Décisions de la Cour d'appel fédérale

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A-542-96

OTTAWA (Ontario), le jeudi 17 juillet 1997.

CORAM :      LE JUGE EN CHEF

     LE JUGE MARCEAU, J.C.A.

     LE JUGE SUPPLÉANT HEALD

ENTRE :


OWEN HOLDINGS LTD.,


appelante

(intimée par appel incident),


et


SA MAJESTÉ LA REINE,


intimée

(appelante par appel incident).


J U G E M E N T

     L"appel est rejeté avec dépens. L"appel incident est accueilli en ce qui a trait aux décisions anticipées, mais il est rejeté en ce qui concerne les interprétations de forme. Il n"y aura pas d"adjudication de dépens relativement à l"appel incident.


" Julius A. Isaac "

juge en chef

Traduction certifiée conforme                  ____________________

                             Bernard Olivier, LL.B.



A-542-96

CORAM :      LE JUGE EN CHEF

     LE JUGE MARCEAU, J.C.A.

     LE JUGE SUPPLÉANT HEALD

ENTRE :


OWEN HOLDINGS LTD.,


appelante

(intimée par appel incident),


et


SA MAJESTÉ LA REINE,


intimée

(appelante par appel incident).

Audience tenue à Vancouver (Colombie-Britannique), le jeudi 19 juin 1997.

Jugement rendu à Ottawa le 17 juillet 1997.

MOTIFS DU JUGEMENT PAR :              LE JUGE MARCEAU, J.C.A.

Y A SOUSCRIT :                      LE JUGE SUPPLÉANT HEALD

MOTIFS DISSIDENTS EN PARTIE PAR :      LE JUGE EN CHEF


A-542-96

CORAM :      LE JUGE EN CHEF

     LE JUGE MARCEAU, J.C.A.

     LE JUGE SUPPLÉANT HEALD

ENTRE :


OWEN HOLDINGS LTD.,


appelante

(intimée par appel incident),


et


SA MAJESTÉ LA REINE,


intimée

(appelante par appel incident).


MOTIFS DU JUGEMENT

LE JUGE MARCEAU

     Il s"agit de l"appel et de l"appel incident de la décision rendue par un juge de la Cour canadienne de l"impôt en ce qui concerne une requête visant à obtenir une ordonnance enjoignant au ministère public de produire, au préalable, des documents dans le cadre de l"appel, interjeté par l"appelante, de la décision du ministre du Revenu national établissant une nouvelle cotisation relativement à l"impôt sur le revenu qu"elle devait payer en 1992.

     L"action qui sous-tend la présente affaire porte sur le rejet, par le ministre, de la demande de déduction déposée par l"appelante aux termes du paragraphe 85(5.1) et de l"alinéa 69(5)d) de la Loi de l"impôt sur le revenu pour une perte lui ayant été transférée d"une société apparentée. Le ministre a rejeté la déduction pour perte en se fondant sur l"article 245 de la Loi , et en particulier le paragraphe 245(2), qui est la disposition générale anti-évitement. Dans son appel de la décision du ministre, l"appelante prétend que l"article 245 de la Loi est imprécis au plan constitutionnel et donc inopérant et que, de toute façon, le ministre a commis une erreur en concluant que le paragraphe (2) s"appliquait aux faits relatifs à sa demande.

     Après avoir elle-même communiqué la liste de documents qu"elle se proposait de déposer, aux termes de la Règle 82 des Règles de la Cour canadienne de l"impôt (procédure générale), l"appelante, par l"entremise de son avocat, a demandé au ministère public de lui remettre, au préalable, une série de documents comprenant, entre autres , les documents suivants :

         [TRADUCTION]         
         (i)      tous les rapports, notes de services, notes, messages par courrier électronique, etc. (les rapports) ayant mené à la rédation de la RGAÉ [art. 245], y compris toutes les ébauches des Notes explicatives de la RGAÉ de même que tout rapport ayant trait à ces Notes explicatives;         
         (ii)      tous les rapports ayant mené à la rédaction du paragraphe 85(5.1) et des alinéas 69(5)d) et 88(1)d);         
         [...]         
         (v)      tous les rapports ayant mené à la rédaction des documents suivants énumérés sur la liste de l"appelante : 5, 6, 7, 8, 9, 11, 14, 19, 20, 22, 36, 37, 38, 46, 65, 189 (dans la mesure où il traite des transferts de pertes entre des parties liées), 190, 191, 193, 213, 214;         
         (vi)      tous les rapports ayant trait aux témoignages de divers fonctionnaires des Finances devant les comités de la Chambre des communes et du Sénat relativement à la RGAÉ (liste de l"appelante /15, 28, 29, 31);         
         [...]         
         (ix)      toute décision par anticipation ou interprétation de forme fournie à tout autre contribuable concernant l"application de la RGAÉ dans le contexte du transfert d"un bien ayant une perte inhérente à une partie liée (voir le paragraphe 241(3) et Ouellet c. La Reine , 94 D.T.C. 1315 (CCI));         

