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Date : 20060127

Dossier : A-219-05

Référence : 2006 CAF 36

CORAM :       LE JUGE DÉCARY

                        LE JUGE SEXTON

                        LE JUGE EVANS

ENTRE :

SA MAJESTÉ LA REINE

appelante

et

MARK STAPLEY

intimé

Audience tenue à Toronto (Ontario), le 11 janvier 2006

Jugement rendu à Ottawa (Ontario), le 27 janvier 2006

MOTIFS DU JUGEMENT :                                                                                  LE JUGE SEXTON

Y ONT SOUSCRIT :                                                                                            LE JUGE DÉCARY

                                                                                                                               LE JUGE EVANS


Date : 20060127

Dossier : A-219-05

Référence : 2006 CAF 36

CORAM :       LE JUGE DÉCARY

                        LE JUGE SEXTON

                        LE JUGE EVANS

ENTRE :

SA MAJESTÉ LA REINE

appelante

et

MARK STAPLEY

intimé

MOTIFS DU JUGEMENT

LE JUGE SEXTON

I.           INTRODUCTION

[1]                La Cour est saisie d'un appel interjeté à l'encontre de Stapley c. Canada, 2005 CCI 374, une décision de la Cour canadienne de l'impôt (la CCI) accueillant l'appel de l'intimé, Mark Stapley. L'intimé est un agent immobilier qui offrait à ses clients des chèques-cadeaux échangeables contre des repas et des boissons, de même que des billets pour différents événements sportifs et des concerts. Il ne consommait pas personnellement ces aliments et n'assistait pas aux événements de divertissement en cause. Lorsqu'il a préparé ses déclarations de revenus pour 2000, 2001 et 2002, il a déduit la totalité du coût des chèques-repas et des billets. Le ministre du Revenu national (le ministre) a refusé 50 % de ces déductions en se fondant sur le paragraphe 67.1(1) de la Loi de l'impôt sur le revenu (la LIR). Cette disposition limite la déduction des dépenses « pour des aliments, des boissons ou des divertissements pris par des personnes » à 50 % du moins élevé de ces deux montants : le montant réellement payé ou un montant raisonnable. La CCI a jugé que les déductions de l'intimé n'étaient pas visées par cette disposition parce que ces dépenses avaient été encourues en vue de produire un revenu et non pour la consommation ou le divertissement.

[2]                En appel, la Couronne soutient que même si les dépenses en cause ont été encourues à des fins commerciales, elles portaient également sur la consommation d'aliments et des divertissements pris par des personnes. En conséquence, ces dépenses sont visées par les restrictions relatives aux déductions admissibles prévues au paragraphe 67.1(1) de la LIR.

II.         LES FAITS

[3]                Au cours des années d'imposition 2000, 2001 et 2002, l'intimé était un agent immobilier autonome qui commercialisait et vendait des propriétés résidentielles. Son entreprise produisait des revenus sous forme de commissions. En 2000, 2001 et 2002, il a déclaré des revenus bruts de 152 270 $, 113 440 $ et 165 610 $ respectivement.

[4]                L'intimé achetait des chèques-cadeaux échangeables contre des repas et des boissons ainsi que des billets pour assister à différents concerts et événements sportifs à ses clients qui avaient acheté ou vendu leur maison par son intermédiaire. Il remettait ces chèques-cadeaux et ces billets à ses clients dans l'espoir qu'ils lui envoient d'autres occasions d'affaire ou de nouveaux clients. Autrement dit, le coût des chèques-cadeaux et des billets représentait des frais de commercialisation. L'intimé ne consommait pas les aliments ou les boissons que l'on pouvait obtenir avec les chèques-cadeaux et il n'assistait pas aux événements sportifs et aux concerts auxquels les billets donnaient un droit d'entrée. Ainsi, l'intimé n'avait aucun contrôle sur la manière dont ses clients utilisaient les chèques-cadeaux et les billets.

[5]                L'intimé a déduit de ses revenus le coût de ces chèques-cadeaux et billets, à savoir 20 125 $, 14 208 $ et 19 145 $ respectivement pour les années d'imposition 2000, 2001 et 2002. En février 2004, le ministre a émis un nouvel avis de cotisation à l'intimé et a augmenté le montant net des commissions de l'intimé de 10 062 $, 7 104 $ et 9 572 $ respectivement pour ces années d'imposition. En résumé, le ministre a refusé 50 % des déductions réclamées par l'intimé pour les chèques-cadeaux et les billets, en se fondant sur le paragraphe 67.1(1) de la LIR.

[6]                L'intimé a déposé un avis d'opposition le 20 avril 2004. Les nouveaux avis de cotisation ont été confirmés par un avis de confirmation en date du 23 juillet 2004. Le 15 avril 2005, l'appel interjeté par l'intimé en vertu de la procédure informelle a été instruit par la CCI. Le lendemain, la CCI donnait raison à l'intimé.

