Décisions de la Cour d'appel fédérale

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Date : 20060425

Dossiers : A-330-05

A-365-05

Référence : 2006 CAF 147

CORAM :       LE JUGE EN CHEF RICHARD

                        LE JUGE LÉTOURNEAU                

                        LA JUGE SHARLOW

                                               

                       

ENTRE :

MED-EMERG INTERNATIONAL INC.

demanderesse

et

TRAVAUX PUBLICS ET SERVICES GOUVERNEMENTAUX CANADA

ET CALIAN LIMITÉE

défendeurs

Audience tenue à Ottawa (Ontario), le 22 mars 2006

Jugement rendu à Ottawa (Ontario), le 25 avril 2006

MOTIFS DU JUGEMENT :                                                                              LA JUGE SHARLOW

Y ONT SOUSCRIT :                                                                         LE JUGE EN CHEF RICHARD

                                                                                                                   LE JUGE LÉTOURNEAU


Date : 20060425

Dossiers : A-330-05

A-365-05

Référence : 2006 CAF 147

CORAM :       LE JUGE EN CHEF RICHARD

                        LE JUGE LÉTOURNEAU    

                        LA JUGE SHARLOW

                                               

                       

ENTRE :

MED-EMERG INTERNATIONAL INC.

                                                                                                                                    demanderesse

et

TRAVAUX PUBLICS ET SERVICES GOUVERNEMENTAUX CANADA

ET CALIAN LIMITÉE

défendeurs

MOTIFS DU JUGEMENT

LA JUGE SHARLOW

[1]                Med-Emerg International Inc. (Mer-Emerg) a demandé le contrôle judiciaire de deux décisions du Tribunal canadien du commerce extérieur sur sa plainte relative à un marché public (dossier no PR-2004-050). Ses deux demandes ont été réunies et instruites ensemble.

[2]                La première décision dont Med-Emerg demande le contrôle, soit Re Med-Emerg International Ltd., [2005] T.C.C.E. no 46 (QL), est datée du 15 juin 2005. Le TCCE y a conclu au bien-fondé partiel de la plainte de Med-Emerg, mais n'y a pas recommandé de mesures correctives. Dans sa première demande de contrôle judiciaire (A-330-05), Med-Emerg soutient que le TCCE a commis une erreur en se refusant à recommander des mesures correctives après avoir conclu que le défendeur Travaux publics et Services gouvernementaux Canada (TPSGC) avait manqué à certaines obligations relativement au processus de passation du marché public en cause, et en ne concluant pas que ce processus était marqué par des événements qui suscitaient une crainte raisonnable de partialité.

[3]                La deuxième décision, soit Re Med-Emerg International Ltd., [2005] T.C.C.E no 47 (QL), date du 3 août 2005. Il s'agit de la décision définitive de TCCE sur les frais à accorder à Med-Emerg, qu'elle a fixés à 4 100 $. Dans sa seconde demande de contrôle judiciaire (A-365-05), Med-Emerg soutient que, en limitant les frais accordés à 4 100 $, le TCCE a entravé l'exercice de son pouvoir discrétionnaire et a omis de prendre en considération des facteurs pertinents.

Les faits

[4]                Med-Emerg et la défenderesse Calian Ltée (Calian) étaient deux des trois entreprises qui ont soumissionné pour la fourniture et la gestion d'un personnel de prestataires de services de santé pour compléter les ressources du ministère de la Défense nationale au Canada. Le troisième soumissionnaire n'est pas partie à la présente instance.

[5]                Le processus de passation du marché public en cause devait être conforme à l'Accord sur les marchés publics, à l'Accord de libre-échange nord-américain et à l'Accord sur le commerce intérieur (collectivement désignés les accords commerciaux). La durée du marché devait être la somme d'une période de transition finissant le 31 mars 2005 et des cinq années suivantes, plus une option de prolongation de cinq ans.

[6]                La demande de propositions qui a mis en branle le processus d'acquisition exposait en détail les exigences que devaient remplir les soumissions. À chacune des exigences spécifiées correspondait une désignation alphanumérique distincte. Les soumissions devaient être évaluées sur la base d'un nombre déterminé de points pour chaque exigence spécifiée. Le soumissionnaire pouvait obtenir des points entiers, des demi-points ou zéro point pour chacune des exigences. Le nombre maximum de points était de 800. Une fois les points attribués, le prix total de la soumission était calculé. On divisait ensuite ce prix par le nombre de points accordés pour obtenir le [TRADUCTION] « prix par point » . C'est la soumission au prix par point le plus avantageux qui devait être retenue.

[7]                On a constitué un comité d'évaluation technique pour examiner les aspects techniques des soumissions. Ce comité avait pour tâche d'arrêter des notes consensuelles, au titre de chacune des exigences spécifiées, pour chaque soumission - ce qu'il a fait. Ces notes une fois attribuées, le MDN a calculé le prix total de chaque soumission et établi laquelle serait retenue. C'est Calian qui l'a emporté. Le 13 décembre 2004, le Conseil du Trésor a autorisé la passation du marché avec Calian. Le 15 décembre 2004, TPSGC a avisé Med-Emerg que sa soumission n'était pas retenue.

[8]                Med-Emerg a demandé à TPSGC certains renseignements sur le processus d'évaluation, qu'elle a obtenus. Elle a alors soulevé un certain nombre d'objections, que TPSGC a toutes rejetées. Med-Emerg a présenté sa plainte au TCCE le 31 janvier 2005.

[9]                TPSGC a alors allégué une exception d'incompétence, qui a été rejetée le 11 mars 2005. Cette décision n'est pas contestée.

[10]            Le 11 février 2005, Med-Emerg a déposé une requête en production de documents, où elle demandait en particulier que les documents en question soient produits avant que TPSGC ne présente son Rapport de l'institution gouvernementale (RIG). Cette requête a été partiellement accueillie. La régularité de la décision du TCCE sur cette requête n'est pas contestée.

