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Date : 20181115


Dossier : A-243-17

Référence : 2018 CAF 209

CORAM :

LE JUGE EN CHEF NOËL

LE JUGE BOIVIN

LE JUGE DE MONTIGNY

 

 

 

ENTRE :

2763478 CANADA INC.

appelante

et

SA MAJESTÉ LA REINE

intimée

Audience tenue à Montréal (Québec), le 4 octobre 2018.

Jugement rendu à Ottawa (Ontario), le 15 novembre 2018.

MOTIFS DU JUGEMENT :

LE JUGE EN CHEF NOËL

Y ONT SOUSCRIT :

LE JUGE BOIVIN

LE JUGE DE MONTIGNY

 


Date : 20181115


Dossier : A-243-17

Référence : 2018 CAF 209

CORAM :

LE JUGE EN CHEF NOËL

LE JUGE BOIVIN

LE JUGE DE MONTIGNY

 

 

 

ENTRE :

2763478 CANADA INC.

appelante

et

SA MAJESTÉ LA REINE

intimée

MOTIFS DU JUGEMENT

LE JUGE EN CHEF NOËL

[1]  Notre Cour est saisie d’un appel interjeté par 2763478 Canada Inc. (l’appelante) d’une décision rendue par le juge Paris de la Cour canadienne de l’impôt (le juge de la CCI) confirmant la nouvelle cotisation établie par la ministre du Revenu national (la ministre) en vertu de la règle générale anti-évitement (RGAÉ), prévue par l’article 245 de la Loi de l’impôt sur le revenu, L.R.C. 1985, ch. 1 (5e suppl.) (la LIR). Cette cotisation a eu pour effet de refuser la déduction d’une perte en capital de l’ordre de 6 423 650 $ réclamée par l’appelante dans le calcul de son revenu pour l’année d’imposition 2005.

[2]  Le juge de la CCI a conclu que la RGAÉ s’appliquait au montage fiscal mis en place par l’appelante étant donné que la perte en capital réclamée était théorique et résultait d’une opération d’évitement. Le juge de la CCI a également rejeté l’argument subsidiaire de l’appelante selon lequel un ajustement excessif découlerait du refus de la perte, puisque susceptible de donner lieu à une double imposition.

[3]  À l'appui de son appel, l’appelante soutient qu’aucune des conditions préalables à l’application de la RGAÉ n’a été établie devant le juge de la CCI de sorte qu’il se devait d’annuler la cotisation émise à son encontre. Dans l’hypothèse contraire, l’appelante s’en remet à la thèse de l’éventuelle double imposition du gain résultant pour soutenir que le refus de la perte réclamée ne donne pas lieu à un ajustement qui est raisonnable aux fins des paragraphes 245(2) et (5).

[4]  Pour les motifs qui suivent, je suis d’avis que l’appel ne saurait être accueilli.

[5]  Les dispositions législatives dont mention est faite au cours de l’analyse qui suit sont reproduites en annexe aux présents motifs.

FAITS

[6]  L’appelante était, pendant la période pertinente, utilisée comme véhicule d’investissement par son unique actionnaire, Richard Jobin (M. Jobin). À l’époque, M. Jobin était aussi l’unique actionnaire et administrateur de Le Groupe AST 1993 Inc. (Groupe AST). Groupe AST est une entreprise qui depuis 1989 offrait des services de consultation dans le domaine de la santé et de la sécurité au travail, et qui connut une croissance particulièrement rapide vers la fin des années 1990.

[7]  À l’automne 2002, Automatic Data Processing (ADP), une société non liée, exprima l’intention « ferme » d’acquérir Groupe AST. L’acquisition ne se concrétisera que trois ans plus tard, en date du 17 janvier 2005, par la vente des actions de Groupe AST à une société constituée à cette fin par ADP. En vue de cette vente, le montage exposé ci-après fut mis en place.

[8]  D’abord, le 4 janvier 2005, M. Jobin a transféré à l’appelante, par voie de roulement effectué en vertu du paragraphe 85(1) de la LIR, les 11 143 607 actions ordinaires qu’il détenait dans Groupe AST. Ces actions avaient à ce moment le prix de base rajusté (PBR) de 341 413 $ et la juste valeur marchande (JVM) de 11 143 600 $. La somme convenue fut fixée à 341 413 $, montant égal au billet à ordre émis en échange des actions de Groupe AST. De plus, 10 802 195 actions privilégiées de catégorie E ayant un prix de rachat de 1 $ l’action furent émises à M. Jobin en échange des actions de Groupe AST. Étant donné que la somme convenue correspondait au PBR des actions transférées, le roulement n’a entrainé aucune conséquence fiscale pour M. Jobin.

[9]  Le 6 janvier 2005, Groupe AST a ajouté au capital versé des actions ordinaires détenues par l’appelante la somme de 2 600 000 $. De cette opération a découlé l’application du paragraphe 55(2), en vertu duquel l’appelante fut réputée avoir réalisé un gain en capital de 2 600 000 $.

[10]  Le 14 janvier 2005, l’appelante a transféré à 9144-4075 Québec Inc. (9144), société constituée six mois plus tôt, dont l’unique actionnaire était M. Jobin, toutes les actions qu’elle détenait dans Groupe AST (et dans quelques sociétés connexes) pour 12 847 200 $, un prix de disposition égal à leur JVM. L’appelante reçut en contrepartie 9 999 900 actions de catégorie A, émises par 9144. L’appelante a, de ce fait, réalisé un gain en capital de 9 875 137 $ et un gain en capital total de 12 475 137 $ pour son année d’imposition 2005 compte tenu du gain en capital réputé de 2 600 000 $ découlant de l’application du paragraphe 55(2).

[11]  La vente à distance a eu lieu quelques jours plus tard, soit le 17 janvier 2005, lorsqu’une filiale d’ADP – 6295231 Canada Inc. – s’est portée acquéreur des actions détenues par 9144 dans Groupe AST (et certaines sociétés connexes) pour un montant de 12 847 200 $. Comme ce montant correspondait au PBR des actions vendues, nul gain en capital ne fut réalisé par 9144 suite à cette vente.

[12]  En octobre 2005, M. Jobin poursuivit la réorganisation de ses actifs, l’objectif étant d’effectuer un gel successoral et de permettre à son fils, Maxime Jobin, de le rejoindre à titre d'actionnaire de 9144 et de profiter de la plus-value future de cette société. La croissance envisagée devait provenir d’investissements effectués et gérés par M. Jobin et son fils à même les fonds reçus suite à la vente des actions de Groupe AST.

[13]  À cette fin, 9144 a déclaré un dividende en actions sur les actions de catégorie A que détenait l’appelante en émettant 13 000 actions de catégorie B rachetables au prix de 13 000 000 $, soit 1 000 $ l’unité. Comme le prix de rachat des actions de catégorie B excédait la valeur du capital-actions de 9144 et comme cette catégorie d’actions avait préséance sur toute autre catégorie d’actions, le dividende en actions a causé un transfert de la valeur des actions de catégorie A à celles de catégorie B. Le PBR des actions de ces deux catégories demeurant par ailleurs inchangé, il s’ensuit que les actions de catégorie A comportaient dès lors une perte non réalisée de 12 847 299 $ et que les actions de catégorie B comportaient un gain non réalisé du même ordre.

