Décisions de la Cour d'appel fédérale

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                                                                                                                                 Date : 20051031

                                                                                                                             Dossier : A-402-03

                                                                                                                Référence : 2005 CAF 357

CORAM :       LE JUGE DÉCARY

LE JUGE LÉTOURNEAU

LE JUGE NOËL

ENTRE :

                       LE CONSEIL DE BANDE DE UASHAT MAK MANI-UTENAM

                                                                                                                                              appelant

                                                                             et

                                                          SOLANGE FONTAINE

                                                                                                                                                intimée

                                   Audience tenue à Québec (Québec), le 19 octobre 2005

                                   Jugement rendu à Ottawa (Ontario), le 31 Octobre 2005

MOTIFS DU JUGEMENT :                                                                                  LE JUGE DÉCARY

Y ONT SOUSCRIT :                                                                                  LE JUGE LÉTOURNEAU

                                                                                                                                  LE JUGE NOËL


                                                                                                                                 Date : 20051031

                                                                                                                             Dossier : A-402-03

                                                                                                                Référence : 2005 CAF 357

CORAM :       LE JUGE DÉCARY

LE JUGE LÉTOURNEAU

LE JUGE NOËL

ENTRE :

                       LE CONSEIL DE BANDE DE UASHAT MAK MANI-UTENAM

                                                                                                                                              appelant

                                                                             et

                                                          SOLANGE FONTAINE

                                                                                                                                                intimée

                                                       MOTIFS DU JUGEMENT

LE JUGE DÉCARY


[1]                Il s'agit d'une demande de contrôle judiciaire à l'encontre d'une décision d'un juge de la Cour fédérale, rendue le 9 juillet 2003, (2003 CF 853) qui a infirmé la sentence arbitrale rendue le 30 novembre 2001 par Me André Truchon, arbitre désigné conformément à la partie III, section XIV du Code canadien du travail, L.R.C. 1985, ch. L-2      ( « Code » ). L'arbitre a rejeté le grief de congédiement injustifié déposé par Solange Fontaine, l'intimée. Le juge a ordonné la réintégration de l'intimée et il a retourné le dossier à l'arbitre afin qu'il décide du quantum de la réparation monétaire à être versé par l'employeur, le Conseil de bande appelant.

[2]                L'appelant plaide essentiellement que le juge a erré en appliquant la norme de contrôle de raisonnabilité simple et en substituant sa propre opinion à celle de l'arbitre. Il plaide aussi que le juge n'avait pas compétence pour ordonner de lui-même la réintégration de l'intimée.

[3]                Sur ce dernier point, l'intimée se range à l'avis de l'appelant. Dès lors que le juge en arrivait à la conclusion que le congédiement était injustifié, il lui incombait de retourner le dossier à l'arbitre - qui n'avait évidemment pas eu à se pencher sur cette question - pour que ce dernier décide de l'opportunité d'ordonner la réintégration de l'intimée aux termes des alinéas 242(3)a) et 242(4)b) du Code canadien du travail. Qui plus est, le juge n'aurait pu de toute façon ordonner la réintégration sans motiver sa décision à cet égard et sans avoir procédé à un examen des facteurs favorables et défavorables (voir Conseil de Bande des Abénakis de Wôlinak c. Bernard, Cour fédérale, 13 mars 2000, T-594-99). En l'espèce le juge n'a expliqué d'aucune manière le pourquoi de son ordonnance de réintégration. Il s'ensuit que dans l'hypothèse où cette Cour décidait que le congédiement était injustifié, l'appel n'en devrait pas moins être accueilli, ne serait-ce que pour renvoyer le dossier à l'arbitre sur cette question de réintégration.


[4]                Sur la norme de contrôle applicable aux conclusions de faits et aux inférences qu'en tire l'arbitre, les parties s'entendent, et je suis d'accord avec elles, pour dire que celle applicable est la norme de la décision manifestement déraisonnable, ainsi qu'en a décidé la Cour suprême du Canada dans Conseil de l'éducation de Toronto (Cité) c. F.E.E.E.S.Q., district 15, [1997] 1 R.C.S. 487, un cas, précisément, de décision arbitrale en matière de congédiement sans juste cause. (Voir, aussi, Defence Construction Canada Ltd. c. Girard, 2005 CF 1177, j. de Montigny).