III.        LES TEXTES DE LOI PERTINENTS

[7]                À l'époque concernée, l'article 67.1 de la Loi de l'impôt sur le revenu était libellé comme suit :

SECTION B -- Calcul du Revenu

Sous-section f -- Règles relatives au calcul du revenu

ARTICLE 67.1

Frais de représentation

67.1.(1) Pour l'application de la présente loi, sauf des articles 62, 63 et 118.2, un montant payé ou payable pour des aliments, des boissons ou des divertissements pris par des personnes est réputé correspondre à 50 % du moins élevé du montant réellement payé ou payable et du montant qui serait raisonnable dans les circonstances.

Exceptions

67.1.(2) Le paragraphe (1) ne s'applique pas au montant payé ou payable par une personne pour des aliments, des boissons ou des divertissements dans les cas suivants :

67.1.(2)a) le montant est payé ou payable pour des aliments, des boissons ou des divertissements fournis contre paiement ou en vue de l'obtention d'un bénéfice dans le cours normal des activités d'une entreprise exploitée par cette personne et qui consiste à fournir contre paiement ces aliments, ces boissons ou ces divertissements;

67.1.(2)b) le montant est payé ou payable dans le cadre d'une levée de fonds dont le principal objet est un objet charitable d'un organisme de bienfaisance enregistré;

67.1.(2)c) le montant est payé ou payable contre un paiement raisonnable indiqué de façon précise par écrit à la personne qui fait ce paiement;

67.1.(2)d) le montant est à inclure dans le calcul du revenu d'un contribuable en raison de l'application de l'article 6 relativement aux aliments, boissons ou divertissements pris par le contribuable ou par une personne avec laquelle il a un lien de dépendance, ou serait ainsi à inclure si ce n'était le sous-alinéa 6(6)a)(ii);

67.1.(2)e) le montant, à la fois :

(i) n'est pas payé ou payable relativement à une conférence, à un congrès, à un colloque ou à un événement semblable,

(ii) serait à inclure, si ce n'était le sous-alinéa 6(6)a)(i) dans le calcul du revenu d'un contribuable pour une année d'imposition en raison de l'application de l'article 6 relativement aux aliments, boissons ou divertissements pris par le contribuable ou par une personne avec laquelle il a un lien de dépendance,

(iii) est payé ou payable au titre du travail accompli par le contribuable sur un chantier qui est situé au Canada et, à la fois :

(A) à l'extérieur d'une région urbaine, au sens du dernier dictionnaire du recensement publié par Statistique Canada avant l'année, qui compte une population d'au moins 40 000 personnes selon le dernier recensement publié par Statistique Canada avant l'année,

(B) à au moins 30 kilomètres du point le plus rapproché de la limite de la région urbaine la plus proche visée à la division (A);

67.1.(2)f) le montant se rapporte à l'un d'un maximum de six événements spéciaux tenus au cours d'une année civile et à l'occasion desquels des aliments, des boissons ou des divertissements sont offerts, de façon générale, à l'ensemble des employés de la personne affectés à un lieu d'affaires donné de celle-ci et pris par ces employés.

Frais de congrès

67.1.(3) Pour l'application du présent article, lorsque les frais payés ou payables pour participer à une conférence, à un congrès à un colloque ou à un événement semblable donnent au participant droit à des aliments, des boissons ou des divertissements -- à l'exclusion des rafraîchissements offerts accessoirement lors de réunions ou réceptions tenues dans le cadre de l'événement -- et qu'une partie raisonnable de ces frais, calculée en fonction du coût de la fourniture des aliments, boissons et divertissements, n'est pas indiquée dans le compte de frais à titre de paiement pour ceux-ci, un montant de 50 $, ou tout autre montant qui peut être fixé par règlement, est réputé être le montant réellement payé ou payable pour ceux-ci pour chaque jour de l'événement où ceux-ci sont fournis. Pour l'application de la présente loi, les frais de participation à l'événement sont réputés être les frais réels moins le montant réputé, par le présent paragraphe, être le montant réellement payé ou payable.

Interprétation

67.1.(4) Pour l'application du présent article :

67.1.(4)a) aucun montant payé ou payable pour un voyage à bord d'un avion, d'un train ou d'un autobus ne peut être considéré comme payé ou payable pour des aliments, des boissons ou des divertissements pris pendant le voyage;

67.1.(4)b) sont assimilés à des divertissements les loisirs et les amusements.

DIVISION B -- Computation of Income

Subdivision f -- Rules Relating to Computation of Income

SECTION 67.1

Expenses for food, etc.

