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Date : 20050519

Dossier : A-518-04

Référence : 2005 CAF 186

CORAM :       LE JUGE NOËL

LE JUGE NADON

LE JUGE MALONE

ENTRE :

                                   LE MINISTRE DE LA SÉCURITÉ PUBLIQUE ET

                                                    DE LA PROTECTION CIVILE

                                                                                                                                              appelant

                                                                             et

                                                              KEITH MAYDAK

                                                                                                                                                  intimé

                         Audience tenue à Vancouver (Colombie-Britannique), le 11 mai 2005.

                                       Jugement rendu à Ottawa (Ontario), le 19 mai 2005.

MOTIFS DU JUGEMENT :                                                                                   LE JUGE NADON

Y ONT SOUSCRIT :                                                                                                 LE JUGE NOËL

                                                                                                                            LE JUGE MALONE


Date : 20050519

Dossier : A-518-04

Référence : 2005 CAF 186

CORAM :       LE JUGE NOËL

LE JUGE NADON

LE JUGE MALONE

ENTRE :

                                   LE MINISTRE DE LA SÉCURITÉ PUBLIQUE ET

                                                    DE LA PROTECTION CIVILE

                                                                                                                                              appelant

                                                                             et

                                                              KEITH MAYDAK

                                                                                                                                                  intimé

                                                       MOTIFS DU JUGEMENT

LE JUGE NADON

[1]                L'appelant cherche à faire annuler la décision datée du 24 août 2004 par laquelle le juge Rouleau de la Cour fédérale a conclu que le refus de la Gendarmerie royale du Canada (la GRC) de communiquer à l'intimé des renseignements personnels qu'il tentait d'obtenir en vertu du paragraphe 12(1) de la Loi sur la protection des renseignements personnels, L.R.C. 1985, ch. P- 21 (la Loi), ne pouvait être justifié en vertu de l'alinéa 22(1)a) de la Loi.


[2]                L'alinéa 22(1)a) de la Loi, qui est au coeur du débat, prévoit ce qui suit :

22. (1) Le responsable d'une institution fédérale peut refuser la communication des renseignements personnels demandés en vertu du paragraphe 12(1) :

a) soit qui remontent à moins de vingt ans lors de la demande et qui ont été obtenus ou préparés par une institution fédérale, ou par une subdivision d'une institution, qui constitue un organisme d'enquête déterminé par règlement, au cours d'enquêtes licites ayant trait :

(i)       à la détection, la prévention et la répression du crime,

(ii)      aux activités destinées à faire respecter les lois fédérales ou provinciales,

(iii)     aux activités soupçonnées de constituer des menaces envers la sécurité du Canada au sens de la Loi sur le Service canadien du renseignement de sécurité

     [Non souligné dans l'original.]

22. (1) The head of a government institution may refuse to disclose any personal information requested under subsection 12(1)

(a) that was obtained or prepared by any government institution, or part of any government institution, that is an investigative body specified in the regulations in the course of lawful investigations pertaining to

(i)      the detection, prevention or suppression of crime,

(ii)     the enforcement of any law of Canada or a province, or

(iii)    activities suspected of constituting threats to the security of Canada within the meaning of the Canadian Security Intelligence Service Act,

if the information came into existence less than twenty years prior to the request;

                       [Emphasis added]

[3]           De l'avis du juge, comme les renseignements personnels concernant l'intimé ne constituaient pas des renseignements obtenus par la GRC « au cours d'enquêtes licites » , l'exception prévue à l'alinéa 22(1)a) ne s'appliquait pas.


[4]           Cette décision ne peut, selon moi, être maintenue. Il ne fait guère de doute que la GRC a obtenu les renseignements en cause dans le but précis de donner suite aux procédures d'extradition engagées à l'égard de l'intimé par le ministère de la Justice à la demande des États-Unis d'Amérique. Plus particulièrement, les États-Unis demandaient l'extradition de l'intimé afin de le poursuivre en justice pour la violation des modalités d'une mise en liberté surveillée consécutive à une déclaration de culpabilité de fraude prononcée en 1994.

[5]           Après que les États-Unis eurent présenté la demande d'extradition, Mme Cathy Chalifour, conseillère juridique du Groupe d'entraide internationale au ministère de la Justice, a demandé l'aide de la GRC relativement à la demande d'extradition. C'est dans ce contexte précis que la GRC a obtenu les renseignements en cause.

[6]           Je suis convaincu que les renseignements personnels dont l'intimé demande la communication sont des renseignements que la GRC a obtenus notamment en vue de repérer et d'arrêter l'intimé, de manière à faciliter son extradition aux États-Unis si la demande d'extradition devait être acceptée.