[5]                Dans l'affaire Conseil de l'éducation de Toronto, le juge Cory disait de cette norme qu'elle constituait un « critère très strict » qu'il décrivait ainsi, au paragraphe 46 de ses motifs :

. . . il appert que si la décision qu'a rendue la Commission, agissant dans le cadre de sa compétence, n'est pas clairement irrationnelle, c'est-à-dire, de toute évidence non conforme à la raison, on ne saurait prétendre qu'il y a eu perte de compétence.

Il ajoutait aux paragraphes 47 et 48 :

47             Pour déterminer si la décision d'un tribunal administratif est manifestement déraisonnable, une cour de justice peut examiner le dossier afin de découvrir le fondement des conclusions de fait ou de droit qu'a tirées le tribunal et qui sont contestées . . . .

48             En conséquence, dans les cas où les conclusions arbitrales en litige reposent sur des inférences tirées de la preuve, il est nécessaire que la cour de justice qui contrôle la décision examine cette preuve. Je précise que cela ne veut pas dire que la cour doit apprécier la preuve comme si elle avait été saisie de la question en premier lieu. Il faut se rappeler que, même si la cour de justice n'est pas d'accord avec la façon dont le tribunal administratif a apprécié la preuve et tiré ses conclusions, c'est uniquement dans le cas où la preuve, appréciée raisonnablement, est incapable d'étayer les conclusions du tribunal que la cour peut substituer son opinion à celle du tribunal.


[6]                Or, dans le cas présent, c'est à la toute fin de ses motifs que le juge se penche sur la question de la norme de contrôle applicable. Il se dit d'accord, au paragraphe 75, avec le procureur de l'appelant « à l'effet qu'il est bien établi que l'intervention de cette Cour pour contrôler les conclusions de faits qu'un tribunal administratif ne doit se faire que lorsqu'il est manifeste que l'arbitre a commis une erreur dans l'interprétation des faits découlant de la                preuve » . Au paragraphe 76, il cite, « à cet égard » l'arrêt de la Cour suprême du Canada dans Directeur des enquêtes et recherches c. Southam Inc., [1997] 1 R.C.S. 748 là ou est précisément définie la norme de la raisonnabilité simple. Il conclut, au paragraphe 77, que la décision de l'arbitre est      « déraisonnable » parce que ses motifs « seraient incapables de résister à un examen assez poussé » , les mots mêmes utilisés par la Cour suprême pour décrire la norme de la raisonnabilité simple. Même s'il dit, au paragraphe 78, s'appuyer « aussi sur les critères émanant de la Cour suprême sur la norme de contrôle « manifestement déraisonnable » , il n'explique pas en quoi la décision serait manifestement déraisonnable, ce qui m'amène à conclure, à l'instar de l'appelante, que c'est la norme de la raisonnabilité simple que le juge, à tort, disait avoir appliquée; et encore là je ne suis pas certain que le juge n'a pas substitué sa propre opinion à celle de l'arbitre sans expliquer en quoi cette dernière serait déraisonnable.

[7]                Le juge ayant appliqué la mauvaise norme, il m'incombe de réexaminer le dossier sous l'angle de la norme applicable, soit celle de la décision manifestement déraisonnable. (Dr. Q. c. College of Physicians and Surgeons of British Columbia, [2003] 1 R.C.S. 226, para. 43).

LE DROIT

[8]                Un mot, d'abord, sur certains principes de droit applicables.

[9]                Ainsi que le rappelle le juge Cory, au paragraphe 49 de ses motifs dans Conseil de l'éducation de Toronto :


La première étape de tout examen de la question de savoir si un employé a été congédié pour une « cause juste » consiste à se demander si l'employé est effectivement responsable de la mauvaise conduite que lui reproche l'employeur. La deuxième étape est de déterminer si la mauvaise conduite constitue une cause juste justifiant les mesures disciplinaires. La dernière étape consiste à décider si les mesures disciplinaires choisies par l'employeur sont appropriées compte tenu de la mauvaise conduite et des autres circonstances pertinentes.