67.1.(1) For the purposes of this Act, other than sections 62, 63 and 118.2, an amount paid or payable in respect of the human consumption of food or beverages or the enjoyment of entertainment shall be deemed to be 50% of the lesser of

67.1.(1)(a) the amount actually paid or payable in respect thereof, and

67.1.(1)(b) an amount in respect thereof that would be reasonable in the circumstances.

Exceptions

67.1.(2) Subsection 67.1(1) does not apply to an amount paid or payable by a person in respect of the consumption of food or beverages or the enjoyment of entertainment where the amount

67.1.(2)(a) is paid or payable for food, beverages or entertainment provided for, or in expectation of, compensation in the ordinary course of a business carried on by that person of providing the food, beverages or entertainment for compensation;

67.1.(2)(b) relates to a fund-raising event the primary purpose of which is to benefit a registered charity;

67.1.(2)(c) is an amount for which the person is compensated and the amount of the compensation is reasonable and specifically identified in writing to the person paying the compensation;

67.1.(2)(d) is required to be included in computing any taxpayer's income because of the application of section 6 in respect of food or beverages consumed or entertainment enjoyed by the taxpayer or a person with whom the taxpayer does not deal at arm's length, or would be so required but for subparagraph 6(6)(a)(ii);

67.1.(2)(e) is an amount that

(i) is not paid or payable in respect of a conference, convention, seminar or similar event,

(ii) would, but for subparagraph 6(6)(a)(i), be required to be included in computing any taxpayer's income for a taxation year because of the application of section 6 in respect of food or beverages consumed or entertainment enjoyed by the taxpayer or a person with whom the taxpayer does not deal at arm's length, and

(iii) is paid or payable in respect of the taxpayer's duties performed at a work site in Canada that is

(A) outside any urban area, as defined by the last Census Dictionary published by Statistics Canada before the year, that has a population of at least 40,000 individuals as determined in the last census published by Statistics Canada before the year, and

(B) at least 30 kilometres from the nearest point on the boundary of the nearest such urban area; or

67.1.(2)(f) is in respect of one of six or fewer special events held in a calendar year at which the food, beverages or entertainment is generally available to all individuals employed by the person at a particular place of business of the person and consumed or enjoyed by those individuals.

Fees for convention, etc.

67.1.(3) For the purposes of this section, where a fee paid or payable for a conference, convention, seminar or similar event entitles the participant to food, beverages or entertainment (other than incidental beverages and refreshments made available during the course of meetings or receptions at the event) and a reasonable part of the fee, determined on the basis of the cost of providing the food, beverages and entertainment, is not identified in the account for the fee as compensation for the food, beverages and entertainment, $50 or such other amount as may be prescribed shall be deemed to be the actual amount paid or payable in respect of food, beverages and entertainment for each day of the event on which food, beverages or entertainment is provided and, for the purposes of this Act, the fee for the event shall be deemed to be the actual amount of the fee minus the amount deemed by this subsection to be the actual amount paid or payable for the food, beverages and entertainment.

Interpretation

67.1.(4) For the purposes of this section,

67.1.(4)(a) no amount paid or payable for travel on an airplane, train or bus shall be considered to be in respect of food, beverages or entertainment consumed or enjoyed while travelling thereon; and

67.1.(4)(b) "entertainment" includes amusement and recreation.

IV.        LES CONCLUSIONS DE LA COUR CANADIENNE DE L'IMPÔT

[8]                La CCI a conclu que le ministre avait commis une erreur en refusant la moitié des déductions de 20 125 $, 14 208 $ et 19 145 $ réclamées par l'intimé en vertu du paragraphe 67.1(1).

[9]                Pour la CCI, les dépenses de l'intimé ont été encourues en vue de tirer des revenus d'une entreprise et non pour la consommation ou le divertissement. Le montant versé par l'intimé pour se procurer les chèques-cadeaux et les billets constituait une réduction ou un rabais sur sa commission d'agent d'immeuble. Il s'agissait d'une forme d'escompte accordée en vue de produire des revenus. Puisque l'intimé ne participait pas à la consommation ou aux divertissements, [traduction] « ces dépenses étaient encourues en vue de tirer un revenu et rien d'autre » .

