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Date : 20181207


Dossiers : A-90-16

A-121-16

Référence : 2018 CAF 222

[TRADUCTION FRANÇAISE]

CORAM :

LE JUGE WEBB

LE JUGE RENNIE

LA JUGE GLEASON

 

 

ENTRE :

P.S. KNIGHT CO. LTD. et

GORDON KNIGHT

appelants

et

ASSOCIATION CANADIENNE DE NORMALISATION

intimée

Audience tenue à Toronto (Ontario), le 1er mars 2018.

Jugement rendu à Ottawa (Ontario), le 7 décembre 2018.

MOTIFS DU JUGEMENT :

LA JUGE GLEASON

Y A SOUSCRIT :

LE JUGE RENNIE

MOTIFS DISSIDENTS :

LE JUGE WEBB


Date : 20181207


Dossiers : A-90-16

A-121-16

Référence : 2018 CAF 222

[TRADUCTION FRANÇAISE]

CORAM :

LE JUGE WEBB

LE JUGE RENNIE

LA JUGE GLEASON

 

 

ENTRE :

P.S. KNIGHT CO. LTD. et

GORDON KNIGHT

appelants

et

ASSOCIATION CANADIENNE DE NORMALISATION

intimée

MOTIFS DU JUGEMENT

LA JUGE GLEASON

[1]  Dans le présent appel, les appelants sollicitent l’annulation du jugement de la Cour fédérale rendu à l’occasion de l’affaire Association canadienne de normalisation c. P.S. Knight Co. Ltd., 2016 CF 294 (sous la plume du juge Manson) ainsi que le jugement supplémentaire rendu à l’occasion de l’affaire Association canadienne de normalisation c. P.S. Knight Co. Ltd., 2016 CF 387 (également sous la plume du juge Manson).

[2]  Dans son jugement, la Cour fédérale a accueilli la demande de l’intimée l’Association canadienne de normalisation (la CSA) pour contrefaçon de droits d’auteur, a enjoint les appelants de mettre fin à cette violation, a ordonné aux appelants de remettre à la CSA toutes les copies contrefaites de la version 2015 du Code canadien de l’électricité, première partie (le code de l’électricité de la CSA ou le code), ainsi que toutes les plaques ou fichiers électroniques des copies contrefaites et a ordonné à la société appelante (Knight Co.) de payer les dommages-intérêts préétablis, au montant de 5 000 $. La Cour fédérale a également accordé les dépens à la CSA. Dans son jugement supplémentaire, la Cour fédérale a chiffré ces dépens au montant de 96 336,00 $ et a ordonné qu’ils soient payés par Knight Co.

[3]  Pour les motifs exposés ci-après, je rejetterais les deux appels, avec dépens.

I.  Le contexte factuel et législatif des présents appels

[4]  Il convient d’entamer la discussion par un exposé du contexte factuel et législatif pertinent des présents appels.

A.  La CSA et le code de l’électricité de la CSA

[5]  La CSA est une société fédérale à but non lucratif régie par la Loi canadienne sur les organisations à but non lucratif, L.C. 2009, ch. C-23. Elle effectue l’élaboration, la mise à l’essai et la certification de plus de 3 000 normes volontaires. L’une des plus importantes d’entre elles est le code de l’électricité de la CSA, qui établit les normes de sécurité d’installation et d’entretien de l’équipement électrique au Canada.

[6]  La CSA a publié la première version du code de l’électricité de la CSA en 1927 et a mis à jour et publié des versions révisées de ce code de façon continue depuis. La CSA vend le code de l’électricité de la CSA et consacre les revenus de ces ventes au financement de l’élaboration du code et d’autres normes volontaires. La version 2015 du code de l’électricité de la CSA est en cause dans les présents appels.

[7]  La CSA a été accréditée par le Conseil canadien des normes (le Conseil des normes) à titre d’organisme d’élaboration de normes. Le Conseil des normes est une société d’État fédérale non mandataire constituée en vertu de la Loi sur le Conseil canadien des normes, L.R.C. 1985, ch. S-16, art. 3 (la Loi sur le Conseil des normes). Selon le paragraphe 4(1) de cette loi, le Conseil des normes a pour mission :

[…] de faire progresser l’économie nationale, de contribuer au développement durable, d’améliorer la santé, la sécurité et le bien-être des travailleurs et du public, d’aider et de protéger les consommateurs, de faciliter le commerce intérieur et extérieur, et de développer la coopération internationale en matière de normalisation, le Conseil a pour mission d’encourager une normalisation efficiente et efficace au Canada lorsque celle-ci ne fait l’objet d’aucune mesure législative, et notamment :

 

[…] promote efficient and effective voluntary standardization in Canada, where standardization is not expressly provided for by law and, in particular, to

a) d’encourager les Canadiens à participer aux activités relatives à la normalisation volontaire;

(a) promote the participation of Canadians in voluntary standards activities,

 

b) d’encourager la coopération entre les secteurs privé et public en matière de normalisation volontaire au Canada;

 

(b) promote public-private sector cooperation in relation to voluntary standardization in Canada,

 

c) de coordonner les efforts des personnes et organismes s’occupant du Système national de normes, et de voir à la bonne marche de leurs activités;

 

(c) coordinate and oversee the efforts of the persons and organizations involved in the National Standards System,

 

d) d’encourager, dans le cadre d’activités relatives à la normalisation, la qualité, la performance et l’innovation technologique en ce qui touche les produits et les services canadiens;

 

(d) foster quality, performance and technological innovation in Canadian goods and services through standards-related activities, and

 

e) d’élaborer des stratégies et de définir des objectifs à long terme en matière de normalisation.

 

(e) develop standards-related strategies and long-term objectives,

[EN BLANC / BLANK]

 

in order to advance the national economy, support sustainable development, benefit the health, safety and welfare of workers and the public, assist and protect consumers, facilitate domestic and international trade and further international cooperation in relation to standardization.

[8]  Le Conseil des normes a notamment le pouvoir d’accréditer les organismes qui participent à l’élaboration des normes (sous-alinéa 4(1)d.1) de la Loi sur le Conseil des normes) et d’approuver les normes présentées par ces organismes à titre de normes nationales (alinéa 4(1)e) de la Loi sur le Conseil des normes). Le Conseil des normes a approuvé le code de l’électricité de la CSA à titre de norme nationale.

[9]  Dans l’introduction de la version 2015 du code de l’électricité de la CSA, il est indiqué qu’il s’agit d’un [traduction] « code volontaire destiné à être adopté et appliqué par les organismes de réglementation ». Ce code a été adopté par les gouvernements fédéral, provinciaux et territoriaux et incorporé par renvoi aux lois et règlements concernant la sécurité en matière d’électricité.

[10]  Par exemple, sur le plan fédéral, l’article 8.1 de la partie VIII du Règlement canadien sur la santé et la sécurité au travail, DORS/86-304 englobe le code de l’électricité de la CSA dans le cadre de la définition de « Code canadien de l’électricité » auquel les lieux de travail et les employeurs relevant de la compétence fédérale sont tenus de se conformer aux termes du paragraphe 8.3(1) dudit règlement.

[11]  Sur le plan provincial et territorial, le code de l’électricité de la CSA a été incorporé par renvoi aux règlements et lois fixant les normes d’installation et d’entretien de l’équipement électrique, parfois en fonction des conditions locales (voir notamment le règlement britanno-colombien intitulé Electrical Safety Regulation (Règlement sur la sécurité en électricité), B.C. Reg. 100/2004, s. 20; le règlement albertain intitulé Electrical Code Regulation (Règlement sur le code de l’électricité), Alta Reg. 209/2006, s. 3(a); le règlement saskatchewanais intitulé The Electrical Code Regulations (Le règlement sur le code de l’électricité), R.R.S., c. E-6.3, Reg. 16, s. 3; le règlement manitobain intitulé Manitoba Electrical Code (Code de l’électricité du Manitoba), M.R. 76/2018, s. 1; le règlement ontarien intitulé Code de sécurité relatif aux installations électriques, règl. de l'Ont. 164/99, art. 1; le règlement québécois intitulé Code de construction, R.L.R.Q., ch. B-1.1, r. 2, art. 5.01; le règlement néo-brunswickois intitulé Règlement général, règl. du N-B 84-165, art. 2; le règlement néo-écossais intitulé Electrical Code Regulations (Règlement sur le code de l’électricité), N.S. Reg 95/99, s. 3; le règlement prince-édouardien intitulé Canadian Electrical Code Regulations (Règlement sur le Code canadien de l’électricité), P.E.I. Reg. EC406/13, s. 2; le règlement terre-neuvien intitulé Electrical Regulations (Règlement sur l’électricité), N.L.R. 120/96, s. 4; la loi yukonnaise intitulée Loi sur la protection contre les dangers de l’électricité, LRY 2002, ch. 65, par. 1.01(1); la loi ténoise intitulée Loi sur la protection contre les dangers de l’électricité, L.R.T.N.-O. 1998, ch. E-3, par. 1(1); la loi ténoise intitulée Loi sur la protection contre les dangers de l’électricité, L.R.T.N.-O. (Nu) 1988, ch. E-3, par. 1(1)).

[12]  Il est ressorti des preuves dont fut saisie la Cour fédérale que les modifications apportées au code de l’électricité de la CSA incluses dans la version 2015 du code ont été élaborées par un comité mis sur pied sous l’égide de la CSA, et que les membres de ce comité, ainsi que des représentants de la CSA, ont consacré du temps et des efforts à la production de la version 2015 du code de l’électricité de la CSA. Le comité était composé de deux employés de la CSA ainsi que de plusieurs représentants des autorités d’inspection électrique provinciales, territoriales et municipales, de certains ministères et organismes fédéraux et d’associations industrielles, syndicales et éducatives. Il est également ressorti des preuves que les membres du comité qui n’étaient pas employés par la CSA avaient signé des ententes attribuant à la CSA le droit d’auteur des modifications élaborées par le comité qui ont été intégrées à la version 2015 du code de l’électricité de la CSA. Toutefois, la pratique consistant à obtenir de telles attributions ne semble pas avoir été appliquée aux versions antérieures du code de l’électricité de la CSA (soit celles produites avant 2010 environ).

[13]  Les droits d’auteur afférents au code de l’électricité 2015 ont été enregistrés en faveur de la CSA le 27 avril 2015. Il ressort des éléments de preuve déposés devant la Cour fédérale indiquent qu’un enregistrement semblable a été fait pour la version 2012 du code.

[14]  Dans l’introduction de la version 2015 du code de l’électricité, on revendique le droit d’auteur pour le compte de la CSA, on identifie la CSA en tant qu’éditrice, on indique que la CSA est titulaire ou licenciée agréée de l’œuvre protégée et on présente un avertissement selon lequel l’utilisation, la modification, la reproduction ou la divulgation non autorisées du code de l’électricité de la CSA constitue une infraction à la loi passible de poursuite en justice.

[15]  Il ressort des preuves déposées devant la Cour fédérale que le code de l’électricité de la CSA a été publié par la CSA et l’Office de la sécurité des installations électriques de l’Ontario. Dans la publication ontarienne, l’Office de la sécurité des installations électriques reconnaît expressément le droit d’auteur de la CSA quant au code et le fait que la CSA lui a donné l’autorisation de reproduire le code. Aucun élément de preuve n’a pu établir si le code de l’électricité de la CSA avait été publié de la même façon par d’autres autorités provinciales ou territoriales ni à quel point il pouvait être facile ou difficile d’obtenir une copie du code de l’électricité de la CSA.

B.  Les appelants et les circonstances donnant lieu à la requête présentée par la CSA à la Cour fédérale

[16]  Knight Co. est un concurrent commercial de la CSA. Parmi les publications offertes et vendues autrefois par Knight Co. figurait l’Electrical Code Simplified (Le code de l’électricité simplifié), (l’ECS), une version simplifiée du Code d’électricité de la CSA destinée aux applications résidentielles. Il a été élaboré dans les années 1960 par Peter Knight, ancien président-directeur de Knight Co. et père de l’appelant, Gordon Knight, qui est maintenant président-directeur de Knight Co.

[17]  Au moment où l’ECS a été élaboré et publié pour la première fois, Peter Knight et la CSA entretenaient de bonnes relations et se remettaient mutuellement des exemplaires de leurs publications respectives. En 1968 et 1969, ils ont échangé une série de lettres, parmi lesquelles figuraient des rappels de la part de la CSA visant à s’assurer que Peter Knight ne viole pas le droit d’auteur de la CSA quant au code et attribue la propriété du droit d’auteur de la CSA quant aux extraits du code de l’électricité de la CSA utilisés dans l’ECS. En guise de réponse, Peter Knight écrit qu’il était [traduction] « très prudent afin d’éviter toute violation du droit d’auteur de la CSA » (affidavit de Gordon Knight, pièce 3, cahier d’appel, vol. 2, p. 485) et que [traduction] « advenant le cas où nous violerions le droit d’auteur de la CSA, nous prendrions immédiatement des mesures correctrices » (affidavit de Gordon Knight, pièce 5, cahier d’appel, vol. 2, p. 490).

[18]  En 1969, une lettre envoyée à Peter Knight l’autorise à citer le code de la CSA, à condition [traduction] « que la reconnaissance de la source soit donnée clairement sur les articles qui représentent des références directes » (affidavit de Gordon Knight, pièce 7, cahier d’appel, vol. 2, p. 495). Dans l’affidavit qu’il a déposé devant la Cour fédérale, Gordon Knight soutient que cette autorisation fut cédée à Knight Co. par Peter Knight après que celle-ci fut constituée en société, bien qu’aucun élément de preuve supplémentaire n’ait été produit pour corroborer ce fait et que la CSA soutient qu’elle n’a aucune connaissance d’une telle cession et qu’elle ne l’a pas autorisée non plus.

[19]  En 2004, la CSA a présenté une offre d’achat de Knight Co., mais l’offre a été refusée. Après la rupture des négociations, la relation entre les parties s’est détériorée. Dans une lettre datée du 12 juillet 2007, la CSA a offert d’accorder une licence personnelle à Peter Knight l’autorisant à reproduire des extraits du code, qui ne pouvait être cédée à nulle autre personne physique ou morale. La CSA n’a reçu aucune réponse à cette lettre.

[20]  À la suite de l’achat de Knight Co. par Gordon Knight en 2010, la CSA a écrit à Knight Co. pour l’informer que toute licence qui aurait pu exister était résiliée. En 2012, la CSA a découvert que Knight Co. comptait publier une nouvelle version de l’ECS, laquelle fait l’objet de l’action dans l’affaire T-1178-12 de la Cour fédérale, qui est toujours pendante devant cette Cour. Après que cette action eut été intentée, la relation entre les parties s’est dégradée et Gordon Knight a créé un site Web critiquant vigoureusement la CSA. En guise de réponse, la CSA a intenté une poursuite en diffamation devant la Cour supérieure de l’Ontario (voir Canadian Standards Association c. P.S. Knight Co. Ltd., 2015 ONSC 7980 et 2016 ONSC 896. Cette procédure semble toujours pendante.

[21]  À la demande de Gordon Knight, un député a posé des questions à la Chambre des communes en 2013 afin de savoir comment le gouvernement fédéral perçoit la CSA. En réponse, le ministre de l’Industrie a déclaré que la CSA n’est pas un organisme de réglementation, mais plutôt un organisme sans but lucratif. Le ministre a ajouté que le gouvernement fédéral est d’avis que les organismes d’élaboration de normes telles la CSA [traduction] « conservent les droits de propriété intellectuelle et les droits d’auteur des normes volontaires qui sont citées dans la réglementation. » (affidavit de Doug Morton, pièce 14, débats de la Chambre des communes, 41e législature, 2e session, N° 026 (28 novembre 2013), cahier d’appel, vol. 1, pages 324 à 327).

[22]  En 2016, Knight Co. a reproduit et menacé de distribuer un exemplaire complet et identique de la version 2015 du code de l’électricité de la CSA au tiers du prix facturé par la CSA, en faisant paraître la publicité suivante :

[traduction]

Quels avantages y a-t-il à faire l’acquisition de l’édition de PS Knight du CCE?

Il s’agit du même code, offert à prix moindre

Code de PS Knight • 60 $

Code de la CSA • 180 $

Vous économisez 120 $.

Le code vous revient au 1/3 du prix de la CSA!

(Affidavit de Doug Morton, volume 1, onglet 10, p. 117, par. 37)

[23]  En guise de réponse, la CSA a présenté la demande en vertu des règles 61 et 300 des Règles des Cours fédérales, DORS/98-106, et de la Loi sur le droit d’auteur, L.R.C. 1985, ch. C-42, qui a donné lieu aux jugements faisant l’objet des présents appels.

C.  Le cadre législatif et réglementaire de la publication et la reproduction des lois et règlements

[24]  Il convient ensuite de présenter un résumé du cadre de publication et de reproduction des lois et règlements. Comme l’indique la discussion qui suit, ce cadre ne vise pas les documents incorporés par renvoi dans les lois ou les règlements, comme le code de l’électricité de la CSA.

(1)  La législation fédérale

[25]  En ce qui concerne la législation fédérale, les lois originales et presque tous les règlements originaux sont publiés par l’imprimeur de la Reine (Loi sur la publication des lois, L.R.C. 1985, ch. S-21, art. 10; Loi sur les textes réglementaires, L.R.C. 1985, ch. S-22, par. 10(1) et 11(1). (L’article 15 du Règlement sur les textes réglementaires, C.R.C., ch. 1509 exempte de publication certains règlements pour des motifs de sécurité nationale ou autres.) L’imprimeur de la Reine pour le Canada est un « haut fonctionnaire du ministère [des Travaux publics et des Services gouvernementaux] » et « exerce [ses] fonctions en matière d’imprimerie et d’édition », notamment celles qui […] « sont attribuées […] par le ministre [des Travaux publics et des Services gouvernementaux] », « sous l’autorité du ministre » (Loi sur le ministère des Travaux publics et des Services gouvernementaux, L.C. 1996, ch. C-12, art. 19). De même, le ministre fédéral de la Justice et procureur général tient et publie les lois et règlements codifiés (Loi sur la révision et la codification des textes législatifs, L.R.C. 1985, ch. S-20, art. 2 et 26 et par. 28(1)). Les lois révisées et leurs suppléments ont été imprimés et distribués conformément à la Loi sur les Lois révisées du Canada (1985), L.R.C. 1985, ch. 40 (3e suppl.), art. 8 et 15.

[26]  Les définitions pertinentes de la Loi sur les textes réglementaires excluent de la définition de « règlement » et de « texte réglementaire » les documents qui sont incorporés par renvoi à un règlement. À cet égard, le paragraphe 2(1) de la Loi sur les textes réglementaires définit un « règlement » comme un « texte réglementaire » :

a) soit pris dans l’exercice d’un pouvoir législatif conféré sous le régime d’une loi fédérale;

 

(a) made in the exercise of a legislative power conferred by or under an Act of Parliament, or

 

b) soit dont la violation est passible d’une pénalité, d’une amende ou d’une peine d’emprisonnement sous le régime d’une loi fédérale.