[7]           L'essentiel des motifs sur lesquels le juge s'est fondé pour tirer ses conclusions se trouve aux paragraphes 23 à 26 de ses motifs de jugement :

23.         L'examen du dossier indique clairement, à mon avis, que la GRC a simplement été informée par le ministère de la Justice du Canada que les États-Unis recherchaient le demandeur pour des violations aux modalités de sa mise en liberté surveillée et qu'une demande d'extradition avait été faite.

24.         Il appert clairement des documents en cause que les seules mesures prises en l'espèce ont consisté à verser le nom du demandeur dans une base de données de la police canadienne, le CIPC, et à l'en retirer ainsi qu'à communiquer par courriel avec le ministère de la Justice au sujet de l'état de la demande d'extradition.

25.         Ce genre d'activités ne constitue certainement pas une enquête au sens des dispositions prévoyant des exceptions à la communication.


26.         Il est possible que la GRC ait déjà effectué des enquêtes dans le cadre de demandes d'extradition, mais il est clair qu'en l'espèce Interpol Ottawa n'a pas enquêté. Il appert en fait qu'aucune action de la nature d'une enquête n'a été entreprise.

[8]           Deux commentaires s'imposent à l'égard de ces paragraphes. Premièrement, le fait que les renseignements obtenus par la GRC n'aient aucune importance ou qu'ils aient peu de valeur n'a selon moi rien à voir avec la décision qui devait être prise au regard de l'alinéa 22(1)a) de la Loi. Peu importe la valeur des renseignements, l'exception à la communication s'appliquait s'ils avaient été obtenus dans les circonstances visées à l'alinéa 22(1)a).

[9]           Deuxièmement, le juge semble avoir donné une définition étroite au terme « enquête » . L'Oxford English Dictionary, dans son édition de 1978 (volume V, H-K), à la page 457, définit ce terme de la manière suivante :

[TRADUCTION] Fait d'enquêter; fait d'effectuer une recherche ou une enquête; examen systématique; recherche minutieuse et précise.

[10]       La 5e édition du Black's Law Dictionary définit pour sa part le terme « enquête » de la manière suivante :

[TRADUCTION] Suivre pas à pas dans le cadre d'une enquête minutieuse ou d'une observation patiente; suivre à la trace; rechercher; examiner et étudier avec soin et précision; trouver à la suite d'une recherche consciencieuse; examen; recueillir des éléments de preuve; enquête judiciaire.


[11]       Ainsi, les termes « enquête » et « enquêter » ont, dans leur acception ordinaire, un sens large, assurément assez large, selon moi, pour englober les activités de la GRC en vue d'obtenir les renseignements dont l'intimé demande la communication. La conclusion selon laquelle il convient de donner au terme « enquête » un sens large est confirmée par la Cour suprême du Canada dans l'arrêt Lavigne c. Canada (Commissariat aux langues officielles), [2002] 2 R.C.S. 773.

[12]       Dans l'arrêt Lavigne, précité, la Cour suprême du Canada devait déterminer si la divulgation des renseignements personnels demandés par l'intimé risquerait vraisemblablement de nuire au déroulement des enquêtes menées par le Commissaire aux langues officielles.

[13]       Pour trancher cette question, la Cour suprême a dû examiner l'alinéa 22(1)b) et le paragraphe 22(3) de la Loi, où figurent l'expression « enquêtes licites » et le terme « enquête » . Ces dispositions sont libellées de la manière suivante :



22. (1) Le responsable d'une institution fédérale peut refuser la communication des renseignements personnels demandés en vertu du paragraphe 12(1) :

[...]

b) soit dont la divulgation risquerait vraisemblablement de nuire aux activités destinées à faire respecter les lois fédérales ou provinciales ou au déroulement d'enquêtes licites, notamment :

(i)      des renseignements relatifs à l'existence ou à la nature d'une enquête déterminée,

(ii)       des renseignements qui permettraient de remonter à une source de renseignements confidentielle,

(iii)      des renseignements obtenus ou préparés au cours d'une enquête;

[...]

(3) Pour l'application de l'alinéa (1)b), « enquête » s'entend de celle qui :

a)     se rapporte à l'application d'une loi fédérale;

b)     est autorisée sous le régime d'une loi fédérale;

c)     fait partie d'une catégorie d'enquêtes précisée dans les règlements.

22. (1) The head of a government institution may refuse to disclose any personal information requested under subsection 12(1)

[...]

(b) the disclosure of which could reasonably be expected to be injurious to the enforcement of any law of Canada or a province or the conduct of lawful investigations, including, without restricting the generality of the foregoing, any such information

(i)      relating to the existence or nature of a particular investigation,

(ii)      that would reveal the identity of a confidential source of information, or

(iii)     that was obtained or prepared in the course of an investigation; or

[...](3) For the purposes of paragraph (1)(b), "investigation" means an investigation that

(a)    pertains to the administration or enforcement of an Act of Parliament;

(b)    is authorized by or pursuant to an Act of Parliament; or

(c)    is within a class of investigations specified in the regulations.