V.         ANALYSE

1)             LES PRINCIPES GÉNÉRAUX EN MATIÈRE D'INTERPRÉTATION

[10]            Dans son jugement le plus récent concernant la CCI, Hypothèques Trustco Canada c. Canada, 2005 CSC 54 (Canada Trustco), la Cour suprême du Canada s'est penchée sur la démarche qu'il y a lieu de retenir pour interpréter un texte de loi en matière d'impôt. Au paragraphe 10, la Cour suprême précise ce qui suit :

Il est depuis longtemps établi en matière d'interprétation des lois qu' « il faut lire les termes d'une loi dans leur contexte global en suivant le sens ordinaire et grammatical qui s'harmonise avec l'esprit de la loi, l'objet de la loi et l'intention du législateur » : voir 65302 British Columbia Ltd. c. Canada, [1999] 3 R.C.S. 804, par. 50. L'interprétation d'une disposition législative doit être fondée sur une analyse textuelle, contextuelle et téléologique destinée à dégager un sens qui s'harmonise avec la Loi dans son ensemble. Lorsque le libellé d'une disposition est précis et non équivoque, le sens ordinaire des mots joue un rôle primordial dans le processus d'interprétation. Par contre, lorsque les mots utilisés peuvent avoir plus d'un sens raisonnable, leur sens ordinaire joue un rôle moins important. L'incidence relative du sens ordinaire, du contexte et de l'objet sur le processus d'interprétation peut varier, mais les tribunaux doivent, dans tous les cas, chercher à interpréter les dispositions d'une loi comme formant un tout harmonieux.

[11]            En conséquence, la Cour doit examiner le sens grammatical et ordinaire des mots du paragraphe 67.1(1), l'esprit de la LIR et le préjudice auquel la disposition cherche à remédier.

2)          L'INTERPRÉTATION DU PARAGRAPHE 67.1(1)

a)             LE SENS GRAMMATICAL ET ORDINAIRE DES MOTS

[12]            Le paragraphe 67.1(1) est libellé comme suit :

Pour l'application de la présente loi, sauf des articles 62, 63 et 118.2, un montant payé ou payable pour des aliments, des boissons ou des divertissements pris par des personnes est réputé correspondre à 50 % du moins élevé du montant réellement payé ou payable et du montant qui serait raisonnable dans les circonstances.

[13]            L'appelante fait valoir que rien dans le libellé ne limite l'application de cette disposition aux seules situations où le contribuable a participé à la consommation des aliments et des boissons ou aux divertissements. De fait, cette disposition ne précise absolument pas qu'une personne donnée doive consommer les biens en cause ou en profiter pour que le paragraphe s'applique.

[14]            En outre, la version française du paragraphe 67.1(1) indique que si les aliments, les boissons ou les divertissements sont pris par des personnes, la disposition s'applique :

Pour l'application de la présente loi, sauf des articles 62, 63 et 118.2, un montant payé ou payable pour des aliments, des boissons ou des divertissements pris par des personnes est réputé correspondre à 50 % du moins élevé du montant réellement payé ou payable et du montant qui serait raisonnable dans les circonstances.

                                                                                [Non souligné dans l'original.]

[15]            Le texte de cette disposition laisse ainsi entendre qu'il n'est pas nécessaire que le contribuable utilise les articles visés au paragraphe 67.1(1). De plus, le mot « pour » (in respect of) au paragraphe 67.1(1) a la portée « la plus large possible » (Nowegijick c. La Reine et al. (1983), 144 D.L.R. (3d) 193 (C.S.C.) (Nowegijick), à la page 200). Dans Nowegijick, la Cour suprême du Canada affirme ce qui suit, à la page 200 :

À mon avis, les mots « quant à » [ « in respect of » ] ont la portée la plus large possible. Ils signifient, entre autres, « concernant » , « relativement à » ou « par rapport à » . Parmi toutes les expressions qui servent à exprimer un lien quelconque entre deux sujets connexes, c'est probablement l'expression « quant à » [ « in respect of » ] qui est la plus large.

[16]            En conséquence, même si les dépenses de l'intimé ont été faites à des fins commerciales, force est de reconnaître qu'elles ont également été faites « pour » des aliments et des divertissements. Les déductions en cause sont manifestement visées par le libellé clair et simple du paragraphe 67.1(1), en dépit du fait que ce sont les clients de l'intimé qui consommaient les aliments et assistaient aux événements et non l'intimé. Une analyse contextuelle permet de conforter cette conclusion.

b)     L'ESPRIT DE LA LOI

[17]            Le paragraphe 67.1(1) énonce une règle très générale assortie d'une douzaine d' « exceptions » . Trois de ces exceptions figurent au paragraphe 67.1(1). Elles concernent les frais de déménagement (article 62), les frais de garde d'enfants (article 63) et le crédit d'impôt pour frais médicaux (article 118.2). Le paragraphe 67.1(2) contient six autres exceptions à la limite de déduction générale prévue au paragraphe 67.1(1). Le paragraphe 67.1(3) semble établir une exception pour les frais relatifs aux conférences, conventions, séminaires et autres événements semblables. Enfin, l'alinéa 67.1(4)a) exclut les montants payés pour un voyage en avion, en train ou en autobus.