[11]            Le RIG est le document que TPSGC était tenu de produire en réponse à la plainte de Med-Emerg. Je crois comprendre que la plainte, le RIG et la réponse de la plaignante à celui-ci exposaient le contexte factuel du litige et les moyens des parties. Le TCCE a pour habitude de considérer les allégations de fait contenues dans ces documents comme des éléments de preuve, sans exiger d'affidavits ou de dépositions sous serment. La régularité de cette pratique n'est pas contestée.

[12]            Le TCCE avait à se prononcer sur six motifs de plainte :

1)                 Med-Emerg soutenait que, dans le cadre du processus d'information qui a suivi l'annonce de l'offre retenue, TPSGC ne lui avait pas communiqué certains renseignements pertinents concernant les raisons du rejet de sa proposition, ainsi que les caractéristiques et avantages pertinents de la proposition la mieux notée. Le TCCE a conclu au bien-fondé partiel de ce motif de plainte. Il a noté que deux des trois accords commerciaux faisaient obligation à TPSGC de communiquer à Med-Emerg, sur sa demande, tous les renseignements pertinents touchant la soumission de la plaignante, y compris les feuilles de notation individuelles, ainsi que le prix final du marché tel que publié dans la base de données du gouvernement et le prix par point de Calian.

2)                 Med-Emerg soutenait que, relativement à trois des éléments évalués - RC-3(h), RC-4(g) et RC-4(k) -, TPSGC avait appliqué des critères d'évaluation non publiés. Il semble que certains facteurs pris en considération pour ces éléments n'aient pas été mis en rapport avec ceux-ci, de sorte qu'il était raisonnablement impossible aux soumissionnaires de savoir que ces facteurs influeraient sur les notes correspondant à ces éléments. Le TCCE a conclu au bien-fondé de ce motif de plainte pour ce qui concerne les éléments RC-3(h) et RC-4(g), et à son bien-fondé partiel relativement à l'élément RC-4(k). Le TCCE a noté que, selon les accords commerciaux, les lignes directrices devaient se déduire à l'évidence des critères publiés cotés par points. Le TCCE a aussi constaté que le fait de se référer à d'autres sections de la demande de propositions ou de l'énoncé des travaux, dans le cas où ces autres sections ne sont pas mentionnées dans les critères d'évaluation publiés cotés par points, n'est pas compatible avec les objectifs de transparence, d'efficacité et de clarté fixés par les accords commerciaux.

3)                 Med-Emerg soutenait que les évaluateurs n'avaient pas appliqué régulièrement les critères d'évaluation publiés aux éléments RC-4(d), RC-4(i) et RC-4(j). Le TCCE a rejeté ce motif de plainte. Sa décision sur ce point n'est pas contestée.

4)                 Med-Emerg soutenait que certains des critères d'évaluation étaient ambigus. Elle a invoqué à l'appui de cet argument les écarts considérables de la notation. Le TCCE n'a pas expressément conclu que les critères d'évaluation étaient ambigus mais il a noté, conformément à ses observations sur le deuxième motif de plainte, qu'on aurait dû effectuer l'évaluation sur la seule base des éléments du dossier d'appel d'offres auxquels renvoyaient explicitement les critères de notation publiés. Le TCCE a rejeté l'argument que les écarts de la notation tendent nécessairement à prouver l'ambiguïté des critères d'évaluation. J'en déduis que le TCCE n'a pas conclu que les faits allégués à l'appui de ce motif de plainte aient entraîné un désavantage pour Med-Emerg sous le rapport des points. L'avocat de TPSGC a fait observer qu'une telle ambiguïté, si elle était constatée, ne serait pas porteuse de préjudice puisqu'elle aurait vraisemblablement affecté tous les soumissionnaires.

5)                 Med-Emerg soutenait que Calian n'avait pas rempli les conditions obligatoires de la demande de propositions. Le TCCE a rejeté ce motif de plainte, et sa conclusion sur ce point n'est pas contestée.

6)                 Med-Emerg soutenait que TPSGC n'avait pas suivi les procédures d'évaluation prescrites. Ce motif de plainte comporte deux volets : premièrement, l'allégation que TPSGC n'avait pas régulièrement évalué la capacité financière de Calian; deuxièmement, l'affirmation que TPSGC n'avait pas évalué les propositions financières indépendamment des propositions techniques. Le TCCE a rejeté les deux volets de ce motif de plainte.

[13]            Ayant conclu que le processus de passation de ce marché avait donné lieu à plusieurs infractions aux accords commerciaux, le TCCE était tenu de se demander quelles mesures correctives, le cas échéant, il devait recommander. Il a fait observer, au paragraphe 99 de l'exposé de ses motifs, que, pour ce qui concerne les mesures correctives, il devait prendre en considération toutes les circonstances pertinentes du processus en question, notamment : 1) la gravité de toute lacune constatée par lui; 2) l'importance du préjudice causé à Med-Emerg et aux autres intéressés; 3) l'importance du préjudice causé à l'intégrité et à l'efficacité du mécanisme d'adjudication; 4) la bonne foi des parties; 5) le degré d'exécution du contrat.

[14]            Le TCCE a noté que, dans le contexte des plaintes de Med-Emerg, les infractions potentiellement les plus graves étaient celles qui auraient influé sur les notes attribuées aux soumissionnaires. Il a fixé son attention sur le deuxième des motifs de plainte exposés plus haut, soit l'usage de directives d'évaluation par points non publiées, où l'on tenait compte de sections de la demande de propositions auxquelles il n'était pas fait expressément référence dans les critères publiés cotés par points, parce que sa gravité était directement proportionnelle à l'importance du préjudice subi par Med-Emerg, et causé à l'intégrité et à l'efficacité du processus d'adjudication. Le TCCE a conclu que cette infraction n'avait pas porté un préjudice grave à Med-Emerg parce que cette dernière n'aurait pas obtenu le marché de toute façon. La raison en est que le nombre de points en question dans ce motif de plainte était si petit, en comparaison du total, que Med-Emerg n'aurait pas pu surmonter son désavantage par rapport au prix par point de Calian même si on lui avait attribué des points entiers pour les éléments en cause.

