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Date : 20060120

Dossier : A-21-05

Référence : 2006 CAF 22

CORAM :       LE JUGE LÉTOURNEAU

                        LE JUGE NADON

                        LE JUGE PELLETIER

ENTRE :

DONALD FABI

Appelant

et

LE MINISTRE DU REVENU NATIONAL

Intimé

Audience tenue à Montréal (Québec), le 11 janvier 2006.

Jugement rendu à Ottawa (Ontario), le 20 janvier 2006.

MOTIFS DU JUGEMENT :                                                                      LE JUGE LÉTOURNEAU

Y A (ONT) SOUSCRIT :                                                                                      LE JUGE NADON

                                                                                                                       LE JUGE PELLETIER


Date : 20060120

Dossier : A-21-05

Référence : 2006 CAF 22

CORAM :       LE JUGE LÉTOURNEAU

                        LE JUGE NADON

                        LE JUGE PELLETIER

ENTRE :

DONALD FABI

Appelant

et

LE MINISTRE DU REVENU NATIONAL

Intimé

MOTIFS DU JUGEMENT

LE JUGE LÉTOURNEAU

[1]                M. Fabi en appelle d'une décision du juge Lemieux (juge) de la Cour fédérale rejetant sa demande de contrôle judiciaire attaquant la légalité de deux demandes péremptoires de documents et de renseignements émises par le ministre du Revenu national (ministre).

[2]                Ces demandes furent faites en vertu des alinéas 231.2(1)a) et b) de la Loi de l'impôt sur le revenu, L.R.C. 1985, chap. 1 (5e suppl.) (Loi). Elles visent à obtenir de l'appelant des renseignements quant à la propriété ou au transfert d'un immeuble et/ou d'un terrain lui appartenant en Floride. Le triple but de ces demandes, énoncé dans un affidavit d'un représentant de la partie défenderesse, est de déterminer la valeur des actifs de l'appelant, de connaître ce qu'il est advenu du prix de vente de cet immeuble, le cas échéant, et de savoir, si aucun achat n'a été fait comme le prétend l'appelant, ce qu'il est advenu des sommes déboursées par la banque pour l'acquisition de ces propriétés.

[3]                L'appelant soumet que le juge a erré lorsqu'il a rejeté sa prétention que les demandes du ministre étaient illégales en vertu des dispositions du paragraphe 69.1(1) de la Loi sur la faillite et l'insolvabilité, L.R.C. (1985), chap. B-3.

[4]                Plus exactement, l'alinéa 69.1(1)a), ci-après reproduit, énonce que les créanciers ne peuvent poursuivre en justice ou prendre une procédure d'exécution ou en recouvrement de réclamations prouvables contre un débiteur qui, comme c'est le cas de l'appelant, leur a fait une proposition concordataire :

69. (1) [Suspension des procédures en cas de dépôt d'une proposition]

Sous réserve des paragraphes (2) à (6) et des articles 69.4 et 69.5, entre la date de dépôt d'une proposition visant une personne insolvable et :

a) soit sa faillite, soit la libération du syndic, les créanciers n'ont aucun recours contre elle ou contre ses biens et ne peuvent intenter ou continuer aucune action, exécution ou autre procédure en vue du recouvrement de réclamations prouvables en matière de faillite;

69. (1) [Stay of proceedings - Division I proposals] Subject to subsections (2) to (6) and sections 69.4 and 69.5, on the filing of a proposal under subsection 62(1) in respect of an insolvent person,

(a) no creditor has any remedy against the insolvent person or the insolvent person's property, or shall commence or continue any action, execution or other proceedings, for the recovery of a claim provable in bankruptcy, until the trustee has been discharged or the insolvent person becomes bankrupt;

[5]                Je suis d'avis que le juge a bien compris et interprété la relation juridique qui existe entre les dispositions de la Loi et celles de la Loi sur la faillite et l'insolvabilité.

[6]                De fait, les démarches entreprises par le ministre par voie de demandes péremptoires de renseignements ont pour but de déterminer et d'établir l'existence et la valeur d'un actif qu'il a des motifs de croire fut dissimulé par l'appelant au détriment des créanciers, dont l'Agence des douanes et du revenu du Canada (Agence).

[7]                Comme le signale le juge, faisant référence à des jugements de ses collègues Beaudry dans Carrefour Langelier Inc. c. Canada (Agence des douanes et du revenu), 2003 CF 1403 et Blais dans Canada (Ministre du Revenu national - MRN) c. Stern, 2004 CF 763, les renseignements obtenus en conséquence des demandes peuvent profiter aux créanciers et au syndic chargé de l'administration de la proposition du débiteur.

[8]                L'appelant a bien essayé de distinguer l'arrêt Carrefour Langelier Inc. des faits de la présente instance en disant qu'il s'agissait d'une demande de renseignements adressée à un tiers et non au débiteur comme en l'espèce. Mais je crois que c'est en vain car, dans les deux cas, l'objet de

la demande de renseignements consistait à établir l'existence et la valeur d'un actif appartenant au débiteur.