     Vu que le ministère public n"a pas inscrit sur sa liste tous les documents qui lui étaient demandés, l"appelante a déposé la requête visant à obtenir l"ordonnance dont la validité est contestée devant nous par les deux parties. Le juge de la Cour de l"impôt a refusé d"ordonner la production des documents énumérés aux paragraphes i), ii), v) et (vi), d"où le présent appel, mais il a ordonné la production des documents du paragraphe ix), d"où l"appel incident.

L"appel

     En ce qui concerne l"appel, l"avocat de l"appelante prétend que le juge a commis une erreur en déterminant que seuls les documents pertinents, c"est-à-dire les documents susceptibles d"être favorables à l"appelante ou défavorables à l"intimée, devraient être communiqués. L"avocat fait remarquer que la Règle 82(1)1 comprend l"expression " qui portent sur " et non [TRADUCTION] " qui sont pertinents à l"égard de ", une distinction fondamentale que la Cour a clairement confirmée et appliquée dans Canada (Procureur général) c. Bassermann2. L"avocat soutient qu"à ce stade-ci, il n"est pas nécessaire de se soucier de la pertinence; une [TRADUCTION] " apparence de pertinence ", si nécessaire, devrait suffire, l"abus de procédure étant la seule chose à éviter.

     Nous avons exprimé, à l"audition, notre désaccord avec la prétention de l"avocat. Bien qu"elles ne soient pas synonymes, les expressions " qui portent sur " et [TRADUCTION] " qui sont pertinents à l"égard de " n"ont pas des sens complètement distincts. L"expression " qui portent sur ", utilisée dans la Règle 82(1), exprime nécessairement un élément de pertinence, sinon les parties pourraient s"adonner à de longues et vaines " parties de pêche " qui n"attendraient aucun objectif productif et ne feraient que gaspiller des ressources judiciaires. Les principes bien établis qui prévoient un degré de pertinence relativement peu élevé à l"étape de l"interrogatoire préalable, par opposition au degré plus élevé en matière d"admission de preuve lors du procès, sont bien connus. Nous n"estimons tout simplement pas que la Cour de l"impôt ait jamais eu l"intention d"abandonner ces principes, à l"instar de la Cour fédérale qui, en 1990, a remplacé l"expression " qui ont trait " par le mot " pertinents " en révisant ses dispositions correspondantes, soit les alinéas (1) et (2)a ) de la Règle 4483. Nous sommes donc d"avis que l"approche du juge de la Cour de l"impôt était celle qu"il convenait d"adopter et que les conclusions qu"il a tirées à l"égard des documents énumérés aux paragraphes i), ii), v) et vi) ne devraient pas être infirmées. Son analyse portant que ces documents, qui ne tendaient pas à établir des [TRADUCTION] " faits législatifs " mais plutôt les [TRADUCTION] " opinions d"auteurs ", avaient un lien si ténu avec les questions litigieuses qu"ils ne pouvaient donner lieu à un champ d"enquête pouvant profiter à l"appelante nous semble parfaitement bien fondée. L"appel sera donc rejeté.

L"appel incident

     L"appel incident interjeté de l"ordonnance visant la production des décisions anticipées et interprétations de forme auxquelles renvoie le paragraphe ix) est plus complexe.

     D"abord, l"appelante, soit l"intimée dans le cadre de l"appel incident, a soulevé une question préliminaire en se fondant sur le paragraphe 241(6) de la Loi , dont voici le libellé :

              241.      (6)      L"ordonnance rendue ou la directive donnée dans le cadre de procédures judiciaires, enjoignant un fonctionnaire ou une personne autorisée de témoigner, ou de produire quoi que ce soit, en rapport avec un renseignement confidentiel peut sans délai, par avis signifié aux parties intéressées, faire l"objet d"un appel de la part du ministre ou de la personne contre laquelle l"ordonnance est rendue ou la directive, donnée. Cet appel se fait auprès         
              a)      [...]         
              b)      de la Cour d"appel fédérale, dans le cas d"une ordonnance rendue ou d"une directive donnée par une cour ou un autre tribunal établi en vertu ou en conformité des lois du Canada.         