 

(b) for the contravention of which a penalty, fine or imprisonment is prescribed by or under an Act of Parliament,

 

Sont en outre visés par la présente définition les règlements, décrets, ordonnances, arrêtés ou règles régissant la pratique ou la procédure dans les instances engagées devant un organisme judiciaire ou quasi judiciaire constitué sous le régime d’une loi fédérale, de même que tout autre texte désigné comme règlement par une autre loi fédérale.

and includes a rule, order or regulation governing the practice or procedure in any proceedings before a judicial or quasi-judicial body established by or under an Act of Parliament, and any instrument described as a regulation in any other Act of Parliament;

[27]  Le paragraphe 2(1) de la Loi sur les textes réglementaires définit ainsi le « texte réglementaire » :

a) Règlement, décret, ordonnance, proclamation, arrêté, règle, règlement administratif, résolution, instruction ou directive, formulaire, tarif de droits, de frais ou d’honoraires, lettres patentes, commission, mandat ou autre texte pris :

 

(a) […] any rule, order, regulation, ordinance, direction, form, tariff of costs or fees, letters patent, commission, warrant, proclamation, by-law, resolution or other instrument issued, made or established

(i) soit dans l’exercice d’un pouvoir conféré sous le régime d’une loi fédérale, avec autorisation expresse de prise du texte et non par simple attribution à quiconque — personne ou organisme — de pouvoirs ou fonctions liés à une question qui fait l’objet du texte,

 

(i) in the execution of a power conferred by or under an Act of Parliament, by or under which that instrument is expressly authorized to be issued, made or established otherwise than by the conferring on any person or body of powers or functions in relation to a matter to which that instrument relates, or

 

(ii) soit par le gouverneur en conseil ou sous son autorité, mais non dans l’exercice d’un pouvoir conféré sous le régime d’une loi fédérale;

[Je souligne]

(ii) by or under the authority of the Governor in Council, otherwise than in the execution of a power conferred by or under an Act of Parliament,

[emphasis added]

[28]  Conformément à ce qui précède, un règlement doit être un texte réglementaire. Par conséquent, ce qui n’est pas un texte réglementaire ne peut être un règlement. Et pour être un texte réglementaire, le texte doit être pris dans l’exercice d’un pouvoir législatif conféré sous le régime d’une loi fédérale en vertu de laquelle le texte est expressément autorisé à être pris ou doit avoir été pris en vertu du pouvoir discrétionnaire du gouverneur en conseil.

[29]  On ne peut non plus en dire autant du code de l’électricité de la CSA. Il n’a pas été pris par le gouverneur en conseil ni en vertu de son pouvoir discrétionnaire. Il n’a pas été pris non plus dans l’exercice d’un pouvoir conféré au titre d’une loi fédérale en vertu de laquelle il a été expressément autorisé à être pris parce qu’il n’a pas été pris en vertu de la Loi sur le Conseil canadien des normes ou de toute autre loi. Le code de l’électricité de la CSA a plutôt été élaboré et publié par la CSA, une société privée. Le fait que le Conseil canadien des normes ait reconnu la norme électrique de la CSA à titre de norme nationale et que la CSA ait été accréditée par le Conseil canadien des normes ne fait pas du code de l’électricité de la CSA un texte réglementaire. Comme l’a souligné la Cour d’appel de la Colombie-Britannique dans R. c. Sims, 2000 BCCA 437, 148 C.C.C. 308 au paragraphe 32 :

[traductionL’Association canadienne de normalisation est un organisme non législatif à participation volontaire. En élaborant et en publiant des normes, l’Association n’exerce pas les pouvoirs conférés par une loi fédérale et, par conséquent, ses normes ne peuvent être considérées comme des « textes réglementaires » ou des « règlements » au sens de la Loi sur les textes réglementaires.

[30]  La Loi sur l’incorporation par renvoi dans les règlements, L.C. 2015, ch. 33, adoptée dernièrement, reconnaît que des normes comme le code de l’électricité de la CSA n’ont pas à être publiées conformément aux exigences de la Loi sur les textes réglementaires. Cette loi modifie la Loi sur les textes réglementaires qui consacre désormais un pouvoir exprès d’incorporation par renvoi dans les règlements :

18.1 (1) Sous réserve du paragraphe (2), le pouvoir de prendre un règlement comporte celui d’y incorporer par renvoi tout ou partie d’un document, soit dans sa version à une date donnée, soit avec ses modifications successives.

18.1 (1) Subject to subsection (2), the power to make a regulation includes the power to incorporate in it by reference a document — or a part of a document — as it exists on a particular date or as it is amended from time to time.

[31]  À la suite de ces modifications, le paragraphe 18.3(1) de la Loi sur les textes réglementaires prévoit que l’autorité appropriée, habituellement le ministre responsable de l’administration d’un règlement, veille à ce que la documentation incorporée par renvoi soit « accessible », quoique ce mot n’est toujours pas défini et ni interprété par la jurisprudence. L’article 18.4 dispose qu’il n’est pas nécessaire de publier dans la Gazette du Canada les documents incorporés par renvoi, ce qui reflète le fait que la possibilité de contourner les exigences officielles de la Loi sur les textes réglementaires en matière de publication constitue l’un des avantages de l’incorporation par renvoi.

[32]  Ainsi, selon de la loi fédérale, le code de l’électricité de la CSA n’est pas un règlement et n’a pas besoin d’être publié par le gouvernement fédéral, bien que l’autorité compétente doive s’assurer qu’il soit accessible.

[33]  Les appelants font référence au Décret sur la reproduction de la législation fédérale et des décisions des tribunaux de constitution fédérale, TR/97-5 (le Décret sur la reproduction de la législation fédérale et des décisions des tribunaux de constitution fédérale), qui permet la reproduction de textes législatifs et de décisions fédéraux, affirmant que le Décret sur la reproduction de la législation fédérale et des décisions des tribunaux de constitution fédérale autorise Knight Co. à reproduire et à vendre le code de l’électricité de la CSA. Je rejette cette thèse.

[34]  Selon le décret sur la reproduction de la législation fédérale et des décisions des tribunaux de constitution fédérale :

Toute personne peut, sans frais ni demande d’autorisation, reproduire les textes législatifs fédéraux, ainsi que leur codification, et les dispositifs et motifs des décisions des tribunaux judiciaires et administratifs de constitution fédérale, pourvu que soient prises les précautions voulues pour que les reproductions soient exactes et ne soient pas présentées comme version officielle.

Anyone may, without charge or request for permission, reproduce enactments and consolidations of enactments of the Government of Canada, and decisions and reasons for decisions of federally-constituted courts and administrative tribunals, provided due diligence is exercised in ensuring the accuracy of the materials reproduced and the reproduction is not represented as an official version.

[35]  Les mots « textes législatifs » ne sont pas définis dans le Décret sur la reproduction de la législation fédérale et des décisions des tribunaux de constitution fédérale; toutefois, à mon avis, ils doivent être interprétés comme englobant uniquement les lois adoptées par le législateur et les règlements pris par le gouverneur en conseil ou autrement en vertu d’un pouvoir législatif. Ces mots n’englobent pas les documents incorporés par renvoi dans un règlement qui n’ont pas à être publiés de la manière prévue par la Loi sur les textes réglementaires.

[36]  La Loi d’interprétation fédérale, L.R.C. 1985, ch. I-21, par. 2(1) définit le mot « texte » comme « tout ou partie d’une loi ou d’un règlement » et le mot « règlement » comme notamment :

Règlement proprement dit, décret, ordonnance, proclamation, arrêté, règle judiciaire ou autre, règlement administratif, formulaire, tarif de droits, de frais ou d’honoraires, lettres patentes, commission, mandat, résolution ou autre acte pris :

 

an order, regulation, rule, rule of court, form, tariff of costs or fees, letters patent, commission, warrant, proclamation, by-law, resolution or other instrument issued, made or established

a) soit dans l’exercice d’un pouvoir conféré sous le régime d’une loi fédérale;

(a) in the execution of a power conferred by or under the authority of an Act, or

 

b) soit par le gouverneur en conseil ou sous son autorité.

(b) by or under the authority of the Governor in Council;

[37]  Bien que les définitions du paragraphe 2(1) de la Loi d’interprétation jouent aux fins de la Loi d’interprétation elle-même, l’alinéa 15(2)b) de la Loi d’interprétation dispose :

Les dispositions définitoires ou interprétatives d’un texte :

Where an enactment contains an interpretation section or provision, it shall be read and construed

[…]

[…]

b) s’appliquent, sauf indication contraire, aux autres textes portant sur un domaine identique.

(b) as being applicable to all other enactments relating to the same subject-matter unless a contrary intention appears.

[38]  La Loi d’interprétation et le Décret sur la reproduction de la législation fédérale et des décisions des tribunaux de constitution fédérale portent sur la même matière, à savoir les textes législatifs fédéraux. Comme on peut le déduire de l’arrêt R. c. Hay, 2010 CSC 54, [2010] 3 R.C.S. 206 au paragraphe 4 et de l’arrêt British Columbia Ferry Corp. c. M.R.N., 2001 CAF 146, [2001] 4 C.F. 3 au paragraphe 13, pour que la règle de l’alinéa 15(2)b) de la Loi d’interprétation s’applique, il n’est pas nécessaire que les textes législatifs se rapportent à une matière identique, pourvu qu’il y ait suffisamment de similitudes entre les matières. Cette similitude en présente en l’espèce. Par conséquent, la définition du « texte » dans la Loi d’interprétation doit être appliquée pour interpréter ce mot tel qu’il est utilisé dans le Décret sur la reproduction de la législation fédérale et des décisions des tribunaux de constitution fédérale.

[39]  Pour les mêmes raisons énoncées ci-dessus au regard de la Loi sur les textes réglementaires, le code de l’électricité de la CSA n’est pas un règlement et, par conséquent, pas un texte au sens de la Loi d’interprétation et du Décret sur la reproduction de la législation fédérale et des décisions des tribunaux de constitution fédérale.

[40]  Cette interprétation est partagée par le gouvernement fédéral. Comme l’a fait remarquer l’intimée, Innovation, Sciences et Développement économique Canada a indiqué sur son site Web que le Décret sur la reproduction de la législation fédérale et des décisions des tribunaux de constitution fédérale « ne s'applique pas aux documents assujettis aux droits d'auteur de tiers et qui ont été inclus dans les lois et règlements du gouvernement du Canada ou dans les décisions des tribunaux de constitution fédérale ou y ont été ajoutés ou auxquels ces lois, règlements et décisions renvoient. » (https://www.ic.gc.ca/eic/site/icgc.nsf/fra/07415.html#p3.2)

(2)  La législation provinciale et territoriale

[41]  La plupart des provinces et des territoires ont retenu des solutions similaires quant à ces questions et exigent que l’imprimeur de la Reine (ou un fonctionnaire assimilé) publie les lois et règlements originaux et permette la publication des refontes (voir notamment : la loi britanno-colombienne intitulée Queen’s Printer Act (Loi sur l’imprimeur de la reine), R.S.B.C. 1996, c. 394, ss. 5,7; la loi britanno-colombienne intitulée Regulations Act (Loi sur les textes réglementaires), R.S.B.C. 1996, c. 402, s. 5(1); la loi albertaine intitulée Queen’s Printer Act (Loi sur l’imprimeur de la Reine), R.S.A. 2000, c. Q-2, s. 3; la loi albertaine intitulée Regulations Act (Loi sur les textes réglementaires), R.S.A. 2000, c. R-14, s. 3(1); la loi saskatchewanaise intitulée Queen’s Printer Act (Loi sur l’imprimeur de la Reine), R.S.S. 1978, c. Q-3, ss. 3, 4; la loi saskatchewanaise intitulée Regulations Act, 1995 (Loi de 1995 sur les textes réglementaires), S.S. 1995, c. R-16.2, s. 6(1); la loi manitobaine intitulée Loi sur les textes législatifs et réglementaires, C.P.L.M., ch. S207, art. 5, 16 et 23; la loi ontarienne intitulée Loi de 2006 sur la législation, L.O. 2006, chap. 21, annexe F, par. 15(1) et 25(1); la loi québécoise intitulée Loi sur le Centre de services partagés du Québec, R.L.R.Q., ch. C-8.1.1, art. 41; la loi québécoise intitulée Loi sur le recueil des lois et des règlements du Québec, R.L.R.Q., ch. R-2.2.0.0.2; la loi québécoise intitulée Loi sur les règlements, R.L.R.Q., ch. R-18.1, art. 15; la loi néo-brunswickoise intitulée Loi sur l’Imprimeur de la Reine, L.R.N.B. 2011, ch. 214, par. 3(2), 6(1) et 6(3); la loi néo-écossaise intitulée Communications and Information Act (Loi sur les communications et l’information), R.S.N.S. 1989, c. 79, ss. 6, 7(1); la loi néo-écossaise intitulée Regulations Act (Loi sur les textes réglementaires), R.S.N.S. 1989, c. 393, s. 4(1); la loi prince-édouardienne intitulée Queen’s Printer Act (Loi sur l’imprimeur de la Reine), R.S.P.E.I. 1988, c. Q-1, s. 4(1); la loi terre-neuvienne intitulée Statutes and Subordinate Legislation Act (Loi sur les textes législatifs et la législation subordonnée), R.S.N.L. 1990, c. S-27, ss. 7, 8(1), 11(1); la loi yukonnaise intitulée Loi sur les publications officielles, L.R.Y. 2002, ch. 180, art. 5; la loi yukonnaise intitulée Loi sur les règlements, L.R.Y. 2002, ch. 195, par. 3(1); la loi ténoise intitulée Loi sur les publications officielles, L.R.T.N.-O. 1988, ch. P-15, art. 2 et 3; la loi ténoise intitulée Loi sur les textes réglementaires, L.R.T.N.-O. 1988, ch. S-13, par. 9(1); la loi ténoise intitulée Loi sur les publications officielles, L.R.T.N.-O. (Nu.) 1988, ch. P-15, art. 2 et 3; la loi ténoise intitulée Loi sur les textes réglementaires, L.R.T.N.-O. 1988 (Nu.) 1988, ch. S-13, par. 1(1).

[42]  La plupart des provinces et des territoires exemptent également les normes incorporées par renvoi aux règlements des exigences habituelles de publication qui visent les règlements (voir notamment : la loi britanno-colombienne intitulée British Columbia Regulations Act (Loi de la Colombie-Britannique sur les textes réglementaires), s. 1 (définition de « règlement »); la loi albertaine intitulée Regulations Act (Loi sur les textes réglementaires), para. 1(2)(d) (définition de « règlement »); la loi saskatchewanaise intitulée Regulations Act, 1995 (Loi de 1995 sur les textes réglementaires), s. 2 (définition de « règlement »); la loi manitobaine intitulée Loi sur les textes législatifs et réglementaires, alinéa 8(2)(b); la loi ontarienne intitulée Loi de 2006 sur la législation, alinéa 62(4)(a) (par présomption); la loi québécoise intitulée Loi sur les règlements, par. 16(1); la loi néo-écossaise intitulée Regulations Act (Loi sur les textes réglementaires), para. 3(5)(c); la loi prince-édouardienne intitulée Queen’s Printer Act (Loi sur l’imprimeur de la Reine), para. 4(1)(a) (par présomption); la loi terre-neuvienne intitulée Statutes and Subordinate Legislation Act (Loi sur les textes législatifs et la législation subordonnée), para. 9(1)(e); la loi yukonnaise intitulée Loi sur règlements, art. 1 (définition de « règlement ») (par présomption); la loi ténoise intitulée Loi sur les textes réglementaires par. 9(3); la loi nunavoise intitulée Loi sur les textes réglementaires, par. 9(3).

[43]  Certains territoires et provinces autorisent également la reproduction de lois et de règlements (mais non de documents protégés par le droit d’auteur qui y sont incorporés par renvoi) d’une manière analogue à celle qui est prévue dans le Décret sur la reproduction de la législation fédérale et des décisions des tribunaux de constitution fédérale (voir notamment : Queen’s Printer Licence (Licence de l’imprimeur de la Reine) de Colombie-Britannique : (http://www.bclaws.ca/standards/2014/QP-License_1.0.html); Alberta : (http://www.qp.alberta.ca/copyright.cfm); Saskatchewan : (http://www.publications.gov.sk.ca/freelaw/index.cfm?fuseaction=content.display&id=78D82F52-0E92-4934-9C5521C6046079BF); Manitoba : (https://web2.gov.mb.ca/laws/index.fr.php); Ontario : (https://www.ontario.ca/fr/page/droits-dauteur-imprimeur-de-la-reine-pour-lontarioc#section-1); Québec : (http://www.droitauteur.gouv.qc.ca/copyright.php); Nouveau- Brunswick : (https://www2.gnb.ca/content/gnb/fr/ministeres/procureur_general/lois_et_reglements/content/avertissement_droitsdauteur.html); Île du Prince-Édouard : (https://www.princeedwardisland.ca/en/information/executive-council-office/website-disclaimer-and-copyright-policy); Nouvelle-Écosse : (https://nslegislature.ca/legal/copyright); Terre-Neuve et Labrador : (https://www.assembly.nl.ca/CopyrightPrivacyStatement.aspx); Yukon : Décret sur la reproduction de la législation du Yukon, décret 2000/52; Territoires du Nord-Ouest : (https://www.justice.gov.nt.ca/fr/legislation-des-tno/); Nunavut : (https://www.nunavutlegislation.ca/fr).

[44]  L’Alberta, Terre-Neuve-et-Labrador, l’Ontario et le Yukon exigent expressément que le code de l’électricité de la CSA, tel que modifié, soit mis à la disposition du public sous une forme ou une autre (voir notamment : la loi albertaine intitulée Safety Codes Act (Loi sur les codes de sécurité), R.S.A. 2000, c. S-1, s. 65(7); la loi terre-neuvienne intitulée Public Safety Act (Loi sur la sécurité publique), S.N.L. 1996, c. P-41.01, s. 34(4); le Code de sécurité relatif aux installations électriques de l’Ontario, art. 3; la Loi de 2006 sur la législation de l’Ontario, chap. 62(4); le Règlement de 1992 sur la protection contre les dangers de l’électricité du Yukon, décret 1992/017, art. 19.) Il ne semble pas y avoir d’exigence législative équivalente dans les autres provinces et territoires.

II.  La décision de la Cour fédérale

[45]  En gardant ces éléments à l’esprit, je passe maintenant à l’examen de la décision de la Cour fédérale. Dans ses motifs, la Cour fédérale a conclu que le droit d’auteur subsiste relativement à la version 2015 du code de l’électricité de la CSA, que la CSA est titulaire de ce droit d’auteur et que Knight Co. ne peut utilement plaider l’utilisation équitable ou la licence comme moyen de défense.

[46]  La Cour fédérale a entamé son analyse en examinant la question de savoir si le droit d’auteur subsistait quant à la version 2015 du code de l’électricité de la CSA. Elle a fait peu de cas du certificat d’enregistrement de la CSA comme preuve de prime abord, considérant comme suspect le fait que l’enregistrement de 2015 n’avait eu lieu que trois jours après l’introduction de la demande de la CSA. Toutefois, la Cour fédérale n’a pas mentionné la preuve selon laquelle la CSA avait également obtenu un enregistrement en 2012 relativement à la version précédente du code de l’électricité de la CSA.

[47]  Bien qu’elle n’ait pas retenu le certificat d’enregistrement, la Cour fédérale a conclu que la CSA pouvait invoquer les présomptions de validité et de propriété consacrées par l’alinéa 34.1(2)(a) de la Loi sur le droit d’auteur, lequel dispose que si le nom de l’auteur est indiqué dans l’œuvre de la manière habituelle, il est présumé que l’auteur est titulaire d’un droit d’auteur valide. En concluant ainsi, la Cour fédérale n’a pas discuté le fait que la CSA est une personne morale et que les contributions au code de l’électricité 2015de la CSA ont été faites par des membres individuels du comité, dont la majorité étaient des employés d’organisations autres que la CSA.

[48]  La Cour fédérale a ensuite rejeté l’argument des appelants selon lequel la CSA n’a pas fait preuve d’un talent et d’un jugement suffisants dans la compilation des œuvres de tiers et que le code ne présente pas une originalité suffisante pour justifier la protection du droit d’auteur, jugeant que le code de l’électricité de la CSA « implique, en fait, un important exercice de talent et de jugement » et concluant que la production du code a nécessité qu’on y consacre beaucoup de temps et de travail.

[49]  Ensuite, la Cour fédérale a rejeté la thèse des appelants portant que la Couronne était titulaire du droit d’auteur du fait que le Code était incorporé par renvoi dans les lois et règlements provinciaux et fédéraux et la thèse portant que la politique publique militait contre la protection de la loi par le droit d’auteur. En conclusion, la Cour fédérale a invoqué le fait que la CSA est indépendante du gouvernement et que le code de l’électricité de la CSA est une norme volontaire que les législateurs incorporent par renvoi dans la loi à leur discrétion. De plus, la Cour fédérale a fait référence aux déclarations susmentionnées du ministre de l’Industrie et a conclu qu’il n’existait aucune preuve portant que la Couronne fédérale ou toute autre Couronne provinciale réclamait le droit d’auteur quant au code de l’électricité de la CSA. En guise de conclusion, la Cour fédérale a observé :

[…] à la lumière du fait que la CSA a consacré des efforts et des dépenses considérables pour produire et publier son code, il serait contraire à une interprétation téléologique de la Loi sur le droit d’auteur de priver la CSA de ses droits quant à la version 2015 du code de la CSA simplement parce que certaines provinces ont intégré ce code dans la loi.