Le Conseil canadien des relations de travail avait à toutes fins utiles suivi cette approche dans un cas impliquant, cependant, une loi de la Colombie-Britannique (Wm Scott & Company Ltd., [1977] 1 Can. L.R.B.R. 1 (Can. L.R.B.), et la Cour fédérale dans Kelowna Flightcraft Air Charter Ltd. v. Kmet, (1998), 149 F.T.R. 246 (T.D.) a jugé que cette approche devait également être suivie dans les cas relevant de l'article 242 du Code canadien du travail.

[10]            Il va de soi que l'arbitre est maître de sa façon de procéder et d'en arriver à ses conclusions. Ce qui importe, en bout de ligne, est qu'il se soit posé, à sa manière, les bonnes questions et qu'il les ait résolues d'une manière qui ne soit pas clairement irrationnelle.

[11]            En ce qui a trait, de façon plus spécifique, au caractère approprié de la sanction lorsqu'il s'agit de « formes de malhonnêteté . . . qui fris[ent] « le vol, la malversation, la contrefaçon ou les manoeuvres frauduleuses » (McKinley c. B.C. Tel, [2001] 2 R.C.S. 161, au para. 46)), la Cour suprême du Canada, dans McKinley, a rejeté l'approche absolue et inconditionnelle qui permettait à un employeur de congédier un employé pour un seul acte malhonnête, si négligeable soit-il et elle a adopté une approche fondée sur le principe de la proportionnalité, approche que le juge Iacobucci décrit en ces termes au paragraphe 57 de ses motifs :


57             . . . je préconise un cadre analytique qui traite chaque cas comme un cas d'espèce et qui tient compte de la nature et de la gravité de la malhonnêteté pour déterminer si elle est conciliable avec la relation employeur-employé. Une telle approche réduit le risque qu'un employé soit pénalisé indûment par l'application stricte d'une règle catégorique qui assimile toutes les formes de malhonnêteté à un motif valable de congédiement. En même temps, cette approche soulignerait à juste titre que la malhonnêteté qui touche au coeur même de la relation employeur-employé peut constituer un motif valable de congédiement.

[12]            La Cour écarte ainsi l'approche absolue et inconditionnelle en tant que principe général pour s'assurer que la malhonnêteté n'entraîne pas les mêmes conséquences, « peu importe que le comportement reproché ait été ou non suffisamment insigne pour miner ou ébranler les obligations et la confiance inhérentes à la relation employeur-employé. » (para. 55) Pour éviter     « des résultats à la fois déraisonnable et injustes » , elle exige « une analyse des circonstances ayant entouré l'inconduite alléguée, de sa gravité et de la mesure dans laquelle elle a influé sur la relation employeur-employé. » (para. 56)

LES FAITS


[13]            Au moment de son congédiement, l'intimée, qui avait vingt-cinq ans de services continus auprès de la Bande, était une employée-cadre qui dirigeait depuis 1986 le service Finance et administration, lequel comprenait neuf employés. Ce service est le plus important de la Bande et c'est lui qui gère les revenus et dépenses. Toutes les sommes d'argent de la Bande y transitent (d. a. vol. 1, p. 61). Le directeur du service, l'intimée en l'espèce, a comme fonction première de diriger « l'implantation et l'évaluation des services d'inventaire, finance et administration générale pour répondre adéquatement aux besoins de l'administration de la bande » (ibid p. 65). Il achemine des bilans périodiques à chaque secteur et surveille leur budget. Il participe à la préparation des budgets annuels (ibid p. 73), lesquels sont de l'ordre de quelque 34 millions (ibid p. 59). Aux dires du chef de Bande, l'intimée est la personne qui a le plus d'influence auprès du Conseil. C'est elle qui signe tous les chèques, mais elle doit toujours obtenir une deuxième signature (ibid p. 84). Elle est autorisée par le Conseil à signer les réquisitions, les bons d'achat, les retraits au comptoir et les virements bancaires.

[14]            De tous les salaires versés par la Bande, l'intimée reçoit le deuxième en importance, soit    79 986 $, auquel s'ajoutent des indemnités d'une valeur de 10 000 $ (ibid p. 103). Son contrat prévoit qu'elle peut être congédiée sans compensation en cas de faute grave.