L"avocat prétend que la remise d"un avis aux contribuables auxquels les décisions anticipées et interprétations de forme ont été fournies était une condition préalable à la validité de l"appel. Je ne souscris pas à cet argument. Le juge de la Cour de l"impôt a ordonné expressément que les noms et autres données personnelles des contribuables soient effacés des documents à communiquer. Il s"ensuit que ni l"ordonnance, ni l"appel n"a d"incidence sur les contribuables : il n"y a pas de confidentialité à abandonner et toutes les parties intéressées se trouvent devant la Cour.

     Le paragraphe ix) de la requête de l"appelante regroupait les décisions anticipées et interprétations de forme, et le juge de la Cour de l"impôt les a examinées ensemble. Il en a ordonné la production au motif qu"elle pouvaient toutes être utilisées par l"appelante pour démontrer que le ministre avait, à d"autres occasions, appliqué l"article 245 de la Loi de façon contraire à celle dont il l"a appliqué à sa situation, une démonstration qui pourrait tendre à favoriser l"appelante.

     Il existe, comme on nous l"a expliqué, une différence fondamentale entre une décision par anticipation et une interprétation de forme. Bien que celle-là s"applique aux transactions projetées considérées en fonction de la situation particulière d"un contribuable, celle-ci porte le plus souvent sur des problèmes précis d"interprétation de mots, clauses ou phrases d"une disposition. Cette différence, à mon avis, appelle une vérification, en fonction de chaque groupe, de la validité des motifs étayant la décision du juge de la Cour de l"impôt d"ordonner la production. Ce n"est certainement pas à titre de précédents ayant force obligatoire que l"appelante peut se servir de l"un ou l"autre de ces documents. Il est bien établi qu"ils n"ont aucune force obligatoire en droit, comme la Cour a eu l"occasion de le répéter récemment dans Ministre du Revenu national c. Ford du Canada Limitée4. L"appelante peut toutefois se servir de ces documents pour établir l"existence d"une certaine incohérence dans la façon dont le ministre interprète et applique la disposition. Peut-être cela peut-il se faire en utilisant les interprétations de forme, lesquelles sont relativement simples et concises; par contraste, cependant, il me semble qu"il serait presqu"impossible de faire cela à l"aide des décisions anticipées, vu les difficultés que présente l"établissement de similitudes entre des situations différentes et complexes. La pertinence potentielle, s"il en est, des décisions anticipées est trop problématique et incertaine pour satisfaire à l"exigence de la Règle 82(1). J"estime, avec égards, que le juge de la Cour de l"impôt n"aurait pas dû ordonner la production de ces documents.

     Vu ce qui précède, il va de soi que je n"ai pas à traiter de la requête de l"intimée visant à ajouter des éléments de preuve concernant les coûts de production des décisions anticipées.

     J"accueillerais donc l"appel incident en ce qui concerne les décisions anticipées, mais le rejetterais en ce qui concerne les interprétations de forme.

     " Louis Marceau "

     J.C.A.

" Je souscris à ces motifs.

Darrel V. Heald, juge suppléant "

Traduction certifiée conforme                  ____________________

                             Bernard Olivier, LL.B.

     A-542-96

CORAM:      LE JUGE EN CHEF

     LE JUGE MARCEAU, J.C.A.

     LE JUGE SUPPLÉANT HEALD

E N T R E :

     OWEN HOLDINGS LTD.,

     appelante,

     et

     SA MAJESTÉ LA REINE,

     intimée.

     MOTIFS DU JUGEMENT

LE JUGE EN CHEF

         J"ai eu le privilège de lire les motifs de jugement que mon collègue, le juge Marceau, se propose de prononcer dans la présente instance. Je suis d"accord avec lui que l"appel devrait être rejeté pour les motifs qu"il a exposés. Je suis également d"accord avec la façon dont il a réglé la question préliminaire soulevée par l"appelante (l"intimée de l"appel incident) dans le cadre de l"appel incident et avec ses motifs.

         Je ne puis souscrire, cependant, à son opinion selon laquelle l"appel incident devrait être rejeté en ce qui concerne les interprétations techniques. Avec égards, j"estime que l"appel incident devrait être accueilli tant en ce qui concerne la communication des décisions anticipées que celle des interprétations techniques. Voici les motifs sur lesquels je fonde ma décision.