(Motifs au paragraphe 40)

[50]  Ayant conclu que le droit d’auteur subsiste en ce qui concerne le code 2015, la Cour fédérale a ensuite recherché si la CSA était titulaire de ce droit d’auteur. Vu que la CSA est une société, les appelants ont soutenu que la CSA ne pouvait être titulaire du droit d’auteur que dans la mesure où elle avait obtenu des cessions valides des auteurs. Les appelants ont invité la Cour fédérale à tirer une inférence défavorable du fait que la seule preuve de cession présentée par la CSA était une déclaration générale dans l’affidavit déposé par un représentant de la CSA. La Cour fédérale a refusé de tirer cette inférence, faisant remarquer que la CSA avait obtenu des cessions du droit d’auteur des auteurs qui ont contribué aux améliorations apportées aux éditions de 2012 et de 2015, éléments de preuve qui ont été communiqués aux appelants au cours de l’interrogatoire préalable dans l’action en instance devant la Cour fédérale. La Cour fédérale a donc retenu la thèse de la CSA portant que les appelants n’avaient produit nul élément de preuve crédible pour contester la propriété de la CSA.

[51]  La Cour fédérale s’est ensuite penchée sur la question de savoir si les appelants disposaient d’un moyen de défense valable. Elle a d’abord examiné la question de savoir si les appelants étaient titulaires d’une licence leur permettant de reproduire la version 2015 du code de l’électricité de la CSA et a rejeté la thèse des appelants voulant que la correspondance entre les parties dans les années soixante constitue une licence perpétuelle valide de reproduire le code de la CSA, concluant que les lettres (i) étaient adressées à Peter Knight, qui n’était pas une partie; (ii) ne visaient pas à conférer à Peter Knight le droit de céder son autorisation aux appelants; (iii) concernaient un livret maison rédigé en 1969 et non la copie du code réalisée en 2015; (iv) donnaient, dans le meilleur des cas, la permission de citer des passages du code de la CSA de 1969, et non de copier l’intégralité de la version 2015 du code de la CSA en la faisant passer pour son œuvre; (v) les lettres de 1969 ne pouvaient être assimilées à une licence perpétuelle non révocable en raison du fait que la CSA a envoyé un avis de résiliation exprès en 2007 et 2011.

[52]  La Cour fédérale a ensuite recherché si les appelants pouvaient se prévaloir de l’utilisation équitable à titre de moyen de défense et a conclu que l’exception ne pouvait pas jouer parce que « [l]orsque l’intégralité d’une œuvre est copiée, l’utilisation ne peut pas être équitable » (motifs, au paragraphe 59). La Cour fédérale a également conclu que la thèse portant que la version du code de l’électricité de la CSA de Knight Co. servait des fins pédagogiques n’était pas fondée, puisqu’il s’agissait d’un acte commercial concurrentiel des appelants visant à faire concurrence à la version 2015 du code de l’électricité de la CSA. Elle a donc conclu que Knight Co. avait contrefait le droit d’auteur de la CSA et accordé les mesures exposées ci-dessus.

III.  Les questions en litige dans les présents appels

[53]  Après avoir exposé les grandes lignes de l’affaire, j’exposerai maintenant en détail les divers arguments présentés par les parties dans les présents appels.

[54]  Les appelants soutiennent d’abord que la Cour fédérale a commis une erreur en concluant que le code de l’électricité de la CSA peut faire l’objet d’un droit d’auteur. Parce qu’il est incorporé dans diverses lois et divers règlements, les appelants affirment que le code de l’électricité de la CSA est une loi et, s’appuyant principalement sur la jurisprudence américaine, soutiennent que les lois ne peuvent faire l’objet d’un droit d’auteur. Les appelants invoquent également des raisons d’intérêt public selon lesquelles la CSA ne peut être titulaire du droit d’auteur quant au code de l’électricité de la CSA, faisant valoir que la primauté du droit exige que le code soit accessible à tous les Canadiens. Dans la même veine, les appelants font valoir, à titre subsidiaire, que si le code de l’électricité de la CSA fait l’objet d’un droit d’auteur, celui-ci appartient à la Couronne, en vertu de la prérogative de la Couronne exercée hors du cadre de la Loi sur le droit d’auteur ou en vertu de l’article 12 de la Loi sur le droit d’auteur, qui dispose :

Sous réserve de tous les droits ou privilèges de la Couronne, le droit d’auteur sur les œuvres préparées ou publiées par l’entremise, sous la direction ou la surveillance de Sa Majesté ou d’un ministère du gouvernement, appartient, sauf stipulation conclue avec l’auteur, à Sa Majesté et, dans ce cas, il subsiste jusqu’à la fin de la cinquantième année suivant celle de la première publication de l’œuvre.

Without prejudice to any rights or privileges of the Crown, where any work is, or has been, prepared or published by or under the direction or control of Her Majesty or any government department, the copyright in the work shall, subject to any agreement with the author, belong to Her Majesty and in that case shall continue for the remainder of the calendar year of the first publication of the work and for a period of fifty years following the end of that calendar year.

[55]  Les appelants affirment ensuite que ce droit d’auteur ne saurait subsister quant au code de l’électricité 2015 de la CSA, car l’originalité nécessaire pour justifier le droit d’auteur fait défaut au code, qui est un produit né d’une collaboration, créé par la voie d’un processus consensuel relevant davantage d’un comité législatif que du fait d’un seul auteur et qui constitue, en tant que loi, [traduction] « une question de fait et de preuve devant être déterminée par le juge ». Dès lors, le code ne peut faire l’objet d’un droit d’auteur car un droit d’auteur ne peut s’appliquer à des faits (exposé des faits et du droit des appelants aux paragraphes 98 à 103).

[56]  En réponse à ces arguments, la CSA soutient que les appelants n’ont pas soulevé ces arguments dans leur avis d’appel et qu’ils ne peuvent donc plus les défendre. Subsidiairement, la CSA soutient que la jurisprudence américaine sur laquelle s’appuient les appelants ne fait pas autorité au Canada, que le droit d’auteur au Canada est une création de la loi et que, aux termes de l’article 5 de la Loi sur le droit d’auteur, le code de l’électricité de la CSA peut faire l’objet d’un droit d’auteur. La CSA affirme également que la prérogative de la Couronne ne s’étend pas au code de la CSA, ce qui fait ressortir la position du ministre fédéral de l’Industrie. En ce qui concerne l’article 12 de la Loi sur le droit d’auteur, la CSA soutient que le code de l’électricité de la CSA n’a pas été préparé sous la direction ou la surveillance de la Couronne et que, par conséquent, cet article ne saurait jouer.

[57]  Les appelants soutiennent ensuite, à titre subsidiaire, qu’advenant le cas où le code de l’électricité de la CSA ferait l’objet d’un droit d’auteur et que ce droit d’auteur n’appartienne pas à la Couronne, la Cour fédérale a commis une erreur en concluant que la CSA pouvait invoquer l’alinéa 34.1(2)(a) de la Loi sur le droit d’auteur car la présomption qui y est consacrée ne peut viser une société commerciale. Ils affirment également qu’en l’absence de présomption, il incombait à la CSA d’établir qu’elle était titulaire du droit d’auteur, ce qu’elle n’a pas fait et ne pouvait pas faire en l’absence de production des cessions des personnes qui ont élaboré le code de l’électricité de la CSA. Vu que les auteurs du code 2015 étaient des employés du gouvernement et de sociétés privées, dont les contributions ont été apportées dans le cadre de leur emploi, les appelants soutiennent qu’incombait à la CSA le fardeau de prouver que les auteurs étaient en mesure de céder leur droit d’auteur étant donné que leurs employeurs étaient toujours intéressés par le droit d’auteur. En omettant d’inclure en preuve les cessions écrites de droits d’auteur, les appelants prétendent que la CSA ne s’est pas acquittée de son fardeau.

[58]  La CSA, pour sa part, affirme que la Cour fédérale n’a commis aucune erreur susceptible d’intervention en concluant que la CSA a établi la cession du droit d’auteur quant à la version 2015 du code de l’électricité de la CSA à la lumière du témoignage par affidavit non contesté de M. Morton, qui a déposé que les membres de la CSA et d’autres contributeurs à l’origine du code de l’électricité 2015 de la CSA ont cédé leurs droits relatifs au droit d’auteur à la CSA. Elle affirme également que la Cour fédérale aurait dû se fonder sur le certificat d’enregistrement produit par la CSA relativement à la version 2015 du code de l’électricité de la CSA, à la lumière particulièrement de la preuve dont il ressort qu’elle a suivi l’enregistrement antérieur de la version 2012 du code, enregistrée bien avant l’introduction de la demande.

[59]  Les appelants soutiennent ensuite, toujours à titre subsidiaire, que la Cour fédérale a commis une erreur dans la manière dont elle a discuté le moyen de défense tiré de l’utilisation équitable et en concluant qu’il n’a pas été conféré à Peter Knight une licence perpétuelle exploitée pour le bénéfice de Knight Co., qui, selon eux, lui permet de distribuer sa copie identique de la version 2015 du code de l’électricité de la CSA.

[60]  Quant à la première thèse, les appelants soutiennent que la Cour fédérale a amalgamé de manière erronée des éléments distincts du critère d’utilisation équitable et que, contrairement à ce qu’a conclu la Cour fédérale, la reproduction intégrale d’une œuvre peut constituer une utilisation équitable et a en fait constitué une telle utilisation en l’espèce.

[61]  En ce qui concerne la licence accordée à Peter Knight, les appelants affirment que la Cour fédérale a commis une erreur en ne reconnaissant pas qu’il s’agissait d’une licence perpétuelle, qui ne pouvait être révoquée qu’en conformité avec ses modalités expresses, et nulle d’entre elles ne permettait la révocation. Les appelants affirment également qu’il ressort de la conduite de la CSA entre 1969 et 2012, notamment lors de sa tentative d’acquisition de Knight Co. en 2004, que la CSA a consenti à ce qu’ils diffusent le code et qu’elle a autorisé implicitement la cession des avantages de la licence de Peter Knight à Knight Co.

[62]  En guise de réponse, la CSA soutient que tous ces arguments portent sur des questions de fait ou des questions mélangées de fait et de droit et que les appelants ne peuvent soulever d’erreur susceptible d’intervention commise par la Cour fédérale à l’égard d’aucun de ces arguments à la lumière de plusieurs éléments, en particulier les [traduction] « actes commerciaux flagrants et concurrentiels » des appelants consistant à reproduire et chercher à vendre l’intégrale du code de l’électricité 2015 de la CSA et le fait que la licence accordée à Peter Knight dans les années soixante avait trait à l’ECS, une œuvre complètement différente et très abrégée (mémoire de fait et de droit de la CSA, aux par. 47, 90 et 92).

[63]  Enfin, les appelants attaquent l’adjudication des dépens par la Cour fédérale, soutenant que la CSA a omis de présenter des éléments de preuve susceptibles d’étayer le montant accordé. Dans sa réponse, la CSA affirme que notre jurisprudence Nova Chemicals Corporation c. Dow Chemical Company, 2017 CAF 25 (l’appel Nova Chemicals) enseigne que la preuve présentée était suffisante et que l’adjudication des dépens ne devrait donc pas être révisée en appel.

IV.  L’analyse

[64]  Je suis d’avis que nul des divers moyens soulevés par les appelants n’appelle l’intervention de notre Cour.

A.  La Cour fédérale a-t-elle commis une erreur en concluant que le droit d’auteur subsiste quant au code de l’électricité de la CSA?

[65]  Je me penche tout d’abord sur la question de savoir si la Cour fédérale a commis une erreur en concluant que le droit d’auteur subsiste quant au code de l’électricité de la CSA. Contrairement à ce que soutient la CSA, je suis d’avis que le principal moyen soulevé par les appelants concernant la subsistance du droit d’auteur fut suffisamment étoffé dans leur avis d’appel modifié et leur mémoire de fait et de droit pour que notre Cour l’examine. Dans leur avis d’appel modifié, les appelants ont soutenu, à titre de premier moyen d’appel, que la Cour fédérale a commis une erreur en concluant qu’ils avaient contrefait le droit d’auteur de la CSA quant au code de l’électricité de la CSA vu que le code est assimilé à la loi et que les citoyens ont droit au libre accès à la loi. Les appelants ont développé cet argument en long et en large dans leur mémoire de fait et de droit et ils y ont consacré beaucoup de temps devant la Cour fédérale. Par conséquent, la CSA n’est aucunement prise par surprise du fait que les appelants s’appuient sur cet argument et les arguments connexes concernant la prérogative de la Couronne et l’article 12 de la Loi sur le droit d’auteur. Il convient donc que la Cour examine ces arguments.

(1)  Est-il impossible pour le code de la CSA de faire l’objet d’un droit d’auteur en raison de son incorporation à la loi et à la réglementation?

[66]  Passons maintenant au fond de l’argument ayant trait à la non-subsistance de droit d’auteur quant au code de l’électricité de la CSA en raison de son incorporation par renvoi dans les lois ou les règlements : les appelants présentent trois arguments distincts et imbriqués, tous reposant sur la thèse que la loi ne doit pas faire l’objet d’un droit d’auteur.

[67]  Plus précisément, les appelants affirment d’abord que vu que le code de l’électricité de la CSA est incorporé à un certain nombre de règlements, il est assimilé à la loi. À l’appui de cette affirmation, ils citent l’arrêt Ontario c. St. Lawrence Cement Inc. (2002), 60 O.R. (3d) 712, 162 O.A.C. 363 (C.A.) au paragraphe 18 : il fut conclu que la Couronne n’a pas à faire la preuve officiellement des normes incorporées par renvoi dans les règlements. Les appelants citent également l’arrêt R. c. Sims, au par. 33 : il fut conclu que le texte d’une norme incorporée par renvoi à un règlement n’a pas à être publié avant que le règlement puisse être appliqué. Ils citent également sur l’arrêt Renvoi relatif aux droits linguistiques au Manitoba, [1992] 1 R.C.S. 212 à la page 230, 133 N.R. 88 (Renvoi relatif aux droits linguistiques au Manitoba) : la Cour suprême du Canada a alors conclu que les documents incorporés par renvoi à un texte législatif font partie intégrante du texte. En ce qui concerne les normes élaborées par un organisme normatif non gouvernemental, la Cour suprême a toutefois expliqué que, dans la plupart des cas, ces normes n’ont pas à être traduites dans un territoire de compétence comme le Manitoba où les lois doivent être bilingues étant donné qu’il existe une raison légitime de ne pas le faire, en raison de la nature technique et du volume desdites normes (pages 230 et 231).

[68]  Les appelants soutiennent en deuxième lieu que nul droit d’auteur ne subsiste quant à la loi et à l’appui de cette thèse, se fondent sur l’arrêt rendu par la Cour suprême américaine à l’occasion de l’affaire Banks c. Manchester, 128 U.S. 244 (1888) (il fut conclu que nul droit d’auteur ne subsiste quant aux opinions des juges), l’arrêt de la Cour d’appel américaine du cinquième circuit, siégeant en banc, rendu à l’occasion de l’affaire Veeck c. Southern Building Code Congress International Inc., 293 F. 3d 791 (5th Cir. 2002), (Veeck) (où il fut conclu que nul droit d’auteur ne subsiste quant aux codes du bâtiment élaborés par un organisme de normalisation indépendant et incorporés par renvoi dans la loi de plusieurs états américains) ainsi que l’arrêt de la Cour d’appel américaine du cinquième circuit rendu à l’occasion de l’affaire Building Officials & Code Adm. c. Code Technology, Inc., 628 F.2d 730 (1st Cir. 1980) (dont l’enseignement va dans le même sens). Après l’audition des présents appels, avec l’autorisation de notre Cour, les appelants ont présenté des observations supplémentaires concernant l’arrêt de la Cour d’appel américaine du onzième circuit à l’occasion de l’affaire Code Revision Commission c. Public Resource. Org Inc., No. 17-11589, slip. op. (11th Cir., October 19, 2018) (lequel décide qu’aucun droit d’auteur ne subsiste quant aux annotations sur le droit de la Géorgie préparées par un bureau appuyant l’Assemblée générale de la Géorgie).

[69]  Enfin, les appelants invoquent la politique publique à l’appui de leur position, affirmant que la primauté du droit exige qu’il n’y ait pas de droit d’auteur sur le code de l’électricité de la CSA parce que les citoyens ont le droit d’avoir libre accès à la loi.

[70]  Je retiens la thèse de la CSA portant que la jurisprudence américaine concernant l’absence de droits d’auteur quant à la loi n’est pas pertinente au Canada, compte tenu de la différence entre la législation sur le droit d’auteur des deux pays et des importantes différences historiques et constitutionnelles qui existent entre le Canada et les États-Unis. Comme l’a expliqué la Cour suprême du Canada dans l’arrêt Société canadienne des auteurs, compositeurs et éditeurs de musique c. Bell Canada, 2012 CSC 36, [2012] 2 R.C.S. 326 (SOCAN), elle a souvent « mis en garde contre l’importation automatique, dans l’arène canadienne, de la jurisprudence fondée sur la conception américaine du droit d’auteur, car nos lois respectives sont « fondamentalement différentes » » (au paragraphe 25).

[71]  Selon de la Copyright Act américaine, il ne peut y avoir de droit d’auteur quant aux lois ou règlements fédéraux, comme l’a fait remarquer la Cour d’appel américaine pour le cinquième circuit à l’occasion de l’affaire Veeck, à la p. 496. Plus particulièrement, aux termes de la Copyright Act, il n’existe pas de [traduction] « protection du droit d’auteur […] pour toute œuvre du gouvernement des États-Unis », qui est définie comme [traduction] « une œuvre élaborée par un dirigeant ou un employé du gouvernement des États-Unis dans l’exercice de ses fonctions officielles » (17 U.S. Code, paragraphes 101 et 105).

[72]  Il n’existe pas d’interdiction semblable au Canada. Aux termes de l’article 5 de notre Loi sur le droit d’auteur, le droit d’auteur subsiste « sur toute œuvre littéraire, dramatique, musicale ou artistique originale », sous réserve de certaines exigences en matière de résidence ou de citoyenneté qui n’ont rien à voir avec les présents appels. La Loi dispose en outre à l’article 2 que les mots « toute œuvre littéraire, dramatique, musicale ou artistique originale » s’entendent :

[…] de toute production originale du domaine littéraire, scientifique ou artistique quels qu’en soient le mode ou la forme d’expression, tels les compilations, livres, brochures et autres écrits, les conférences, les œuvres dramatiques ou dramatico-musicales, les œuvres musicales, les traductions, les illustrations, les croquis et les ouvrages plastiques relatifs à la géographie, à la topographie, à l’architecture ou aux sciences.

[73]  Ainsi, tant qu’il est original, tout écrit peut faire l’objet d’un droit d’auteur au Canada. Cela comprend les lois et les règlements.

[74]  L’article 12 de la Loi sur le droit d’auteur reconnaît effectivement que les lois et les règlements peuvent faire l’objet d’un droit d’auteur, et je cite :

Sous réserve de tous les droits ou privilèges de la Couronne, le droit d’auteur sur les œuvres préparées ou publiées par l’entremise, sous la direction ou la surveillance de Sa Majesté ou d’un ministère du gouvernement, appartient, sauf stipulation conclue avec l’auteur, à Sa Majesté et, dans ce cas, il subsiste jusqu’à la fin de la cinquantième année suivant celle de la première publication de l’œuvre.

Without prejudice to any rights or privileges of the Crown, where any work is, or has been, prepared or published by or under the direction or control of Her Majesty or any government department, the copyright in the work shall, subject to any agreement with the author, belong to Her Majesty and in that case shall continue for the remainder of the calendar year of the first publication of the work and for a period of fifty years following the end of that calendar year.