[15]            Le TCCE a aussi fait observer que les autres infractions nuiraient à l'intégrité et à l'efficacité du mécanisme d'appel à la concurrence. Cependant, il a conclu que la reprise du processus d'évaluation ou la réévaluation des propositions auraient un effet défavorable plus important sur le mécanisme d'adjudication que le préjudice déjà subi.

[16]            Le TCCE a conclu en s'abstenant de recommander des mesures correctives, mais il n'en a pas moins formulé quelques remarques lourdes de sens et tout à fait justifiées sur la démarche suivie par TPSGC dans cet appel d'offres. On lit ainsi ce qui suit au paragraphe 103 de l'exposé des motifs du TCCE :

[103]      Le Tribunal s'est toujours efforcé, par ses décisions, de faire comprendre au gouvernement que l'inattention à l'égard de cet aspect fondamental de la procédure de passation du marché entraîne des conséquences pour le soumissionnaire, comme le Tribunal l'a indiqué dans Brookfield LePage Johnson Controls Facility Management Services [(6 septembre 2000), PR-2000-008 et PR-2000-021 (TCCE), à la p. 19] :

De même, en n'étant pas informés des « règles du jeu » , les soumissionnaires ne peuvent maximiser leurs efforts pour remporter le marché. Ne pas révéler la méthode de pondération et de cotation est similaire à une situation où un professeur donnerait un test comprenant plusieurs questions, chacune ayant un pointage différent, mais sans informer l'élève de la valeur de chacune des questions. L'élève ne saurait pas où concentrer ses efforts. Une telle démarche est tout simplement injuste.

Ce manque d'attention a aussi des conséquences défavorables pour le gouvernement. Non seulement le gouvernement doit-il engager des coûts pour se défendre en cour ou devant le Tribunal, mais il subit également des retards en ce qui a trait à l'acquisition des biens et services visés par de telles procédures. De plus, il y a une possibilité très réelle que des propositions, qui autrement auraient pu être retenues, soient injustement exclues.

[17]            Dans la conclusion de sa décision du 15 juin 2005, le TCCE a établi que, même s'il ne recommandait pas de mesures de réparation pour Med-Emerg relativement aux motifs de plainte qu'il avait déclarés entièrement ou partiellement fondés, cette entreprise avait droit au remboursement des frais raisonnables que lui avaient coûté la préparation et la présentation de sa plainte. Le TCCE a provisoirement fixé les frais à la somme de 4 100 $. C'est là le montant que prévoit la Ligne directrice sur la fixation des frais dans une procédure portant sur un marché public du TCCE pour les différends du niveau le plus élevé de complexité. Les parties avaient le droit de déposer des observations complémentaires sur les frais, soit pour contester l'indemnité consentie, soit pour demander l'octroi d'un montant non prévu dans la Ligne directrice.

[18]            Med-Emerg a présenté, en vue d'obtenir un réexamen de la décision sur les frais, des observations où elle soutenait qu'il devrait lui être octroyé un montant considérablement supérieur au maximum que prévoit la Ligne directrice. TPSGC a présenté des observations à l'encontre du réexamen demandé. Le TCCE, par sa décision en date du 3 août 2005, a statué que le montant de l'indemnisation accordée resterait inchangé.

[19]            Comme je le disais plus haut, Med-Emerg demande le contrôle judiciaire de la décision du 15 juin 2005 (la décision sur le fond) aussi bien que de celle du 3 août 2005 (la décision sur les frais).

La première demande de contrôle judiciaire (A-330-05) : la décision sur le fond

[20]            Dans sa demande de contrôle judiciaire de la décision en date du 15 juin 2005, Med-Emerg soutient que le TCCE a commis cinq erreurs qui justifient l'intervention de notre Cour. Pour des raisons de commodité, j'examinerai les allégations d'erreur suivant l'ordre où elles apparaissent dans l'exposé des faits et du droit de Med-Emerg.

1) Le TCCE a-t-il appliqué un critère erroné pour établir les mesures correctives à recommander?

[21]            Ce motif de la demande de contrôle judiciaire revêt la forme d'une allégation d'erreur de droit, à laquelle Med-Emerg soutient que la Cour devrait appliquer le critère de la décision correcte.

[22]            L'argument de Med-Emerg est que le TCCE, ayant énuméré avec justesse les cinq facteurs à prendre en considération pour déterminer les mesures correctives à recommander, a appliqué un critère erroné lorsqu'il a finalement décidé de ne pas en recommander. Med-Emerg fait valoir que le TCCE n'a tenu compte que de l'importance du préjudice subi par elle et causé à l'efficacité du mécanisme d'appel à la concurrence, et non de la gravité des infractions ni du degré d'exécution du contrat.

[23]            La prise en considération des cinq facteurs d'origine législative n'est pas, ni n'est censée être, un processus mécanique. Le poids à attribuer à chacun de ces facteurs, ou à toute combinaison particulière de ceux-ci, varie d'un cas à l'autre. À mon sens, la lecture impartiale de l'exposé de ses motifs montre que le TCCE a tenu compte de tous les facteurs pertinents, dans la mesure où il y a été amené par la preuve et les conclusions des parties. Il a attribué, comme il en avait le droit, un poids dominant au préjudice potentiel que représentaient pour Med-Emerg les notes d'évaluation technique.

[24]            Pour ce qui concerne les autres facteurs, la question de l'intégrité et de l'efficacité du mécanisme d'adjudication est expressément traitée au paragraphe 102 de l'exposé des motifs du TCCE. Quant à la question de la bonne foi, elle est examinée au paragraphe 104, où le TCCE fait observer l'absence d'allégation de mauvaise foi.