Analyse

Critère applicable en matière de production de documents

                  Le droit de l"appelante (l"intimée de l"appel incident) d"obtenir les documents énumérés au paragraphe ix), c"est-à-dire les décisions anticipées et les interprétations techniques, dépend de l"interprétation de l"obligation de communiquer prévue au paragraphe 82(1) des Règles de la Cour canadienne de l"impôt :Liste de documents (communication intégrale)         
         82. (1) Les parties peuvent convenir ou, en l"absence d"entente, demander à la Cour de prononcer un jugement obligeant chaque partie à déposer et à signifier à l"autre partie une liste de tous les documents qui sont ou ont été en la possession, sous la garde ou sous l"autorité de cette partie et qui portent sur toute question en litige entre les parties à l"appel.         

     [Non souligné dans l"original.]

         L"appelante a soutenu devant nous que le juge de la Cour de l"impôt a commis une erreur en adoptant un critère de pertinence en ce qui concerne la production de documents sous le régime de la Règle 82(1). Elle a prétendu, en se fondant sur la décision de la Cour dans Canada c. Basserman5, que la [TRADUCTION] " pertinence " n"était pas le critère applicable en matière de production de documents. Elle a plutôt avancé que l"expression " qui portent sur toute question en litige " suggérait une portée différente de celle du concept de [TRADUCTION] " pertinence " qu"on trouve en common law et plus grande que celle-ci.

                  Dans Basserman, la Cour a traité de la portée de l"expression " qui portent sur " dans le contexte de la communication préalable de documents. S"exprimant au nom de la Cour, le juge Mahoney a dit :Dans Nowegijick c. La Reine [...], le juge Dickson (plus tard Juge en chef), qui a rédigé les motifs, a dit, à la page 39 :         
                  À mon avis, les mots "quant à" ont la portée la plus large possible. Ils signifient, entre autres, "concernant", "relativement à" ou "par rapport à". Parmi toutes les expressions qui servent à exprimer un lien quelconque entre deux sujets connexes, c'est probablement l'expression "quant à" qui est la plus large.         
         Or, il me semble que l'expression "se rapportant à" est de portée analogue.         

         J'estime en effet que la portée de l'expression "se rapportant à la question en litige" qui figure dans les règles est de portée suffisamment large pour fonder l'ordonnance rendue et que la portée de l'expression "concernant la question en cause dans l'affaire en instance", employée dans l'ordonnance, est assez large pour nécessiter la production des déclarations de revenus de tiers dont il s'agit. Il n'est pas besoin que celles-ci se rapportent à une question à trancher dans le cadre du litige; il suffit qu'elles concernent une question en litige. Donc, les arguments que nous a présentés l'appelant relativement à leur pertinence éventuelle sont tout simplement sans intérêt à ce stade de l'instance6.

         En conséquence, l"expression " qui portent sur toute question en litige " vise un plus large évantail de documents que le concept de pertinence qu"on trouve en common law. Le libellé de la Règle 82(1) exige la production de toutes sortes de documents [TRADUCTION] " qui portent sur " l"action principale. Cependant, la portée de ces mots n"est pas importante au point d"éliminer complètement la nécessité de satisfaire aux exigences relatives à la pertinence.

                  Le libellé des paragraphes 30.02(1) et (2) des Règles de l"Ontario est pratiquement identique à celui de la Règle 82(1) des Règles de la Cour canadienne de l"impôt : aux termes de ces règles, tous les documents [TRADUCTION] " qui portent sur toute question litigieuse " peuvent faire l"objet d"une communication préalable. Dans leur ouvrage, les auteurs de Discovery Law, Practice and Procedure font remarquer que l"expression [TRADUCTION] " qui portent sur toute question litigieuse " exige simplement que le concept de pertinence soit défini largement à l"étape de la communication préalable :[TRADUCTION] Aux termes des paragraphes susmentionnés [les paragraphes 30.02(1) et (2) des Règles de l"Ontario], tous les documents " qui portent sur une question litigieuse " peuvent faire l"objet d"une communication préalable. Il ressort très clairement de la jurisprudence que le critère de la pertinence est le seul critère permettant de déterminer si un document devrait être communiqué et produit [...].         