[14]  La perte non réalisée que comportaient les actions de catégorie A fut réalisée par l’appelante le lendemain suite à leur vente au prix de 1 $ (leur JVM) à 9149-2736 Québec Inc. (9149), société qui avait été constituée en novembre 2004 et dont l’unique actionnaire était Maxime Jobin. Étant donné que 9144 et 9149 n’étaient pas des « personnes affiliées » au sens de l’article 251.1, la règle sur la minimisation des pertes prévue par le sous-alinéa 40(2)g)(ii) et au paragraphe 40(3.4) ne s’est pas appliquée, laissant ainsi la perte en capital de l’ordre de 12 847 299 $ intacte.

[15]  L’appelante a donc été en mesure de déduire cette perte dans le calcul de ses gains en capital imposables pour l’année d’imposition en cause, les réduisant ainsi à néant.

[16]  En s’en remettant à la RGAÉ, la ministre a concédé que ce résultat est conforme au texte des dispositions de la LIR sur lesquelles s’est appuyée l’appelante pour l’obtenir. Elle soutient cependant que ce résultat est contraire à leur raison d’être (Copthorne Holdings Ltd. c. Canada, 2011 CSC 63 [Copthorne], paragraphe 70).

DÉCISION DE LA COUR CANADIENNE DE L’IMPÔT

[17]  Le juge de la CCI a conclu que la RGAÉ s’appliquait en l’espèce et a ainsi refusé la déduction de la perte en capital. Pour tirer cette conclusion, le juge de la CCI a mené l’analyse à trois volets qui sous-tend l'application de la RGAÉ.

[18]  Quant au premier volet, l’appelante ayant concédé qu’il y avait avantage fiscal, seule était en cause l’étendue de cet avantage. À cet égard, le juge de la CCI a conclu que l’avantage était égal à l’impôt qui aurait été exigible en l’absence de la perte, soit 6 423 650 $ (Motifs, paragraphe 46).

[19]   Deuxièmement, le juge de la CCI a conclu que l’avantage fiscal découlait d’une série d’opérations dont l’une n’avait pas d’objet véritable. Il a noté que selon M. Jobin, chacune des étapes du plan était essentielle à la mise en œuvre du gel successoral (Motifs, paragraphe 48). Il a cependant conclu que « […] le gel successoral aurait très bien pu être accompli si l’appelante avait reçu directement les actions de catégorie B de 9144 en échange des actions transférées à 9144 et que (sic) les actions de catégorie A avaient été émises directement à 9149 » (Motifs, paragraphe 49).

[20]  Troisièmement, se fondant sur la jurisprudence de notre Cour, notamment Triad Gestco Ltd. c. Canada, 2012 CAF 258 [Triad Gestco] et 1207192 Ontario Ltd. c. Canada, 2012 CAF 259 [1207192], le juge de la CCI a conclu que l’avantage fiscal obtenu suite à la série d’opérations était contraire à la raison d’être des alinéas 38b), 39(1)b) et 40(1)b) de la LIR (Motifs, paragraphes 53 à 56). Il y avait donc eu abus de ces dispositions.

[21]  Le juge de la CCI a finalement rejeté l’argument subsidiaire de l’appelante selon lequel le refus de la perte donnerait lieu à une double imposition en raison du fait que les actions privilégiées de catégorie E, qui sont présentement détenues par M. Jobin, comportaient un gain non réalisé qui correspond en partie à la perte refusée. En effet, comme ce fut le cas dans l’affaire Triad Gestco, aucun scénario crédible de vente de ces actions n’avait été présenté (Motifs, paragraphe 59).

ERREURS ALLÉGUÉES PAR L’APPELANTE

[22]  À l'appui de la thèse portant que la RGAÉ n’est pas applicable, l’appelante soutient d’abord que la perte en capital qu’elle a subie ne donne pas lieu à « un réel avantage fiscal » (Mémoire de l’appelante, paragraphe 38). Par ailleurs, s’il existe un avantage fiscal, il doit être réduit du montant du gain non réalisé que comportent les actions de catégorie E de l’appelante, détenues à l'heure actuelle par M. Jobin (Mémoire de l’appelante, paragraphes 42 et 43).

[23]  Dans un deuxième temps, l’appelante soutient que la perte réclamée ne découle pas d’une série d’opérations et que, de toute façon, toutes les étapes comprises dans la série alléguée avaient un objet véritable. S'exprimant d’abord sur la série d’opérations, l’appelante fait valoir que l’objectif premier de la création de 9144 était de faire croître, dans une nouvelle société, les sommes obtenues lors de la vente des actions de Groupe AST en les utilisant comme fonds d’investissement (Mémoire de l’appelante, paragraphes 48 et 59). La décision d’utiliser 9144 pour effectuer le gel successoral aurait été prise plus tard (Mémoire de l’appelante, paragraphe 46). Vu cette prise de décision tardive, l’échange d’actions entre l’appelante et 9144, lequel a eu lieu en janvier 2005, ne peut s’inscrire dans la série d’opérations (Mémoire de l’appelante, paragraphes 50 et 51). Selon l’appelante, le juge de la CCI a commis une erreur manifeste et dominante en tirant la conclusion contraire.

[24]  Par ailleurs, l’appelante soutient que chacune des opérations comportait un objet véritable. Selon elle, l’échange d’actions constitue un choix judicieux qui a permis d’effectuer la vente des actions de Groupe AST par l’intermédiaire de 9144 (Mémoire de l’appelante, paragraphes 59 et 62). La déclaration subséquente du dividende en actions était nécessaire afin que la valeur croissante de 9144 suite au gel soit reflétée dans les actions de catégorie A. Comme pour tout gel successoral, la valeur accrue que comportaient les actions ordinaires fût transférée aux actions privilégiées afin que les actions ordinaires aient, suivant le gel, une valeur nominale. Finalement, la troisième opération était nécessaire afin de permettre à Maxime Jobin de participer à la croissance à venir de 9144 (Mémoire de l’appelante, paragraphes 66 et 68).

[25]  L’appelante ajoute que, de toute façon, le montage fiscal n’a pas donné lieu à un abus. Elle soutient d’abord que l’objet et l’esprit des dispositions en cause sont limités par leur texte même (Mémoire de l’appelante, paragraphe 92). Reconnaissant que notre Cour s’est déjà prononcée sur la raison d’être des alinéas 38b), 39(1)b) et 40(1)b) de la LIR, l’appelante conteste néanmoins l’approche précédemment retenue. À cet effet, elle note que la LIR ne fait aucune mention du concept de « perte théorique » (Mémoire de l’appelante, paragraphe 95). L’appelante ajoute que l’intention du législateur n’est pas de refuser de manière automatique toute perte qui ne serait pas une « perte économique » réelle (Mémoire de l’appelante, paragraphe 96). L’appelante s’en remet de façon particulière au fonctionnement du régime d’allocation du coût en capital lequel selon elle fournit la meilleure illustration de la thèse qu’elle avance (Mémoire de l’appelante, paragraphe 97).

