 $. L'appelant n'a pas interjeté appel de la décision de la protonotaire de radier sa déclaration.


[2]                L'appel soulève deux questions de droit sur lesquelles la Cour ne s'est pas encore prononcée : 1) la compétence d'un protonotaire, en vertu de l'article 221, pour entendre une requête visant la radiation d'une déclaration dans laquelle le montant réclamé est de plus de 50 000 $; 2) la question de savoir si l'ordonnance rendue par un protonotaire sur les dépens est une ordonnance relative à une question ayant une influence déterminante sur l'issue du principal de manière à ce que le juge des requêtes soit appelé à exercer son pouvoir discrétionnaire de novo lorsqu'il siège en appel contre l'ordonnance.

[3]                Examinons d'abord la deuxième question. Le juge des requêtes était d'avis que puisque la question finale qui se posait était celle des dépens, il devait exercer son pouvoir discrétionnaire de novo. Avec égards, je ne suis pas de cet avis.


[4]                Conformément au critère élaboré dans l'arrêt Canada c. Aqua-Gem Investments Ltd., [1993] 2 C.F. 425 (C.A.) et qui a été formulé de nouveau récemment dans Merck & Co. c. Apotex Inc., (2003 CAF 488), le juge des requêtes doit d'abord décider si une ordonnance relative aux dépens soulève une question ayant une influence déterminante sur l'issue du principal. Le critère applicable serait très « strict » (Merck, précité, paragraphe 22). On ne saurait affirmer qu'une ordonnance relative aux dépens décernée lorsqu'une décision finale, quelle qu'elle soit, a déjà été prise sur le fond, soit « déterminante » au sens du critère. Ces ordonnances sont purement discrétionnaires. Elles sont accessoires aux véritables questions en litige et n'ont aucune répercussion sur le règlement de ces questions. À l'instar du juge Gibson dans Mongague Industries Inc. c. Canmec Ltée, 2001 CFPI 72, au paragraphe 25, et du juge Evans (maintenant juge de la Cour d'appel fédérale) dans Glaxo Group Ltd. c. Novopharm Ltd., (1999) 3 C.P.R. (4th) 333, au paragraphe 16, (C.F. 1re inst.), j'estime que l'ordonnance relative aux dépens d'un protonotaire n'est pas susceptible de contrôle de novo et ne peut être modifiée que par un juge des requêtes siégeant en appel si elle est fondée sur un principe erroné ou sur une mauvaise interprétation des faits.

[5]                La première question vise les liens entre les paragraphes 12(1) et 12(3) de la Loi sur la Cour fédérale, les paragraphes 50(1), 50(2) des Règles de la Cour fédérale et le paragraphe 221(1) de ces Règles. Ces dispositions sont ainsi libellées :

               Loi sur la Cour fédérale

12. (1)      Le gouverneur en conseil peut nommer protonotaires de la Cour fédérale tous avocats remplissant, à son avis, les conditions voulues pour l'exécution des travaux de celle-ci qui, aux termes des règles, incombent à cette catégorie de personnel.

[...]

                    Federal Court Act

12. (1)      The Governor in Council may appoint as prothonotaries of the Federal Court any fit and proper persons who are barristers or advocates in a province and who are, in the opinion of the Governor in Council, necessary for the efficient performance of the work of that court that, under the Rules, is to be performed by them.

...

(3)    Les pouvoirs et fonctions des protonotaires sont fixés par les règles.

(3)    The powers, duties and functions of the prothonotaries shall be determined by the Rules.