Remarquez, cependant, que la pertinence en ce qui concerne le processus de communication préalable ne doit pas être confondue avec le critère d"admissibilité en preuve. Dans le processus de communication préalable, tous les documents ayant une incidence sur l"une ou l"autre des questions soulevées dans les actes de procédure sont pertinents. Il ressort de la jurisprudence que des règles précises applicables au stade de la communication préalable ne peuvent être élaborées pour déterminer ce qui est pertinent en ce qui concerne les questions débattues et ce qui ne l"est pas. Si les documents ont une " apparence de pertinence ", ils seront déclarés susceptibles d"être produits, et il reviendra au juge du procès de déterminer, au procès, s"ils sont pertinents ou non7.

                  La norme applicable, aux termes de la Règle 82(1), à la production de documents est la même que celle qui s"applique aux questions posées en interrogatoire préalable. Les auteurs Holmested et Watson, dans Ontario Civil Procedure , font remarquer, dans leur commentaire sur la Règle 31.06(1), laquelle, comme il a déjà été mentionné, comprend également l"expression " qui portent sur " :[TRADUCTION] De toute évidence, l"interrogatoire ne peut pas porter sur des questions non pertinentes, mais la pertinence doit être déterminée par les plaidoiries, interprétées avec une latitude raisonnable [...]. Le tribunal ne devrait pas avoir à mener une enquête approfondie sur la pertinence de chaque question; lorsque les questions se rapportent d"une façon générale aux points litigieux soulevés, il faut y répondre [...]. La tendance est d"élargir l"interrogatoire au préalable; le " droit d"interroger n"est pas limité aux faits directement en litige, mais s"étend à tout fait dont l"existence ou l"inexistence se rapporte à l"existence ou à l"inexistence des faits directement en litige " [...]8.         

     [Non souligné dans l"original; citations omises.]

         Par conséquent, l"expression " qui portent sur toute question en litige " exige que, à l"étape de l"interrogatoire préalable, la pertinence soit interprétée largement ou avec une latitude raisonnable. Néanmoins, il convient de ne pas interpréter trop largement l"" apparence de pertinence ", afin de ne pas permettre à une partie de mener un interrogatoire à l"aveuglette ou de simplement harceler l"autre partie9. Il y a apparence de pertinence seulement lorsque les documents demandés pourraient inciter la partie qui cherche à obtenir une communication préalable à mener une enquête qui pourrait directement ou indirectement contribuer à étayer ses prétentions ou contredire celles de son adversaire10. Le juge de la Cour de l"impôt a donc adopté la norme applicable en matière de production de documents aux termes de la Règle 82(1).

Application de la norme aux documents énumérés au paragraphe ix)

         Le juge de la Cour de l"impôt pouvait donc, à bon droit, ordonner la production des interprétations techniques et décisions anticipées non publiées, si ces documents pouvaient inciter l"appelante à mener une enquête pouvant contribuer à étayer ses prétentions ou contredire celles de l"intimée. En l"espèce, cependant, ni les interprétations techniques, ni les décisions anticipées ne pouvaient aider l"appelante de cette façon.

         La pertinence doit être évaluée en fonction des questions litigieuses soulevées par l"appelante dans ses actes de procédure. L"appelante soutient que les documents mentionnés au paragraphe ix) constituent des interprétations administratives qui [TRADUCTION] " portent sur " son argument subsidiaire, selon lequel le ministre a commis une erreur en interprétant l"article 245 lorsqu"il a conclu que le transfert de ses pertes constituait une opération d"évitement.

     Les interprétations administratives peuvent à bon droit être utilisées pour interpréter les lois. Elles peuvent faire partie de l"historique d"un texte législatif, c"est-à-dire qu"elles peuvent éclairer le contexte, l"objectif et l"origine du texte11. L"utilisation d"interprétations administratives telles les politiques et pratiques ministérielles12, les bulletins d"interprétation du ministère du Revenu national13 et les notes techniques14 a été permise pour interpréter des textes législatifs ambigus.

         Cependant, les commentaires, avis, notes de service, rapports ministériels ou messages électroniques produits dans le contexte d"une interprétation ministérielle de l"article 245 ne peuvent pas tous être utilisés pour interpréter celui-ci. Rappelons que les interprétations administratives ne peuvent être invoquées que pour éclairer le sens d"un texte législatif. Les notes de service ministérielles et les avis de fonctionnaires du ministère ne reflètent pas l"intention qu"avait le Parlement en promulguant l"article en question.