[25]            Le TCCE n'a pas expressément pris en considération le degré d'exécution du contrat sous le rapport des mesures correctives, mais il ne disposait pas d'éléments de preuve sur ce point, sauf l'information sur la durée prévue du marché, dont l'exécution devait commencer avant la décision du 15 juin 2005. On voit mal comment ce facteur aurait pu aider Med-Emerg, étant donné que le TCCE avait conclu que cette entreprise n'aurait pu, de toute façon, surmonter son désavantage par rapport au prix par point de Calian.

[26]            À mon avis, le dossier n'étaye pas l'allégation de Med-Emerg suivant laquelle le TCCE aurait appliqué un critère erroné ou omis de prendre en considération un facteur pertinent lorsqu'il a décidé de ne pas recommander de mesures correctives.

2) Le TCCE a-t-il tranché la question des mesures correctives sur le fondement de faits non présentés en preuve?

[27]            Med-Emerg soutient que la conclusion du TCCE selon laquelle elle n'aurait pu surmonter son désavantage par rapport au prix par point de Calian n'était pas fondée sur des preuves. La partie confidentielle du dossier établit que, même si l'on avait accordé à Med-Emerg le maximum de points pour les éléments particuliers qui font l'objet de sa plainte, elle n'aurait pu l'emporter. Med-Emerg ne conteste pas ce fait, mais fait valoir que le TCCE ne pouvait absolument pas savoir, sans étudier la proposition technique de Calian (qui ne faisait pas partie du dossier), si l'on n'avait pas attribué à cette dernière des notes trop élevées par suite des erreurs faisant l'objet de la plainte. Je ne puis admettre le bien-fondé de cet argument. Vu le dossier, il me semble qu'il était raisonnablement loisible au TCCE de conclure, même sans avoir examiné la proposition technique de Calian, que Med-Emerg n'aurait pu combler l'écart qui la séparait d'elle sur le plan du prix par point.

[28]            J'ajouterai que Med-Emerg n'a pas soutenu dans sa plainte qu'on ait attribué une note trop élevée à Calian. En fait, elle n'aurait rien sur quoi fonder une telle allégation, puisqu'elle ne disposait pas de la proposition technique de Calian. Je crois comprendre que Med-Emerg a pris, au début de la procédure administrative, la décision stratégique de ne pas demander la production de cette proposition technique, parce qu'elle aurait peut-être dû en conséquence communiquer elle-même des renseignements confidentiels.

3) Le TCCE a-t-il omis de prendre en considération l'ensemble des mesures correctives proposées?

[29]            Med-Emerg soutenait dans sa plainte que les mesures correctives appropriées seraient de mettre fin au marché de Calian et soit de lui attribuer ce marché à elle-même, soit d'entreprendre un nouveau processus d'adjudication. Subsidiairement, elle demandait à être indemnisée de son manque à gagner et des frais afférents à l'établissement de sa soumission. Le TCCE a expressément rejeté les principales mesures correctives demandées, pour les raisons exposées plus haut, mais n'a pas fait mention des mesures subsidiaires. À mon sens, étant donné la conclusion du TCCE comme quoi aucune des erreurs commises dans le processus d'adjudication n'avait porté préjudice à Med-Emerg, aucune des mesures subsidiaires demandées par elle n'aurait pu se justifier. Vu les circonstances de l'affaire, le fait que le TCCE n'ait pas fait mention de ces mesures demandées subsidiairement n'est pas une erreur qui justifierait l'intervention de notre Cour.

4) Le TCCE a-t-il commis une erreur en rejetant, au motif de l'absence de preuve directe de préjudice, la thèse de la crainte raisonnable de partialité soutenue par Med-Emerg?

[30]            Une caractéristique importante du processus d'évaluation était que l'évaluation technique et l'évaluation financière de chaque soumission devaient se faire indépendamment l'une de l'autre. Toutes les parties conviennent que la séparation des deux fonctions d'évaluation est une condition importante de l'équité du processus. En effet, la connaissance du prix total des soumissions pourrait inciter les évaluateurs techniques à favoriser, consciemment ou non, l'offre du moins-disant.

[31]            Il y a matière à crainte raisonnable de partialité lorsqu'une personne bien renseignée qui étudierait la question en profondeur, de façon réaliste et pratique, arriverait, selon toute vraisemblance, à la conclusion que le décideur ne rendra pas une décision juste (Committee for Justice and Liberty et al. c. Office national de l'énergie et al., [1978] 1 R.C.S. 369, le juge de Grandpré, à la page 394). Je déduis du dossier que la séparation des fonctions d'évaluation technique et d'évaluation financière a pour but d'éviter les situations susceptibles de donner lieu à une crainte raisonnable de partialité. Par conséquent, il est théoriquement possible qu'une crainte raisonnable de partialité découle de l'inobservation de cette règle de séparation dans le processus d'évaluation. Or, Med-Emerg soutenait dans sa plainte que TPSGC n'avait pas maintenu la séparation nécessaire entre l'évaluation technique et l'évaluation financière.

[32]            Résumons les faits relatifs à ce motif de plainte. Chaque soumission devait contenir environ 400 éléments distincts d'information financière. Au reçu des soumissions, une représentante du MDN a contrôlé chacune pour s'assurer qu'elle portait bien tous les renseignements exigés. Pour ce faire, elle devait nécessairement prendre connaissance de chacun des quelque 400 éléments d'information financière de chaque soumission. Cependant, la seule connaissance de ces éléments ne lui permettait d'établir le prix final d'aucune des soumissions ni même de s'en faire une idée approximative. Seules les soumissions contenant tous les renseignements exigés étaient prises en considération à l'étape suivante du processus d'évaluation, soit l'évaluation technique. Or, le comité d'évaluation technique comptait parmi ses membres la même agente du MDN qui avait pris connaissance des 400 éléments d'information financière. Cependant, sa fonction dans ce comité se limitait à prendre des notes, à observer et à répondre aux questions touchant la procédure. Elle n'a communiqué aucun renseignement financier aux autres membres du comité.