[15]            Le 24 août 1998, le chef Elie-Jacques Jourdain, que l'intimée supporte, est défait lors d'une élection générale. Le chef Rosario Pinette et son équipe de neuf conseillers lui succèdent. S'ensuit une période de malaise et de grogne au sein de la communauté, qui trouve son point culminant en décembre 1998, quand une assemblée générale réclame une enquête publique sur l'administration précédente. Le nouveau Conseil consulte alors des avocats sur la possibilité et la manière de tenir une telle enquête, puis engage une firme de vérificateurs, des enquêteurs et des experts pour passer au peigne-fin les documents, registres et livres de l'administration Jourdain (d. a. vol. 3, p. 468).

[16]            L'enquête est conduite entre juin et septembre 1999. Des rapports d'étape sont transmis au Conseil, ce qui amène ce dernier, le 10 juillet 1999, à suspendre l'intimée avec solde, en particulier à cause de problèmes liés à la signature de certains contrats et à une double facturation (d. a. vol. 3, p. 470). Éventuellement, soit le 27 septembre 1999, après réception d'autres rapports d'étape, le Conseil congédie l'intimée dans les termes suivants :


Depuis décembre dernier, le Conseil de bande procède, comme vous le savez, à une enquête concernant l'administration et la gestion de ses affaires.

Suite à des informations troublantes et inquiétantes touchant, entre autres choses, certains dossiers relevant de votre responsabilité et ainsi que des gestes posés par vous, vous avez été suspendue avec solde le 10 juillet dernier afin de poursuivre l'enquête en cours.

La partie de l'enquête vous concernant visait plus particulièrement mais non limitativement la signature non autorisée et antidatée, à l'insu du Conseil, d'un certain nombre de contrats de travail (dont le vôtre) le lendemain ou dans les jours qui ont suivi les élections du 24 août 1998.

Le Conseil a maintenant notamment acquis la certitude et les preuves que vous vous êtes présentée dans les locaux du Conseil le 25 août 1998, soit la journée du congé du chef pour sortir des projets de contrats de l'ordinateur et vous empresser de les faire ensuite signer par les personnes concernées, dont vous-même, tout en prenant soin d'indiquer une date antérieure.

Bien que l'enquête se poursuive quant à d'autres faits et gestes troublants et inquiétants concernant votre conduite dans le poste de confiance qui vous avait été attribué après plus de 25 années à l'emploi de notre Conseil, ces gestes en soi constituent une inconduite extrêmement grave et inacceptable, voire même un subterfuge frauduleux à l'égard de votre employeur.

Devant les faits ci-devant relatés, l'importance du poste que vous occupiez, les fonctions qui vous étaient confiées et la gravité des fautes commises, le Conseil n'a eu d'autre alternative que de constater que vous avez gravement manqué à vos obligations d'honnêteté, portant ainsi une atteinte irrémédiable au lien de confiance essentiel au maintien de votre lien d'emploi.

Compte tenu de ce qui précède, Innu-Takuaikan Uashat mak Mani-Utenam a résolu de vous congédier, et ce à compter de ce jour. (d. a. vol. 1, p. 58).

[17]            Le rapport de l'enquête est complété le 22 janvier 2000. Ce rapport adresse treize reproches au service dirigé par l'intimée :

- Manque de contrôle dans les réquisitions de chèques

- Paiement de factures en double

- Écritures de régularisation

- Comptes de dépenses de la plaignante et gestion de la petite caisse

- Factures manquantes

- Paiement sur soumission

- Avances à un fournisseur

- Paiements en trop dans le contrat d'Innu L'Autobus

- Paiements d'indemnités sans impôt à certains cadres

- Défi de l'autorité de la plaignante

- Privilèges, passes et échanges de faveurs


- Signature des contrats des cadres

- Chèque no. 61490 au montant de 9,880.00 $

(d. a. vol. 3, p. 414).

[18]            La décision de l'arbitre est rendue le 30 novembre 2001 après vingt-quatre jours d'audience (d. a. vol. 6, p. 57). Elle fait 450 pages.