        Règles de la Cour fédérale (1998)

50. (1)      Le protonotaire peut entendre toute requête présentée en vertu des présentes règles - à l'exception des requêtes suivantes - et rendre les ordonnances nécessaires s'y rapportant :

a) une requête pour laquelle un juge a compétence expresse en vertu des présentes règles ou d'une loi fédérale;

b) une requête devant la Cour d'appel;

c) une requête pour obtenir un jugement sommaire, sauf s'il s'agit d'un jugement sommaire :

(i) dans une action visée au paragraphe (2),                                 (ii) à l'égard d'une réclamation visée au paragraphe (3);

d) une requête pour obtenir une condamnation pour outrage au tribunal à la suite d'une citation pour comparaître ordonnée en vertu de l'alinéa 467(1)a);

e) une requête pour obtenir une injonction;

f) une requête concernant la mise en liberté ou l'incarcération d'une personne;

g) une requête pour annuler ou modifier l'ordonnance d'un juge ou pour y surseoir, sauf celle rendue aux termes des alinéas 385a), b) ou c);

h) une requête pour surseoir à l'exécution de l'ordonnance d'un juge;

i) une requête visant la nomination d'un séquestre judiciaire;

j) une requête pour obtenir des mesures provisoires en vertu de l'article 18.2 de la Loi;

k) une requête pour en appeler des conclusions du rapport d'un arbitre visée à la règle 163;

l) une requête en autorisation d'une action comme recours collectif..

(2)    Le protonotaire peut entendre toute action visant exclusivement une réparation pécuniaire ou toute action réelle visant en outre une réparation pécuniaire dans lesquelles chaque réclamation s'élève à au plus 50 000 $, à l'exclusion des intérêts et des dépens.

[...]

             Federal Court Rules, 1998

50. (1)     A prothonotary may hear, and make any necessary orders relating to, any motion under these Rules other than a motion

(a) in respect of which these Rules or an Act of Parliament has expressly conferred jurisdiction on a judge;

(b) in the Court of Appeal;

(c) for summary judgment other than

(i) in an action referred to in subsection (2), or

(ii) in respect of a claim referred to in subsection (3);

(d) to hold a person in contempt at a hearing referred to in paragraph 467(1)(a);

(e) for an injunction;

(f) relating to the liberty of a person;

(g) to stay, set aside or vary an order of a judge, other than an order made under paragraph 385(a), (b) or (c);

(h) to stay execution of an order of a judge;

(i) to appoint a receiver;

(j) for an interim order under section 18.2 of the Act;

(k) to appeal the findings of a referee under rule 163; or

(l) for the certification of an action as a class action.

(2)    A prothonotary may hear an action exclusively for monetary relief, or an action in rem claiming monetary relief, in which no amount claimed by a party exceeds $50,000 exclusive of interest and costs.

...




221. (1) À tout moment, la Cour peut, sur requête, ordonner la radiation de tout ou partie d'un acte de procédure, avec ou sans autorisation de le modifier, au motif, selon le cas :

a) qu'il ne révèle aucune cause d'action ou de défense valable;

b) qu'il n'est pas pertinent ou qu'il est redondant;

c) qu'il est scandaleux, frivole ou vexatoire;

d) qu'il risque de nuire à l'instruction équitable de l'action ou de la retarder;

e) qu'il diverge d'un acte de procédure antérieur;

f) qu'il constitue autrement un abus de procédure.

Elle peut aussi ordonner que l'action soit rejetée ou qu'un jugement soit enregistré en conséquence.

221. (1) On motion, the Court may, at any time, order that a pleading, or anything contained therein, be struck out, with or without leave to amend, on the ground that it

(a) discloses no reasonable cause of action or defence, as the case may be,

(b) is immaterial or redundant,

(c) is scandalous, frivolous or vexatious,

(d) may prejudice or delay the fair trial of the action,        (e) constitutes a departure from a previous pleading, or

(f) is otherwise an abuse of the process of the Court,

and may order the action be dismissed or judgment entered accordingly.

[6]                L'intention du législateur ne saurait être plus claire. Les protonotaires sont nommés pour assurer « l'exécution des travaux de celle-ci (la Cour fédérale) qui, aux termes des règles, incombent à cette catégorie du personnel » (paragraphe 12(1) de la Loi) et la description des travaux de la Cour que peuvent exécuter les protonotaires se trouve dans les Règles (paragraphes 12(1) et 12(3) de la Loi).