[33]            Le TCCE a conclu que le critère de la crainte raisonnable de partialité n'était pas rempli. Cette conclusion est formulée au paragraphe 98 de son exposé des motifs, dont voici le texte :

[98] Concernant l'allégation que TPSGC n'avait pas évalué de manière indépendante les propositions financières, le Tribunal est d'avis que l'autorité contractante était un membre de nom seulement du comité. L'autorité contractante était un observateur à la première réunion du comité et aux deux réunions de consensus qui avaient suivi les évaluations individuelles. L'autorité contractante avait pour rôle de répondre aux questions de procédure et d'agir à titre de « scribe » . Rien ne prouve que les renseignements portant sur les propositions financières ont été communiqués aux évaluateurs techniques avant ou pendant leurs évaluations. Les éléments de preuve révèlent que l'autorité contractante a calculé les prix évalués totaux uniquement après les deux réunions de consensus. De plus, sans un tel calcul, le Tribunal n'est pas convaincu que l'autorité contractante aurait pu estimer, même en se fondant sur l'ordre de grandeur approximatif d'un coût, la valeur financière de chaque proposition. Il est donc peu probable que l'autorité contractante disposait des renseignements financiers nécessaires pour influencer les évaluateurs techniques et pour appuyer une allégation de crainte raisonnable de partialité. Selon le Tribunal, une personne raisonnable et informée, après un examen complet, réaliste et pratique de l'affaire, n'en viendrait pas à la conclusion qu'il existe des éléments de preuve suffisants pour justifier une allégation de crainte raisonnable de partialité. Le Tribunal n'est donc pas convaincu que l'exigence selon laquelle une évaluation des propositions financières devait être faite de façon indépendante des propositions techniques n'a pas été respectée et est d'avis que cet élément de la plainte n'est pas fondé.

[34]            Med-Emerg soutient que le TCCE a appliqué de manière erronée le critère de la crainte raisonnable de partialité en posant la nécessité de prouver que des renseignements financiers ont été effectivement communiqués aux évaluateurs. À mon sens, cet argument se fonde sur une erreur d'interprétation du paragraphe 98 de l'exposé des motifs du TCCE. Selon mon interprétation de ce paragraphe, le TCCE y explique pourquoi une personne raisonnable, connaissant le rôle de la représentante du MDN dans le comité d'évaluation technique et l'information dont elle disposait quand elle assistait aux réunions de ce comité, n'arriverait pas à la conclusion que l'on a effectivement omis de séparer les évaluations financière et technique. Me fondant sur cette interprétation, je conclus que le TCCE a appliqué, suivant les règles, le critère de la crainte raisonnable de partialité.

[35]            Je ferai cependant observer que TPSGC aurait pu éviter cet aspect de la plainte de Med-Emerg en faisant en sorte que la même personne ne soit pas chargée de représenter le MDN aux réunions du comité d'évaluation technique et d'effectuer l'examen préliminaire des soumissions. On peut en effet imaginer des cas, mettant en jeu peut-être des soumissions moins complexes que l'appel d'offres qui nous occupe, où la connaissance même superficielle acquise au cours de l'examen préliminaire suffirait à permettre l'estimation du prix final des soumissions ou à se faire une idée de leur classement probable.

5) Le TCCE a-t-il omis, dans l'examen de l'argument de crainte raisonnable de partialité avancé par Med-Emerg, de prendre en considération l'effet cumulatif des erreurs de TPSGC, qui toutes favorisaient Calian et portaient préjudice aux autres soumissionnaires?

[36]            Med-Emerg soutient que le TCCE aurait dû prendre en compte le fait que toutes les infractions constatées avaient pour effet cumulatif d'élever systématiquement les notes de Calian et de faire baisser de même les siennes. Le problème que pose cet argument est qu'il n'a pas été avancé dans le cadre de la plainte examinée par le TCCE. Med-Emerg n'a pas soutenu devant le TCCE, pas plus que ce dernier n'a conclu, qu'on ait attribué à Calian plus de points qu'on n'aurait dû.

6) Conclusion de l'examen de la décision sur le fond

[37]            L'examen qui précède des cinq allégations d'erreur ne révèle aucun motif d'intervention de notre Cour. En conséquence, je rejetterais la première demande de contrôle judiciaire.

[38]            Voyons maintenant la seconde demande.


La seconde demande de contrôle judiciaire (A-365-05) : la décision sur les frais

[39]            L'octroi des frais, pour ce qui concerne les plaintes relatives à la passation d'un marché public qu'instruit le TCCE, est régi par l'article 30.16 de la Loi sur le Tribunal canadien du commerce extérieur, L.R. 1985, ch. 47, dont le paragraphe (1) est libellé comme suit :

30.16(1) Les frais relatifs à l'enquête - même provisionnels - sont, sous réserve des règlements, laissés à l'appréciation du Tribunal et peuvent être fixés ou taxés.

30.16 (1) Subject to the regulations, the Tribunal may award costs of, and incidental to, any proceedings before it in relation to a complaint on a final or interim basis and the costs may be fixed at a sum certain or may be taxed.

[40]            Il n'existe pas de dispositions réglementaires sur ce point, et il ne semble pas y avoir non plus de procédure établie pour la taxation des frais.

[41]            Le TCCE a publié en 1999 un document intitulé Lignes directrices sur les frais dans une procédure portant sur un marché public (les Lignes directrices de 1999). Les principes en sont énoncés à la section 2.0, qui ne contient que le paragraphe suivant :

2.1    Les lignes directrices visent l'application des principes suivants :

a) les frais accordés ne doivent pas dépasser les frais nécessaires et raisonnables engagés par le requérant;

b) les frais accordés visent uniquement à rembourser le requérant de ses dépenses et ne sont pas censés être une source de profits pour le requérant;

c) les méthodes de liquidation et de taxation doivent être efficientes et équitables pour toutes les parties;

d) les méthodes de liquidation et de taxation doivent être suffisamment souples pour garantir qu'il est tenu compte, dans l'adjudication des frais, des circonstances particulières d'une procédure portant sur un marché public ainsi que de la nature et de la valeur de la participation d'une partie à ces procédures;

e) les méthodes de liquidation et de taxation doivent tenir compte de l'aide financière obtenue de sources gouvernementales et autres.