[9]                Les renseignements que le ministre cherche à obtenir sont aussi pertinents et nécessaires à l'établissement de la dette fiscale de l'appelant. Ce dernier soumet que sa dette fiscale est déjà déterminée dans le cadre de la proposition concordataire et qu'elle s'élève à 183 621,09 $ selon la preuve de réclamation produite par l'intimé entre les mains du syndic. Je veux bien reconnaître ce fait souligné par l'appelant, mais cette dette fiscale n'englobe pas celle à naître, c'est-à-dire celle qui n'est pas encore déterminée et qui se rattacherait à des actifs imposables non déclarés ou dissimulés.

[10]            De fait, les actifs non déclarés de l'appelant, s'ils existent, peuvent produire du revenu imposable. L'affidavit de M. Phaneuf, qui est au service de l'Agence, indique en son paragraphe 14, que la demande de renseignements a pour but de déterminer si les actifs non déclarés de l'appelant ont été transférés, auquel cas le transfert ou la disposition, particulièrement à des personnes liées, peut engendrer une dette fiscale pour l'appelant.

[11]            Avec respect, je crois que les demandes de renseignements émanant du ministre, faites en l'espèce pour établir en matière fiscale l'existence ou la valeur d'un actif qui serait dissimulé ou le montant de son prix de vente ou de sa disposition, ne constituent pas une mesure de recouvrement des réclamations prouvables en matière de faillite. Le ministre est chargé de l'application et de l'exécution de la Loi. Cette charge, qu'il assume dans l'intérêt public, emporte celle d'établir la dette fiscale d'un contribuable. L'évaluation de l'obligation fiscale d'un contribuable est un objectif lié à l'administration et à l'exécution de la Loi. Pour assumer valablement cette charge, le ministre

doit pouvoir poser des questions pour obtenir et connaître les faits et les chiffres : Tower c. M.R.N., [2004] 1 R.C.F. 183 (C.A.F.).

[12]            À ce stade, selon la preuve, il s'agit de l'objectif poursuivi par les demandes de production de renseignements et de documents auxquelles le ministre a recours. Le ministre voudra-t-il procéder à l'étape suivante du recouvrement de la nouvelle dette fiscale ainsi établie, s'il y en a une, que se posera alors la problématique de l'alinéa 69.1(1)a) de la Loi sur la faillite et l'insolvabilité. On ne saurait présumer à ce moment-ci, et il n'y a aucune preuve au dossier en ce sens, que le ministre fera fi de l'alinéa 69.1(1)a) de la Loi sur la faillite et l'insolvabilité et ne procédera pas au recouvrement de la nouvelle dette fiscale par voie de réclamation amendée comme le lui permet l'article 121 de cette dernière.

[13]            L'appelant invoque à l'appui de ses prétentions le paragraphe 222(1) de la Loi qui renferme une définition du terme « action » , ajoutée par L.C. 2004, chap. 22, art. 50. Je reproduis cette définition que l'on retrouve dans la section « Recouvrement » et dont l'application se limite au seul article 222 :

Recouvrement

Article 222 : Définitions.

(1) Les définitions qui suivent s'appliquent au présent article.

« action » Toute action en recouvrement d'une dette fiscale d'un contribuable, y compris les procédures judiciaires et toute mesure prise par le ministre en vertu des paragraphes 129(2), 131(3), 132(2) ou 164(2), de l'article 203 ou d'une disposition de la présente partie.

Collection

Section 222 : [Limitation Period for Collection of Tax Debts]

(1) Definitions. The following definitions apply in this section.

"action" means an action to collect a tax debt of a taxpayer and includes a proceeding in a court and anything done by the Minister under subsection 129(2), 131(3), 132(2) or 164(2), section 203 or any provision of this Part.

                                                                                                                        (je souligne)

J'ajouterais que cet article vise la prescription des actions en recouvrement d'une dette fiscale.

[14]            L'appelant voit dans les termes soulignés « y compris ... toute mesure prise par le ministre en vertu ... d'une disposition de la présente partie » une interdiction faite au ministre d'utiliser le pouvoir d'émettre des demandes péremptoires de renseignements. Il en vient à cette conclusion parce que ce pouvoir se retrouve à l'article 231.2 et que cet article, comme l'article 222, niche dans « la présente partie » , c'est-à-dire la Partie XV de la Loi.

[15]            Je pense que cette lecture que l'appelant fait du paragraphe 222(1) ignore les tout premiers éléments de la définition du terme « action » : il doit s'agir d'une « action en recouvrement » d'une dette fiscale. Or, je suis d'accord avec la conclusion du juge exprimée au paragraphe 49 de ses motifs : le pouvoir d'enquête du ministre sous l'article 231.2 de la Loi n'est pas une mesure de recouvrement. Ce pouvoir n'est pas une action en recouvrement.

[16]            De plus, l'article 232.1, s'il est bien dans la Partie XV de la Loi, ne se trouve pas dans la section « recouvrement » . On le retrouve plutôt sous la rubrique « généralités » qui renferme l'obligation de tenir des livres de compte et des registres, y compris des registres de contributions monétaires en matière électorale, les pouvoirs d'inspection, de vérification, de perquisition et de saisie nécessaires à l'application et à l'exécution de la Loi, l'interdiction faite à un fonctionnaire de dévoiler des renseignements confidentiels ou d'y donner accès, les dispositions relatives au secret professionnel, celles qui ont trait aux déclarations de renseignements que doit faire toute société de personnes, etc.