[7]                Le juge en chef Isaac a décrit le rôle des protonotaires au sein de la Cour fédérale dans l'arrêt Aqua-Gem, description qui a été confirmée récemment par la Cour dans Merck (précité, au paragraphe 22). Voici une partie des motifs invoqués par le juge Isaac dans Aqua-Gem :

Il est hors de doute qu'en créant les fonctions de registraire ou protonotaire de la Cour de l'Échiquier et de protonotaire de notre Cour, le législateur avait à l'esprit le soutien que les protonotaires assuraient aux juges des cours supérieures, avant et après le jugement, dans les systèmes judiciaires d'Angleterre et de l'Ontario, lesquels faisaient un large usage de ces auxiliaires de la justice.

Dans ses cours Hamlyn (publiées sous le titre The Fabric of English Civil Justice, Londres: Stevens & Sons, 1987), sir Jack Jacob, c.r., lui-même ancien protonotaire en chef de la Haute Cour de justice d'Angleterre, a donné un aperçu de l'évolution et du mode de fonctionnement de ce système en Angleterre. Le passage suivant, aux pages 110 et 111, est particulièrement instructif sur l'évolution historique de ce système :


                [traduction] Le trait le plus frappant de la procédure préliminaire en Angleterre réside dans ce que, à quelques rares exceptions près, elle ne se déroule pas devant un juge, mais devant un auxiliaire de la justice appelé protonotaire ou registraire. Avant 1837, les juges des trois cours supérieures de common law entendaient eux-mêmes les requêtes préliminaires, qui étaient alors relativement peu nombreuses et peu variées. En 1837, le législateur a supprimé un grand nombre de fonctions administratives et quasi judiciaires, et les a remplacées par des protonotaires dans les trois tribunaux de common law pour seconder les juges dans les procédures préliminaires. En 1867, le législateur a encore innové, en faisant du protonotaire non plus un auxiliaire du juge, mais une autorité judiciaire séparée, distincte et indépendante. Pour y parvenir, il a habileté les juges à adopter des règles investissant les protonotaires du pouvoir d'exercer les mêmes fonctions que le juge en chambre, sauf les questions et instances expressément prévues. Point n'est besoin de dire que les règles nécessaires ont été immédiatement adoptées et qu'elles se sont considérablement développées depuis. Elles ont pour effet de donner aux protonotaires compétence originale sur les matières et procédures dont ils sont saisis. Dans cette fonction, le protonotaire à la Haute Cour est l'équivalant du juge en chambre et c'est en incarnant « la Cour » elle-même qui rend sa décision, ordonnance ou jugement.

                La compétence des protonotaires, qui a été considérablement élargie depuis l'institution de ces fonctions, est en effet très étendue et couvre la quasi-totalité des procédures préliminaires, sauf l'importante exception des requêtes en injonction si elles ne sont pas introduites dans des conditions convenues; elle embrasse également la quasi-totalité des procédures postérieures au jugement. Les protonotaires sont habiletés à rendre des ordonnances définitives comme des ordonnances interlocutoires ainsi que des jugements définitifs tout aussi impératifs et exécutoires que ceux des juges.

                                                     [Non souligné dans l'original.]

[8]                La compétence des protonotaires, à l'instar de celle des protonotaires dans le système judiciaire d'Angleterre, a donc été considérablement élargie avec le temps pour « couvrir la quasi-totalité des procédures préliminaires, sauf l'importante exception des requêtes en injonction [...], et embrasse également la quasi-totalité des procédures postérieures au jugement » . Cette compétence est établie par le comité des règles, constitué en vertu de l'article 45.1 de la Loi, qui jouit donc du pouvoir exceptionnel d'investir les protonotaires « du pouvoir d'exercer les mêmes fonctions que le juge en chambre, sauf les questions et instances expressément prévues » .