LA DÉCISION DE L'ARBITRE

[19]            L'arbitre analyse avec minutie chacun des reproches adressés à l'intimée ou à son service. Il ne juge pas fondés les onze premiers, mais retient les deux derniers, soit celui relié à la signature antidatée des contrats des cadres (dont faisait déjà état la lettre de congédiement) et celui relié à l'émission d'un chèque de 9 880,00 $ tiré à l'ordre de l'intimée.

[20]            Relativement, d'abord, au chèque de 9 880, 00 $, l'arbitre s'emploie, de la page 482 à la page 492 (d. a. vol. 3), à décortiquer une preuve complexe et décousue qui révèle que le chèque en question était en réalité destiné à une certaine Jenny Rock; qu'il visait à permettre à celle-ci, une étudiante, d'ouvrir une agence de voyages, et ce dans le cadre, soi-disant, d'un programme autorisé; et que l'argent encaissé par l'intimée elle-même dans des circonstances assez suspectes fut remis comptant par celle-ci à Jenny Rock en sept versements inégaux s'échelonnant du 5 décembre 1996 au 31 janvier 1997.

[21]            L'arbitre en arrive à la conclusion suivante :


L'épisode du projet de Jenny Rock n'est pas clair, avait-elle réellement l'intention d'ouvrir une agence de voyages, quel degré de sérieux peut-on accorder à cette démarche, à ce projet?

La note de Bernadette Michel sur le fait que "la plaignante dit toujours oui à Jenny Rock" nous amène à conclure que la plaignante a voulu aider Jenny Rock mais que pour ce faire elle s'est aveuglée volontairement, qu'elle n'a pas agi en administrateur sérieux et compétent en déboursant de l'argent pour les motifs et dans les circonstances connues.

Bien que l'explication de la plaignante puisse apparaître peu crédible dans un autre contexte, il faut dans ce dossier replacer les choses dans leur contexte et dans celui où évoluait l'administration à l'époque, une période où les contrôles étaient peu efficaces et dans certains cas totalement inexistants.

Après avoir entendu la preuve nous devons conclure que la plaignante a remis l'argent à Jenny Rock.

La plaignante s'est comportée d'une manière inadmissible, elle a déboursé de l'argent qui appartenait à l'employeur sans autorisation, sous le couvert de programmes qu'elle administrait à l'époque mais qui ne s'appliquaient pas au cas de Jenny Rock.

Le projet tel que monté par Jenny Rock ne l'était pas de manière sérieuse et tout administrateur soucieux de bien faire son travail n'aurait jamais accepté de débourser cet argent sans pièce, pour un projet si flou et fort peu réalisable compte tenu du contexte et de l'expérience de Jenny Rock.

La plaignante a, sans autorité ni droit pour ce faire, disposé d'une somme de             9 880,00 $ appartenant à son employeur qui ne sera jamais récupérée par celui-ci, en cela la plaignante a commis une faute des plus graves, affectant nécessairement le lien de confiance la liant à son employeur. (d. a. vol. 3, pp. 491-492).

[22]            Relativement, ensuite, à la signature des contrats des cadres, qui avait été apposée après la date de l'élection et à l'insu du nouveau Conseil, il en traite de la page 479 à la page 482 et il en vient à la conclusion que même si la preuve contradictoire ne permet pas de déterminer avec certitude la date de leur signature non plus que le déroulement des événements, « une chose demeure certaine, des contrats ont été signés après le mois de juin 1999 et cela en mentionnant une date du mois de juin » (d. a. vol. 3, p. 480). Il se dit d'avis, en ces termes, que ce reproche est justifié :


Cette opération de signature des contrats n'a pas été menée avec la rigueur et la transparence qu'un employeur est en droit d'attendre des cadres supérieurs, dont la plaignante, pour un sujet si important et comportant des implications financières significatives pour l'employeur. . . .

Il y a beaucoup de contradiction dans les témoignages du directeur général, de la plaignante et des signataires des contrats.

Nous devons nous placer dans le siège de l'employeur et apprécier ce dossier, cet épisode de signature des contrats. En constatant les événements que la preuve nous a révélés, il a raison de douter, de perdre confiance vis-à-vis les intervenants en général et la plaignante en particulier.

L'employeur est en droit de considérer la prestation de la plaignante dans ce dossier comme inadéquate. . . .