[75]  Les mots « droits ou privilèges de la Couronne » apparaissant à l’article 12 de la Loi sur le droit d’auteur préservent les « droits et privilèges de la Couronne de même nature générale que le droit d’auteur », comme notre Cour l’a conclu par l’arrêt Manitoba c. Canadian Copyright Licensing Agency (Access Copyright), 2013 CAF 91, [2014] 4 R.C.F. 3, au paragraphe 34; voir également Fox on Canadian Law of Copyright (La loi sur le droit d’auteur canadienne selon Fox), au chapitre 18:3(a). En préservant les droits et privilèges de la Couronne hors du cadre de la Loi sur le droit d’auteur et, en fait, de toute autre loi, cette disposition constitue une exception au principe général de l’article 89 de la Loi sur le droit d’auteur qui indique que :

Nul ne peut revendiquer un droit d’auteur autrement qu’en application de la présente loi ou de toute autre loi fédérale […].

No person is entitled to copyright otherwise than under and in accordance with this Act or any other Act of Parliament […].

[76]  Comme nous le verrons plus en détail ci-après, ces droits ou privilèges comprennent le droit de publier les lois, les décrets et les proclamations.

[77]  Avec le reste de l’article 12 de la Loi sur le droit d’auteur, la Couronne dispose d’un fondement supplémentaire pour la propriété du droit d’auteur sur les lois, les règlements et les textes semblables, qui sont tous publiés par Sa Majesté ou un ministère ou sous sa direction ou sa surveillance. Aux fins des présents appels, il n’est pas nécessaire de déterminer si ces documents sont également élaborés par Sa Majesté ou un ministère ou sous la direction ou la surveillance de ceux-ci.

[78]  Bien que la Loi sur le droit d’auteur ne définisse pas les mots « Sa Majesté », le paragraphe 35(1) de la Loi d’interprétation fédérale définit la « Couronne » comme synonyme de « Sa Majesté », qui, comme l’a expliqué la Cour suprême dans l’arrêt Alberta Government Telephones c. (Canada) Conseil de la radiodiffusion et des télécommunications canadiennes, [1989] 2 R.C.S. 225, à la page 274, 98 N.R. 161, « vise la Couronne du chef d'une province ainsi que la Couronne du chef du Canada » dans le contexte d’une utilisation semblable du terme dans une loi fédérale; voir également la décision Syndicat professionnel des ingénieurs d’Hydro-Québec c. Hydro-Québec, [1995] 3 C.F. 3, 184 N.R. 291 (C.A.); Peter W. Hogg, Patrick J. Monahan et Wade K. Wright, Liability of the Crown (La responsabilité de la Couronne), 4th Edition (Toronto: Carswell, 2011) aux pages 444 à 455. Compte tenu de cette définition des mots « Sa Majesté », il ne semble pas y avoir de raison de limiter aux seuls ministères fédéraux les mots « ministère du gouvernement » figurent à l’article 12 de la Loi sur le droit d’auteur.

[79]  L’alinéa 2.2(1)a) de la Loi sur le droit d’auteur dispose : « [p]our l’application de la présente loi, publication s’entend : (a) à l’égard d’une œuvre, de la mise à la disposition du public d’exemplaires de l’œuvre […] » [En italique dans l’original]. Le paragraphe 33(3) de la Loi d’interprétation prévoit que « [l] es termes de la même famille qu’un terme défini ont un sens correspondant. ». Vu que le mot « publier » constitue la forme verbale du substantif « publication », cela signifie, par conséquent, mettre la reproduction d’une œuvre à la disposition du public (Keatley Surveying Ltd. c. Teranet Inc., 2017 ONCA 748, au paragraphe 31, autorisation d’appel à la Cour suprême du Canada accordée, 37863 (21 juin 2018) (Keatley c. Teranet).

[80]  Comme il est expliqué plus haut, les lois et les règlements sont mis à la disposition du public sous la direction ou la surveillance des ministères fédéraux, provinciaux et territoriaux. Les lois et les règlements relèvent donc de l’article 12 de la Loi sur le droit d’auteur.

[81]  Il s’ensuit donc que la jurisprudence américaine que citent les appelants ne fait pas autorité au Canada, car la loi canadienne peut faire et fait bel et bien l’objet d’un droit d’auteur. Ainsi, si le code de l’électricité de la CSA est assimilable à la loi (une thèse que je ne retiens pas pour les raisons exposées ci-après), il pourrait néanmoins être assujetti au droit d’auteur au Canada.

[82]  Les arguments de politique publique avancés par les appelants n’appellent pas une conclusion différente pour plusieurs raisons.

[83]  En premier lieu, les appelants ne peuvent utilement invoquer ces arguments puisqu’ils cherchent à protéger leur intérêt commercial en vendant une copie de la version 2015 du code de l’électricité de la CSA. Par conséquent, le souci d’intérêt public qu’ils invoquent ne se pose pas en l’espèce, ce qui met en cause les intérêts divergents de deux parties qui cherchent à tirer des revenus de la vente de la version 2015 du code de l’électricité de la CSA.

[84]  En deuxième lieu, dans la mesure où il y a une préoccupation quant à l’accès des citoyens ordinaires à des parties du code de l’électricité de la CSA qu’ils pourraient devoir connaître pour exécuter les types d’entretien et d’installations électriques que la loi leur permet d’exécuter, les renseignements dont ils ont besoin ne correspondent pas à l’ensemble du code de l’électricité de la CSA faisant l’objet du contentieux dans les présents appels, mais plutôt uniquement les renseignements contenus dans l’ECS abrégé, qui fait l’objet d’une action en instance devant la Cour fédérale.

[85]  Les lois provinciales et territoriales ne permettent généralement aux propriétaires non munis de permis que d’effectuer une gamme limitée de travaux; quant aux propriétaires qui ne sont pas titulaires d’une licence, mais qui obtiennent un permis, ils peuvent effectuer une gamme plus large de travaux (voir notamment : le règlement britanno-colombien intitulé Electrical Safety Regulation (Règlement sur la sécurité en électricité), B.C. Reg. 100/2004, s. 2, para. 4(1)(d), ss. 17, 18; la loi saskatchewanaise intitulée Electrical Inspection Act, 1993, (Loi de 1993 sur les inspections électriques), S.S. 1993, c. E-6.3, s. 2(w); le règlement saskatchewanais intitulé Electrical Inspection Regulations (Règlement sur les inspections électriques), R.R.S., c. E-63, Reg. 1, s. 19(1); le code manitobain intitulé Manitoba Electrical Code (Code de l’électricité du Manitoba), Man. Reg. 76/2018, Sched., ss. 3(2), 3(3); le règlement ontarien intitulé Licensing of Electrical Contractors and Master Electricians (Octroi de permis aux entrepreneurs-électriciens et aux maîtres-électriciens), O. Reg. 570/05, s. 2; le règlement néo-brunswickois intitulé Règlement général, règl. du N-B 84-165, art. 2 et 24; la loi néo-écossaise intitulée Electrical Installation and Inspection Act (Loi sur les installations et les inspections électriques), R.S.N.S 1989, c. 141, s. 3). Il semble donc que les citoyens ordinaires n’ont pas besoin d’avoir accès à l’ensemble du code de l’électricité de la CSA, mais seulement aux seules parties de celui-ci qui concernent les installations résidentielles, ce qui est en cause dans l’action en instance devant la Cour fédérale, mais pas dans les présents appels.

[86]  Troisièmement, quiconque faisant l’objet de poursuites pour violation d’une loi ou d’un règlement incorporant le code de l’électricité de la CSA pourrait possiblement invoquer le moyen de défense fondé, le cas échéant, sur l’inaccessibilité du code en raison de son coût d’achat.

[87]  Sur le plan fédéral, les personnes accusées d’infractions aux dispositions de la loi incorporée par renvoi dans la loi peuvent invoquer le moyen de défense prévu par la loi si ces dispositions sont inaccessibles. Selon l’article 18.6 de la Loi sur les textes réglementaires, n’est pas exposée à une pénalité la personne qui n’observe pas la disposition qui incorpore par renvoi un document inaccessible :

Aucune déclaration de culpabilité ni aucune sanction administrative ne peut découler d’une contravention faisant intervenir un document, indice, taux ou nombre — incorporé par renvoi dans un règlement — se rapportant au fait reproché, sauf si, au moment de ce fait, le document, l’indice, le taux ou le nombre était accessible en application de l’article 18.3 ou était autrement accessible à la personne en cause.

A person is not liable to be found guilty of an offence or subjected to an administrative sanction for any contravention in respect of which a document, index, rate or number — that is incorporated by reference in a regulation — is relevant unless, at the time of the alleged contravention, it was accessible as required by section 18.3 or it was otherwise accessible to that person.

[88]  De même, au Québec, le paragraphe 16(2) de la Loi sur les règlements consacre un moyen de défense semblable :

[…] une personne ne peut être condamnée pour une infraction commise à l’encontre d’un texte non publié à la Gazette officielle du Québec et auquel renvoie un règlement, à moins qu’il ne soit prouvé que ce texte a été autrement publié et que les personnes susceptibles d’être visées par celui-ci pouvaient en prendre connaissance avant la commission de l’infraction.

No person may be convicted of an offence under a text that has not been published in the Gazette officielle du Québec and that is referred to by a regulation unless it is proved that the text has been published otherwise and that the persons to whom the text may be applicable were in a position to acquaint themselves with it before the offence was committed.

[89]  Bien que, dans les autres provinces ou dans les territoires, la loi ne semble pas prévoir un moyen de défence équivalent, il pourrait bien exister un moyen de défense selon la common law. Dans ses motifs concurrents dans l’arrêt R. c. Jorgensen, [1995] 4 R.C.S. 55, 189 N.R. 1 (l’arrêt Jorgensen), le juge en chef Lamer a reconnu que bien que l’ignorance de la loi ne constitue pas un moyen de défense valable, « [u]n accusé est excusé lorsqu'il était impossible de connaître la règle de droit en vertu de laquelle il a été inculpé parce qu'elle n'avait pas été rendue publique. » (au par. 6). À l’occasion de l’affaire Corporation de l'école polytechnique c. Canada, 2004 CAF 127, 325 N.R. 64, notre Cour a retenu le raisonnement du juge en chef Lamer dans l’arrêt Jorgensen quant à cet argument et a expliqué que l’invocation de l’« erreur de droit invincible » constitue un moyen de défense valable lorsqu’« […] il est impossible d’éviter [de faire une erreur] parce qu'il est impossible pour la personne accusée [d’une infraction] de connaître la loi, soit parce que celle-ci n'a pas été promulguée, soit parce qu'elle n'a pas été publiée d'une manière satisfaisante qui permette la prise de connaissance de son existence et de son contenu » (au paragraphe 39); voir également Makhija c. Canada (Procureur général)2010 CAF 342, 414 N.R. 158, au paragraphe 6 dans le même sens. Ainsi, si l’intéressé est accusé de l’inobservation d’une loi ou d’un règlement qui incorpore par renvoi le code de l’électricité de la CSA et qu’il est en mesure d’établir qu’il était impossible d’en prendre connaissance, l’accusé disposera probablement d’un moyen de défense valable.

[90]  Enfin, dans la mesure où il est justifié que la Cour examine les questions d’intérêt public dans le cadre des présents appels, il me semble que, vu ces faits, la politique publique milite en faveur de la reconnaissance du droit d’auteur de la CSA quant au code de l’électricité de la CSA. Le processus de collaboration dans l’élaboration du code, qui est ensuite élargi par son incorporation par renvoi dans les lois et règlements fédéraux, provinciaux et territoriaux, est un exemple de fédéralisme coopératif à son meilleur (voir à titre général l’arrêt Renvoi relatif à la Loi sur les valeurs mobilières, 2011 CSC 66, [2011] 3 R.C.S. 837, aux paragraphes 132 et 133; l’arrêt Renvoi relatif à la réglementation pancanadienne des valeurs mobilières, 2018 CSC 48, aux paragraphes 16 à 19). Un élément important de ce processus est la capacité de la CSA de vendre ce code et d’utiliser les fonds ainsi générés pour aider à financer l’administration de cette norme et d’autres normes nationales (motifs de la Cour fédérale au paragraphe 42.) Entraver la capacité de la CSA de continuer à générer des revenus de cette façon pourrait avoir une incidence défavorable sur le maintien de l’existence de normes nationales communes dans les domaines où la cohérence est importante, comme c’est le cas en matière d’entretien et d’installation des installations électriques.

[91]  À l’occasion de l’affaire Renvoi relatif aux droits linguistiques au Manitoba, comme on l’a signalé, la Cour suprême a reconnu la nécessité d’un système de normes nationales souples en concluant que ces normes n’ont pas à être traduites lorsqu’elles sont incorporées dans des lois ou des règlements qui doivent, sur le plan constitutionnel, être bilingues (pages 229 à 231). De même, il y a un solide argument de politique publique à faire valoir en faveur de la position de l’intimée qui favorise également le maintien d’un système de normes nationales.

[92]  Par conséquent, l’argument principal avancé par les appelants, visant à expliquer pourquoi le droit d’auteur ne doit pas subsister quant au code de l’électricité de la CSA, ne tient pas.

(2)  Est-il impossible pour le code de la CSA de faire l’objet d’un droit d’auteur parce qu’il manque d’originalité et qu’il a été élaboré par un comité?

[93]  Pour ce qui est des moyens subsidiaires soulevés par les appelants puisés dans le manque d’originalité du code et son élaboration par un comité, la CSA signale correctement que ni l’un ni l’autre n’ont été soulevé par les appelants dans leur avis d’appel modifié, quand bien même celui-ci serait interprété très largement. Bien que cela dispose de ces moyens, je suis également d’avis que nul de ces moyens n’est valable.

[94]  En ce qui concerne le prétendu manque d’originalité, les appelants n’ont pas été en mesure de signaler d’erreur commise par la Cour fédérale dans son examen de cette question. Contrairement à ce que disent les appelants, la Cour fédérale n’a pas incorrectement interprété le critère d’originalité consacré par la Cour suprême du Canada à l’occasion de l’affaire CCH Canadienne Ltée c. Barreau du Haut-Canada, 2004 CSC 13, [2004] 1 R.C.S. 339 (CCH). La Cour suprême a conclu, au paragraphe 16, que pour qu’une œuvre soit originale au sens de la Loi sur le droit d’auteur, elle :

[…] doit être davantage qu’une copie d’une autre œuvre. Point n’est besoin toutefois qu’elle soit créative, c’est-à-dire novatrice ou unique. L’élément essentiel à la protection de l’expression d’une idée par le droit d’auteur est l’exercice du talent et du jugement. J’entends par talent le recours aux connaissances personnelles, à une aptitude acquise ou à une compétence issue de l’expérience pour produire l’œuvre. J’entends par jugement la faculté de discernement ou la capacité de se faire une opinion ou de procéder à une évaluation en comparant différentes options possibles pour produire l’œuvre. Cet exercice du talent et du jugement implique nécessairement un effort intellectuel. L’exercice du talent et du jugement que requiert la production de l’œuvre ne doit pas être négligeable au point de pouvoir être assimilé à une entreprise purement mécanique. Par exemple, tout talent ou jugement que pourrait requérir la seule modification de la police de caractères d’une œuvre pour en créer une « autre » serait trop négligeable pour justifier la protection que le droit d’auteur accorde à une œuvre « originale ».

[95]  Par cette conclusion, la Cour suprême a rejeté la notion selon laquelle le simple fait de consacrer des efforts, ou le critère dit de « l’effort », suffit à établir l’originalité requise en matière de droit d’auteur.

[96]  Les appelants soutiennent que la Cour fédérale a commis une erreur en fondant sa conclusion relative à l’originalité uniquement sur le fait que l’on a consacré du temps et des efforts pour produire la version 2015 du code de l’électricité de la CSA. Ils citent le paragraphe 33 des motifs de la Cour fédérale, dans lequel la Cour fédérale fait son constat quant au critère d’originalité et observé :

La preuve [du déposant de la CSA] est que des milliers d’heures ont été consacrées à la production de la dernière édition du code de la CSA. Cela constitue un important exercice de talent et de jugement.

[97]  Je conviens que le passage qui précède n’est pas aussi soigneusement formulé qu’il aurait pu l’être, mais je ne saurais dire que la Cour fédérale a commis une erreur en concluant que la version 2015 du code de l’électricité de la CSA possédait l’originalité requise pour faire l’objet d’un droit d’auteur. Bien que le simple fait que du temps et des efforts soient consacrés à la production d’une œuvre ne suffit pas à en faire une œuvre originale selon le critère consacré par l’arrêt CCH, la Cour fédérale était saisie d’éléments de preuve lui permettant d’établir l’originalité requise. Plus précisément, les parties ont déposé une copie intégrale du code de l’électricité 2015 de la CSA. Il ressort de l’examen du code, ainsi que des preuves concernant le temps et les efforts consacrés à la production des modifications incluses dans la version 2015 du code, que la production de cette version du code de l’électricité de la CSA a nécessité beaucoup plus qu’un minimum de compétence et de jugement. Compte tenu du contenu du code, il est incontestable qu’il a fallu faire preuve de compétence et de jugement, notamment pour déterminer quelles parties du code devaient être révisées, afin de les adapter aux pratiques et aux besoins actuels de l’industrie et de déterminer la façon appropriée selon laquelle les sections devaient être disposées. Ainsi, la Cour fédérale n’a pas commis d’erreur en concluant que la version 2015 du Code de la CSA répondait au critère d’originalité.

[98]  Les modifications au code 2015 de la CSA ont été élaborées par le comité, mais cela n’exclut pas non plus la protection de la version 2015 du Code par le droit d’auteur puisque la Loi sur le droit d’auteur étend le droit d’auteur aux compilations. Comme il a été signalé, l’article 5 de la Loi sur le droit d’auteur étend le droit d’auteur aux œuvres littéraires originales Ces œuvres sont définies comme suit à l’article 2 de ladite loi : « Y sont assimilés les tableaux, les programmes d’ordinateur et les compilations d’œuvres littéraires. ». L’article 2 de la Loi sur le droit d’auteur définit ainsi, dans sa partie pertinente, les compilations d’œuvres littéraires : « Les œuvres résultant du choix ou de l’arrangement de tout ou partie […] de données ». De plus, le paragraphe 2.1(2) de la Loi sur le droit d’auteur dispose :

L’incorporation d’une œuvre dans une compilation ne modifie pas la protection conférée par la présente loi à l’œuvre au titre du droit d’auteur ou des droits moraux.

The mere fact that a work is included in a compilation does not increase, decrease or otherwise affect the protection conferred by this Act in respect of the copyright in the work or the moral rights in respect of the work.

[99]  À la lumière de ce qui précède, les allégations des appelants au sujet de la nature coopérative de la version 2015 du code de l’électricité de la CSA sont sans fondement. Par conséquent, la Cour fédérale n’a pas commis d’erreur en concluant que le droit d’auteur subsiste quant à la version 2015 du code de l’électricité de la CSA.

B.  La Cour fédérale a-t-elle commis une erreur en concluant que la Couronne n’est pas titulaire du droit d’auteur quant au code de l’électricité de la CSA?

[100]  Je passe maintenant à la question de savoir si la Cour fédérale a commis une erreur en concluant que la Couronne n’est pas titulaire du droit d’auteur quant au code de l’électricité de la CSA. Comme il a déjà été signalé, au titre de l’article 12 de la Loi sur le droit d’auteur, le droit d’auteur de la Couronne peut être accordé soit par le truchement des droits ou privilèges de la Couronne hors du cadre de la Loi sur le droit d’auteur, protégés en vertu de l’article 12, soit « sur les œuvres préparées ou publiées par l’entremise, sous la direction ou la surveillance de Sa Majesté ou d’un ministère du gouvernement ».