[26]  Même si la Cour devait s’en tenir à l’approche consacrée par la jurisprudence Triad Gestco, l’appelante soutient que l’effet global des opérations ne va pas à l’encontre de la raison d’être des alinéas 38b), 39(1)b) et 40(1)b). Se démarquant de la trace factuelle des décisions ayant conclu à l’application de la RGAÉ pour refuser une perte théorique, l’appelante soutient que les principaux objectifs recherchés étaient la vente des actions de Groupe AST, le gel successoral et l’ajout de Maxime Jobin à l’actionnariat de 9144 (Mémoire de l’appelante, paragraphes 102, 111, 115, 116, 118, 126 et 127). Aucune de ces visées n’étant contraire à la raison d’être des dispositions pertinentes de la LIR, l’appelante soutient qu’il n’y a pas eu abus.

[27]  De façon subsidiaire, l’appelante soutient que le juge de la CCI a fait erreur en omettant de se pencher sur la double imposition éventuelle qu’elle allègue. Plus particulièrement, elle lui reproche d’avoir commis une erreur manifeste et dominante en concluant qu’aucun scénario crédible de double imposition n’avait été présenté. Contrairement aux faits de l’affaire Triad Gestco, M. Jobin sera réputé à son décès avoir disposé des actions de catégorie E du capital-actions de l’appelante, lesquelles comportent le gain non réalisé. Il s’ensuit que le gain envisagé se réalisera éventuellement et que le juge de la CCI devait en tenir compte (Mémoire de l’appelante, paragraphes 132 à 141).

[28]  Finalement, malgré qu’elle fasse aussi état du gain non réalisé que comportent les actions de catégorie B du capital-actions de 9144 (Mémoire de l’appelante, paragraphes 16, 38, 100 et 138), l’appelante ne demande pas que ses attributs fiscaux soient modifiés en fonction de ce gain non réalisé. Je note à cet égard que l’appelante n’a présenté aucun scénario susceptible de mener à la réalisation de ce gain (Comparer Triad Gestco, paragraphes 58 et 59).

POSITION DE LA COURONNE

[29]  La Couronne, pour sa part, s’en remet essentiellement aux motifs du juge de la CCI pour demander le rejet de l’appel. Elle ajoute qu’il y avait, au-delà de l’opération alternative identifiée par le juge de la CCI, une autre façon d’effectuer le gel successoral sans provoquer la perte réclamée. Selon elle, la dévaluation des actions de catégorie A avant leur vente à 9144 ne peut s’expliquer autrement que par l’idée d’engendrer une perte fiscale (Mémoire de la Couronne, paragraphes 60 à 62).

ANALYSE

[30]  Afin de conclure à l’application de la RGAÉ, le juge de la CCI devait répondre par l’affirmative aux trois questions suivantes : Y a-t-il eu avantage fiscal? L’une des opérations de la série d’opérations dont découle l’avantage constitue-t-elle une opération d’évitement? Le résultat obtenu est-il contraire à l’objet et à l’esprit des alinéas 38b), 39(1)b) et 40(1)b) ou, dit autrement, à leur raison d’être?

-  Norme de contrôle

[31]  La décision du juge de la CCI portant qu’il y a avantage fiscal et que cet avantage résulte d’une opération d’évitement découle de son appréciation des faits de sorte qu’elle ne peut être infirmée à moins qu’une erreur manifeste et dominante puisse être démontrée (Housen c. Nikolaisen, 2002 CSC 33, [2002] 2 R.C.S. 235 [Housen], paragraphe 10; Hypothèques Trustco Canada c. Canada, 2005 CSC 54, [2005] 2 R.C.S. 601 [Trustco], paragraphe 19). En ce qui a trait à l'abus allégué, la question à examiner en est une qui est mixte de fait et de droit puisqu’elle est fonction de l’application des dispositions de la LIR aux opérations en cause. À ce titre, la conclusion portant sur l’abus est aussi assujettie à la norme de l’erreur manifeste et dominante. Par contre, l’interprétation des dispositions législatives, laquelle doit précéder l'examen de la question de l’abus, soulève une question de droit isolable laquelle est à ce titre assujettie à la norme de la décision correcte (Pierre Pomerleau c. la Reine, 2018 CAF 129, paragraphe 56, citant Trustco, paragraphe 44, et Housen, paragraphes 8 à 37).

-  Avantage fiscal

[32]  En vertu du paragraphe 245(1) de la LIR, l'avantage fiscal est établi lorsqu’il y a, entre autres, « réduction » ou « évitement » d’impôt. L’appelante reconnaît qu’elle a réclamé une perte en capital suite à la vente des actions de catégorie A qu’elle détenait à 9149. Cette perte a permis à l’appelante de réclamer une perte en capital déductible de l’ordre de 6 423 650 $ dans le calcul de son revenu, réduisant ainsi l’impôt exigible pour l'année en cause. Cette réduction constitue un avantage fiscal selon le langage clair et précis du paragraphe 245(1) de la LIR.

[33]  L’appelante soutient cependant que l’avantage fiscal ainsi établi doit être réduit en fonction du gain accru et non réalisé que comportent les actions de catégorie E détenues par M. Jobin.

[34]  Cette thèse ne saurait être retenue pour deux raisons. D’abord, elle ne tient pas compte du fait que les gains en capital non réalisés, tout comme les pertes non réalisées, ne sont pas des montants qui peuvent être pris en compte dans le calcul d’un « avantage fiscal », tel que ce terme est défini au paragraphe 245(1). Je note aussi que le gain accru dont il est question se situe dans des actions qui appartiennent à M. Jobin, un contribuable distinct de l’appelante, qui n’est pas visé par la cotisation sous appel. Je reviendrai à cette question à la fin de mes motifs en disposant de l’argument subsidiaire de l’appelante.

[35]  Je conclus donc que le juge de la CCI n’a commis aucune erreur en concluant à l’existence d’un avantage fiscal égal à la réduction d’impôt qui découle de la perte réclamée.

-  Opération d’évitement

[36]  Déterminer l’existence d’une opération d’évitement se fait en deux étapes (Copthorne, paragraphe 40). Premièrement, il faut que l’avantage fiscal résulte d’une opération ou d’une série d’opérations. Deuxièmement, il faut identifier l’objet de l’opération ou des opérations constituant la série afin de déterminer si l’une d’elles constitue une opération d’évitement. À cet égard, le fait que l’une des opérations comprises dans la série n’ait pas d’objet véritable – c.-à-d. : non-fiscal – suffit pour faire de la série, une série d’évitement.