Un employeur quel qu'il soit ne saurait tolérer et accepter des situations où il ne peut distinguer à coup sûr le rôle véritable de ses employés dans telle ou telle situation et cela aura un effet certain sur le lien de confiance.

Dans l'administration de ce dossier, la plaignante n'a pas agi suivant les règles de l'art et n'a pas non plus fait preuve d'une rigueur suffisante et n'a pas démontré toute la loyauté que l'employeur pouvait attendre d'elle dans l'administration de ce dossier. L'employeur est justifié de blâmer la plaignante pour ce comportement.    (d. a. vol. 3, pp. 480, 481).

[23]            Ces conclusions de manipulation de comptes bancaires et d'antidatation de contrats d'emploi sont des conclusions de fait qui trouvent appui dans la preuve et échappent au contrôle judiciaire. Il est vrai, comme le souligne l'intimée, que l'arbitre s'est abstenu de qualifier formellement sa conduite de frauduleuse ou malhonnête, mais les termes qu'il emploie n'en sont pas moins révélateurs : comportement inadmissible, débours sans autorisation d'argent de l'employeur, sous le couvert de programmes, agissement sans autorité ni droit, absence de rigueur, manque de loyauté . . . . Bref, autant d'éléments qui permettaient à l'arbitre de conclure que des fautes graves avaient été commises, qui méritaient sanction.


[24]            L'intimée plaide que la somme de 9 880,00 $ qu'elle a détournée n'est qu'une goutte d'eau dans un budget annuel de quelque 34 millions de dollars. Il se peut que cela soit, encore qu'on ignore quelle portion de ce budget était consacrée à l'administration des affaires courantes. Ce n'est cependant pas tant le montant qui a retenu l'attention de l'arbitre que la façon avec laquelle l'intimée a manipulé le compte bancaire de la Bande et qu'il a jugée inacceptable de la part d'une directrice du service des finances.

[25]            L'intimée plaide aussi le fait qu'il n'y ait pas de conclusion précise relativement à la falsification du contrat d'emploi de l'intimée elle-même. Cela n'est pas vraiment pertinent au stade de la deuxième étape. Ici encore, c'est le fait même de la falsification de contrats d'employés qui permet à l'arbitre de conclure qu'il y a eu inconduite grave.

[26]            L'intimée plaide enfin que l'arbitre s'est arrêté à la deuxième étape et qu'il n'a pas vérifié si la mesure - le congédiement sans compensation - n'était pas disproportionnée à la lumière de toutes les circonstances, dont les vingt-cinq années d'emploi de l'intimée, la nature sommaire des mesures de contrôle traditionnellement mises sur pied par la Bande, le fait que seulement deux des treize reproches dont faisait état le rapport d'enquête aient été retenus et le fait que seule l'intimée aurait été congédiée par le nouveau Conseil.

[27]            Je suis d'accord, sur ce point, avec l'intimée. L'arbitre a franchi un peu trop allègrement, s'il l'a même franchie, la troisième étape et je ne suis pas convaincu qu'il ait bien compris son rôle lorsque, en trois courts paragraphes, il a conclu ce qui suit :

Le rôle de l'arbitre en vertu de la partie III du Code canadien du travail est de déterminer si la plaignante a été congédiée de manière injuste. Pour ce faire, il faut voir si l'employeur avait des motifs de procéder à congédiement et si ces motifs méritaient le congédiement.


À partir du moment où l'employeur démontre des motifs suffisants pour invoquer le bris du lien de confiance, la manière de réagir, la sanction appropriée lui appartient. Une décision en cette matière de la Cour Suprême a établi :

"The sole issue in this case was whether the three employees left their jobs to work for someone else and whether this fact was a proper cause for discipline. Once the board had found that there were facts justifying discipline, the particular form chosen was not subject to review on arbitration.".

L'arbitre ne peut pas intervenir dans le présent dossier. Le lien de confiance entre l'employeur et l'employé est la base du contrat de travail intervenu entre les deux parties. (d. a. vol. 3, p. 506)

[28]            L'arbitre commet à mon avis deux erreurs de droit lorsqu'il affirme qu' « à partir du moment où l'employeur démontre des motifs suffisants pour invoquer le bris du lien de confiance, la manière de réagir, la sanction lui appartient » .