(1)  Le code de l’électricité de la CSA n’est ni préparé ni publié par Sa Majesté ou un ministère ou sous la direction ou la surveillance de ceux-ci

[101]  Le deuxième fondement de la propriété par la Couronne du droit d’auteur en cause peut être écarté assez rapidement parce que la Cour fédérale n’a pas commis d’erreur en concluant à l’absence d’une telle surveillance ou direction relativement à la préparation et la publication du code de l’électricité de la CSA. Comme l’a indiqué la Cour fédérale, il n’existait aucun élément de preuve allant dans le sens d’une telle surveillance ou direction étant donné que la CSA est indépendante du gouvernement, aucune preuve d’une surveillance de fait exercée par un quelconque ordre de gouvernement à l’égard de la CSA ou du processus d’élaboration des normes de la CSA et aucun élément de preuve portant qu’une province ou un territoire autre que l’Ontario publie le code de l’électricité de la CSA ou exerce une surveillance sur celui-ci (et l’Ontario reconnaît le droit d’auteur de la CSA). De plus, aucun gouvernement ne revendique le droit d’auteur quant aux normes élaborées par la CSA. De même, la Cour fédérale n’a pas été saisie d’éléments de preuve portant qu’un degré quelconque de surveillance exercé par la Couronne ou tout autre ministère sur le Conseil canadien des normes.

[102]  Il n’est pas non plus possible de dégager cette surveillance ou cette direction à partir du cadre législatif.

[103]  La CSA est une société privée et le Conseil canadien des normes n’est ni une émanation de la Couronne ni un ministère. Les articles 16 et 17 de la Loi sur le Conseil canadien des normes, L.R.C. (1985), ch. S-16, prévoient que, sauf aux fins de la Loi sur la pension de la fonction publique, L.R.C. 1985, ch. P-36 et de de la Loi sur l’indemnisation des agents de l’État, L.R.C. 1985, ch. G-5, « [l]e Conseil n’est pas mandataire de Sa Majesté et […] ni les conseillers ni le personnel, y compris le directeur général, ne font partie de l’administration publique fédérale. »

[104]  À titre de société d’État non mandataire, le Conseil canadien des normes n’est pas l’équivalent de l’État et on ne peut considérer qu’il est assujetti à la direction ou la surveillance de l’État simplement parce qu’il s’agit d’une société d’État. Comme Hogg, Monahan et Wright l’observent à la p. 13, [traduction« […] les sociétés publiques, même si elles exercent des fonctions « gouvernementales », ne sont pas mandataires de la Couronne, à moins qu’elles ne soient sous la surveillance d’un ministre ou qu’elles ne soient expressément déclarées mandataires de la Couronne en vertu d’une loi. »

[105]  La décision récente de la Cour d’appel de l’Ontario rendu à l’occasion de l’affaire Keatley c. Teranet contient des indications utiles sur cette question. Dans cette affaire, la Cour a recherché si la Couronne du chef de l’Ontario possède des droits d’auteur aux termes de l’article 12 de la Loi sur le droit d’auteur dans les plans d’arpentage enregistrés au titre de la Loi de 2010 sur les services d'enregistrement immobilier électronique, L.O. 2010, ch. 1, annexe 6 (la LSEIÉ). Cette loi contient des détails sur la façon dont les plans, élaborés par les arpenteurs, doivent être préparés pour l’enregistrement et exige que l’exploitant du système d’enregistrement immobilier électronique produise les copies des plans d’arpentage enregistrés à quiconque en fait la demande, moyennant le paiement d’un droit. La Cour d’appel de l’Ontario a conclu que l’on ne pouvait considérer que les plans en question avaient été préparés sous la direction ou la surveillance de la Couronne, même s’ils revêtaient une forme envisagée par la LSEIÉ et étaient par la suite enregistrés en vertu de celle-ci (au par. 30). Toutefois, la Cour a conclu que le cadre législatif appuyait la conclusion selon laquelle les arpentages étaient publiés sous la surveillance de la Couronne. La Cour d’appel de l’Ontario a décrit ce système en ces termes au paragraphe 43 de ses motifs du jugement :

[traduction] […] Le cadre législatif, considéré dans son ensemble, va bien au-delà du simple fait d’autoriser la Couronne à imposer des conditions sur le contenu et la forme des documents à enregistrer ou à déposer, ou à copier les plans d’arpentage déposés ou enregistrés dans les SEIÉ. Les dispositions légales obligent la Couronne à conserver la possession et la garde de tous les plans d’arpentage enregistrés. La Couronne doit assurer l’accès à ces plans lorsqu’on lui en fait la demande. L’arpenteur ne peut apposer de marquage sur le plan pour faire valoir un droit d’auteur quelconque. L’arpenteur ne peut apporter de changement au plan une fois qu’il est enregistré ou déposé, sans l’autorisation de l’inspecteur des arpentages. L’inspecteur, par contre, peut apporter des changements même sans autorisation de l’arpenteur. Enfin, la Couronne est tenue par la loi de produire des copies certifiées sur demande.

[106]  La situation en l’espèce, en ce qui concerne la préparation du code de l’électricité de la CSA, ressemble à celle de l’affaire Keatley c. Teranet et l’on constate l’absence de direction ou de surveillance de la part de la Couronne ou d’un ministère. Comme l’a souligné le juge de première instance dans la décision Keatley Surveying c. Teranet, 2016 ONSC 1717 au par. 32, la LSEIÉ exigeait que les plans d’arpentage [traduction« soient conformes à certaines lignes directrices prescrites par la loi ». Malgré cela, il a été constaté que les plans n’avaient pas été préparés par Sa Majesté ou quelque autre ministère ou sous leur direction ou surveillance aux fins de l’article 12 de la Loi sur le droit d’auteur. En l’espèce, ni la Couronne ni aucun ministère n’établit de lignes directrices sur la forme que doit prendre le code de l’électricité de la CSA. Par conséquent, il y a encore moins de raisons en l’espèce que dans l’arrêt Keatley c. Teranet pour conclure que le code de l’électricité de la CSA a été préparé par Sa Majesté ou un ministère ou sous leur direction ou leur surveillance (voir également dans le même sens l’arrêt Copyright Agency Limited c. State of New South Wales, [2007] F.C.A.F.C. 80, 240 A.L.R. 249, aux paragraphes 121 à 126, renvoi pour d’autres motifs [2008] H.C.A. 35 et 248 A.L.R. 590).

[107]  Cependant, la situation en l’espèce, en ce qui concerne la publication, est tout à fait différente de celle dont il a été question dans l’arrêt Keatley c. Teranet. Contrairement à la situation dans l’arrêt Keatley c. Teranet, ni la Couronne ni aucun ministère ne possèdent les divers indices de surveillance qui existent aux termes de la LSEIÉ et la simple incorporation par renvoi n’exige pas la publication du code de la CSA. En outre, aucun élément de preuve portant que le code de la CSA est publié par une autre province ou un territoire autre que l’Ontario n’a été présenté à la Cour fédérale. Et l’Ontario reconnaît expressément le droit d’auteur de la CSA dans sa publication. Par conséquent, on ne peut considérer l’existence en l’espèce d’aucun des indices de surveillance constatés dans l’arrêt Keatley c. Teranet.

[108]  Je conclus donc que l’on ne peut considérer que le code de l’électricité de la CSA est publié par la Couronne ou un ministère ou sous la direction ou la surveillance de ceux-ci.

(2)  Le droit d’auteur quant au code de l’électricité de la CSA n’appartient pas à la Couronne en vertu de ses droits ou privilèges

[109]  Vu la conclusion qui précède, je suis appelé à examiner la question de la prérogative de la Couronne.

[110]  La Loi sur le droit d’auteur lie les sociétés d’État fédérales et provinciales par implication nécessaire, mais les mots introductifs de l’article 12 de la Loi sur le droit d’auteur préserve, hors du cadre de la Loi sur le droit d’auteur, les droits et privilèges des sociétés d’État fédérales et provinciales qui sont de même nature générale que le droit d’auteur (Manitoba c. Access Copyright aux paragraphes 34 et 47).

[111]  Dans une poursuite pour violation du droit d’auteur, le défendeur peut invoquer comme moyen de défense le fait que le demandeur n’est pas titulaire du droit d’auteur ou qu’il ne possède aucun intérêt à cet égard (voir la Loi sur le droit d’auteur, aux paragraphes 34(1), 35(1), 38(1) et 41.23(1) (tous faisant référence au « titulaire » du droit d’auteur et, au dernier paragraphe, à « quiconque possède un droit, un titre ou un intérêt acquis par cession ou concession consentie par écrit par le titulaire »).

[112]  Toutefois, les droits et privilèges uniques de la Couronne en ce qui concerne la nature du droit d’auteur ne sauraient constituer un moyen de défense ouvert à une partie autre que la Couronne elle-même parce que seule la Couronne peut faire valoir sa prérogative. Dans l’arrêt Canada (Premier ministre) c. Khadr, 2010 CSC 3, [2010] 1 R.C.S. 44 (Khadr), la Cour suprême a fait remarquer qu’« […] il revient à l’exécutif, et non aux tribunaux, de décider si et comment il exercera ses pouvoirs […] » (au paragraphe 36). Ni la Couronne fédérale ni aucune Couronne provinciale n’a fait valoir un droit ou un privilège sur le code de l’électricité de la CSA, et les appelants ne peuvent le faire en lieu et place de la Couronne. Ainsi, le moyen tiré de la prérogative de la Couronne doit être rejetée.

[113]  Cette seule conclusion tranche la question de la prérogative de la Couronne. Toutefois, s’il fallait examiner plus à fond cette question, je conclurais que, bien que la Couronne bénéfice d’un droit reconnu par la common law s’apparentant au droit d’auteur et qui lui permet d’imprimer et de publier certaines œuvres de nature législative, ce droit ne vise pas les œuvres incorporées par renvoi, notamment le code de l’électricité de la CSA.

(a)  Principes généraux

[114]  La Couronne a des droits et privilèges uniques reconnus par la common law. Il s’agit notamment des prérogatives de la Couronne, qui constituent une « source limitée de pouvoir administratif ne découlant pas de la législation » (Khadr, au paragraphe 34), ainsi que les immunités de la Couronne, qui modifient l’application du droit général à la Couronne (voir notamment, Canada (Procureur général) c. Thouin, 2017 CSC 46, [2017] 2 R.C.S. 184 aux paragraphes 16 et 23 (Thouin).

[115]  Les droits et privilèges de la Couronne reconnus par la common law ont été transmis du droit anglais au droit des diverses colonies qui ont par la suite constitué le Canada (McAteer c. Canada (Attorney General), 2014 ONCA 578 au paragraphe 51, 121 O.R. (3d) 1, autorisation d’appel à la Cour suprême du Canada refusée 36120 (26 février 2015) McAteer); J.E. Cote, The Reception of English Law (L’adoption du droit anglais) (1977) 15(1) Alberta L.R. 29, à la p. 61.

[116]  La Constitution préserve généralement les droits et privilèges de la Couronne reconnus par la common law. L’article 129 de la Loi constitutionnelle de 1867 (R-U), 30 & 31 Victoria, ch. 3, reproduite dans L.R.C. 1985, App. II, dispose :

[s]auf toute disposition contraire prescrite par [la Loi constitutionnelle de 1867], toutes les lois en force en Canada, dans la Nouvelle-Écosse ou le Nouveau-Brunswick, lors de l'union […] continueront d'exister dans les provinces d'Ontario, de Québec, de la Nouvelle-Écosse et du Nouveau-Brunswick respectivement comme si l'union n'avait pas eu lieu […] mais […] pourront, néanmoins […] être révoqués, abolis ou modifiés par le parlement du Canada, ou par la législature de la province respective, conformément à l'autorité du parlement ou de cette législature en vertu de [la Loi constitutionnelle de 1867]. [Je souligne]

Le mot « lois » fait référence non seulement aux lois antérieures à la Confédération, mais également à la common law et, par conséquent, l’article 129 préserve les droits et privilèges de la Couronne (McAteer au par. 51). C’est tout aussi vrai pour le Québec, puisque le droit public de cette province est fondé sur la common law (Henri Brun, Guy Tremblay et Eugénie Brouillet, Droit constitutionnel, 6e édition (Cowansville, QC, Éditions Yvon Blais, 2014) au par. I.71.

[117]  Bien que l’article 129 de la Loi constitutionnelle de 1867 ne s’applique directement qu’à l’Ontario, au Québec, au Nouveau-Brunswick et à la Nouvelle-Écosse, il s’applique aussi indirectement à la Colombie-Britannique, au Manitoba et à l’Île-du-Prince-Édouard. Vu la loi fédérale et les décrets impériaux par lesquels ces trois dernières provinces ont adhéré au Canada, les dispositions de la Constitution qui s’appliquaient à toutes les provinces existantes au moment de leur adhésion s’appliqueraient également à une nouvelle province (voir Loi de 1870 sur le Manitoba, 33 Victoria, ch. 3, art. 2, reproduite dans L.R.C. 1985, App. II; Conditions de l’adhésion de la Colombie-Britannique, condition 10, reproduite dans L.R.C. 1985, App. II; Conditions de l’adhésion de l’Île-du-Prince-Édouard, condition 15, reproduite dans L.R.C. 1985, App. II). Comme l’article 129 s’appliquait à toutes les provinces en 1867, lorsque ces trois provinces ont adhéré au Canada, l’article 129 s’appliquait également à celles-ci.

[118]  L’article 129 de la Loi constitutionnelle de 1867 ne s’applique pas à l’Alberta, à Terre-Neuve-et-Labrador et à la Saskatchewan. Vu les lois fédérales et impériales en vertu desquelles ces trois provinces ont adhéré au Canada, les dispositions de la Constitution qui s’appliquaient à toutes les provinces existantes au moment de leur adhésion s’appliqueraient également à une nouvelle province [traduction« sauf dans la mesure où elles ont été modifiées » par les lois elles-mêmes (Loi concernant l’Alberta, L.C. 1905, ch. 3, art. 3, reproduite dans L.R.C. 1985, App. II; Loi concernant la Saskatchewan, L.C. 1905, ch. 42, art. 3, reproduite dans L.R.C. 1985, App. II; Loi sur Terre-Neuve, 12-13 George VI, ch. 22 (R.-U.), annexe, condition 3, reproduite dans L.R.C. 1985, App. II.) Étant donné que la Loi concernant l’Alberta, la Loi concernant la Saskatchewan et les conditions de l’Union de Terre-neuve (ces dernières furent rendues exécutoires par l’article premier de la Loi sur Terre-Neuve et constituent l’annexe de la Loi) comportent une disposition qui visent le même objet que l’article 129 et dont le libellé est quasi-identique, l’article 129 ne s’applique pas (voir Loi concernant l’Alberta, au par. 16(1); Loi concernant la Saskatchewan, au par. 16(1); Loi sur Terre-Neuve, condition 18(1). Comme pour l’article 129, cependant, ces dispositions constitutionnelles ont pour effet de maintenir en vigueur la common law et, par extension, les droits et privilèges existants de la Couronne en Alberta, en Saskatchewan et à Terre-Neuve-et-Labrador (voir notamment R. c. Whiskeyjack, 1984 ABCA 336, au paragraphe 25, 16 D.L.R. (4th) 231.

[119]  La common law, notamment en ce qui concerne les droits et privilèges de la Couronne, est également en vigueur dans les Territoires du Nord-Ouest, au Nunavut et au Yukon. Il n’y a pas de disposition expresse concernant l’application de la common law dans les versions actuelles de la Loi sur les Territoires du Nord-Ouest, édictée par la Loi sur le transfert de responsabilités aux Territoires du Nord-Ouest, L.C. 2014, ch. 2, art. 2, et de la Loi sur le Yukon, L.C. 2002, ch. 7. Les versions précédentes de ces lois, que les versions actuelles ont abrogées, prévoyaient expressément l’application des « règles de droit applicables en Angleterre […] en matière pénale et civile », sous réserve de leur abrogation ou de leur modification et de leur compatibilité avec les circonstances territoriales (voir Loi sur les Territoires du Nord-Ouest, L.R.C. 1985, ch. N-27, par. 22(1); Loi sur le Yukon, L.R.C. 1985, ch. Y-2, par. 23(1) (faisant référence aux « règles de droit applicables […] en matière pénale et civile […] en vigueur dans les territoires » lorsque le législateur a créé le Yukon en tant que territoire distinct en 1898)). Toutefois, la common law demeure dans ces territoires et elle est couramment appliquée par leurs tribunaux (R. c. Nehass, 2016 YKSC 63 au par. 29 (« La common law applicable en Angleterre en 1870 a été incorporée au Yukon en vertu de la Loi sur les Territoires du Nord-Ouest [L.C. 1886, ch. 25] »). Pour sa part, le paragraphe 29(4) de la Loi sur le Nunavut L.C. 1993, ch. 28 prévoit expressément l’application de la common law :

[l]es règles de droit […] en vigueur dans les Territoires du Nord-Ouest [le 1er avril 1999] […] [sauf les lois édictées par la législature des Territoires du Nord-Ouest dont l’application découle du paragraphe 29(1)] […] continuent de s’appliquer au Nunavut, dans la mesure où elles peuvent s’y appliquer et ne sont pas par la suite abrogées, modifiées ou rendues inopérantes pour celui-ci. [Je souligne]

[t]he laws in force or having effect in the Northwest Territories on [April 1, 1999] […] [other than laws enacted by the Northwest Territories legislature whose application is provided for in subsection 29(1)] […] continue to be in force or have effect in Nunavut to the extent that they can apply in Nunavut and in so far as they are not after that time repealed, amended, altered or rendered inoperable in respect of Nunavut. [emphasis added]

[120]  La Couronne du chef des droits et privilèges du Canada fait également partie de la common law fédérale. Bien qu’il soit exact que la Cour suprême du Canada enseigne que, de manière générale, il n’y a pas de common law fédérale, elle a néanmoins reconnu qu’il existe des catégories spécifiques de droit public encadrées par une common law fédérale, notamment en matière de titre ancestral (Roberts c. Canada, [1989] 1 R.C.S. 322, à la p. 340, 92 N.R. 241; arrêt R. c. Côté, [1996] 3 R.C.S. 139, au par. 49, 202 N.R. 161). La common law concernant la Couronne fédérale constitue une autre catégorie de common law fédérale, comme l’enseigne implicitement la doctrine de notre Cour professée par l’arrêt Première Nation des Hupacasath c. Canada (Affaires étrangères et Commerce international Canada), 2015 CAF 4 au par. 58, 379 D.L.R. (4th) 737, à savoir que la compétence des Cours fédérales s’étend « au contrôle des exercices d'une compétence ou de pouvoirs fondés uniquement sur la prérogative de la Couronne fédérale ».

[121]  Par conséquent, les droits et privilèges historiques de la Couronne sont toujours généralement d’actualité au Canada et, de façon globale, ont la même portée qu’en Angleterre (The Queen c. The Bank of Nova Scotia (1885), 11 R.C.S. 1, à la p. 18; Liquidators of the Maritime Bank c. The Queen (1888), 17 R.C.S. 657, à la p. 661, confirmé [1892] A.C. 437 (C.P.)). Dans la décision Operation Dismantle Inc. c. La Reine, [1983] 1 C.F. 745 (C.A.), à la p. 780, 49 N.R. 363 (C.A.), confirmée [1985] 1 R.C.S. 441, 59 N.R. 1, avec motifs dissidents du juge Marceau, mais pas sur cette question, où il a conclu que [traduction« la prérogative royale […] est toujours en vigueur au Canada au même titre qu’en Angleterre, et [la Loi constitutionnelle de 1867] n’en a pas amoindri ni n’en a d’aucune façon affecté le contenu et la portée ».

[122]  Il existe deux exceptions à cette règle. Tout d’abord, certains droits et privilèges de la Couronne ont été constitutionnalisés. Comme la Cour fédérale (par le juge Rennie (tel était alors son titre)) l’a précisé à l’occasion de l’affaire Galati c. Canada (Gouverneur général), 2015 CF 91, [2015] 4 A.C.F. 3, en observant notamment que « [l]a source du pouvoir d’octroyer ou de refuser la sanction [royale] réside dans la prérogative royale, mais ce pouvoir est maintenant ancré à l’article 55 de la Loi constitutionnelle de 1867 » (au par. 56). Il en ressort que, contrairement à un droit ou à un privilège de common law, un droit ou un privilège constitutionnel ne peut être aboli ou limité en l’absence d’une modification constitutionnelle (voir notamment Renvoi: Droits linguistiques au Manitoba, [1985] 1 R.C.S. 721, à la page 777, 59 N.R. 321 (l’exigence de la sanction royale aux articles 55 et 90 de la Loi constitutionnelle de 1867 ne peut être annulée sans une modification proclamée conformément à l’alinéa 41a) de la Loi constitutionnelle de 1982, annexe B de la Loi de 1982 sur le Canada (R.-U.), ch. 11). Deuxièmement, les droits et privilèges de la Couronne qui n’ont pas acquis un caractère constitutionnel peuvent avoir été abolis ou limités par une loi subséquente.