[37]  Selon la ministre, les trois opérations à considérer sont l’échange d’actions qui a eu lieu le 14 janvier 2005 entre l’appelante et 9144; la déclaration du dividende en actions par 9144 le 28 octobre 2005; et la vente des actions de catégorie A par l’appelante à 9149 le lendemain. Ces opérations constituent une série dans la mesure où elles sont liées (Copthorne, paragraphe 44). Le juge de la CCI ne pourrait que conclure que les trois opérations étaient liées, et qu’elles constituent la série dont découle l’avantage.

[38]  L’appelante n'attaque pas la conclusion à l’effet que la création de la perte en capital résulte des trois opérations qu’elle a entreprises. Par contre, elle soutient que ces opérations ne constituent pas une série au motif que la première n’est pas liée aux deux autres (Mémoire de l’appelante, paragraphes 46 et 50).

[39]  À cet égard, l’appelante soutient que la décision d’opérer le gel successoral n’a été prise qu’après l’échange d’actions et qu’ainsi cette opération ne faisait pas partie de la série. Je rappelle à cet égard que la Cour suprême du Canada enseigne qu’il n’est pas nécessaire que chaque étape de la série soit déterminée à l’avance; il suffit que les opérations soient réalisées « en raison de » ou « relativement à » la série (Trustco, paragraphe 26). Or, M. Jobin a reconnu qu’un gel successoral était envisagé dès 2004 (Témoignage de M. Jobin, Dossier d’appel, vol. 4, onglet H, pages 1006 et 1007; Mémoire de l’appelante, paragraphe 59b)).

[40]  Néanmoins, l’appelante soutient que le laps de temps entre la première et la deuxième opération suffit pour établir que les deux opérations n’étaient pas liées. Il est vrai que le passage du temps séparant des opérations constitue un facteur susceptible de démontrer qu’elles ne sont pas liées (Copthorne, paragraphe 47). Cependant, le simple fait qu’un laps de temps se soit écoulé avant que ne se réalise la suite d’une série d’opérations déjà envisagées ne permet pas d’établir que les opérations ne sont pas liées.

[41]  À l'audience, l’avocat de l’appelante a fait valoir que la décision de procéder au gel successoral ne pouvait avoir été prise le 14 janvier 2005 parce que le prix de vente des actions de Groupe AST détenues par 9144 était sujet à des ajustements pour « imprévus ». Il suffit de dire à cet égard que, selon la preuve, ces ajustements pouvaient s’effectuer sur une période d’au moins cinq ans à compter du 14 janvier 2005 (« Escrow Agreement » clause 6(b), Dossier d’appel, vol. 2, page 515), et qu'il ne ressort pas du témoignage de M. Jobin qu’il était mieux informé quant à d’éventuels imprévus en octobre 2005 qu’il ne l’était le 14 janvier 2005 lorsque la première opération a eu lieu (Témoignage de M. Jobin, Dossier d’appel, vol. 4, onglet H, pages 43 et 58).

[42]  Rappelant que la question de savoir si une opération fait partie d’une série en est une de fait, la preuve donnait ouverture à la conclusion tirée par le juge de la CCI selon laquelle la première opération était liée aux deux autres opérations et ainsi faisait partie de la série.

[43]  Le juge de la CCI a par la suite recherché si l’une ou l’autre des opérations comprises dans la série constituait une opération d’évitement. Il a d’abord rappelé que, selon l’appelante, l’objectif de la série, et de chacune des opérations de la série, était le gel successoral, précisant que si l’une des opérations n'avait pas été effectuée, le gel n’aurait pas pu être effectué. Après avoir indiqué que le fardeau de la preuve à cet égard incombait à l’appelante, il a conclu que l’émission des actions de catégorie A par 9144 en échange des actions qu’elle reçût de l’appelante n’était pas nécessaire pour effectuer le gel successoral. Le gel aurait aussi bien pu être effectué si l’appelante avait reçu directement les actions de catégorie B de 9144 en échange des actions de Groupe AST et si les actions de catégorie A avaient été émises directement à 9149 (Motifs, paragraphes 47 à 49).

[44]  L’appelante attaque cette conclusion. Elle répète que la décision d’opérer le gel successoral n’a été prise qu’après l’émission des actions de catégorie A et que l’objectif principal de cette émission était plutôt de conserver les fonds à être investis dans cette société afin que tant le père que le fils puissent en profiter. C’est donc que l’émission des actions de catégorie A répondait principalement à des visées commerciales, lesquelles constituent un objet véritable.

[45]  Cet argument a aussi été considéré par le juge de la CCI, qui a conclu qu’on aurait pu tout aussi bien conserver les fonds dans 9144 si l’appelante avait reçu directement les actions de catégorie B de 9144 plutôt que les actions de catégorie A (Motifs, paragraphe 50). Fort de ce constat, il a jugé que l’appelante n’avait pas réussi à établir que l’émission des actions de catégorie A par 9144 avait été principalement effectuée afin d’atteindre un objet véritable (Motifs, paragraphes 49 et 51).

[46]  Cette conclusion me semble inattaquable. La motivation derrière une opération s’établit en fonction de facteurs objectifs (Trustco, paragraphe 29). Face à l’avantage fiscal obtenu, il n’est pas suffisant pour l’appelante d’affirmer que l’objectif principal était non-fiscal, car cela relève du caractère subjectif de l’opération. Après avoir soupesé la preuve, le juge de la CCI a rejeté la thèse selon laquelle l’avantage fiscal n’était qu’accessoire. Il s’agit d’une conclusion qu'il pouvait légitimement tirer de la preuve.

[47]  Quoi qu’il en soit de la première opération, la Couronne soutient que les deuxième et troisième opérations constituent aussi des opérations d’évitement. Plus précisément, elle soutient que la dévaluation des actions de catégorie A n’était pas nécessaire pour effectuer le gel successoral. Selon la Couronne, l’appelante aurait pu échanger les actions de catégorie A contre des actions privilégiées en franchise d’impôt utilisant le mécanisme prévu par le paragraphe 85(1) ou 86(1) de la LIR, ce qui aurait permis à 9149 d’acquérir les actions de catégorie A à bas prix – c.-à-d. : 1 $ – et de profiter de leur croissance à venir. Bien que cet argument ait été exposé en termes clairs par la Couronne dans son mémoire, l’avocat de l’appelante n’a pas cru bon d’y répondre lors de l'audience.

[48]  L’argument de la Couronne m’apparaît bien fondé. En effet, si le but recherché était de geler la valeur des actions de catégorie A détenues par l’appelante et de faire en sorte que Maxime Jobin profite de la croissance à venir de 9144, l’appelante aurait pu simplement se prévaloir du paragraphe 85(1) ou 86(1), et disposer de ses actions de catégorie A en faveur de 9144, pour un montant égal à leur PBR, en échange d’actions privilégiées ayant une valeur de rachat égale à la valeur des actions de catégorie A. Ceci aurait permis à l’appelante de geler la valeur que comportaient les actions de catégorie A sans qu’aucun impôt ne devienne exigible. De plus, toute action ordinaire émise immédiatement après le gel aurait eu une JVM nominale permettant ainsi à 9149 de les acquérir à ce prix et de bénéficier de toute croissance à venir.