[29]            Il confond la faute commise, qui justifie une sanction (la première et la deuxième étapes) et le bris du lien de confiance, qui peut justifier la nature de la sanction prise (la troisième étape).


[30]            Plus fondamentalement, il s'appuie - et c'est ce qui sème la confusion dont je viens de faire état - sur un ancien arrêt de la Cour suprême du Canada, Port Arthur Shipbuilding Company c. Arthurs, [1969] R.C.S. 85, qui est tombé en désuétude. La Cour suprême en a elle-même réduit la portée dans Heustis c. La Commission d'énergie électrique du Nouveau Brunswick, [1972] 2 R.C.S. 768 et il est incompatible avec l'arrêt Conseil de l'éducation de Toronto. D'ailleurs, dès 1978, La Cour suprême se disait prête à réexaminer Port Arthur Shipbuilding dans Newfoundland Assn. of Public Employees c. Terre-Neuve (Procureur général), [1978] 1 R.C.S. 524. (Voir, aussi, Dairy Producers Co-Operative Ltd. c. Lyons, [1982] 1 R.C.S. 338 et Alberta Union of Provincial Employees c. Lethbridge Community College, [2004] 1 R.C.S. 727.) Il est significatif, à mon avis, que la Cour suprême, dans McKinley, au para. 32, ait cité avec approbation les motifs du juge Laskin, alors juge à la Cour d'appel de l'Ontario, dont la décision a été infirmée par la Cour suprême dans Port Arthur Shipbuilding, et que le Conseil canadien des relations de travail ait fait de même dans Wm Scott (précité, à la page 3).

[31]            L'arbitre s'étant mal dirigé en droit, et puisqu'il ne nous est pas possible de savoir s'il s'est tout de même posé la bonne question, je ne puis que conclure que le dossier doit lui être retourné pour qu'il décide, à la lumière de toutes les circonstances et en appliquant les principes pertinents, si le congédiement sans compensation était une mesure appropriée. En toute justice pour les parties, je suis d'avis que l'arbitre devrait leur donner l'opportunité de faire valoir leur point de vue sur cette question, par écrit ou oralement, et ce sur la base du dossier tel que constitué.

[32]            J'accueillerais l'appel en partie, j'infirmerais la décision de la Cour fédérale et rendant la décision que celle-ci aurait dû rendre, j'accueillerais la demande de contrôle judiciaire aux fins d'annuler en partie la décision de l'arbitre et de lui renvoyer le dossier pour qu'il procède à la troisième étape de la démarche établie au paragraphe 49 de l'arrêt Le Conseil de l'Éducation (Cité) c. F.E.E.E.S.O., District 15, [1997] 1 R.C.S. 487 et, s'il en arrivait à la conclusion que le congédiement sans compensation n'était pas une mesure appropriée dans les circonstances, pour qu'il détermine quelle serait cette mesure.


[33]            J'accorderais à l'intimée ses dépens devant la Cour fédérale et devant cette Cour.

                                                                                                                           (s) « Robert Décary »            

j.c.a.

Je suis d'accord

Gilles Létourneau j.c.a.

Je suis d'accord

Marc Noël j.c.a.


                                                     COUR D'APPEL FÉDÉRALE

                                              AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

DOSSIER :                                         A-402-03

INTITULÉ :                                        LE CONSEIL DE BANDE DE UASHAT MAK MANI-UTENAM c. SOLANGE FONTAINE

LIEU DE L'AUDIENCE :                  Québec (Québec)

DATE DE L'AUDIENCE :                Le 19 octobre 2005

MOTIFS DU JUGEMENT :             Le juge Décary

Y ONT SOUSCRIT :              Le juge Létourneau

Le juge Noël

DATE DES MOTIFS :                       Le 31 octobre 2005

COMPARUTIONS :

Me Jean-François Bertrand                                                                                 POUR L'APPELANT

Me Gilles Grenier                                                                                                    POUR L'INTIMÉE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Bertrand, Poulin

Sainte-Foy (Québec)                                                                                          POUR L'APPELANT

Joli-Coeur, Lacasse

Québec (Québec)                                                                                                   POUR L'INTIMÉE

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