[123]  Les droits et privilèges de la Couronne peuvent être exercés par la Couronne fédérale à l’égard de questions qui relèvent de la compétence du législateur fédéral et par chaque Couronne provinciale à l’égard de questions qui relèvent de la compétence de leur assemblée législative provinciale (Bonanza Creek Gold Mining Co. c. The King, [1916] A.C. 566, à la p. 580, 26 D.L.R. 273 (C.P.) (Bonanza Creek); La Reine, du chef du Canada c. La Reine, du chef de la province de l’Île-du-Prince-Édouard, [1978] 1 C.F. 53. à la p. 549, 83 D.L.R. (3d) 492 (C.A.).

[124]  En vertu de leur compétence respective, le législateur fédéral et les législatures provinciales peuvent abolir ou limiter tout droit ou privilège de la Couronne en adoptant une loi en ce sens de façon expresse ou par implication nécessaire (voir notamment la Loi d’interprétation fédérale, à l’art. 17; voir également Conseil de la bande dénée de Ross River c. Canada, 2002 CSC 54, [2002] 2 R.C.S. 816, au par. 54 (Ross River) (exposant la façon dont la prérogative de la Couronne peut être restreinte ou abolie); Thouin aux par. 19 à 21 (examen des principes applicables à la levée de l’immunité de la Couronne)).

[125]  La situation est différente dans les territoires. Étant donné que le législateur fédéral a le pouvoir de légiférer sur les territoires en vertu de l’article 4 de la Loi constitutionnelle de 1871, 34-35 Vict., ch. 28 (R.-U.), reproduite dans L.R.C. 1985, App. II (voir Reference re of the Alberta Act, [1927] R.C.S. 364, aux pages 371 et 372, [1927] 2 D.L.R. 993; Conseil canadien des relations du travail c. La ville de Yellowknife, [1977] 2 R.C.S. 729, à la p. 731, 14 N.R. 72), il s’ensuit que selon la jurisprudence Bonanza Creek, la Couronne fédérale peut exercer tous les droits et privilèges existants de la Couronne relativement aux territoires (Hogg, Monahan & Wright, à la p. 16). Comme notre Cour l’explique de manière succincte par l’arrêt Commissaire des Territoires du Nord-Ouest c. la Reine, 2001 CAF 220, au par. 39, 274 N.R. 1, « Sa Majesté la Reine, dans les Territoires, est Sa Majesté la Reine du chef du Canada. ».

[126]  Les juridictions judiciaires déterminent l’existence et l’étendue des droits et privilèges de la Couronne (Black c. Canada (Prime Minister) (2001), 199 D.L.R. (4th) 228 au par. 26, 54 O.R. (3d) 215 (C.A.); Khadr au par. 36). Elles ne peuvent toutefois pas élargir les droits ou privilèges actuels de la Couronne ni en reconnaître de nouveaux (Hogg, Monahan et Wright aux pages 20 et 21).

(b)  Droits et privilèges de la Couronne quant à la nature du droit d’auteur

[127]  En gardant ces principes généraux à l’esprit, je passe maintenant aux droits et privilèges particuliers de la Couronne quant à la nature du droit d’auteur.

[128]  En Angleterre, en matière de common law, la Couronne avait le droit d’imprimer et de publier certaines œuvres, notamment les lois du Parlement, les décrets et les proclamations (Basket c. University of Cambridge (1758), 1 Black W. 106, 96 E.R. 59, aux pages 65 et 66 (K.B.); Baskett c. Cunningham (1762), 1 Black W. 371, 96 E.R. 208 (Ch.); Millar c. Taylor (1769), 4 Burr. 2303, 98 E.R. 201, à la page 215 (K.B.). (Au Royaume-Uni, le droit d’imprimer et de publier des lois a depuis été inscrit par la loi, dans la Copyright, Designs and Patents Act 1988 (Loi de 1988 sur le droit d'auteur, les dessins et modèles et les brevets du Royaume-Uni) (U.K.), c. 48, s. 164.)

[129]  Il existe deux écoles traditionnelles quant aux origines du droit de la Couronne d’imprimer et de publier. La première veut que, puisque la préparation de ces œuvres est financée par la Couronne (bien qu’elle s’appuie sur des crédits parlementaires), tout comme leur impression et leur publication, la Couronne acquiert une sorte de droit de propriété sur les œuvres de la nature d’un droit d’auteur (Harold G. Fox, « Copyright in Relation to the Crown and Universities with Special Reference to Canada » (Le droit d’auteur touchant la Couronne et les établissements d’enseignement universitaires, dans le contexte particulier du Canada) (1947) 7 U. Toronto L.J. 98, aux pages 112 à 115; Paul von Nessen, « Law Reporting: Another Case for Deregulation » (Les recueils de jurisprudence : un autre argument plaidant en faveur de la dérèglementation) (1985), 48 Mod. L. Rev. 412, aux pages 414 à 417.) Selon la deuxième école, la Couronne est, comme l’a observé la Cour suprême à l’occasion de l’affaire Clyde River (Hameau) c. Petroleum Geo Services Inc., 2017 CSC 40, [2017] 1 R.C.S. 1069, au par. 28, « chef du pouvoir exécutif »; la Couronne a donc le devoir de veiller à ce que ces ouvrages soient reproduits et diffusés avec exactitude, ce qui, notamment, permet de se fier à ces ouvrages à des fins officielles, notamment comme éléments de preuve dans des procédures judiciaires (Fox, aux pages 112 à 115; von Nessen, aux pages 414 à 417). Par conséquent, le droit de la Couronne d’imprimer et de publier ces ouvrages lui permet de s’acquitter de l’une de ses fonctions exécutives fondamentales.

[130]  Le droit de la Couronne d’imprimer et de publier a été intégré à la common law fédérale, provinciale et territoriale (voir R. c. Bellman, [1938] 3 D.L.R. 548, 13 M.P.R. 37 (N.B.C.A.) et préservé par l’article 129 de la Loi constitutionnelle de 1867 et ses équivalents.

[131]  Bien que la jurisprudence Bonanza Creek soit habituellement interprétée comme enseignant qu’un droit donné peut être exercé soit par la Couronne fédérale ou provinciale, il y a des droits qui visent tant les sociétés d’État fédérales que provinciales. Le droit d’imprimer et de publier constitue l’un de ces droits étant donné que le législateur fédéral et les législatures provinciales font des lois de la même façon que le faisait le Parlement britannique et que le gouverneur général en conseil et les lieutenants gouverneurs en conseil prennent des décrets et autorisent ou prennent des proclamations d’une manière sensiblement la même que le faisait le Conseil privé britannique. Il s’ensuit que les sociétés d’État fédérales et provinciales ont le droit d’imprimer et de publier respectivement les lois, les décrets et les proclamations fédéraux et provinciaux.

[132]  De plus, comme l’a expliqué la Cour suprême de la Nouvelle-Galles du Sud à l’occasion de l’affaire The Attorney-General for New South Wales c. Butterworth & Co. (Australia) Ltd. (1938), 38 S.R. (N.S.W.) 195 aux pages 247 à 253, cette vision est compatible avec les deux écoles traditionnelles relativement au droit de la Couronne d’imprimer et de publier. Les sociétés d’État fédérales et provinciales financent respectivement l’impression et la publication de toutes les lois, décrets et proclamations publiques, ce qui constitue le fondement d’un droit de propriété quelconque. De même, les employés de la Couronne fédéraux et provinciaux dirigent l’exécutif sur les plans fédéral et provincial et, à ce titre, ils ont respectivement l’intérêt et le devoir d’assurer la publication exacte de toutes les lois, de tous les décrets et de toutes les proclamations.

[133]  En vertu de la jurisprudence Bonanza Creek, vu que le législateur fédéral a pleine compétence législative en ce qui concerne les territoires, la Couronne fédérale a également le droit, selon la common law, d’imprimer et de publier les lois des assemblées législatives territoriales et les décrets et proclamations des commissaires territoriaux. En pratique, les gouvernements territoriaux exercent les droits de la Couronne fédérale sur leur territoire respectif.

[134]  Le législateur fédéral et les assemblées législatives provinciales et territoriales ont adopté des lois régissant l’impression et la publication des lois, des décrets et des proclamations, ainsi que d’autres actes. Nulle de ces lois n’abolit expressément le droit de la Couronne tiré de la common law ni, semble-t-il, par voie d’implication nécessaire. Il faut plutôt voir dans ces lois une réglementation de la manière dont la Couronne exerce son droit (voir notamment Ross River, aux paragraphes 58 à 61).

[135]  La Loi sur la publication des lois (fédérale), possiblement la plus restrictive parmi ces lois, est un bon exemple de la manière dont les lois peuvent réglementer étroitement le droit de la Couronne sans le déplacer complètement. Les articles 10 et 11 de cette loi précisent que toutes les lois du Parlement doivent être imprimées par l’imprimeur de la Reine, dans les deux langues officielles et sous une forme particulière, comme le précise avec forces détails le Règlement sur la publication des statuts, C.R.C., ch. 1367. Ces dispositions limitent la manière dont la Couronne fédérale doit exercer son droit d’imprimer et de publier des lois; elle ne peut, par exemple, choisir de publier certaines lois et pas d’autres. Mais la source du pouvoir d’impression et de publication de la Couronne demeure son droit conféré par la common law.

[136]  Il n’est pas nécessaire, aux fins des présents appels, d’expliquer plus en détail la portée exacte du droit que la common law confère à la Couronne en matière d’impression et de publication, notamment de savoir s’il englobe, comme c’est le cas en Angleterre, le droit d’imprimer et de publier les motifs des jugements ainsi que certaines œuvres liées à l’Église anglicane, notamment la version autorisée de la Bible. Il n’est pas non plus nécessaire de recenser les limites constitutionnelles, législatives et de common law auxquelles la Couronne peut être assujettie dans l’exercice de son droit d’imprimer et de publier. Il est préférable de trancher ces questions si elles sont soulevées dans une affaire future où le juge peut bénéficier d’observations à leur sujet.

(c)  La situation du code de l’électricité de la CSA

[137]  Sur le plan fédéral et dans toutes les provinces, le code de l’électricité de la CSA est incorporé par renvoi dans un règlement plutôt que dans une loi, un décret ou une proclamation. Bien que les règlements aient sans aucun doute certaines caractéristiques en commun avec les lois, les décrets et les proclamations, il s’agit d’un nouveau concept juridique qui n’existait pas lorsque le droit de la Couronne d’imprimer et de publier a été reconnu par la common law et il échappe donc à la portée du droit de la Couronne en common law. Comme l’a fait remarquer la Chambre des lords (selon lord Reid) à l’occasion de l’affaire Burmah Oil Company (Burma Trading) Ltd. c. Lord Advocate, [1965] A.C. 75, à la page 108, [1964] 2 W.L.R. 1231, [traduction] « la prérogative […] ne doit pas […] être vue comme plus large aujourd’hui qu’elle ne l’était il y a trois siècles ».

[138]  Même lorsque le droit tiré de la common law de la Couronne vise la réglementation et les territoires de compétence où le code de l’électricité de la CSA est incorporé par renvoi dans une loi, les appelants soutiennent que le droit tiré de la common law de la Couronne d’imprimer et de publier certaines œuvres vise toutes les œuvres ainsi incorporées, privant ainsi le titulaire du droit d’auteur du « droit exclusif » de reproduire l’œuvre et d’autoriser sa reproduction aux termes du paragraphe 3(1) de la Loi sur le droit d’auteur, constituerait un élargissement inadmissible du droit de la Couronne.

[139]  La jurisprudence britannique Universities of Oxford and Cambridge c. Eyre & Spottiswoode Ltd., [1964] Ch. 736, [1963] 3 W.L.R. 645 porte sur une question très semblable. Eyre & Spottiswoode a alors soutenu que le droit de la Couronne d’imprimer et de publier la version autorisée de la Bible, que la Couronne a autorisé l’éditeur à exercer pour son compte, a également permis à Eyre & Spottiswoode d’imprimer et de vendre une nouvelle traduction anglaise de la Bible assujettie au droit d’auteur des universités sans leur autorisation et sans qu’aucune redevance ne leur ait été versée en contrepartie. La Division de la chancellerie de la Haute cour a rejeté les arguments de l’éditeur et a conclu que [traduction] « [l]a prérogative [de la Couronne] [d’imprimer et de publier la version autorisée] ne […] vise pas le droit d’imprimer ou d’autoriser des tiers à imprimer des documents résultant en contrefaçon du droit d’auteur » (p. 752 (mentionné à la Div. de la ch.)).

[140]  Par conséquent, le droit de la Couronne d’imprimer et de publier reconnu par la common law ne permet pas à la Couronne (et encore moins à une personne dans la situation des appelants) de priver les personnes qui se trouvent dans la situation de la CSA des droits qu’elles tirent de la Loi sur le droit d’auteur.

[141]  Lorsqu’on examine l’argumentaire des appelants, il est clair que leur demande va bien au-delà du développement technologique, comme c’est inévitablement le cas lorsqu’il est question de droits consacrés par la common law, et reconnus à l’origine il y a des centaines d’années (George Winterton, Parliament, the Executive, and the Governor-General: A Constitutional Analysis (Analyse constitutionnelle du législateur, du pouvoir exécutif et du gouverneur-général), Melbourne : Melbourne University Press, 1983, aux pages 120 et 121). La technologie d’impression a beaucoup évolué depuis que le droit de la Couronne de publier certains documents a été reconnu pour la première fois, tout comme celle de l’édition. Aujourd’hui, la Couronne peut, par exemple, exercer son droit en se dispensant de l’impression et en publiant des lois en ligne. Cette approche est conforme à la neutralité technologique selon laquelle la Loi sur le droit d’auteur elle-même est interprétée et appliquée (Société Radio-Canada c. SODRAC 2003 Inc., 2015 CSC 57, [2015] 3 R.C.S. 615, au par. 66).

[142]  En revanche, l’incorporation par renvoi est un concept juridique entièrement nouveau, et non une simple évolution technologique. À mon avis, les documents ainsi constitués ne peuvent être assujettis au droit que la Couronne tire de la common law sans qu’il soit considérablement élargi.

[143]  J’insiste également sur le fait que rien n’indique en l’espèce qu’un ministère public souhaite que ses droits soient élargis de la manière soutenue par les appelants. De plus, même si la Couronne souhaitait élargir la portée du droit qu’elle tire de la common law, nul juge ne pourrait le lui accorder, car, comme le juge Diplock (tel était son titre à l’époque) l’a fait observer il y a plus d’un demi-siècle, [traduction] « après 350 ans et une guerre civile, il est trop tard pour que les tribunaux de la Reine élargissent la prérogative » (British Broadcasting Corporation c. Johns (Inspector of Taxes), [1965] Ch. 32, à la page 79, [1964] 2 W.L.R. 1071 (C.A.)).

[144]  Pour tous ces motifs, la thèse selon laquelle pas moins de 12 Couronnes ont acquis le droit de common law d’imprimer et de publier le code de l’électricité de la CSA en vertu de son incorporation par renvoi dans les lois ou règlements fédéraux, provinciaux et territoriaux ne tient pas. La Cour fédérale n’a donc pas commis d’erreur en concluant que la Couronne ne détient pas de droits d’auteur quant au code d’électricité de la CSA.

C.  La Cour fédérale a-t-elle commis une erreur en concluant qu’en l’absence de droit d’auteur de la Couronne, la CSA est titulaire du droit d’auteur sur le code d’électricité de la CSA?

[145]  Je passe maintenant aux thèses des appelants au sujet de l’inapplicabilité de l’alinéa 34.1(2)a) de la Loi sur le droit d’auteur et de leur attaque de la conclusion selon laquelle la CSA a établi que les contributeurs individuels avaient cédé leurs droits d’auteur à la CSA quant au code de l’électricité 2015 de la CSA.

[146]  Je conviens que la Cour fédérale a commis une erreur en concluant que la présomption énoncée à l’alinéa 34.1(2)a) de la Loi sur le droit d’auteur jouait. Ce texte dispose :

a) si un nom paraissant être celui de l’auteur de l’oeuvre, de l’artiste-interprète de la prestation, du producteur de l’enregistrement sonore ou du radiodiffuseur du signal de communication y est imprimé ou autrement indiqué, de la manière habituelle, la personne dont le nom est ainsi imprimé ou indiqué est, jusqu’à preuve contraire, présumée être l’auteur, l’artiste-interprète, le producteur ou le radiodiffuseur […].

(a) if a name purporting to be that of

(i) the author of the work […]is printed or otherwise indicated thereon in the usual manner, the person whose name is so printed or indicated shall, unless the contrary is proved, be presumed to be the author, performer, maker or broadcaster […].

(i) the author of the work […]is printed or otherwise indicated thereon in the usual manner, the person whose name is so printed or indicated shall, unless the contrary is proved, be presumed to be the author, performer, maker or broadcaster […].

[147]  Le mot « auteur » n’est pas défini par la Loi sur le droit d’auteur, mais il s’agit sans nul doute d’une personne physique. Le droit d’auteur subsiste « pendant la vie de l’auteur, puis jusqu’à la fin de la cinquantième année suivant celle de son décès. » (Loi sur le droit d’auteur, art. 6 [Je souligne]. À titre de personne morale, dont la vie et la mort ne sont que métaphoriques, la CSA ne peut bénéficier de la présomption consacrée par l’alinéa 34.1(1)a) de la Loi sur le droit d’auteur.

[148]  Toutefois, l’erreur de la Cour fédérale est sans conséquence puisque la présomption consacrée par l’alinéa suivant de la Loi, soit l’alinéa 34.1(2)b), vise la CSA :

b) si aucun nom n’est imprimé ou indiqué de cette façon, ou si le nom ainsi imprimé ou indiqué n’est pas le véritable nom de l’auteur, de l’artiste-interprète, du producteur ou du radiodiffuseur, selon le cas, ou le nom sous lequel il est généralement connu, et si un nom paraissant être celui de l’éditeur ou du titulaire du droit d’auteur y est imprimé ou autrement indiqué de la manière habituelle, la personne dont le nom est ainsi imprimé ou indiqué est, jusqu’à preuve contraire, présumée être le titulaire du droit d’auteur en question;

(b) if

(i) no name is so printed or indicated, or if the name so printed or indicated is not the true name of the author, performer, maker or broadcaster or the name by which that person is commonly known, and

(ii) a name purporting to be that of the publisher or owner of the work, performer’s performance, sound recording or communication signal is printed or otherwise indicated thereon in the usual manner,

the person whose name is printed or indicated as described in subparagraph (ii) shall, unless the contrary is proved, be presumed to be the owner of the copyright in question; and

(i) no name is so printed or indicated, or if the name so printed or indicated is not the true name of the author, performer, maker or broadcaster or the name by which that person is commonly known, and

(ii) a name purporting to be that of the publisher or owner of the work, performer’s performance, sound recording or communication signal is printed or otherwise indicated thereon in the usual manner,

the person whose name is printed or indicated as described in subparagraph (ii) shall, unless the contrary is proved, be presumed to be the owner of the copyright in question; and

[149]  Bien que la CSA ne puisse être assimilée à l’auteur du code de l’électricité, elle peut certainement être son « éditeur ou titulaire » aux fins de l’alinéa 34.1(2)b). Après tout, le mot « personne » au sens du paragraphe 35(1) de la Loi d’interprétation s’entend également de la « personne morale » et rien ne démontre que le législateur ait eu l’intention que ce mot revête un sens différent dans la Loi sur le droit d’auteur. La CSA, dont le nom est imprimé sur le code de l’électricité de la CSA, est présumée être, aux termes de l’alinéa 34.1(2)b) de la Loi sur le droit d’auteur, le titulaire du droit d’auteur sur le code.