         Les interprétations techniques et les décisions anticipées non publiées ne sont pas publiées par le ministère, à titre indicatif, au profit des contribuables. Elles ne peuvent donc pas servir à interpréter convenablement un disposition législative.

         Par ailleurs, les interprétations techniques, à l"instar des documents mentionnés aux paragraphes i), ii), v) et vi), ne constituent pas des interprétations administratives du ministère. Elles sont rendues par un fonctionnaire du ministère en réponse à des questions hypothétiques particulières soulevées par un contribuable. Contrairement aux décisions anticipées, que la Cour a récemment jugées non pertinentes en ce qui concerne l"obligation fiscale d"un autre contribuable15, les interprétations techniques ne servent pas à décrire la position du ministère du Revenu national. Elles sont rédigées et signées par un employé du ministère. En outre, elles sont accompagnées de l"avertissement suivant :[TRADUCTION] Veuillez prendre note qu"il se peut que le document suivant, bien que considéré valable au moment de sa parution, ne représente pas le point de vue actuel du ministère16.

         Il est donc clair, à mon avis, que le ministère du Revenu national ne sanctionne pas les interprétations techniques. Par conséquent, je peux difficilement concevoir que la déclaration non exécutoire et non publiée d"un fonctionnaire du ministère en réponse à une question hypothétique particulière soulevée par un contribuable, déclaration qui ne décrivait nullement la position du ministère, constitue une [TRADUCTION] " interprétation administrative " pertinente en ce qui concerne l"interprétation ou l"application d"une disposition législative à l"égard de la situation d"un autre contribuable. Les propos du juge Christie, J.C.A.C.C.I., dans Shell Canada Ltd. c. La Reine , quoique formés dans un contexte différent, sont pertinents :À mon avis, l"expression " pratique administrative ", dans le contexte mentionné et relativement à la présente instance, doit être considérée comme une pratique établie par une personne autorisée au sein du ministère du Revenu national, pratique que les fonctionnaires du ministère doivent généralement suivre et appliquer lorsqu"ils administrent la partie ou les parties pertinentes de la Loi. Cela ne comprend pas les décisions spéciales se rapportant à des cas particuliers17.

         Les interprétations techniques ne sont pas des [TRADUCTION] " interprétations administratives " qui reflètent l"interprétation qu"il convient de donner à une disposition d"assujettissement particulière. Par conséquent, les interprétations de forme de l"article 245 invoquées par l"appelante ne peuvent servir à étayer ses prétentions ni à contredire celles de l"intimée. Le juge de la Cour de l"impôt a donc commis une erreur en admettant leur production.

         À l"instar des interprétations techniques, les décisions anticipées ne sont ni exigées, ni reconnues par la Loi, mais elles constituent un service administratif que le ministère fournit, sur demande, aux contribuables. Chaque décision par anticipation est rendue à titre indicatif au profit d"un contribuable relativement à une transaction projetée particulière. Comme le fait remarquer l"appelante, il est loisible au ministère de cesser, à tout moment, de rendre des décisions anticipées. En outre - chose plus importante - lorsque les décisions anticipées sont publiées, elles sont en général accompagnées de l"avertissement suivant :Les décisions en matière d"impôt sur le revenu sont publiées pour l"information générale des contribuables, mais elles ne lient le Ministère qu"envers le contribuableg visé par la décision rendue18.

                  Dans Ministre du Revenu national c. Ford du Canada Limitée19, un arrêt rendu après la décision du juge de la Cour de l"impôt en l"espèce, la Cour a conclu que les décisions ministérielles en matière d"obligation fiscale ne pouvaient avoir une incidence sur l"obligation fiscale d"un contribuable en particulier :Finalement, nous désirons formuler quelques observations au sujet de la question de savoir si le traitement accordé à d'autres importateurs par le ministre sous le régime de la Loi est pertinent lorsqu'il s'agit d'évaluer la façon dont le ministre a exercé son pouvoir discrétionnaire en l'espèce. L'appelante incidente affirme que le traitement différent que le ministre a, pour l'application de l'alinéa 2(1)f) , accordé à des importateurs se trouvant dans une situation semblable à la sienne, comme la Chrysler du Canada et American Motors du Canada, démontre bien que le ministre a exercé de façon irrégulière son pouvoir discrétionnaire [...].         
              [...] nous concluons que, quelles que soient les similitudes et les différences qui existent entre la Ford du Canada et ses concurrents importateurs, le traitement accordé à d'autres contribuables par le ministre n'est pas déterminant en ce qui concerne la taxe que doit payer la Ford du Canada. Les motifs qui justifient cette conclusion sont amplement développés dans la décision que le juge en chef adjoint a rendue dans la présente instance au sujet de la demande interlocutoire dont il était saisi :         