[17]            Avec déférence, il m'apparaît évident que les termes « toute mesure prise par le ministre en vertu de la présente partie » sont qualifiés par le fait qu'il doit s'agir d'une action en recouvrement et, en conséquence, que la mesure prise en vertu de la présente partie à laquelle le paragraphe 222(1) réfère est une mesure de recouvrement. Les mots « en vertu de la présente partie » que l'on retrouve dans la définition du paragraphe 222(1) n'ont pas pour effet de transformer un pouvoir d'enquête en une mesure de recouvrement.

[18]            Enfin, toujours dans le même ordre d'idées, l'appelant nous réfère au paragraphe 222(8) de la Loi qui prévoit que les délais de prescription pour intenter une action en recouvrement sont prorogés lorsque l'action en recouvrement que le ministre peut exercer relativement à une dette fiscale est limitée par la Loi sur la faillite et l'insolvabilité :

222. (8) Prorogation du délai de prescription.

Le nombre de jours où au moins un des faits suivants se vérifie prolonge d'autant la durée du délai de prescription :

a) en raison de l'un des paragraphes 225.1(2) à (5), le ministre n'est pas en mesure d'exercer les actions visées au paragraphe 225.1(1) relativement à la dette fiscale;

b) le ministre a accepté et détient une garantie pour le paiement de la dette fiscale;

c) la personne, qui résidait au Canada à la date applicable visée à l'alinéa (4)a) relativement à la dette fiscale, est un nonrésident;

d) l'une des actions que le ministre peut exercer par ailleurs relativement à la dette fiscale est limitée ou interdite par une disposition quelconque de la Loi sur la faillite et l'insolvabilité, de la Loi sur les arrangements avec les créanciers des compagnies ou de la Loi sur la médiation en matière d'endettement agricole.

222. (8) Extension of limitation period.

In computing the day on which a limitation period ends, there shall be added the number of days on which one or more of the following is the case:

(a) the Minister may not, because of any of subsections 225.1(2) to (5), take any of the actions described in subsection 225.1(1) in respect of the tax debt;

(b) the Minister has accepted and holds security in lieu of payment of the tax debt;

(c) if the taxpayer was resident in Canada on the applicable date described in paragraph (4)(a) in respect of the tax debt, the taxpayer is non-resident; or

(d) an action that the Minister may otherwise take in respect of the tax debt is restricted or not permitted under any provision of the Bankruptcy and Insolvency act, of the Companies' Creditors Arrangement Act or of the Farm Debt Mediation Act.

[19]            Il infère de ce paragraphe, erronément je crois, que le législateur a prorogé les délais de prescription applicable à l'exercice par le ministre de son pouvoir d'exiger péremptoirement des renseignements d'un contribuable.

[20]            Je dis erronément parce que, d'une part, la prémisse fausse de l'appelant est que le pouvoir d'enquête de l'article 232.1 est une action en recouvrement ou une mesure de recouvrement soumise à la prescription. Or, comme nous l'avons déjà indiqué, ce n'est pas le cas.

[21]            D'autre part, l'appelant ignore l'arrêt de notre Cour dans l'affaire Tower c. M.R.N., précitée où au paragraphe 32 de cette décision, la Cour rappelle que « les demandes de production de documents ne sont assujettis à aucun délai de prescription » . Implicite, mais inévitable, dans cet énoncé de la Cour est la conclusion que le pouvoir du ministre de demander des renseignements n'est pas une mesure de recouvrement, encore moins une mesure de recouvrement d'une dette fiscale déjà déterminée lorsque, comme en l'espèce, elle vise à déterminer l'existence d'une nouvelle dette fiscale et en évaluer le montant.

[22]            Pour ces motifs, je rejetterais l'appel avec dépens.

« Gilles Létourneau »

j.c.a.

« Je suis d'accord

            Marc Nadon j.c.a. »

« Je suis d'accord

            J.D. Denis Pelletier j.c.a. »


COUR D'APPEL FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

DOSSIER :                                               A-21-05

INTITULÉ :                                              DONALD FABI c. LE MINISTRE DU REVENU

                                                                  NATIONAL

LIEU DE L'AUDIENCE :                        Montréal (Québec)

DATE DE L'AUDIENCE :                      le 11 janvier 2006

MOTIFS DU JUGEMENT :                   LE JUGE LÉTOURNEAU

Y ONT SOUSCRIT :                                LE JUGE NADON

                                                                  LE JUGE PELLETIER

DATE DES MOTIFS :                             le 20 janvier 2006

COMPARUTIONS :

Me Richard Généreux

POUR L'APPELANT

Me Chantal Comtois

POUR L'INTIMÉ

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Généreux Côté, Avocats

Drummondville (Québec)

POUR L'APPELANT

John H. Sims, c.r.

Sous-procureur général du Canada

Montréal (Québec)

POUR L'INTIMÉ

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