[150]  De plus, à la lumière des éléments de preuve ayant trait à l’enregistrement par la CSA du droit d’auteur quant à la version 2012 du code de l’électricité de la CSA, je conviens avec la CSA que la Cour fédérale aurait dû conclure que l’enregistrement de la version 2015 du code s’est effectué dans le cours des activités normales de la CSA, présentant ainsi une autre présomption de la propriété par la CSA du droit d’auteur de la version 2015 du code de l’électricité de la CSA en vertu du paragraphe 53(2) de la Loi sur le droit d’auteur.

[151]  La Cour fédérale n’a donc pas commis d’erreur en concluant que la CSA était présumément titulaire du droit d’auteur en question. Elle n’a pas non plus commis d’erreur en concluant que les appelants n’avaient pas réfuté cette présomption à la lumière de la non-reproduction d’éléments de preuve par les appelants et des déclarations faites par l’affidavit par M. Morton, produit par la CSA.

[152]  En outre, contrairement à ce que soutiennent les appelants, le fait qu’aucun élément de preuve n’ait été produit afin d’établir que les cessions ont été effectuées par des contributeurs au code de l’électricité de la CSA avant 2010 n’est pas pertinent en l’espèce, étant donné que les appelants ont reproduit l’ensemble de la version 2015 du code de l’électricité de la CSA (de même que les modifications apportées par les membres du comité en 2015). Ils ont donc contrefait le droit d’auteur sur les modifications, ce qui est suffisant pour que la CSA ait droit à une mesure. Ainsi, même si la CSA n’avait pas eu le droit d’invoquer les présomptions légales de propriété du droit d’auteur sur la version 2015 du code de la CSA, la preuve des cessions effectuées par les membres du comité en 2015 eût suffi à ce que la CSA ait droit à la mesure accordée par la Cour fédérale.

[153]  Par conséquent, la Cour fédérale n’a pas commis d’erreur en concluant que la CSA est titulaire du droit d’auteur valide sur la version 2015 du code de l’électricité de la CSA.

D.  La Cour fédérale a-t-elle commis une erreur en concluant que les appelants n’avaient pas établi le moyen de défense tiré de l’utilisation équitable?

[154]  Je passe maintenant aux arguments des appelants concernant l’utilisation équitable et je conclus également que la Cour fédérale n’a pas commis d’erreur qui appelle notre intervention sur cette question. Cela dit, je conviens avec les appelants que la Cour fédérale peut avoir amalgamé divers volets du critère du moyen de défense tiré de l’utilisation équitable; mais là encore, je suis d’avis que cela n’appelle pas l’intervention de notre Cour étant donné que la Cour fédérale a tiré seule conclusion possible sur les faits, à savoir que l’utilisation par les appelants du code de l’électricité de la CSA n’était pas équitable.

[155]  À l’occasion de l’affaire SOCAN, la Cour suprême du Canada a réitéré le critère du moyen de défense tiré de l’utilisation équitable aux termes de l’article 29 de la Loi sur le droit d’auteur, qui a d’abord été consacré par l’arrêt CCH. Pour faire valoir utilement ce moyen de défense, une personne doit prouver, premièrement, que l’utilisation visait une fin permise et, deuxièmement, que l’utilisation était équitable (SOCAN, au par. 13; Manitoba c. Access Copyright, au par. 12).

[156]  Comme le souligne l’arrêt SOCAN, les deux volets sont distincts; « [s]uivant les paramètres établis dans l’arrêt CCH, l’examen du caractère « équitable » correspond au second volet du critère applicable pour déterminer s’il y a utilisation équitable » (par. 26). Étant donné que le seuil visant à établir l’utilisation à une fin permise est « relativement faible », le « grand branle-bas analytique n’intervient qu’au second volet, celui de la détermination du caractère équitable » (par. 27).

[157]  À l’époque où la Cour suprême a rendu l’arrêt SOCAN, l’utilisation équitable ne comportait que deux fins permises, soit la « recherche » et les « études privées ». Le législateur a ajouté trois autres fins permises à l’article 29 de la Loi sur le droit d’auteur lorsqu’il a adopté l’article 21 de la Loi sur la modernisation du droit d’auteur, L.C. 2012, ch. 20, à savoir l’« éducation », la « parodie » et la « satire ».

[158]  Seules la recherche, les études privées et l’éducation sont en cause en l’espèce, car d’aucune façon le travail des appelants ne constitue une parodie ou une satire du code de l’électricité de la CSA.

[159]  L’utilisation équitable est, comme enseigne l’arrêt CCH, le « droit des utilisateurs », de sorte que chaque fin permise soit comprise du point de vue de l’utilisateur final (SOCAN aux paragraphes 29 et 30; Alberta (Éducation) c. Canadian Copyright Licensing Agency (Access Copyright), 2012 CSC 37, [2012] 2 R.C.S. 345 au par. 22 (Alberta c. Access Copyright)). L’angle du fournisseur n’est pas pertinent quant à la première étape de l’analyse (SOCAN au par. 28). De plus, chaque fin permise doit être interprétée « de manière large » (SOCAN au par. 15).

[160]  Il n’est pas nécessaire que la recherche ait un but créatif; elle peut être « fragmentaire, informelle, exploratoire ou confirmative » et peut n’avoir aucun autre motif que l’« intérêt personnel » (SOCAN aux par. 21, 22 et 27. La recherche « ne s’entend pas uniquement de celle effectuée dans un contexte non commercial ou privé » (Alberta c. Access Copyright, au par. 19). De même, il n’est pas nécessaire d’entreprendre une étude privée dans un « splendide isolement » et on peut s’y adonner « seul ou avec d’autres. » (Alberta c. Access Copyright, au par. 27).

[161]  Cependant, si l’on suit le raisonnement de l’arrêt Alberta c. Access Copyright, l’éducation semble au moins inclure la recherche et l’étude à des fins pédagogiques, bien que, comme le souligne John S. McKeown, cela n’ait pas à se faire dans le cadre d’un établissement d’enseignement officiel (Fox on Canadian Law of Copyright (La loi sur le droit d’auteur canadienne selon Fox), aux pages 23 à 18.4).

[162]  Une personne peut utiliser le travail des appelants à l’une ou l’autre des fins permises, par exemple en effectuant des recherches ou en étudiant les normes en matière d’électricité, même à des fins professionnelles, comme le ferait un électricien, ou dans le cadre d’un programme pédagogique sur la manière d’effectuer des travaux d’électricité en toute sécurité. Ainsi, les appelants satisfont au premier volet du critère de l’utilisation équitable parce que l’utilisation correspondait, en partie du moins, à une fin permise.

[163]  Toutefois, les appelants ne satisfaisaient d’aucune façon au deuxième volet du critère, car leur utilisation n’était pas équitable. Dans l’arrêt SOCAN, au par. 14, la Cour suprême a réitéré les six éléments qu’elle a jugés pertinents à l’occasion de l’affaire CCH pour déterminer si l’utilisation était équitable : « le but, la nature et l’ampleur de l’utilisation; l’existence de solutions de rechange à l’utilisation; la nature de l’œuvre; et l’effet de l’utilisation sur l’œuvre. ».

[164]  Comme notre Cour l’a fait observer dans l’arrêt Canadian Copyright Licensing Agency (c.o.b. Access Copyright) c. British Columbia (Ministry of Education), 2017 CAF 16, 148 C.P.R. (4th) 13, citant les motifs dissidents du juge Rothstein dans l’arrêt Alberta c. Access Copyright, « [b]ien que la prise en compte de ces éléments soit utile à l’analyse, il ne s’agit pas d’une exigence de la loi. » (au par. 44), notre Cour a ajouté que [traduction] « les éléments d’équité ne sont pas tous pertinents à tous les cas, de même qu’aucun élément en lui-même n’est habituellement déterminant. » (au par. 46).

[165]  En gardant ces observations à l’esprit, je discuterai successivement chaque élément.

[166]  Le but de l’utilisation : Il s’agit « d’évaluer objectivement le but ou le motif réel de l’utilisation de l’œuvre protégée. » (arrêt CCH, au par. 54). Comme l’enseigne clairement Alberta c. Access Copyright, à cette étape de l’analyse, ces éléments peuvent être appréciés tant du point de vue de l’utilisateur que de l’auteur des copies, de telle sorte que « l’auteur des copies [ne peut] […] sous le couvert d’une fin permise à l’utilisateur se livre[r] à une utilisation distincte » (au par. 22). Les fins de l’utilisateur final lors de l’utilisation du code de l’électricité de la CSA peuvent être multiples et comprendre notamment l’éducation, les études privées et la recherche. Les fins des appelants, toutefois, sont de nature commerciale; de plus, les appelants cherchent à substituer au code de l’électricité 2015 de la CSA une version du code qu’ils vendent à un coût inférieur. Il n’est donc pas question ici de mettre en place « des mesures [qui] garantissent raisonnablement » que l’on « empêche la substitution des […] œuvres », comme cela a été fait sur les faits dans l’arrêt SOCAN (aux paragraphes 35 et 36). Cet élément penche donc fortement en faveur d’une utilisation inéquitable.

[167]  La nature de l’utilisation : « Pour déterminer la nature d’une utilisation, le tribunal doit examiner la manière dont l’œuvre a été utilisée. Lorsque de multiples copies sont diffusées largement, l’utilisation tend à être inéquitable. » (CCH, au par. 55). En l’espèce, Knight Co. avait l’intention de distribuer à grande échelle de multiples copies du code de l’électricité de la CSA, ce qui atteste également de l’iniquité de l’utilisation.

[168]  L’ampleur de l’utilisation : Comme la Cour suprême l’a précisé dans l’arrêt SOCAN, cet élément consiste à examiner le « rapport entre l’extrait et l’œuvre entière » (au par. 41). En l’espèce, les appelants ne cherchent pas simplement à distribuer des extraits du code de l’électricité de la CSA; ils prévoient distribuer l’ensemble de l’œuvre, ce qui constitue une indication supplémentaire d’iniquité de l’utilisation.

[169]  L’existence de solutions de rechange à l’utilisation : « Lorsqu’un équivalent non protégé aurait pu être utilisé à la place de l’œuvre, le tribunal devra en tenir compte. […] il sera également utile de tenter de déterminer si l’utilisation était raisonnablement nécessaire eu égard à la fin visée » (CCH au par. 57). Nul élément de preuve ne va dans le sens de l’existence d’une solution de rechange non assujettie au droit d’auteur quant au code de l’électricité de la CSA; toutefois, il est difficile de voir comment la reproduction de l’ensemble du code était raisonnablement nécessaire pour atteindre le but des utilisateurs, soit la consultation du code aux fins de la recherche, de l’étude privée ou de l’éducation. Cet élément va également dans le sens d’une utilisation inéquitable.

[170]  La nature de l’œuvre : Cet élément exige que le tribunal recherche « si l’œuvre est de celles qui devraient être largement diffusées. » (SOCAN, au par. 47). Le code de l’électricité de la CSA est incorporé par renvoi aux lois et règlements, qui exigent qu’il soit respecté pour entreprendre certaines formes de travaux d’électricité, notamment ceux entrepris par les propriétaires d’habitations. Il est possible que les parties du code de l’électricité de la CSA qui concernent ce genre de travaux doivent être largement diffusées, mais il est loin d’être certain qu’il en soit de même pour l’ensemble du code de l’électricité de la CSA. Cet élément est donc neutre dans le meilleur des cas.

[171]  L’effet de l’utilisation sur l’oeuvre : Comme l’a fait remarquer la Cour suprême dans l’arrêt CCH, « [l]a concurrence que la reproduction est susceptible d’exercer sur le marché de l’œuvre originale peut laisser croire que l’utilisation n’est pas équitable. » (au par. 59). Bien que cet élément doive normalement être corroboré par des éléments de preuve, le tribunal peut inférer la probabilité de concurrence, comme l’a fait la Cour suprême à l’occasion de l’affaire Alberta c. Access Copyright au par. 36. Compte tenu de la manière dont les appelants ont fait leur publicité, ils avaient sans nul doute l’intention d’exercer une concurrence dans le marché du code de l’électricité de la CSA, voire même de conquérir celui-ci. Cet élément milite également dans le sens d’utilisation inéquitable.

[172]  Pris dans l’ensemble, ces éléments font incontestablement pencher la balance vers la conclusion voulant que l’utilisation par les appelants n’était pas équitable. Bien que la Cour fédérale aurait pu opérer une distinction plus claire sur le plan des deux étapes de son analyse du critère de l’utilisation équitable, elle a tiré la seule conclusion possible vu ces faits. La Cour fédérale n’a donc pas commis d’erreur en concluant que les appelants n’avaient pas rapporté les éléments requis pour invoquer utilement le moyen de défense tiré de l’utilisation équitable.

E.  La Cour fédérale a-t-elle commis une erreur en concluant que la licence accordée à Peter Knight ne se rapportait pas à la reproduction et à la publication prévue par les appelants de la version 2015 du code de l’électricité de la CSA?

[173]  La Cour fédérale n’a pas non plus commis d’erreur en rejetant le moyen de défense tiré de la licence. Même si les appelants allèguent correctement que l’autorisation de citer des passages du code accordé en 1969 à Gordon Knight pouvait faire l’objet d’une cession à Knight Co., une question sur laquelle je ne me prononcerai pas étant donné qu’elle est au cœur-même de l’action pendante devant la Cour fédérale, cette autorisation ne saurait en aucun cas cautionner le geste de Knight Co. en cause dans les présents appels, à savoir la reproduction du code de l’électricité de la CSA en entier. L’autorisation accordée à Gordon Knight lui permettait uniquement de citer de manière exacte, avec attribution, certains articles du code dans le cadre d’une version abrégée et simplifiée du code. Par conséquent, les arguments des appelants relatifs au moyen de défense tiré de la licence sont totalement dénués de fondement.

F.  La Cour fédérale a-t-elle commis une erreur en adjugeant les dépens sous forme de somme globale?

[174]  En conclusion, je ne vois aucune raison de remettre en question l’allocation des dépens par la Cour fédérale. À l’occasion de l’affaire Nova Chemicals, notre Cour a rejeté la thèse portant que le dossier de preuves dont est saisi le juge de première instance à qui l’on demande d’accorder une somme globale doit comporter autant de détails que celui qui serait requis pour une évaluation effectuée par un liquidateur des dépens qui ne connaît pas l’instance. Notre Cour a plutôt conclu que « la preuve de la nature et de l’étendue des services fournis doit être suffisante pour permettre à la partie de prendre une décision éclairée quant au règlement des frais ou à leur contestation et à la Cour de conclure au caractère raisonnable des frais effectivement engagés et du pourcentage adjugé dans le cadre d’un litige. » (au par. 18).

[175]  Les éléments de preuve produits par la CSA sur lesquels la Cour fédérale s’est fondée pour fixer les dépens respecte ce seuil. Le montant accordé est certainement défendable compte tenu de la complexité des questions soulevées par les appelants et de leur nombre. Ainsi, la Cour fédérale n’a pas commis d’erreur en fixant les dépens adjugés sous forme de somme forfaitaire.

V.  Dispositif proposé

[176]  Pour les motifs qui précèdent, je rejetterais les appels, avec dépens.

« Mary J.L. Gleason »

j.c.a.

« Je suis d’accord.

Donald J. Rennie j.c.a. »
LE JUGE WEBB (Motifs dissidents)

[177]  J’ai lu les motifs de ma collègue, la juge Gleason, mais je ne puis abonder dans son sens quant à l’application de la prérogative de la Couronne dans la présente affaire.

[178]  En l’espèce, la question est de savoir si une personne autre que la Couronne, qui est l’auteur d’un document ou qui acquiert autrement le droit d’auteur quant à un document, conserve le droit d’empêcher une autre personne de publier ce document après qu’il eut été incorporé aux lois canadiennes. Comme il a été signalé, le Code canadien de l'électricité, première partie, norme de sécurité relative aux installations électriques (le code), créé par l’Association canadienne de normalisation (CSA), a été incorporé à divers règlements adoptés par le gouvernement fédéral et tous les gouvernements provinciaux, sous sa forme originale ou avec certaines modifications. L’article 3 de la Loi sur le droit d’auteur, L.R.C. 1985, ch. C-42 dispose que « [l]e droit d’auteur sur l’oeuvre comporte le droit exclusif de produire ou reproduire la totalité ou une partie importante de l’oeuvre, sous une forme matérielle quelconque ». Si la CSA conserve le droit d’auteur sur le code, la CSA a le droit exclusif de produire ou de reproduire le code et pourra empêcher quiconque (notamment la Couronne) de produire ou de reproduire le code. Même si tant la Couronne que la CSA ont le droit d’auteur sur le code, la CSA sera quand même en mesure d’empêcher la publication du code étant donné que celle-ci doit faire l’objet d’une autorisation des deux parties et non seulement de l’une d’entre elles (Pinto c. Centre Bronfman de l'Éducation Juive, 2013 CF 945, aux paragraphes 136 à 140). L’existence d’un droit interdisant à la Couronne de publier la loi serait contraire à la prérogative de la Couronne.

[179]  Comme l’indique la juge Gleason dans ses motifs, la prérogative de la Couronne s’étend à la publication de certaines œuvres, notamment les décrets. Cela a été confirmé par la Section d’appel de la Cour suprême du Nouveau-Brunswick par l’arrêt The King c. Bellman, [1938] 3 D.L.R. 548, 13 M.P.R. 37 :

[traduction12  Dans l’arrêt de principe portant sur le droit d’auteur Millar c. Taylor, (1769), 4 Burr. 2303, 98 E.R. 201, il est indiqué (à la p. 2329) : « Il est donc établi que le Roi est propriétaire des exemplaires de tous les livres ou écrits qu’il avait le droit exclusif de publier à l’origine : les lois du Parlement, les décrets, les proclamations, le Livre de prière. Ces œuvres, et les œuvres similaires, sont ses propres œuvres, puisqu’il représente l’État. De même, il avait notamment le droit de publier, à l’origine, la grammaire latine et les annuaires »; et à la p. 2401, il est indiqué : « Il est admis depuis le début que, selon la common law, la copie du Roi est perpétuée après sa publication, et que le jugement unanime de notre Cour, rendu à l’occasion de l’affaire Baskett and the University of Cambridge, (2 Burr. 661, 97 E.R. 499) est sain ». À la p. 2404, il est indiqué : « Nous avons conclu notre plaidoyer en faisant valoir l’argument de la propriété découlant du droit de publication original du roi. » Millar c. Taylor enseigne aussi que l’impression et la publication des copies de la Couronne ne signifient pas que celles-ci sont mises librement à la disposition du public (p. 2331).

(Je souligne)

[180]  Par conséquent, la Couronne est propriétaire de tout décret. Cette prérogative de la Couronne existait avant la Confédération, tout comme la délégation du pouvoir législatif au Canada. Comme l’ont souligné Denys C. Holland et John P. McGowan dans leur traité intitulé Delegated Legislation in Canada (La délégation de la législation au Canada) (Toronto: Carswell, 1989), à la page 7, [traduction« [l]a délégation du pouvoir législatif est loin d’être un phénomène moderne au Canada ». À l’appui de cette thèse, les auteurs font référence à diverses lois, notamment la Post Office Act (Loi des postes), L.C.C. 1859 (22 Vic.), ch. 31, qui prévoyait à l’article 14 que [traduction« le gouverneur en conseil peut prendre des décrets et des règlements » à certaines fins. Par conséquent, la prise de règlements par le gouverneur en conseil est antérieure à la Confédération.

[181]  En l’espèce, le code a été incorporé par renvoi au Règlement sur les installations pétrolières et gazières au Canada (DORS/96-118 (le Règlement) pris en vertu de la Loi sur les opérations pétrolières au Canada L.R.C. (1985), ch. O-7. L’article 14 de cette loi prévoit notamment :

14(1) Le gouverneur en conseil peut, à des fins de sécurité, de protection de l’environnement, de responsabilisation ainsi que de production et de rationalisation de l’exploitation du pétrole et du gaz, par règlement :

14(1) The Governor in Council may, for the purposes of safety, the protection of the environment, and accountability as well as for the production and conservation of oil and gas resources, make regulations

[…]

b) régir la recherche, notamment par forage, la production, la transformation et le transport du pétrole et du gaz dans la zone d’application de la présente loi, ainsi que les activités connexes;

(b) concerning the exploration and drilling for, and the production, processing and transportation of, oil or gas in any area to which this Act applies and works and activities related to such exploration, drilling, production, processing and transportation;

[…]

(2) Sauf disposition contraire de la présente loi, les règlements d’application du paragraphe (1) peuvent inclure par renvoi une version déterminée dans le temps ou la dernière version modifiée des normes ou spécifications adoptées par des personnes physiques ou morales, de droit privé ou de droit public.