[18]            Selon moi, deux conclusions s'imposent, au vu de cette multitude d'exceptions très précises. La première, si le Parlement avait eu l'intention d'exclure les dépenses commerciales pures telles que celles en cause de la portée du paragraphe 67.1(1), il n'aurait manifestement pas hésité à ajouter une énième exception en ce sens. Cependant, les dépenses de l'intimé ne sont visées par aucune des exceptions applicables au paragraphe 67.1(1). La deuxième, au moins deux des exceptions prévues au paragraphe 67.1(2) semblent laisser entendre que le paragraphe 67.1(1) ne contient aucune condition relative à la consommation ou à la participation de la part du contribuable. Après tout, si un tel élément était exigé, ces exceptions seraient tout à fait inutiles.

[19]            Par exemple, aux termes de l'alinéa 67.1(2)a), le paragraphe 67.1(1) ne s'applique pas au montant :

payé ou payable pour des aliments, des boissons ou des divertissements fournis contre paiement ou en vue de l'obtention d'un bénéfice dans le cours normal des activités d'une entreprise exploitée par cette personne et qui consiste à fournir contre paiement ces aliments, ces boissons ou ces divertissements.

Cette disposition autorise le contribuable dont le produit est un aliment, un restaurateur, par exemple, à déduire l'intégralité du coût de ses échantillons promotionnels. On peut prétendre que cette précision ne serait pas nécessaire si le paragraphe 67.1(1) exigeait que les produits visés soient consommés par le contribuable.

[20]            Le même raisonnement s'applique à l'alinéa 67.1(2)d); cette disposition exclut certains montants de la limite de déduction prévue au paragraphe 67.1(1) dans le cas suivant :

le montant est à inclure dans le calcul du revenu d'un contribuable en raison de l'application de l'article 6 relativement aux aliments, boissons ou divertissements pris par le contribuable ou par une personne avec laquelle il a un lien de dépendance, ou serait ainsi à inclure si ce n'était le sous-alinéa 6(6)a)(ii);

Compte tenu de l'alinéa 67.1(2)d), la limite de déduction prévue au paragraphe 67.1(1) ne s'applique pas si le montant en cause doit être inclus dans le revenu d'un employé, à l'exception des cas prévus au sous-alinéa 6(6)a)(ii), qui concerne les postes en région éloignée. Autrement dit, un employeur peut déduire la totalité du montant payé pour un repas pris par un employé dans une région éloignée si, en raison de l'éloignement de toute collectivité établie, on ne peut pas raisonnablement s'attendre à ce que cet employé établisse et maintienne un établissement domestique autonome. L'alinéa 67.1(2)d) exclut également de la limite de déduction de 50 % les indemnités et les remboursements versés par un employeur pour les frais de représentation ou de loisir qui doivent être inclus dans le calcul du revenu d'un employé. Évidemment, cette exception laisse entendre que le paragraphe 67.1(1) concerne des consommations prises par des individus autres que le contribuable ou l'employeur.

[21]            À mon avis, si le paragraphe 67.1(1) concernait seulement les situations où le contribuable participe à la consommation ou au divertissement en cause, ces deux exceptions seraient redondantes. L'esprit de la loi suppose donc que le paragraphe 67.1(1) ne comporte aucune exigence d'utilisation de la part du contribuable. Si cette proposition est exacte, l'intimé ne serait pas autorisé à déduire la totalité des dépenses en cause. Cette conclusion, toutefois, n'est peut-être pas parfaitement conforme à l'objet de 67.1.

c)    LE PRÉJUDICE AUQUEL LA DISPOSITION CHERCHE À REMÉDIER

[22]            Le paragraphe 67.1(1) énonce une règle qui s'applique au calcul du revenu. Le contribuable doit inclure dans son revenu le revenu tiré d'une entreprise. Le revenu tiré d'une entreprise se définit comme le bénéfice qu'un contribuable tire d'une entreprise (paragraphe 9(1) de la LIR). Pour calculer le bénéfice de son entreprise, le contribuable ne peut pas déduire le montant de ses frais personnels ou de subsistance (alinéa 18(1)h) de la LIR). Toutefois, le contribuable peut déduire les dépenses raisonnables effectuées en vue de tirer un revenu d'une entreprise (alinéa 18(1)a) de la LIR). Le paragraphe 67.1(1) limite le montant des déductions autorisées à l'alinéa 18(1)a) à l'égard des dépenses pour les aliments, les boissons et les divertissements.