[42]            Quand les Lignes directrices de 1999 étaient en vigueur, il était permis aux parties de demander les débours, ainsi qu'un montant au titre de leurs frais d'avocat, égal à un nombre raisonnable d'heures multiplié par des taux horaires normalisés qui allaient de 60 $ pour les stagiaires à 200 $ pour les avocats possédant au moins 20 années d'expérience. Selon Med-Emerg, le montant octroyé variait d'une affaire à l'autre, mais visait d'habitude à indemniser partiellement la partie gagnante.

[43]            L'avocat de la demanderesse a fait état de nombreux exemples de décisions sur les frais fondées sur les Lignes directrices de 1999. C'est ainsi qu'on a octroyé environ 126 000 $ dans le dossier PR-99-034, 92 000 $ dans le dossier PR-95-001, 41 000 $ dans le dossier PR-96-030, 30 000 $ dans le dossier PR-98-047, 48 000 $ dans le dossier PR-2000-039, 42 000 $ dans le dossier PR-2001-051 et 30 000 $ dans le dossier PR-2001-052. Le dossier du présent appel ne précise pas si ces exemples sont représentatifs de l'ensemble des décisions sur les frais rendues par le TCCE dans le cadre des Lignes directrices de 1999 ou s'il s'agit seulement d'un échantillon des décisions les plus généreuses.

[44]            Le TCCE a publié en 2004 un nouveau document intitulé Ligne directrice sur la fixation des frais dans une procédure de plainte portant sur un marché public (les Lignes directrices de 2004). L'objet explicite de ces nouvelles lignes directrices est « de simplifier et d'accélérer le processus utilisé pour accorder des frais dans une procédure de plainte portant sur un marché public, et [de faire en sorte] que le niveau des indemnisations accordées corresponde davantage à celui de la majorité des tribunaux judiciaires au Canada » . Les principes qui régissent les Lignes directrices de 2004 y sont énoncés comme suit :

2.1 La ligne directrice vise l'application des principes suivants :

•      Les frais accordés représentent normalement une indemnisation partielle.

•      Les frais accordés ne sont pas censés être une source de profits pour le requérant.

•      Les processus de liquidation et de taxation doivent être efficients et équitables envers toutes les parties.

[45]            Les Lignes directrices de 2004 mettent en oeuvre ce que j'appellerais une méthode du tarif fixe modifiée. Chaque affaire est d'abord classée dans l'une ou l'autre de trois catégories. Ce classement s'opère suivant un certain nombre de critères relatifs à la complexité du processus de passation du marché, de la plainte et de la procédure à laquelle celle-ci donne lieu. Le tarif fixe des frais est de 1 000 $ pour les affaires les plus simples (degré 1), de 2 400 $ pour les affaires de complexité moyenne (degré 2) et de 4 100 $ pour les plaintes les plus complexes (degré 3). Une note de bas de page explique comment ces montants fixes ont été établis :

Les tarifs fixes ont été établis à la suite d'un relevé des tarifs en vigueur chez les autres tribunaux judiciaires au Canada, en se fondant sur le caractère partiel de l'indemnisation. Le tarif initial a été établi selon un niveau qui correspond, de façon générale, aux tarifs en vigueur à la Cour fédérale du Canada et a ensuite été majoré de 50 p. 100 pour tenir compte des débours.

[46]            Cependant, le tarif fixe ne dicte pas la décision définitive sur les frais. La section 4.2 des Lignes directrices de 2004 prévoit une procédure par laquelle les parties peuvent essayer de convaincre le TCCE de ne pas se conformer au tarif fixe, ou même de s'écarter complètement desdites Lignes directrices. Voici le texte de cette section :

4.2.1. Lorsque le Tribunal rendra une décision, il accordera des frais, le cas échéant, et donnera une indication provisoire du degré de complexité et du montant d'indemnisation.

4.2.2. Les parties qui estiment que l'indication provisoire n'est pas appropriée peuvent présenter des observations sur la complexité de l'affaire, le montant du tarif fixe ou la raison qui justifie une dérogation à la ligne directrice. (Non souligné dans l'original.)

4.2.3. Les parties devront présenter lesdites observations dans les 10 jours ouvrables de la date de la décision et auront 5 jours ouvrables pour présenter des observations en réponse à celles des autres parties.

4.2.4. Si aucune partie ne présente des observations sur les frais, le Tribunal confirmera son indication provisoire au moyen d'une ordonnance de frais.

4.2.5. Si une ou plusieurs parties présentent des observations, le Tribunal en prendra note, demandera des renseignements supplémentaires, le cas échéant, et rendra ensuite l'ordonnance de frais qu'il considère appropriée.

[47]            La demanderesse a présenté 19 exemples de montants accordés au titre des frais dans des plaintes relatives à la passation de marchés publics après la publication des Lignes directrices de 2004. Les renseignements pertinents peuvent être résumés comme suit (il est à noter que ce tableau comprend la plainte qui nous occupe, soit le dossier PR-2004-050, qui forme l'exemple no 12) :

Affaire

Degré de complexité

Décision provisoire

Observations

Décision définitive

1.

PR-2003-076

1

1 500 $

Oui

1 500 $

2.

PR-2003-078

1

1 000 $

Non

1 000 $

3.

PR-2003-082

1

1 000 $

Non

1 000 $

4.

PR-2004-001

2

2 400 $

NP

2 400 $

5.

PR-2004-004

2

2 400 $

Non

2 400 $

6.

PR-2004-007

3

4 100 $

NP

4 100 $

7.

PR-2004-009

1

1 000 $

NP

1 000 $

8.

PR-2004-014

1

1 000 $

NP

1 000 $

9.

PR-2004-036

2

2 400 $

Oui

2 400 $

10.

PR-2004-038

1

1 000 $

Non

1 000 $

11.