[49]  Somme toute, il n’a pas été démontré que l’une ou l’autre des opérations qui font partie de la série avait un objet véritable.

-  L’abus

[50]  En ce qui concerne l'abus allégué, l’analyse comporte deux volets. Le premier consiste à déterminer l’objet et l’esprit des dispositions invoquées afin d'obtenir l’avantage fiscal (Copthorne, paragraphe 69). L’objet et l’esprit d’une disposition donnée s’assimilent à sa raison d’être (Copthorne, paragraphe 70). La seconde consiste à déterminer si l’avantage fiscal obtenu porte atteinte à cette raison d’être (Copthorne, paragraphe 71). Il appartient à la Couronne de démontrer qu’une interprétation des dispositions en cause axée sur leur objet et leur esprit dégage une portée plus large que celle qui leur serait attribuée selon l’approche classique d’interprétation législative (ibidem).

(1)  L’objet et l’esprit des dispositions pertinentes

[51]  Notre Cour s'est déjà prononcée quant à l’objet et l’esprit des alinéas 38b), 39(1)b) et 40(1)b) (Triad Gestco et 1207192). L’appelante nous invite néanmoins à réexaminer le sens et la portée qui leur fût donnés.

[52]  À l’instar de ces autres affaires, il n’est pas controversé que la perte résultant du transfert de valeur entre les actions de catégories A et B et la disposition des actions de catégorie A le lendemain soit purement théorique en ce qu’aucune perte économique n’a été subie. En effet, l’appelante n’était ni plus riche ni plus pauvre suite à ce transfert. Le seul changement qui a eu lieu est que plutôt que de détenir les actions de catégorie A, qui avaient une JVM approximative de 13 000 000 $, l’appelante détenait les actions de catégorie B qui avaient la même JVM.

[53]  À l'occasion de l'affaire Triad Gestco, notre Cour a opéré une distinction entre une « perte théorique » et une « perte économique » ou « véritable » et a conclu que, vu l’objet et l’esprit des alinéas 38b), 39(1)b) et 40(1)b), une perte théorique ne peut donner lieu à une perte en capital déductible (Triad Gestco, paragraphes 39 et 51). La Cour a tracé cette ligne après avoir examiné le fonctionnement du cadre législatif instauré en 1972 afin d’imposer les gains en capital (Triad Gestco, paragraphes 27 à 36) et l’objectif sous-tendant ce régime (ibidem, paragraphe 42). Notre Cour a noté qu’avant 1972, l’augmentation de la valeur de biens en immobilisations n’était pas assujettie à l’impôt. C’est suite aux recommandations de la Commission Carter, après qu’elle eut constaté que l’accroissement de la valeur de biens en immobilisations donnait lieu à une forme d’enrichissement, que le régime législatif assujettissant le gain en capital à l’impôt a été instauré (Rapport de la Commission Carter, 1966, pages 51 à 53 et Triad Gestco, paragraphe 42).

[54]  Ce régime a comme assise l’alinéa 3b) de la LIR qui reconnaît le gain en capital comme source de revenus et l’assujettit à l’impôt dans l’année où le gain se réalise suite à la disposition du bien qui le comporte. À l’inverse, une perte en capital est reconnue lorsqu’elle se réalise de la même façon. L’accroissement de la valeur de biens en immobilisations sans réalisation n’est pas imposable, mais l’on doit garder à l’esprit la disposition déterminative de l’alinéa 70(5)a) qui a pour effet d’assujettir à l’impôt l’accroissement en valeur de tous les biens en immobilisation détenus par un contribuable au moment de son décès.

[55]  Les articles 39 et 40 prescrivent la méthode de calcul du gain ou de la perte. Une perte est subie lorsqu’un bien est disposé pour un « produit de disposition » inférieur à son « prix de base rajusté ». Le « prix de base rajusté » est le prix d’achat du bien tel qu’ajusté selon l’article 53 alors que le « produit de disposition » est son prix de vente ou toute indemnité afférente au bien, tel que prévu à l’article 54. La différence entre le prix de base rajusté et le produit de disposition sert à mesurer l’évolution de la valeur du bien, ainsi que l’accroissement ou la diminution du pouvoir économique qui en découle pour son titulaire (Triad Gestco, paragraphes 42 et 50).

[56]  L’appelante fait remarquer que les mots « perte théorique » et « perte économique » ou « véritable » ne se retrouvent nulle part dans la LIR (Mémoire de l’appelante, paragraphes 95 et 96). J’en conviens, mais comme l’a expliqué la Cour suprême dans l'arrêt Copthorne (paragraphe 70), il est possible que l’objet et l’esprit des dispositions en cause aient un sens plus large que celui qui se dégage d’une lecture axée sur les mots (Voir, dans le même sens, Triad Gestco, paragraphe 51). En l’occurrence, lorsque l’on s’interroge sur l’objet et l’esprit du régime d'imposition du gain en capital, force est de constater que permettre d’éponger un gain véritable par une perte théorique irait à l’encontre de la raison d’être de ce régime.

[57]  L’appelante insiste sur le fait que la LIR reconnaît parfois des pertes qui ne sont pas des pertes véritables. Se fondant sur ces cas particuliers, elle soutient que l’existence d’une perte véritable ne peut être requise par l’objet et l’esprit des dispositions en cause (Mémoire de l’appelante, paragraphe 96).

[58]  Les exceptions auxquelles l’appelante fait allusion ont déjà été examinées par notre Cour (Triad Gestco, paragraphes 43 à 50). La seule qui mérite qu’on s’y attarde est celle qui se dégage du régime d’allocation du coût en capital sur laquelle l’appelante insiste de façon particulière (Mémoire de l’appelante, paragraphe 97).

[59]  Le coût en capital de certains biens en immobilisations prescrits par règlement et utilisés pour gagner un revenu donne droit à une déduction annuelle communément appelée « amortissement ». Les mots « bien amortissable » sont définis au paragraphe 13(21), lequel renvoie à l’alinéa 20(1)a). Cet alinéa permet une déduction annuelle qui a pour but de reconnaître la dépréciation calculée en fonction d’un taux prescrit par le Règlement de l’impôt sur le revenu, C.R.C., ch. 945. L’appelante insiste sur le fait que ce taux de dépréciation est fonction d’un pourcentage qui ne correspond pas nécessairement à la diminution réelle de la valeur du bien amorti.