[23]            La logique veut que le paragraphe 67.1(1) remplisse la fonction suivante en ce qui concerne l'esprit de la loi. Pour réduire le montant de l'impôt à verser, le contribuable tentera de diminuer la valeur de son revenu. Pour ce faire, il pourra notamment augmenter le montant des déductions prévues à l'alinéa 18(1)a). Le contribuable pourra ainsi tenter de combiner ses frais personnels et ses frais d'entreprise pour les déduire ensemble à titre de dépenses d'entreprise en vertu de l'alinéa 18(1)a). Par exemple, le contribuable pourrait désigner le coût d'un dîner avec un client comme une dépense d'entreprise entièrement déductible en vertu de l'alinéa 18(1)a) au lieu de la désigner comme une dépense personnelle non déductible, tel que prévu à l'alinéa 18(1)h). Tenant compte de cette réalité, le paragraphe 67.1(1) fixe arbitrairement le pourcentage déductible correspondant à la « double nature » d'une telle dépense à 50 %, soit la moitié comme dépense en vue de tirer un revenu, la moitié comme frais personnels.

[24]            Ainsi, dans Racco Industrial Roofing Ltd. c. Canada, [1997] A.C.I. n ° 332, le juge Mogan fait observer ce qui suit, aux paragraphes 4 et 5 :

¶ 4            [Je] tenterai de déterminer la finalité non pas de la Loi dans son ensemble, mais du seul article 67.1. À mon avis, la meilleure façon de déterminer la finalité de l'article 67.1 consiste à examiner la loi telle qu'elle existait immédiatement avant l'adoption de cet article. Celui-ci a été adopté pour la première fois en 1988 et s'appliquait (de façon générale) aux dépenses engagées après 1987. Sous le régime de l'alinéa 18(1)a), toute dépense autre qu'en capital engagée en vue de tirer un revenu d'une entreprise ou d'un bien est déductible dans le calcul du revenu. Plus précisément, les frais engagés pour offrir le dîner ou le souper à un client ou pour l'amener au théâtre ou à un événement sportif sont déductibles en vertu de l'alinéa 18(1)a). Dans l'usage commercial ordinaire, ils sont acceptés comme constituant des frais de promotion des affaires s'apparentant à des frais de publicité. Traiter un client de cette façon comporte la consommation d' « aliments, de [...] boissons ou de [...] divertissements [...] par des personnes » , pour reprendre les termes du paragraphe 67.1(1).

¶ 5            Avant l'adoption de l'article 67.1, tout montant raisonnable dépensé pour des aliments, des boissons ou des divertissements était déductible s'il satisfaisait au critère du but, énoncé à l'alinéa 18(1)a). Après l'adoption de l'article 67.1, seul 80 % d'un tel montant raisonnable était déductible, même s'il satisfaisait audit critère du but, à moins qu'il ne relève d'une des exceptions énoncées au paragraphe 67.1(2). Dans l'arrêt Lor-Wes Contracting Ltd. v. The Queen, 85 D.T.C. 5310, la Cour d'appel fédérale a reproduit, comme indicative de l'interprétation à donner à une disposition particulière de la Loi de l'impôt sur le revenu, une déclaration du ministre des Finances faite à la Chambre des communes. En l'espèce, on peut trouver l'origine de l'article 67.1 dans un document intitulé « Réforme de l'impôt direct » , publié par le ministre des Finances le 18 juin 1987, dans lequel celui-ci a exprimé son intention de restreindre la déduction pour « repas d'affaires et frais de représentation » . Aux pages 91 et 92 du document, on peut lire ce qui suit :

Dans le cadre de l'élargissement de l'assiette de l'impôt pour permettre d'abaisser les taux d'imposition, la déduction relative aux repas d'affaires (aliments et boissons) ainsi qu'aux frais de représentation (comme les frais de séjour en villégiature et les billets de théâtre, de concert, de rencontre sportive ou autre spectacle) sera limitée à 80 % de leur coût.

[...]

Les repas d'affaires et les frais de représentation comportent un élément de consommation personnelle, de sorte qu'une partie de ces frais peut à juste titre être considérée comme une dépense personnelle qui ne devrait pas être déductible. Il est certes difficile de déterminer la partie des frais de repas et de représentation qui représente une consommation personnelle, mais il est clair qu'une déduction totale de ces dépenses, du simple fait qu'elles sont engagées dans le cadre des affaires permet de déduire certaines dépenses à caractère personnel. Bien des pays ont limité la déductibilité des frais de repas et de représentation. Des restrictions de ce genre s'appliquent à l'heure actuelle au Royaume-Uni, en Australie et aux États-Unis, par exemple.

L'article 67.1, qui fixe une limite de 80 %, a été adopté en 1988 en conséquence directe du projet de réforme de l'impôt direct annoncé par le ministre le 18 juin 1987.

[Non souligné dans l'original.]