PR-2004-046

2

2 400 $

NP

2 400 $

12.

PR-2004-050

3

4 100 $

Oui

4 100 $

13.

PR-2005-019

2

2 400 $

Non

2 400 $

14.

PR-2005-010

2

2 400 $

Non

2 400 $

15.

PR-2005-004

3

4 100 $

Non

4 100 $

16.

PR-2005-015

1

1 000 $

NP

1 000 $

17.

PR-2005-017

NP

1 000 $

18.

PR-2005-026

1

1 000 $

Non

1 000 $

19.

PR-2005-032

1

1 000 $

Oui

1 000 $

NP = Non précisé.

[48]            Sur ces 19 exemples, il y a en un où le montant octroyé n'était pas conforme au tarif fixe des Lignes directrices de 2004 (l'exemple 1) et un à propos duquel il n'est pas possible d'établir si celles-ci ont été appliquées et, le cas échéant, comment elles l'ont été (l'exemple 17). Dans les 17 autres affaires, la décision définitive était identique à la décision provisoire. Il est indiqué qu'une ou plusieurs parties ont présenté des observations - demandant, selon mon interprétation, une dérogation aux Lignes directrices de 2004 - dans seulement quatre de ces 17 affaires (y compris la plainte ici contrôlée, qui forme l'exemple 12). De telles observations n'ont été accueillies dans aucune des affaires citées.

[49]            Examinons maintenant la décision sur les frais contestée dans la présente espèce. Comme il a conclu au bien-fondé intégral ou partiel de certains des motifs de plainte de Med-Emerg et à l'invalidité des autres et comme il n'a pas recommandé de mesures correctives, le TCCE aurait pu considérer la plainte comme partiellement accueillie et ne pas accorder de frais du tout. Or, il a plutôt conclu dans sa décision provisoire qu'il convenait d'octroyer à Med-Emerg un montant de 4 100 $ au titre des frais. Le TCCE expose les raisons qui l'ont amené à accorder les frais à Med-Emerg en dépit du caractère partiel du succès de la plainte au paragraphe 105 de sa décision du 15 juin 2005. Ces raisons, explique-t-il, étaient le fardeau supplémentaire imposé à la plaignante par les deux requêtes déposées dans le cadre de la procédure, ainsi que l'importance globale des questions sur lesquelles Med-Emerg a eu gain de cause. Estimant que la plainte présentait le degré de complexité le plus élevé (le degré 3), le TCCE a donné pour le montant de l'indemnisation une indication provisoire de 4 100 $.

[50]            Med-Emerg a présenté des observations en vue d'obtenir une indemnité supérieure, faisant valoir que le TCCE entraverait l'exercice de son pouvoir discrétionnaire en ne dérogeant pas aux Lignes directrices de 2004 et, de plus, que l'affaire justifiait une telle dérogation. Elle demandait un montant égal à la totalité de ses frais de contentieux ou, subsidiairement, une indemnité partielle égale à la somme de ses débours effectifs et de ses frais d'avocat, ces derniers étant calculés suivant un tarif horaire de 120 $. TPSGC a aussi présenté des observations, qui pour l'essentiel appuyaient les motifs exposés dans la décision du 15 juin 2005 et rappelaient que Med-Emerg n'avait pas réussi à obtenir de mesures correctives.

[51]            Le TCCE, après examen des observations des parties, a fixé le montant des frais à 4 100 $, conformément à sa décision provisoire. Bien que le TCCE n'ait pas motivé de manière détaillée sa décision définitive, je déduis du libellé de celle-ci qu'il n'estimait pas avoir entravé l'exercice de son pouvoir discrétionnaire ni avoir quelque raison que ce soit de s'écarter de sa décision provisoire.

[52]            Med-Emerg ne conteste pas la validité des Lignes directrices de 2004. Elle ne soutient pas que les montants du tarif fixe correspondant aux trois catégories de plaintes ne soient pas raisonnablement représentatifs des frais et dépens octroyés par notre Cour ou d'autres tribunaux judiciaires canadiens. Elle n'affirme pas non plus que le TCCE ne soit pas habilité à établir des lignes directrices pour l'attribution des frais dans les plaintes en matière de passation de marchés. Elle reprend plutôt devant notre Cour l'argumentation qu'elle a présentée au TCCE selon laquelle ce dernier, en se conformant strictement aux Lignes directrices de 2004 dans la présente affaire, commettrait l'erreur d'entraver l'exercice de son pouvoir discrétionnaire et de ne pas prendre en considération l'ensemble des circonstances pertinentes.

[53]            L'argument selon lequel le TCCE aurait entravé l'exercice de son pouvoir discrétionnaire dans l'affaire qui nous occupe n'est fondé sur aucun élément de l'exposé des motifs de ce tribunal. Il est plutôt basé sur ce que Med-Emerg présente comme une pratique systématique à déduire de l'ensemble des décisions sur les frais rendues par le TCCE dans le cadre des Lignes directrices de 2004. La demanderesse soutient en effet que le TCCE adopte de nouveau une pratique invariable en matière d'attribution de frais, analogue à celle que notre Cour a déclaré désapprouver dans l'arrêt Canada (Procureur général) c. Georgian College of Applied Arts and Technology (C.A.), [2003] 4 C.F. 525 (Georgian College no 1).

[54]            Avant 2002, le TCCE avait pris pour habitude de ne pas octroyer de frais à la Couronne en cas de rejet des plaintes en matière de passation de marchés, à condition qu'elles aient été formées de bonne foi. Dans Georgian College no 1, notre Cour a conclu que, en suivant systématiquement cette pratique, le TCCE entravait à tort l'exercice du pouvoir discrétionnaire que lui confère l'article 30.16 de la Loi sur le Tribunal canadien du commerce extérieur (cité plus haut). La Cour a renvoyé l'affaire au TCCE pour réexamen de la question des frais. Après réexamen, le TCCE a de nouveau refusé d'accorder des frais à la Couronne. La Cour a aussi contrôlé cette nouvelle décision et a conclu au caractère déraisonnable du refus d'octroyer des frais : Canada (Procureur général) c. Georgian College of Applied Arts and Technology (C.A.F.), [2005] 2 R.C.F. 209 (Georgian College no 2). Elle a ordonné en conséquence au TCCE d'accorder à la Couronne un montant de 3 327,05 $ au titre des frais.