[60]  Cela est exact, mais il existe d’autres règles régissant l’amortissement qui ont pour effet de corriger cette disparité. Ces règles, plus particulièrement les paragraphes 13(1) et 20(16), disposent que tout amortissement qui s’avère excessif ou insuffisant en raison de ces pourcentages approximatifs est éventuellement récupéré ou déduit à titre de perte finale selon la valeur véritable du bien – c.-à-d. : sa juste valeur marchande. Au final, c’est la valeur véritable des biens compris dans une catégorie de biens amortissables qui est prise en compte dans le calcul du revenu (Water’s Edge Village Estates (Phase II) Ltd. c. Canada, 2002 CAF 291, [2003] 2 C.F. 25, paragraphe 45). Lorsque bien cerné, le fonctionnement du système d’allocation du coût en capital mine la position de l’appelante plutôt que la soutenir.

[61]  Aucun des arguments de l’appelante ne m’amène donc à remettre en question la conclusion tirée dans l'affaire Triad Gestco selon laquelle la déduction de pertes sur papier est proscrite par l’objet et l’esprit des dispositions en cause, incluant selon les motifs qui précèdent, l’alinéa 3b).

(2)  L’abus des dispositions

[62]  Ayant correctement déterminé l’objet et l’esprit des dispositions en cause, le juge de la CCI a conclu que la déduction de la perte réclamée par l’appelante aurait pour effet de contrecarrer leur raison d’être et à ce titre constituait un abus de ces dispositions. Aucune erreur manifeste et dominante n’a été démontrée à cet égard.

-  Moyen subsidiaire

[63]  Si la RGAÉ joue, l’appelante soutient tout de même que le refus de la perte réclamée n’est pas une « façon raisonnable dans les circonstances » de « supprimer l’avantage fiscal » qu’elle a obtenu selon le libellé des paragraphes 245(2) et (5). Selon elle, le juge de la CCI devait tenir compte du gain en capital que M. Jobin réalisera à son décès lorsqu’il sera réputé disposé des actions de catégorie E qu’il détient toujours. L’appelante précise que le gain que ces actions comportent, compte tenu de leur prix de rachat élevé et de leur PBR nominal, est « jusqu’à un certain point » le même que celui qu’elle a réalisé suite au transfert des actions qu’elle détenait dans Groupe AST à 9144 (Mémoire de l’appelante, paragraphes 42 et 140). Somme toute, l’appelante nous demande de réduire aujourd’hui l’avantage fiscal qu’elle a obtenu en fonction d’un gain qui sera peut-être réalisé plus tard.

[64]  L'argument de l’appelante se bute à plusieurs obstacles. En tenant pour acquis qu’un gain en capital non réalisé puisse être pris en compte afin de déterminer les attributs fiscaux d’un contribuable suite à une cotisation en vertu de la RGAÉ, encore faudrait-il que le gain soit certain de se réaliser et que le montant du gain soit quantifiable.

[65]  En l’occurrence, autant il est certain que M. Jobin sera réputé disposer des biens qui sont les siens au moment de son décès, l’on ne peut exclure qu’il puisse de son vivant trouver une façon fiscalement avantageuse de se départir des actions de catégorie E ou d’atténuer le gain non réalisé qu’elles comportent.

[66]  Je rappelle aussi que la haute JVM des actions de catégorie E, laquelle donnerait lieu au gain allégué, est fonction de la capacité de l’appelante de les racheter au prix de rachat indiqué – c.-à-d. : 10 802 195 $. Bien que la capacité d’effectuer le rachat à ce prix existait en 2005, les sommes résultant de la vente de Groupe AST sont depuis exposées à un risque, vu leur utilisation comme fonds de placement par 9144, et il n’a été produit aucun élément de preuve dont il ressort que la capacité d’effectuer le rachat existe toujours et aucune façon d’établir qu’elle existera au moment du décès de M. Jobin (Témoignage de M. Jobin, Dossier d’appel, vol. 4, onglet H, pages 52 à 55).

[67]  Par conséquent, non seulement le gain non réalisé ne se réalisera-t-il peut-être jamais, mais de plus, il est impossible de quantifier ce gain s’il devait se réaliser.

[68]  Finalement, même si l’appelante réussissait à franchir ces obstacles, je note que c’est la disposition des actions détenues par M. Jobin qui donnerait lieu à la double imposition. Il s’ensuit que ce sont les attributs fiscaux propres à M. Jobin qui devraient être modifiés afin d’éliminer cette double imposition et non ceux de l’appelante. M. Jobin aurait été en mesure de faire valoir ses droits à cet égard en vertu des paragraphes 245(5) et (6), sujet, cependant, à ce qu’il en fasse la demande dans les 180 jours suivant l’émission de la cotisation dirigée contre l’appelante.

[69]  Je conclus que c’est à bon droit que le juge de la CCI a rejeté l’argument subsidiaire de l’appelante.

[70]  Je rejetterais l’appel avec dépens.

« Marc Noël »

Juge en chef

“Je suis d’accord

Richard Boivin j.c.a.”

“Je suis d’accord

Yves de Montigny j.c.a.”


ANNEXE

Loi de l’impôt sur le revenu, L.R.C. 1985, ch. 1 (5e suppl.)

Income Tax Act, R.S.C. 1985, c. 1 (5th Supp.)

SECTION B

DIVISION B

Calcul du revenu

Règles fondamentales

Computation of Income

Basic Rules

Revenu pour l’année d’imposition

Income for taxation year

3 Pour déterminer le revenu d’un contribuable pour une année d’imposition, pour l’application de la présente partie, les calculs suivants sont à effectuer :

3 The income of a taxpayer for a taxation year for the purposes of this Part is the taxpayer’s income for the year determined by the following rules:

a) le calcul du total des sommes qui constituent chacune le revenu du contribuable pour l’année (autre qu’un gain en capital imposable résultant de la disposition d’un bien) dont la source se situe au Canada ou à l’étranger, y compris, sans que soit limitée la portée générale de ce qui précède, le revenu tiré de chaque charge, emploi, entreprise et bien;

(a) determine the total of all amounts each of which is the taxpayer’s income for the year (other than a taxable capital gain from the disposition of a property) from a source inside or outside Canada, including, without restricting the generality of the foregoing, the taxpayer’s income for the year from each office, employment, business and property,

b) le calcul de l’excédent éventuel du montant visé au sous-alinéa (i) sur le montant visé au sous-alinéa (ii):

(b) determine the amount, if any, by which

(i) le total des montants suivants :

(i) the total of

(A) ses gains en capital imposables pour l’année tirés de la disposition de biens, autres que des biens meubles déterminés,

(A) all of the taxpayer’s taxable capital gains for the year from dispositions of property other than listed personal property, and

(B) son gain net imposable pour l’année tiré de la disposition de biens meubles déterminés,

(B) the taxpayer’s taxable net gain for the year from dispositions of listed personal property,

En blanc

exceeds

(ii) l’excédent éventuel de ses pertes en capital déductibles pour l’année, résultant de la disposition de biens autres que des biens meubles déterminés sur les pertes déductibles au titre d’un placement d’entreprise pour l’année, subies par le contribuable;

(ii) the amount, if any, by which the taxpayer’s allowable capital losses for the year from dispositions of property other than listed personal property exceed the taxpayer’s allowable business investment losses for the year,

[…]

Récupération de l’amortissement

Recaptured depreciation

13(21) Les définitions qui suivent s’appliquent au présent article.