[25]            D'autres éléments de preuve extrinsèques appuient l'interprétation que fait le juge Mogan de l'article 67.1. Par exemple, on peut lire ce qui suit, dans les Renseignements supplémentaires relatifs aux mesures de réforme fiscale de 1987 :

À l'heure actuelle, un contribuable peut déduire les frais raisonnables de repas et de représentation engagés à des fins d'affaires. La législation actuelle permet en fait de déduire une partie de ces dépenses qui a un caractère personnel puisque les repas d'affaires et les divertissements comprennent nécessairement un élément de consommation personnelle.

Le Livre blanc proposait de limiter à 80 % la partie déductible de ces frais. Le plafond de 80 % s'appliquerait à tous les repas d'affaires, aliments et boissons compris, de même qu'au coût des repas pris pendant que le contribuable est en voyage ou assiste à un séminaire, un colloque, une conférence, un congrès ou une manifestation du même genre. Ce plafond s'appliquerait aux billets payés pour un spectacle ou une manifestation sportive, aux pourboires et aux frais de couvert, aux locaux loués à des fins de divertissement et au coût de loges privées dans des installations sportives. Lorsqu'un contribuable se fait rembourser ses frais de représentation ou de repas d'affaires, le plafond de 80 % s'appliquerait à la personne qui fait le remboursement.

[...]

Cette restriction proposée a reçu l'appui général. On a aussi relevé que des restrictions analogues, parfois plus rigoureuses encore, s'appliquaient dans d'autres pays. Les Comités de la Chambre des communes et du Sénat ont cependant recommandé que ces frais soient intégralement déductibles dans le cas des personnes qui sont en voyage.

Le gouvernement a étudié avec soin ces propositions mais a rejeté le principe voulant que les frais de repas et de représentation engagés à l'extérieur échappent au plafond, puisqu'ils comprennent eux aussi un élément de consommation personnelle. Le gouvernement se propose d'appliquer le plafond de 80 % aux frais de repas d'affaires et de représentation tel que proposé dans le Livre blanc.

[Non souligné dans l'original.]

[26]            On trouve des propos semblables dans le document « Mesures fiscales : Renseignements supplémentaires » , publié en 1994 :

Le régime fiscal canadien permet de déduire les dépenses raisonnables engagées en vue de tirer un revenu d'une entreprise, d'un bien ou, dans certains cas, d'un emploi. La déduction permise au titre des frais de repas et de représentation d'entreprise est actuellement limitée à 80 % du montant effectif de ces dépenses, pour tenir compte de l'élément de consommation personnelle qu'elles contiennent.

La même restriction s'applique aux fins de la taxe sur les produits et services (TPS), de façon que 80 % seulement de la TPS payée sur les frais de repas et de représentation d'entreprise puissent être récupérés sous forme de crédit de taxe sur intrants. [Cette mesure ne s'applique pas aux organismes de charité inscrits.]

Le gouvernement estime que le régime fiscal sera plus équitable et tiendra mieux compte de l'élément de consommation personnelle si la déduction fiscale et le crédit de TPS sur intrants sont ramenés de 80 à 50 % des frais de repas et de représentation d'entreprise admissibles. Cette restriction s'appliquera aux frais engagés au titre de repas, de boissons et de divertissements pris après février 1994.

[Non souligné dans l'original.]

[27]            L'intimé n'a pas consommé les aliments ni participé aux divertissements en cause. Il ne tentait donc pas de déduire des frais personnels ou de subsistance sous le couvert de dépenses d'entreprise. Autrement dit, ses déductions ne font pas partie des abus que tente de contrer le paragraphe 67.1(1). La méthode téléologique milite donc en l'espèce en faveur de l'annulation de la décision de la CCI.

d)          CONCLUSIONS SUR LA QUESTION DE L'INTERPRÉTATION

[28]            Tandis que les deux premières méthodes d'interprétation - fondées sur le sens commun de la disposition et sur l'esprit de la loi - donnent à penser que les déductions de l'intimé sont assujetties à la limite fixée au paragraphe 67.1(1), l'interprétation fondée sur l'objet de la disposition donne le résultat contraire. La Cour suprême du Canada donne des indications sur la manière de résoudre un tel différend dans Canada Trustco, précité. Au paragraphe 12, elle cite et approuve un extrait des motifs du jugement dans 65302 British Columbia Ltd. c. Canada, [1999] 3 R.C.S. 804, au paragraphe 51 (citant P. W. Hogg et J. E. Magee, Principles of Canadian Income Tax Law (2nd ed. 1997), aux pages 475 et 476) :

La Loi de l'impôt sur le revenu serait empreinte d'une incertitude intolérable si le libellé clair d'une disposition détaillée de la Loi était nuancé par des exceptions tacites tirées de la conception qu'un tribunal a de l'objet de la disposition.