[55]            On ne m'a pas convaincue que le TCCE ait entravé l'exercice de son pouvoir discrétionnaire dans la présente affaire. Premièrement, les Lignes directrices de 2004 elles-mêmes portent que le TCCE est disposé à examiner, dans n'importe quelle affaire, les observations des parties à l'appui de la thèse qu'il devrait octroyer un autre montant que celui qui est prévu dans lesdites Lignes directrices ou qu'il devrait y déroger complètement. Med-Emerg a présenté des observations de cette nature au TCCE. Le fait que ce dernier ne les a pas accueillies ne prouve pas qu'il a rejeté en principe la possibilité de déroger aux Lignes directrices de 2004.

[56]            Deuxièmement, dans la brève histoire de l'application des Lignes directrices de 2004, pour autant qu'on puisse en juger d'après la liste ci-dessus des décisions sur les frais, on relève un cas où le TCCE y a dérogé et quatre autres cas seulement où il a rejeté une demande en ce sens. À mon avis, il ne serait pas raisonnable de conclure de ce bilan que le TCCE ait adopté une pratique inflexible comme celle que notre Cour a critiquée dans l'arrêt Georgian College no 1.

[57]            J'estime qu'il convient de rejeter aussi l'argument que le TCCE n'aurait pas tenu compte de tous les facteurs pertinents en fixant les frais dans la présente affaire à la somme de 4 100 $. Le dossier révèle que le TCCE a reçu et examiné les observations de Med-Emerg et de TPSGC sur les frais et qu'il a décidé de retenir celles de TPSGC. Étant donné les facteurs pris en considération par le TCCE dans sa décision provisoire sur les frais et les observations que les deux parties ont présentées par la suite, il n'était pas déraisonnable de sa part de conclure qu'il n'y avait pas lieu d'accorder à Med-Emerg plus de 4 100 $ au titre des frais.

[58]            Une idée sous-jacente aux moyens exposés par Med-Emerg dans la présente espèce est que les montants du tarif fixe établi par les Lignes directrices de 2004 sont trop bas, en comparaison des frais qui étaient octroyés dans le cadre des Lignes directrices de 1999. Mais comme le dossier de la présente instance ne permet pas une appréciation équitable de cette idée, je n'en dirai pas plus là-dessus.


Conclusion

[59]            Je rejetterais les deux demandes de contrôle judiciaire, avec dépens à TPSGC dans les deux cas. Calian a droit aux dépens afférents à la demande relative à la décision sur le fond (A-330-05).

« K. Sharlow »

Juge

« Je souscris aux présents motifs

    J. Richard, juge en chef »

« Je souscris aux présents motifs

     Gilles Létourneau, juge »

Traduction certifiée conforme

Christiane Bélanger, LL.L.


COUR D'APPEL FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

DOSSIERS :                                                         A-365-05

                                                                              A-330-05

INTITULÉ :                                                          MED-EMERG INTERNATIONAL INC.

                                                                              c.

                                                                              LE MINISTRE DE TRAVAUX PUBLICS ET SERVICES GOUVERNEMENTAUX CANADA ET CALIAN LTÉE

LIEU DE L'AUDIENCE :                                    OTTAWA (ONTARIO)

DATE DE L'AUDIENCE :                                  LE 22 MARS 2006

MOTIFS DU JUGEMENT :                               LA JUGE SHARLOW

Y ONT SOUSCRIT :                                            LE JUGE EN CHEF RICHARD

                                                                              LE JUGE LÉTOURNEAU

DATE DES MOTIFS :                                         LE 25 AVRIL 2006

COMPARUTIONS :

Sally Gomery

Paul Conlin

POUR LA DEMANDERESSE

David M. Attwater

Alan D'Silva

Justine Whitehead

POUR LE DÉFENDEUR TPSGC

POUR LA DÉFENDERESSE CALIAN LTÉE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Ogilvy Renault LLP

Ottawa (Ontario)

POUR LA DEMANDERESSE

David M. Attwater

Ottawa (Ontario)

Stikeman Elliott LLP

Ottawa (Ontario)

POUR LE DÉFENDEUR TPSGC

POUR LA DÉFENDERESSE CALIAN LTÉE

Date : 20060425

Dossier : A-330-05

Ottawa (Ontario), le 25 avril 2006

CORAM :       LE JUGE EN CHEF RICHARD

                        LE JUGE LÉTOURNEAU    

                        LA JUGE SHARLOW          

ENTRE :

MED-EMERG INTERNATIONAL INC.

demanderesse

et

TRAVAUX PUBLICS ET SERVICES GOUVERNEMENTAUX CANADA

ET CALIAN LIMITÉE

défendeurs

JUGEMENT

      La demande de contrôle judiciaire est rejetée, avec dépens aux deux défendeurs.

« J. Richard »

Juge en chef

Traduction certifiée conforme

Christiane Bélanger, LL.L.


Date : 20060425

Dossier : A-365-05

Ottawa (Ontario), le 25 avril 2006

CORAM :       LE JUGE EN CHEF RICHARD

                        LE JUGE LÉTOURNEAU    

                        LA JUGE SHARLOW          

ENTRE :

MED-EMERG INTERNATIONAL INC.

demanderesse

et

TRAVAUX PUBLICS ET SERVICES GOUVERNEMENTAUX CANADA

ET CALIAN LIMITÉE

défendeurs

JUGEMENT

            La demande de contrôle judiciaire est rejetée, avec dépens au défendeur Travaux publics et Services gouvernementaux Canada.

« J. Richard »

Juge en chef

Traduction certifiée conforme

Christiane Bélanger, LL.L.

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