     Les activités d'autres constructeurs d'automobiles et la manière dont le défendeur les traite n'ont aucun rapport avec l'action de la demanderesse. Aussi semblables que puissent être les activités de deux entreprises, si l'une d'entre elles peut formuler le litige de façon qu'on doive prendre en considération les affaires de l'autre, c'est le chaos qui s'ensuivrait. Dans chaque cas d'espèce, il incombe au demandeur de prouver qu'il satisfait aux conditions prévues par la loi. En l'espèce, si la demanderesse peut prouver que son entreprise tombe dans le champ d'application de la définition figurant à l'alinéa 2(1)f), elle aura droit au traitement prévu à l'article 26.1 pour les " marchandises semblables ". Ce droit ne tient pas à ce que d'autres constructeurs d'automobiles en ont joui, mais à ce que la demanderesse satisfait aux conditions prévues par la loi20.

         Le droit d"un contribuable à un avantage ou à une déduction sous le régime de la Loi ne peut être accordé sur le fondement qu"un autre contribuable, dans une situation semblable, l"a obtenu; il ne peut l"être que s"il est prévu dans la Loi. Vu que le contribuable ne peut se fonder sur le traitement accordé à un autre contribuable pour établir son admissibilité à un avantage fiscal, le fait que des contribuables dans une situation similaire aient obtenu un traitement similaire n"est pas pertinent en ce qui concerne la prétention de l"appelante selon laquelle le ministre a commis une erreur en concluant que le transfert de perte de l"appelante relevait du paragraphe 245(2) de la Loi. Par conséquent, la divulgation de décisions anticipées non publiées ne tendrait pas à étayer les prétentions de l"appelante ni à contredire celles de l"intimée. Le juge de la Cour de l"impôt a donc commis une erreur en ordonnant qu"elles soient produites.

         Vu les faits du présent appel, le droit de l"appelante à une déduction aux termes du paragraphe 85(5.1) et de l"alinéa 69(5)d) de la Loi n"a pas été touché par les décisions anticipées ni les interprétations techniques non publiées dont l"appelante cherche à obtenir divulgation. Ces documents ne peuvent donc pas être pertinents en ce qui concerne la prétention subsidiaire de l"appelante selon laquelle le ministre a appliqué à tort l"article 245 au transfert de perte visé dans l"action principale.


Conclusion

         Par ces motifs, j"accueillerais l"appel incident avec dépens et j"annulerais l"ordonnance du juge de la Cour de l"impôt.

                         " Julius A. Isaac "                              juge en chef

Traduction certifiée conforme              _________________________

                         Bernard Olivier, LL.B.

     COUR D"APPEL FÉDÉRALE

     A-542-96

ENTRE :

     OWEN HOLDINGS LTD.,

     appelante

     (intimée par appel incident),

     et

     SA MAJESTÉ LA REINE,

     intimée

     (appelante par appel incident).

     MOTIFS DU JUGEMENT


COUR D"APPEL FÉDÉRALE


AVOCATS ET PROCUREURS INSCRITS AU DOSSIER

    

NO DU GREFFE :                      A-542-96

INTITULÉ DE LA CAUSE :              Owen Holdings Ltd.

                             Sa Majesté la Reine

                

LIEU DE L"AUDIENCE :                  Vancouver (Colombie-Braitnnique)
DATE DE L"AUDIENCE :                  le jeudi 19 juin 1997

MOTIFS DE L"ORDONNANCE PAR :          le juge Marceau, J.C.A.

Y A SOUSCRIT :                      le juge suppléant Heald

MOTIFS DISSIDENTS EN PARTIE PAR :      le juge en chef

EN DATE DU :                      jeudi 17 juillet 1997

ONT COMPARU :

M. Joel Nitikman                      pour l"appelante

M. L.P. Chambers                      pour l"intimée

PROCUREURS INSCRITS AU DOSSIER :

Fraser & Beatty

Vancouver (Colombie-Britannique)              pour l"appelante

George Thomson

Sous-procureur général du Canada

Ottawa (Ontario)                      pour l"intimée

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1      Voici le libellé de la Règle 82(1) :
             82.      (1)      Les parties peuvent convenir ou, en l"absence d"entente, demander à la Cour de prononcer un jugement obligeant chaque partie à déposer et à signifier à l"autre partie une liste de tous les documents qui sont ou ont été en la possession, sous le contrôle ou sous la garde de cette partie et qui portent sur toute question en litige entre les parties à l"appel.                                                          [Non souligné dans l"original.]