[14]     En ce qui concerne le terme « enquête » figurant au paragraphe 22(3), la Cour suprême a fait le commentaire suivant à la page 807 :

Cette définition ne suggère pas que ce mot soit limité à une enquête précise et circonscrite dans le temps. En effet, le législateur ne limite pas la portée de cette expression par un qualificatif quelconque. Aucun des alinéas du par. 22(3) ne limite le mot enquête aux enquêtes en cours ni n'exclut de sa protection les enquêtes futures et le processus d'enquête d'une façon générale. De prime abord, il semble donc que ce mot conserve son sens large et puisse faire référence autant aux enquêtes en cours qu'à celles qui sont sur le point de commencer ou qui auront lieu. Voyons maintenant si le législateur a restreint la portée de cette définition pour l'application de l'exception à la divulgation prévue à l'al. 22(1)b).

                                                                                                 [Non souligné dans l'original.]

[15]     En ce qui a trait au terme « enquêtes » figurant à l'alinéa 22(1)b), la Cour suprême a fait la remarque suivante à la page 808 :

54.        Bref, rien à l'al. 22(1)b) ne doit s'interpréter comme restreignant la portée du mot « enquête » aux seules enquêtes en cours ou à celles sur le point de commencer, ni comme limitant la portée générale de ce mot à des enquêtes précises. Il n'est donc pas justifié de limiter la portée de cet article.


[16]     Étant donné que le sens du terme « enquêtes » aux alinéas 22(1)a) et b) de la Loi est, à n'en pas douter, le même, je suis convaincu que la GRC a obtenu les renseignements en cause en vue d'effectuer une recherche ou une enquête, c'est-à-dire afin de repérer et d'arrêter l'intimé pour ainsi donner suite aux procédures d'extradition. Je conviens donc avec l'appelant que, dans la présente espèce, les activités de la GRC, qui consistaient en fait à suivre l'évolution de la demande d'extradition visant l'intimé et à recueillir des renseignements à l'égard des procédures d'extradition, constituent une enquête au sens de l'alinéa 22(1)a) de la Loi.

[17]     À mon avis, compte tenu du sens du terme « enquêtes » à l'alinéa 22(1)a) de la Loi et de la nature des activités dans le cadre desquelles la GRC a obtenu les renseignements personnels en cause, le juge a manifestement eu tort de conclure que les renseignements n'avaient pas été obtenus au cours d'une « enquête » . Par conséquent, étant donné que le juge a commis une erreur d'interprétation, j'accueillerais l'appel avec dépens, j'annulerais sa décision et, rendant la décision qu'il aurait dû rendre, je rejetterais la demande de contrôle judiciaire de l'intimé.


[18]     Il reste une dernière question à régler. À la fin de sa plaidoirie devant nous pour le compte de l'appelant, Me Workun a demandé à la Cour l'autorisation de modifier l'intitulé de la cause en substituant, à titre d'appelant, le ministre de la Sécurité publique et de la Protection civile au solliciteur général du Canada. Nous avons accueilli sa requête, de sorte que l'intitulé de la cause tiendra compte du fait que le ministre de la Sécurité publique et de la Protection civile est la partie appelante en l'espèce.

     « M. NADON »

_____________________________

JUGE

« Je souscris aux présents motifs

     Marc Noël, juge »

« Je souscris aux présents motifs

     B. Malone, juge »

Traduction certifiée conforme

Suzanne Bolduc, LL.B.


                             COUR D'APPEL FÉDÉRALE

                      AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

(Appel d'une ordonnance de la Cour fédérale en date du 24 août 2004. Dossier T-73-04)

DOSSIER :                                                   A-518-04

INTITULÉ :                                                    MINISTRE DE LA SÉCURITÉ PUBLIQUE ET DE LA PROTECTION CIVILE c. K. MAYDAK

LIEU DE L'AUDIENCE :                              VANCOUVER (C.-B.)

DATE DE L'AUDIENCE :                          LE 11 MAI 2005

MOTIFS DU JUGEMENT :                        LE JUGE NADON

Y ONT SOUSCRIT :                                    LE JUGE NOËL

                      LE JUGE MALONE

DATE DES MOTIFS :                                   LE 19 MAI 2005

COMPARUTIONS :

Curtis Workun                                       POUR L'APPELANT

Keith Maydak    N'A PAS COMPARU            EN SON PROPRE NOM

AVOCAT INSCRIT AU DOSSIER :

John Sims                                                          POUR L'APPELANT

Sous-procureur général du Canada

Vancouver (Colombie-Britannique)


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