[9]                Le paragraphe 50(1) des Règles établit le principe selon lequel le protonotaire peut entendre « toute requête » en vertu des Règles de la Cour fédérale « à l'exception » des requêtes mentionnées au paragraphe 50(2). Il s'agit réellement d'un pouvoir très large et, sauf si une requête est mentionnée au paragraphe 50(2), le protonotaire peut l'entendre. Le paragraphe 50(1) a été soigneusement rédigé et il ne confère aucun pouvoir aux protonotaires en matière d'actions. C'est le paragraphe 50(2) qui confère aux protonotaires compétence pour entendre une action et il limite expressément cette compétence aux actions qui visent exclusivement une réparation pécuniaire ou une action réelle visant en outre une réparation pécuniaire dans lesquelles chaque réclamation s'élève à au plus 50 000 $, à l'exclusion des intérêts et des dépens. Le législateur avait certainement à l'esprit la distinction entre « requête » et « action » et s'il avait voulu que soient exclues de la compétence du protonotaire les requêtes déposées dans le contexte d'une action dans laquelle la réclamation s'élevait à plus de 50 000 $, il l'aurait fait. Il n'y a donc aucun doute, à mon avis, qu'un protonotaire a compétence, en vertu du paragraphe 50(1), d'entendre une requête visant à radier une action en vertu de l'article 221, quel que soit le montant de la réclamation de l'action.


[10]            Pour revenir aux faits en l'espèce, la protonotaire avait compétence pour radier la déclaration, même si le montant de la réclamation était de plus de 50 000 $. La protonotaire avait également compétence pour rendre une ordonnance relative aux dépens en rapport avec la radiation de la déclaration. Dans l'affaire qui nous occupe, l'ordonnance relative aux dépens n'est pas une ordonnance déterminante sur l'issue du principal. Elle ne doit pas être modifiée par un juge des requêtes, sauf si elle est manifestement erronée en ce sens que la protonotaire aurait exercer son pouvoir discrétionnaire en se fondant sur un principe erroné ou sur une mauvaise interprétation des faits. Même si, dans la présente affaire, le juge des requêtes n'a pas appliqué la bonne norme de contrôle, il laisse à entendre néanmoins, dans sa décision, qu'il est d'avis que la protonotaire n'a commis aucune erreur susceptible de contrôle. Il n'y a aucune raison de modifier cette conclusion.

[11]            L'appel doit être rejeté. J'accorderais à l'intimée des dépens de 300 $.

                                                                                                                                _ Robert Décary _                

                                                                                                                                                     Juge                           

« Je souscris aux présents motifs

     J. Edgar Sexton, juge »

« Je souscris aux présents motifs

     K. Sharlow, juge »

Traduction certifiée conforme

Suzanne M. Gauthier, trad. a., LL.L.


                                                     COUR D'APPEL FÉDÉRALE

                                              AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

DOSSIER :                                                                             A-363-02

APPEL DE L'ORDONNANCE DATÉE DU 24 MAI 2001 RENDUE PAR LE JUGE O'KEEFE DE LA COUR FÉDÉRALE, DOSSIER T-1626-01.

INTITULÉ :                                       FIRST CANADIANS' CONSTITUTION DRAFT COMMITTEE, THE UNITED KOREAN GOVERNMENT (CANADA)

c.

SA MAJESTÉ LA REINE DU CHEF DU CANADA

LIEU DE L'AUDIENCE :                OTTAWA (ONTARIO)

DATE DE L'AUDIENCE :               LE 3 MARS 2004

MOTIFS DU JUGEMENT :            LE JUGE DÉCARY

Y ONT SOUSCRIT :                        LES JUGES SEXTON ET SHARLOW

DATE DES MOTIFS :                     LE 5 MARS 2004

COMPARUTIONS :

Kyu-Bom Hahn                                   POUR L'APPELANT

Monika Lozinska                                 POUR L'INTIMÉE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Kyu-Bom Hahn                                   POUR L'APPELANT

Ottawa (Ontario)

Morris Rosenberg                                POUR L'INTIMÉE

Sous-procureur général du Canada

Ottawa (Ontario)


 Vous allez être redirigé vers la version la plus récente de la loi, qui peut ne pas être la version considérée au moment où le jugement a été rendu.