2      (1994), 114 D.L.R. (4th) 104.

3      Voici le libellé actuel du paragraphe (1) et de l"alinéa (2)a ) de la Règle 448 :
             448.      (1)      Chaque partie à une action dépose un affidavit en application de la présente règle et le signifie aux autres parties à l"action dans un délai de 30 jours après que la contestation est liée ou dans un autre délai convenu par les parties ou ordonné par la Cour.
             (2)      L"affidavit prévu à l"alinéa (1) (Formule 19) comprend :              a)      des listes séparées et des descriptions suffisamment détaillées de tous les documents pertinents à l"affaire en litige :                  (i)      qui sont en la possession, sous l"autorité ou sous la garde de la partie et à l"égard desquels aucun privilège n"est revendiqué;                  (ii)      qui sont ou étaient en la possession, sous l"autorité ou sous la garde de la partie à l"égard desquels aucun privilège n"est revendiqué;                  (iii)      qui étaient mais ne sont plus en la possession, sous l"autorité ou sous la garde de la partie et à l"égard desquels aucun privilège n"est revendiqué;                  (iv)      que la partie croit être en la possession, sous l"autorité ou sous la garde d"une personne qui n"est pas une partie à l"action; [...]
     Avant 1990, cette disposition était libellée de la façon suivante :
             448.      (1)      La Cour pourra ordonner à toute partie à une action d"établir, déposer et signifier à toute autre partie une liste des documents qui sont ou ont été en sa possession, sous sa garde ou sous son autorité et qui ont trait à tout point litigieux de l"affaire ou de la question (Formule 20), et elle peut en même temps ou subséquemment lui ordonner d"établir et déposer un affidavit attestant de l"exactitude de cette liste (Formule 21) et d"en signifier copie à l"autre partie. [...]


4      Non publiée (25 avril 1997), A-613-84.

5      (1994), 114 D.L.R. (4th) 104 (C.A.F.).

6      Ibid, à la page 107.

7      Fred Cass et al. (Toronto: Carswell, 1993), aux pages 9 et 11.

8      Passage cité dans Shell Canada Ltd. c. R., [1997] 1 C.T.C. 2208, à la page 2213.

9      Voir, par exemple, Ikea Ltd. v. Idea Design Ltd., [1987] 3 C.F. 317, aux pages 325 à 327; Kay v. Posluns (1989), 71 O.R. (2d) 238 at 244 (H.C.).

10      Voir Boxer c. Reesor (1983), 43 B.C.L.R. 352 (C.S.), approuvée dans Everest & Jennings Canadian Ltd. c. Invacare Corp., [1984] 1 C.F. 856 (C.A.); Compagnie Financière du Pacifique c. Peruvian Guano Company (1882), 11 Q.B.D. 55 (C.A.).

11      Harel c. Québec (Sous-ministre du Revenu), [1978] 1 R.C.S. 851, aux pages 858 et 859.

12      Ibid; Fibreco Pulp Inc. c. R., 95 D.T.C. 5412 (C.A.F.).

13      Bryden c. Commission de l"emploi et de l"immigration, [1982] 1 R.C.S. 443, à la page 450; Nowegijick c. R., [1983] 1 R.C.S. 29, à la page 37; Mattabi Mines Ltd. c. Ontario (M.R.), [1988] 2 R.C.S. 175, à la page 195.

14      La Reine c. Ast (12 février 1997), A-431-92 (C.A.F.); Maritime Telegraph and Telephone Company c. La Reine (1992), 1 C.T.C. 264 (C.A.F.); Glaxo Wellcome Inc. c. La Reine, [1996] 1 C.T.C. 2904 (C.C.I.).

15      Voir Ford, infra.

16      Voir, par exemple (29 janvier 1997), [TRADUCTION] Interprétation technique de Revenu Canada no 9634945, " Dons aux organismes à but non lucratif ".

17      Supra à la page 2228.

18      Voir, par ex., TR-1, Décisions anticipées, par. 88,001; ATR-2, Décisions anticipées, par. 90,502.

19      (25 avril 1997), A-613-94 (C.A.F.).

20      Ibid, aux pages 24 à 26, opinions de juges Linden et McDonald.

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