13(21) In this section,

amortissement total S’agissant de l’amortissement total accordé à un contribuable avant un moment donné pour les biens d’une catégorie prescrite, le total des montants dont chacun représente une déduction pour amortissement prise par le contribuable par application de l’alinéa 20(1)a) pour les biens de cette catégorie ou un montant déduit en application du paragraphe 20(16) — ou qui serait ainsi déduit sans le paragraphe 20(16.1) — dans le calcul du revenu du contribuable pour les années d’imposition se terminant avant ce moment. (total depreciation)

total depreciation allowed to a taxpayer before any time for property of a prescribed class means the total of all amounts each of which is an amount deducted by the taxpayer under paragraph 20(1)(a) in respect of property of that class or an amount deducted under subsection 20(16), or that would have been so deducted but for subsection 20(16.1), in computing the taxpayer’s income for taxation years ending before that time; (amortissement total)

Déductions admises dans le calcul du revenu tiré d’une entreprise ou d’un bien

Deductions permitted in computing income from business or property

20 (1) Malgré les alinéas 18(1)a), b) et h), sont déductibles dans le calcul du revenu tiré par un contribuable d’une entreprise ou d’un bien pour une année d’imposition celles des sommes suivantes qui se rapportent entièrement à cette source de revenus ou la partie des sommes suivantes qu’il est raisonnable de considérer comme s’y rapportant :

20 (1) Notwithstanding paragraphs 18(1)(a), 18(1)(b) and 18(1)(h), in computing a taxpayer’s income for a taxation year from a business or property, there may be deducted such of the following amounts as are wholly applicable to that source or such part of the following amounts as may reasonably be regarded as applicable thereto

a) la partie du coût en capital des biens supporté par le contribuable ou le montant au titre de ce coût ainsi supporté que le règlement autorise;

(a) such part of the capital cost to the taxpayer of property, or such amount in respect of the capital cost to the taxpayer of property, if any, as is allowed by regulation;

SOUS-SECTION C

SUBDIVISION C

Gains en capital imposables et pertes en capital déductibles

Taxable capital gain and allowable capital loss

38 Pour l’application de la présente loi :

38 For the purposes of this Act,

b) la perte en capital déductible d’un contribuable, pour une année d’imposition, résultant de la disposition d’un bien est égale à la moitié de la perte en capital que le contribuable a subie, pour l’année, à la disposition du bien;,

(b) a taxpayer’s allowable capital loss for a taxation year from the disposition of any property is 1/2 of the taxpayer’s capital loss for the year from the disposition of that property;

39 (1) Pour l’application de la présente loi :

39 (1) For the purposes of this Act,

b) une perte en capital subie par un contribuable, pour une année d’imposition, du fait de la disposition d’un bien quelconque est la perte qu’il a subie au cours de l’année, déterminée conformément à la présente sous-section (jusqu’à concurrence du montant de cette perte qui ne serait pas déductible, si l’article 3 était lu de la manière indiquée à l’alinéa a) du présent paragraphe et compte non tenu du passage « et des pertes déductibles au titre d’un placement d’entreprise subies par le contribuable pour l’année » à l’alinéa 3d), dans le calcul de son revenu pour l’année ou pour toute autre année d’imposition) du fait de la disposition d’un bien quelconque de ce contribuable, à l’exception :

(b) a taxpayer’s capital loss for a taxation year from the disposition of any property is the taxpayer’s loss for the year determined under this subdivision (to the extent of the amount thereof that would not, if section 3 were read in the manner described in paragraph (a) of this subsection and without reference to the expression “or the taxpayer’s allowable business investment loss for the year” in paragraph 3(d), be deductible in computing the taxpayer’s income for the year or any other taxation year) from the disposition of any property of the taxpayer other than

(i) d’un bien amortissable,

(i) depreciable property, or

(ii) d’un bien visé à l’un des sous-alinéas a)(ii) à (iii) et (v)

(ii) property described in any of subparagraphs 39(1)(a)(ii) to (iii) and (v)

40 (1) Sauf indication contraire expresse de la présente partie :

40 (1) Except as otherwise expressly provided in this Part

b) la perte d’un contribuable résultant, pour une année d’imposition, de la disposition d’un bien est :

(b) a taxpayer’s loss for a taxation year from the disposition of any property is,

(i) en cas de disposition du bien au cours de l’année, l’excédent éventuel du total du prix de base rajusté du bien, pour le contribuable, immédiatement avant la disposition, et des dépenses dans la mesure où celles-ci ont été engagées ou effectuées par lui en vue de réaliser la disposition sur le produit de disposition du bien qu’il en a tiré,

(i) if the property was disposed of in the year, the amount, if any, by which the total of the adjusted cost base to the taxpayer of the property immediately before the disposition and any outlays and expenses to the extent that they were made or incurred by the taxpayer for the purpose of making the disposition, exceeds the taxpayer’s proceeds of disposition of the property, and

(ii) dans les autres cas, nulle.

(ii) in any other case, nil.

PARTIE XVI

Évitement fiscal

PART XVI

Tax avoidance

Définitions

Definitions

245 (1) Les définitions qui suivent s’appliquent au présent article.

245 (1) In this section,

attribut fiscal S’agissant des attributs fiscaux d’une personne, revenu, revenu imposable ou revenu imposable gagné au Canada de cette personne, impôt ou autre montant payable par cette personne, ou montant qui lui est remboursable, en application de la présente loi, ainsi que tout montant à prendre en compte pour calculer, en application de la présente loi, le revenu, le revenu imposable, le revenu imposable gagné au Canada de cette personne ou l’impôt ou l’autre montant payable par cette personne ou le montant qui lui est remboursable. (tax consequences)

tax consequences to a person means the amount of income, taxable income, or taxable income earned in Canada of, tax or other amount payable by or refundable to the person under this Act, or any other amount that is relevant for the purposes of computing that amount; (attribut fiscal)

avantage fiscal Réduction, évitement ou report d’impôt ou d’un autre montant exigible en application de la présente loi ou augmentation d’un remboursement d’impôt ou d’un autre montant visé par la présente loi. Y sont assimilés la réduction, l’évitement ou le report d’impôt ou d’un autre montant qui serait exigible en application de la présente loi en l’absence d’un traité fiscal ainsi que l’augmentation d’un remboursement d’impôt ou d’un autre montant visé par la présente loi qui découle d’un traité fiscal. (tax benefit)

tax benefit means a reduction, avoidance or deferral of tax or other amount payable under this Act or an increase in a refund of tax or other amount under this Act, and includes a reduction, avoidance or deferral of tax or other amount that would be payable under this Act but for a tax treaty or an increase in a refund of tax or other amount under this Act as a result of a tax treaty; (avantage fiscal)

Disposition générale anti-évitement

General anti-avoidance provision

(2) En cas d’opération d’évitement, les attributs fiscaux d’une personne doivent être déterminés de façon raisonnable dans les circonstances de façon à supprimer un avantage fiscal qui, sans le présent article, découlerait, directement ou indirectement, de cette opération ou d’une série d’opérations dont cette opération fait partie.