[29]            Puisque les dépenses de l'intimé ne sont visées par aucune des exceptions explicites au paragraphe 67.1(1), je me dois de conclure qu'il ne peut déduire que la moitié de ces dépenses. La conclusion voulant que ces dépenses soient visées au paragraphe 67.1(1) est étayée par Structures G.B. Ltée c. Canada, [1996] A.C.I. n ° 793; dans cette décision, la CCI affirme ce qui suit, aux paragraphes 11 et 12 :

¶ 11          L'avocat de l'appelante soutient en deuxième lieu que l'article 67.1 de la Loi avait pour objet les frais de représentation comme les repas d'affaires et les divertissements où un élément personnel de plaisir existe pour le payeur. Il fait donc valoir que cet article ne s'applique pas dans les cas où la dépense est faite essentiellement pour les fins du travail. Cet argument ne manque pas de poids surtout si l'on regarde le titre de l'article 67.1 de la Loi : frais de représentation.

¶ 12          Toutefois rien dans l'énoncé du paragraphe 67.1(1) de la Loi ne restreint son application aux montants payés pour les aliments et les boissons pour fins de représentation. De plus, ainsi que le fait valoir l'avocat de l'intimée, l'énoncé des exceptions décrites au paragraphe 67.1(2) de la Loi et surtout celui de l'alinéa 67.1(2)d), qui exclut l'application de la proportion de 80 % du paragraphe 67.1(1) de la Loi aux aliments qui doivent être inclus dans le calcul du revenu d'un employé m'amène à conclure que le paragraphe 67.1(1) de la Loi s'applique à toute dépense relative à des aliments, boissons ou divertissement.

[Références internes omises.]

[30]            Néanmoins, j'aimerais souligner qu'à mon avis, il me semble injuste de réduire les déductions de l'intimé de moitié. Il aurait pu acheter des fleurs ou des livres à ses clients et déduire la totalité de ces frais. De la même manière, il aurait pu « déduire » l'intégralité des remises consenties à ses clients sur ses commissions ou des cadeaux en argent versés à ses clients. Ainsi, dans sa forme actuelle, le paragraphe 67.1 entrave les décisions commerciales des contribuables et plus particulièrement, la manière dont ils peuvent répartir leur budget de commercialisation. Cette disposition les incite à éviter d'acheter des chèques-cadeaux échangeables contre des repas et des billets de divertissement en vue de tisser et de maintenir les relations avec leurs clients. Je peux concevoir que l'imposition de la limite de déduction arbitraire de 50 % puisse se justifier pour des raisons administratives - c'est-à-dire qu'il serait trop difficile de déterminer pour chaque cas quelle proportion d'une dépense porte sur une consommation personnelle, le cas échéant. Pour parvenir à un résultat plus équitable, on peut penser que le Parlement aurait pu permettre au contribuable de fournir une preuve lui permettant de réfuter la présomption voulant que la limite de déduction prévue au paragraphe 67.1(1) s'applique.

[31]            En tout état de cause, c'est la loi qui dicte la conclusion en l'espèce. Bien que les dépenses de l'intimé ait été réalisées en vue de tirer un revenu d'entreprise, elles ont également été réalisées « pour des aliments, des boissons ou des divertissements pris par des personnes » . En conséquence, elles sont visées par la limite de déduction prévue au paragraphe 67.1(1) de la LIR.

[32]            L'appel sera accueilli, la décision de la CCI sera annulée et l'appel interjeté par le contribuable à l'encontre du nouvel avis de cotisation sera rejeté. Conformément à l'article 18.25 de la Loi de l'impôt sur le revenu du Canada, les dépens raisonnables et appropriés seront adjugés à l'intimé dans le présent appel.

« J. Edgar Sexton »

Juge

« Je souscris aux présents motifs

Robert Décary, juge »

« Je souscris aux présents motifs

John M. Evans, juge »

Traduction certifiée conforme

Christiane Bélanger, LL.L.


COUR D'APPEL FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

DOSSIER :                                                                             A-219-05

INTITULÉ :                                                                            SA MAJESTÉ LA REINE c.

                                                                                                MARK STAPLEY

LIEU DE L'AUDIENCE :                                                      TORONTO (ONTARIO)

DATE DE L'AUDIENCE :                                                    LE 11 JANVIER 2006

MOTIFS DU JUGEMENT :                                                 LE JUGE SEXTON

Y ONT SOUSCRIT :                                                              LE JUGE DÉCARY

                                                                                                LE JUGE EVANS

DATE DES MOTIFS :                                                           LE 27 JANVIER 2006

COMPARUTIONS:

Catherine Letellier de St. Just

POUR L'APPELANTE

Laurie L. Aitchison

POUR L'INTIMÉ

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER:

John H. Sims c.r.

Sous-procureur général du Canada

Ottawa (Ontario)

POUR L'APPELANTE

Aitchison Law Office

Oshawa (Ontario) L1J 8L8

POUR L'INTIMÉ

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