(2) Unless otherwise provided in this Act, regulations made under subsection (1) may incorporate by reference the standards or specifications of any government, person or organization, either as they read at a fixed time or as amended from time to time.

[182]  Le paragraphe 14(2) de cette loi a été ajouté par la Loi fédérale sur les hydrocarbures L.R.C. (1985), ch. 36 (2e suppl.) avant l’adoption du Règlement. Le paragraphe 14(2) de la Loi sur les opérations pétrolières au Canada sanctionne l’incorporation par renvoi des normes de toute personne ou organisation et prévoit que le Règlement peut incorporer les normes et leurs modifications.

[183]  Le Règlement a été pris en vertu de l’article 14 de la Loi sur les opérations pétrolières au Canada et le décret (C.P. 1996-167, Gaz. C. 1996.II.927) adoptant ce règlement a été publié dans la Partie II de la Gazette du Canada le 13 février 1996. Le décret énonce le texte intégral du Règlement. Les paragraphes 2(3) et 11(1) du Règlement prévoient notamment ce qui suit :

2(3) Le renvoi à une norme ou à une spécification est réputé se rapporter à celle-ci compte tenu de ses modifications successives.

2(3) A reference to a standard or specification shall be considered to be a reference to that standard or specification as amended from time to time.

[…]

11(1) Sous réserve des paragraphes (2) à (4), les moteurs électriques, les appareils d’éclairage, le câblage électrique et autre appareillage électrique d’une installation doivent être conçus, installés et maintenus :

11(1) Subject to subsections (2) to (4), all electric motors, lighting fixtures, electric wiring and other electrical equipment on an installation shall be designed, installed and maintained in accordance with

a) dans le cas d’une installation à terre, conformément au document C 22.1-1990 de l’Association canadienne de normalisation intitulé Code canadien de l’électricité, Première partie, Norme de sécurité relative aux installations électriques;

(a) in the case of an onshore installation, Canadian Standards Association Standard C22.l-l990, Canadian Electrical Code Part I, Safety Standard for Electrical Installations; and

[…]

[184]  Le paragraphe 11(2) et le paragraphe (4) du Règlement visent les installations extracôtières et, par conséquent, ne modifient ni ne restreignent l’alinéa 11(1)a). En conséquence de l’article 2 du Règlement, la référence au code de 1990 à l’alinéa 11(1)a) est assimilée à un renvoi à la version du code qui joue en ce qui concerne la période en question. Cette référence au code aurait visé la version 2015 du présent code au moment où la CSA a adopté cette version. C’est la version qui est en cause en l’espèce.

[185]  L’article 60 de la Loi sur les opérations pétrolières au Canada expose les conséquences qui pourraient découler des manquements au Règlement :

60(1) Commet une infraction quiconque :

60(1) Every person is guilty of an offence who

a) contrevient à la présente loi ou aux règlements;

(a) contravenes this Act or the regulations;

[…]

(2) Quiconque commet une infraction visée au présent article encourt, sur déclaration de culpabilité :

(2) Every person who is guilty of an offence under subsection (1) is liable

a) par procédure sommaire, une amende maximale de cent mille dollars et un emprisonnement maximal d’un an, ou l’une de ces peines;

(a) on summary conviction, to a fine not exceeding one hundred thousand dollars or to imprisonment for a term not exceeding one year, or to both; or

b) par mise en accusation, une amende maximale d’un million de dollars et un emprisonnement maximal de cinq ans, ou l’une de ces peines.

(b) on conviction on indictment, to a fine not exceeding one million dollars or to imprisonment for a term not exceeding five years, or to both.

[186]  Vu ces dispositions, les manquements au code pourraient avoir des conséquences très graves, notamment la possibilité d’une peine d’emprisonnement de cinq ans. D’autres règlements qui adoptent le code en tout ou en partie prévoient également des sanctions en cas de manquement. À titre d’exemple, le Code de sécurité relatif aux installations électriques de l’Ontario (Règl. de l'Ont. 164/99) adopte le code sous réserve de certaines modifications. L’article 113 de la Loi de 1998 sur l'électricité, L.O. 1998, chap. 15, annexe A, prévoit que toute personne qui omet de se conformer aux règlements (qui incorporent le code tel que modifié) est passible d’une amende maximale de 50 000 $ (1 000 000 $ pour une personne morale), d’un emprisonnement maximal d’un an ou des deux. Bien que les normes aient d’abord été élaborées à titre de normes volontaires, étant donné les conséquences graves qui peuvent découler du manquement au code (tel qu’adopté par le gouvernement fédéral ou les divers gouvernements provinciaux), il semble qu’elles ne doivent plus être considérées comme des normes volontaires.

[187]  Étant donné que le code a été incorporé par renvoi au Règlement avec des conséquences importantes en cas de manquement, le code, à mon avis, fait partie des lois canadiennes.

[188]  Bien que les dispositions du code ne soient pas entièrement reproduites dans le Règlement, elles sont incorporées par renvoi.

[189]  Dans l’arrêt Her Majesty the Queen c. St. Lawrence Cement Inc., 60 O.R. (3d) 712, la Cour d’appel de l’Ontario a observé :

[traduction18  Dans le traité de F. Bennion, intitulée Statutory Interpretation, 3e éd. (London : Butterworths, 1997) figure, aux pages 585 à 591, un exposé éclairant sur le mécanisme législatif de l’incorporation par renvoi. Elle permet au rédacteur législatif d’inclure des dispositions de lois antérieures ou d’autres documents dans des lois ou des règlements sans concrètement reproduire le texte de la loi ou du document. Comme le signale Bennion, l’incorporation par renvoi est un mécanisme couramment utilisé par les législateurs conformément à la maxime latine verba relata hoc maxime operantur per referentiam rit it eis inesse videntur (le texte auquel on fait référence dans un acte a la même application que s’il était incorporé à l’acte où il y est fait référence). L’incorporation par renvoi a pour effet de faire en sorte que les documents incorporés font partie du texte législatif.

19  À l’occasion d’une affaire semblable au présent appel, la Cour d’appel de la Colombie-Britannique a conclu que l’incorporation par renvoi était suffisante sans qu’il y ait publication du texte des documents incorporés dans la Gazette du Canada (arrêt R. c. Sims (2000), 148 C.C.C. (3d) 308). La Cour a conclu qu’il était inutile de publier une norme réglementaire incorporée par renvoi ainsi que le règlement avant qu’une poursuite fondée sur la violation de la norme puisse être intentée. Elle a également conclu, à la p. 318 C.C.C., que l’incorporation par renvoi n’exige pas que le texte du document incorporé [page 720] soit reproduit dans la loi constitutive ou le règlement. Voir également Re Denison Mines Ltd. and Ontario Securities Commission (1981), 32 O.R. (2d) 469, 122 D.L.R. (3d) 98 (Div. Ct.).

20  Je retiens et je suis l’enseignement professé par le juge Rowles à l’occasion de l’affaire Sims à la p. 315 C.C.C. :

Lorsqu’un document est incorporé par renvoi dans une loi ou un règlement, il devient partie intégrante de l’acte d’incorporation comme s’il y était reproduit. À cet égard, voir l’arrêt Mainwaring v. Mainwaring, [1942] 2 D.L.R. 377 (B.C.C.A.), dans lequel le juge en chef McDonald fait référence à l’effet de la législation par renvoi par rapport à la loi constitutive, à la p. 380 :

[…] La législation par renvoi […] a toujours été interprétée non pas comme ayant un effet d’amendement, mais plutôt comme ayant pour effet d’incorporer le texte législatif en date de la loi faisant l’objet d’une interprétation, tout en n’étant pas affectée par une modification subséquente du texte législatif ([références omises.]) Avec la législation par renvoi, c’est comme si le texte législatif extrinsèque dont il est question était inscrit directement dans la loi.

(Je souligne)

[190]  Par conséquent, lorsque le code a été incorporé par renvoi, on devait considérer qu’il faisait partie du texte du Règlement. Il est devenu partie intégrante du Règlement comme s’il y avait été reproduit intégralement. La sanction possible en cas de violation d’une disposition du code n’est pas modifiée du fait que le code a été incorporé par renvoi plutôt que d’être reproduit intégralement dans le Règlement. Il ne doit pas y avoir de différence, en ce qui a trait à l’application du droit de publication de la Couronne, entre l’incorporation du code par renvoi ou le fait de faire un copier-coller de l’ensemble du code dans le Règlement. Vu que les conséquences de l’inobservation du code sont les mêmes, que le code soit reproduit en entier dans le Règlement ou incorporé par renvoi, la prérogative de la Couronne doit s’appliquer au code en entier. C’est à la Couronne, et non un à organisme quelconque, que doit revenir le droit de déterminer de quelle façon le code doit être publié et par qui il doit l’être.

[191]  C’est comme si, par exemple, une personne rédigeait un article dans lequel elle proposait certains changements à une loi ou une toute nouvelle loi que le gouvernement devrait adopter. Si, selon l’article, le gouvernement choisissait d’adopter les changements proposés ou la nouvelle loi, la personne qui a écrit l’article ne pourrait pas empêcher la Couronne de publier cette loi. Une fois incorporée dans la loi, la prérogative de la Couronne jouerait et la Couronne aurait le droit exclusif de déterminer qui pourrait publier cette loi. Le simple citoyen ne doit pas avoir le droit d’empêcher la Couronne de publier les lois.

[192]  L’article 12 de la Loi sur le droit d’auteur préserve les droits et privilèges existants de la Couronne, notamment le droit de la Couronne de publier les lois du législateur et les décrets (Manitoba c. Canadian Copyright Licensing Agency (Access Copyright), 2013 CAF 91, [2014] 4 R.C.F. 3, au par. 34). Tout droit qui pourrait être accordé aux termes de la Loi sur le droit d’auteur serait assujetti à ce droit. Étant donné que la prérogative de la Couronne est un droit reconnu par la common law, elle ne peut être modifiée ou retirée que par une loi du législateur – elle ne peut être modifiée ou annulée par une déclaration d’un ministre ou par voie de renonciation ou de cession signée par un employé du gouvernement. Une fois que la Couronne a adopté le code, en l’incorporant par renvoi au Règlement, la Couronne, et non la CSA, a le droit exclusif de déterminer qui peut publier ces travaux.

[193]  Dans l’arrêt Renvoi relatif aux droits linguistiques au Manitoba, [1992] 1 R.C.S. 212, 88 D.L.R. 4th 385, la Cour suprême a également confirmé, au paragraphe 33, que l’incorporation d’un document par renvoi signifierait qu’il « fait partie intégrante du texte primaire comme s'il y était reproduit ».

[194]  La Cour suprême du Canada a alors indiqué, au paragraphe 31, que le procureur général du Manitoba cherchait à limiter la quantité de documents devant être traduits. L’une des questions posées consistait à savoir si la province du Manitoba doit traduire les diverses normes qui ont été incorporées aux lois du Manitoba. En ce qui concerne ces normes, la Cour suprême a indiqué ce qui suit :

37  Il y a une autre situation dans laquelle l'incorporation sans traduction peut être légitime, c'est le cas de l'incorporation de normes établies par un organisme normatif non gouvernemental, par exemple, des normes de sécurité élaborées par un organisme national ou international. Dans ce cas, il est habituellement légitime que l'assemblée législative se fonde sur l'expertise technique de ces organismes.  Des exemples précis donnés à notre Cour à titre d'éléments de preuve comprennent l'incorporation dans le Code de la route du Manitoba des "British Standards Institute respecting motorcycle helmets" et l'incorporation dans le Règlement sur les appareils sous pression et à vapeur des "American National Standards Institute Safety Requirements for the Storage and Handling of Anhydrous Ammonia".

38  Dans des cas comme ceux qui sont décrits au paragraphe précédent, la traduction pose un problème pratique parce que ces normes sont révisées continuellement par l'organisme qui les élabore. Il serait difficile pour une assemblée législative de garder à jour une traduction qui fait autorité en raison de cette pratique. Dans les cas où des normes internationales ou nationales sont utilisées, les traductions sont parfois déjà disponibles. Toutefois, lorsqu'elles ne le sont pas, il serait contraire à l'objet de l'incorporation d'un document externe d'exiger la traduction conformément à l'art. 23 et, de toute façon, il est peu probable que cette traduction garantisse l'accessibilité de documents qui, en pratique, sont déjà inaccessibles à la majorité des citoyens en raison de leur nature technique.

(Je souligne)

[195]  On n’y retrouve aucune référence au droit d’auteur ni à la question de savoir si l’organisation qui a créé des normes particulières conserverait le droit d’auteur quant à ces normes et, par conséquent, devrait consentir à la traduction de celles-ci. L’alinéa 3(1)(a) de la Loi sur le droit d’auteur dispose :

3(1) Le droit d’auteur sur l’oeuvre comporte le droit exclusif de produire ou reproduire la totalité ou une partie importante de l’oeuvre, sous une forme matérielle quelconque, d’en exécuter ou d’en représenter la totalité ou une partie importante en public et, si l’oeuvre n’est pas publiée, d’en publier la totalité ou une partie importante; ce droit comporte, en outre, le droit exclusif :

3(1) For the purposes of this Act, copyright, in relation to a work, means the sole right to produce or reproduce the work or any substantial part thereof in any material form whatever, to perform the work or any substantial part thereof in public or, if the work is unpublished, to publish the work or any substantial part thereof, and includes the sole right

a) de produire, reproduire, représenter ou publier une traduction de l’oeuvre;

(a) to produce, reproduce, perform or publish any translation of the work,

[196]  Si l’organisme qui avait élaboré les normes en question avait conservé le droit d’auteur quant à ces normes une fois qu’elles ont été incorporées dans les lois du Manitoba, c’est cet organisme, et non la province du Manitoba, qui aurait eu le droit exclusif de publier la traduction de ces normes. Comme il n’y a pas eu de discussion sur la question de savoir si la province du Manitoba avait le droit de traduire ces normes, l’on pourrait inférer qu’on a supposé que la province du Manitoba avait le droit de les traduire. On peut supposer que la province ne serait tenue de faire que ce qu’elle a le droit de faire.

[197]  En l’espèce, la Loi sur les opérations pétrolières au Canada a délégué au gouverneur en conseil le pouvoir de prendre le Règlement aux fins de sécurité relativement à certains travaux. Le gouverneur en conseil a agi en vertu de ce pouvoir en prenant le Règlement figurant dans le décret. Par conséquent, la prérogative de la Couronne s’applique au Règlement.

[198]  La Loi sur les opérations pétrolières au Canada ratifiait expressément l’incorporation par renvoi de normes de toute organisation et, par conséquent, l’adoption du code a également été effectuée en vertu de cette loi. Le gouverneur en conseil aurait pu élaborer ses propres normes de sécurité en matière d’électricité, mais il a plutôt opté pour le code existant. Étant donné que le code a été incorporé par renvoi au Règlement, on doit considérer qu’il fait partie du texte du Règlement (et cela englobe le code modifié périodiquement). Par conséquent, la prérogative de la Couronne vise également le code.

[199]  Le code 2015 faisait partie du Règlement, qui prévoyait de graves conséquences pénales en cas de manquement à celui-ci. Selon la politique publique, chaque personne au pays pouvant être assujettie au Règlement doit avoir un droit d’accès au code pour s’assurer qu’elle se conforme au Règlement. La CSA ne doit pas avoir le droit d’empêcher P.S. Knight Co. Ltd. de publier le Code, pas plus qu’elle ne doit avoir le droit d’empêcher la Couronne de le publier. En l’espèce, P.S. Knight Co. Ltd. voulait simplement publier le code et le rendre accessible à tout le monde à un prix réduit par rapport à celui exigé par la CSA. L’accès accru à la loi à un prix réduit ne peut être considéré comme contraire à la politique publique.

[200]  Le Décret sur la reproduction de la législation fédérale et des décisions des tribunaux de constitution fédérale, TR/97-5 permet la reproduction des textes législatifs fédéraux. Je conviens qu’un règlement est un texte législatif et que, par conséquent, le Règlement est visé par ce décret. À mon avis, vu l’incorporation du code par renvoi au Règlement, il doit être considéré comme partie inhérente du texte du Règlement; par conséquent, ce décret autorisera P.S. Knight Co. Ltd. à publier ce code.

[201]  Je suis d’avis que P.S. Knight Co. Ltd. a le droit de soulever la question de la prérogative de la Couronne en l’espèce. En ce qui concerne l’affaire Canada (Premier ministre) c. Khadr, 2010 CSC 3, [2010] 1 R.C.S. 44, la question était de savoir si M. Khadr avait droit « d’obtenir la réparation consistant en une ordonnance intimant au Canada de demander aux États-Unis son renvoi au Canada » (au par. 27). Au paragraphe 35, la Cour suprême a souligné que « la décision de ne pas demander le rapatriement de M. Khadr a été prise dans l’exercice de la prérogative en matière de relations étrangères. ». Les observations au paragraphe 36 portaient donc sur un droit de prérogative qui n’avait pas été exercé et sur la question de savoir si une personne autre que la Couronne pouvait amener la Couronne à exercer ces droits.

[202]  Toutefois, en l’espèce, P.S. Knight Co. Ltd. ne demande pas à la Couronne d’exercer un droit de prérogative. Ce qui est en cause en l’espèce, c’est le droit de publier certaines œuvres qui font maintenant partie des lois du Canada. Le décret par lequel a été pris le Règlement a été publié dans la Partie II de la Gazette du Canada le 13 février 1996. Par conséquent, la prérogative de la Couronne de publier le présent décret a été exercée. Puisque le code a été considéré comme partie inhérente du texte du Règlement lorsqu’il a été incorporé par renvoi, c’est comme s’il avait été reproduit en entier dans le Règlement; par conséquent, il fait partie du Règlement. Étant donné que le Décret sur la reproduction de la législation fédérale et des décisions des tribunaux de constitution fédérale permet à quiconque de copier un texte législatif, la Couronne a déjà accordé à P.S. Knight Co. Ltd. le droit de copier le code.

[203]  Par conséquent, je ferais droit à l’appel.

« Wyman W. Webb »

j.c.a.

Traduction certifiée conforme

François Brunet, réviseur


COUR D'APPEL FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIERS :

A-90-16, A-121-16

 

 

INTITULÉ :

P.S. KNIGHT CO. LTD. et GORDON KNIGHT c. ASSOCIATION CANADIENNE DE NORMALISATION

 

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

Toronto (Ontario)

 

DATE de L’AUDIENCE :

LE 1ER MarS 2018

 

MÉMOIRES SUPPLÉMENTAIRES :

LE 29 MARS 2018

PAR L’INTIMÉE

 

[en blanC

LE 20 AVRIL 2018

PAR LES APPELANTS

 

en blanC

LE 27 AVRIL 2018

RÉPONSE DE L’INTIMÉE

 

AUTRES MÉMOIRES SUPPLÉMENTAIRES :

LE 23 nOVEMBRE 2018

PAR LES appelantS

 

[en blanC

LE 30 NovembRE 2018

PAR L’INTIMÉE

 

[en blanC

LE 5 dÉcembRE 2018

RÉPONSE DES appelantS

 

MOTIFS DU JUGEMENT :

LA JUGE GLEASON

 

Y A SOUSCRIT :

LE JUGE RENNIE

 

MOTIFS DISSIDENTS :

LE JUGE WEBB

DATE DES MOTIFS :

LE 7 DÉCEMBRE 2018

COMPARUTIONS :

Jeffrey Radnoff

Charles Haworth

 

POUR LES Appelants

 

Kevin Sartorio

James Green

POUR L’INTIMÉE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Radnoff Law Offices

Avocats

Toronto (Ontario)

 

POUR LES Appelants

 

Gowling WLG (Canada) LLP

Avocats

Toronto (Ontario)

POUR L’INTIMÉE

 

 

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