(2) Where a transaction is an avoidance transaction, the tax consequences to a person shall be determined as is reasonable in the circumstances in order to deny a tax benefit that, but for this section, would result, directly or indirectly, from that transaction or from a series of transactions that includes that transaction.

Opération d’évitement

Avoidance transaction

(3) L’opération d’évitement s’entend

(3) An avoidance transaction means any transaction

a) soit de l’opération dont, sans le présent article, découlerait, directement ou indirectement, un avantage fiscal, sauf s’il est raisonnable de considérer que l’opération est principalement effectuée pour des objets véritables — l’obtention de l’avantage fiscal n’étant pas considérée comme un objet véritable;

(a) that, but for this section, would result, directly or indirectly, in a tax benefit, unless the transaction may reasonably be considered to have been undertaken or arranged primarily for bona fide purposes other than to obtain the tax benefit; or

b) soit de l’opération qui fait partie d’une série d’opérations dont, sans le présent article, découlerait, directement ou indirectement, un avantage fiscal, sauf s’il est raisonnable de considérer que l’opération est principalement effectuée pour des objets véritables — l’obtention de l’avantage fiscal n’étant pas considérée comme un objet véritable.

(b) that is part of a series of transactions, which series, but for this section, would result, directly or indirectly, in a tax benefit, unless the transaction may reasonably be considered to have been undertaken or arranged primarily for bona fide purposes other than to obtain the tax benefit.

Application du par. (2)

Application of subsection (2)

(4) Le paragraphe (2) ne s’applique qu’à l’opération dont il est raisonnable de considérer, selon le cas :

(4) Subsection (2) applies to a transaction only if it may reasonably be considered that the transaction

a) qu’elle entraînerait, directement ou indirectement, s’il n’était pas tenu compte du présent article, un abus dans l’application des dispositions d’un ou de plusieurs des textes suivants :

(a) would, if this Act were read without reference to this section, result directly or indirectly in a misuse of the provisions of any one or more of

(i) la présente loi,

(i) this Act,

(ii) le Règlement de l’impôt sur le revenu,

(ii) the Income Tax Regulations,

(iii) les Règles concernant l’application de l’impôt sur le revenu,

(iii) the Income Tax Application Rules,

(iv) un traité fiscal

(iv) a tax treaty, or

(v) tout autre texte législatif qui est utile soit pour le calcul d’un impôt ou de toute autre somme exigible ou remboursable sous le régime de la présente loi, soit pour la détermination de toute somme à prendre en compte dans ce calcul;

(v) any other enactment that is relevant in computing tax or any other amount payable by or refundable to a person under this Act or in determining any amount that is relevant for the purposes of that computation; or

b) qu’elle entraînerait, directement ou indirectement, un abus dans l’application de ces dispositions compte non tenu du présent article lues dans leur ensemble.

(b) would result directly or indirectly in an abuse having regard to those provisions, other than this section, read as a whole.

Attributs fiscaux à déterminer

Determination of tax consequences

(5) Sans préjudice de la portée générale du paragraphe (2) et malgré tout autre texte législatif, dans le cadre de la détermination des attributs fiscaux d’une personne de façon raisonnable dans les circonstances de façon à supprimer l’avantage fiscal qui, sans le présent article, découlerait, directement ou indirectement, d’une opération d’évitement

(5) Without restricting the generality of subsection (2), and notwithstanding any other enactment,

a) toute déduction, exemption ou exclusion dans le calcul de tout ou partie du revenu, du revenu imposable, du revenu imposable gagné au Canada ou de l’impôt payable peut être en totalité ou en partie admise ou refusée;

(a) any deduction, exemption or exclusion in computing income, taxable income, taxable income earned in Canada or tax payable or any part thereof may be allowed or disallowed in whole or in part,

b) tout ou partie de cette déduction, exemption ou exclusion ainsi que tout ou partie d’un revenu, d’une perte ou d’un autre montant peuvent être attribués à une personne;

(b) any such deduction, exemption or exclusion, any income, loss or other amount or part thereof may be allocated to any person,

c) la nature d’un paiement ou d’un autre montant peut être qualifiée autrement;

(c) the nature of any payment or other amount may be recharacterized, and

d) les effets fiscaux qui découleraient par ailleurs de l’application des autres dispositions de la présente loi peuvent ne pas être pris en compte.

(d) the tax effects that would otherwise result from the application of other provisions of this Act may be ignored,

in determining the tax consequences to a person as is reasonable in the circumstances in order to deny a tax benefit that would, but for this section, result, directly or indirectly, from an avoidance transaction

Demande en vue de déterminer les attributs fiscaux

Request for adjustments

(6) Dans les 180 jours suivant l’envoi à une personne d’un avis de cotisation, de nouvelle cotisation ou de cotisation supplémentaire qui tient compte du paragraphe (2) en ce qui concerne une opération, ou d’un avis concernant un montant déterminé en application du paragraphe 152(1.11) en ce qui concerne une opération, toute personne autre qu’une personne à laquelle un de ces avis a été envoyé a le droit de demander par écrit au ministre d’établir à son égard une cotisation, une nouvelle cotisation ou une cotisation supplémentaire en application du paragraphe (2) ou de déterminer un montant en application du paragraphe 152(1.11) en ce qui concerne l’opération.

(6) Where with respect to a transaction

(a) a notice of assessment, reassessment or additional assessment involving the application of subsection 245(2) with respect to the transaction has been sent to a person, or

(b) a notice of determination pursuant to subsection 152(1.11) has been sent to a person with respect to the transaction,

any person (other than a person referred to in paragraph (a) or (b)) shall be entitled, within 180 days after the day of sending of the notice, to request in writing that the Minister make an assessment, reassessment or additional assessment applying subsection (2) or make a determination applying subsection 152(1.11) with respect to that transaction.


COUR D’APPEL FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

A-243-17

 

INTITULÉ :

2763478 CANADA INC. c. SA MAJESTÉ LA REINE

 

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

Montréal (Québec)

 

DATE DE L’AUDIENCE :

LE 4 octobre 2018

 

MOTIFS DU JUGEMENT :

LE JUGE EN CHEF NOËL

 

Y ONT SOUSCRIT :

LE JUGE BOIVIN

LE JUGE DE MONTIGNY

 

DATE DES MOTIFS :

LE 15 NOVEMBRE 2018

 

COMPARUTIONS :

Me Serge Amar

Me Guy Régimbald

 

Pour l'appelante

 

Me Justine Malone

 

Pour l'intimée

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Gowling WLG (Canada) LLP

Montréal (Québec)

 

Pour l'appelante

 

Nathalie G. Drouin

Sous-procureur général du Canada

Ottawa (Ontario)

Pour l'intimée

 

 

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