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Date : 20060531

Dossier : A-78-05

Référence : 2006 CAF 204

CORAM :       LE JUGE LÉTOURNEAU

                        LE JUGE NOËL

                        LE JUGE PELLETIER

ENTRE :

CHARLES D. MACLENNAN et ÉQUIPEMENT QUADCO INC.

appelants

et

LES PRODUITS GILBERT INC.

intimée

Audience tenue à Montréal (Québec), les 29 et 31 mai 2006.

Jugement rendu à l'audience à Montréal (Québec), le 31 mai 2006.

MOTIFS DU JUGEMENT DE LA COUR :                                                     LE JUGE NOËL


Date : 20060531

Dossier : A-78-05

Référence : 2006 CAF 204

CORAM :       LE JUGE LÉTOURNEAU

                        LE JUGE NOËL

                        LE JUGE PELLETIER

ENTRE :

CHARLES D. MACLENNAN et ÉQUIPEMENT QUADCO INC.

appelants

et

LES PRODUITS GILBERT INC.

intimée

MOTIFS DU JUGEMENT DE LA COUR

(Prononcés à l'audience à Montréal (Québec), le 31 mai 2006)

LE JUGE NOËL

[1]                Il s'agit d'un appel d'une décision (2004 CF 1700) de la Cour fédérale rendue par le juge Beaudry en date du 6 décembre 2004 rejetant l'action en contrefaçon du brevet canadien no2,011,788 ( « brevet '788 » ) intentée par les appelants.


Faits

[2]                Les appelants exploitent une entreprise qui développe, conçoit, fabrique et vend des produits forestiers, y compris des scies circulaires, des pièces de remplacement pour des scies circulaires, tel que disques, porte-dents et dents de scie.

[3]                C'est l'appelant MacLennan qui a formé Équipement Quadco Inc. ( « Quadco » ) dont le premier produit ainsi commercialisé a été la combinaison qui fait l'objet de l'invention en litige. Quadco offre en vente un disque complet sur la périphérie duquel sont boulonnés en série des exemplaires de la combinaison brevetée. Quadco vend également aux exploitants forestiers trois variantes de l'invention qui font l'objet du présent appel comme pièces de rechange (dents et porte-dents) qu'ils amènent avec eux en forêt pour pouvoir construire ou reconstruire sur place les combinaisons qui s'abîment ou se détruisent.

[4]                Pour sa part, l'intimée exploite, elle aussi, une entreprise qui fabrique et vend des produits et des équipements forestiers, y compris des scies circulaires, des pièces de remplacement pour des scies circulaires, tels que disques, porte-dents, dents de scie et adaptateurs de dents. Au sein de ces équipements forestiers on retrouve une scie circulaire pour tête abatteuse qui comprend des
porte-dents boulonnés à la périphérie du disque alors qu'auparavant ces porte-dents étaient soudés.

[5]                Les appelants poursuivent l'intimée en contrefaçon du brevet '788 dont l'invention revendiquée est destinée au domaine des scies circulaires pour tête abatteuse dans l'industrie forestière qui sont plus spécialement utilisées en terrain rocailleux et enneigé.

[6]                L'invention vise la combinaison de deux pièces maîtresses essentielles ayant un ensemble de caractéristiques particulières, soit une dent de scie repositionnable et un porte-dent détachable, laquelle combinaison est destinée à être fixée à la périphérie du disque d'une scie circulaire.

[7]                La dent est attachée au porte-dent, alors que le porte-dent est destiné à être boulonné sur la périphérie d'un disque pour former une scie circulaire. La dent et le porte-dent projettent au-delà du disque. La scie circulaire est installée dans la partie inférieure d'un appareil servant à abattre les arbres, appelé « tête abatteuse » . Le disque de la scie dont il est question est de taille importante.

[8]                Les dents, les porte-dents et le disque peuvent être fréquemment endommagés parce que la scie, puisqu'elle coupe l'arbre le plus près possible du sol, est susceptible de se heurter à des roches. Un tel impact est violent surtout si l'on tient compte de la vitesse à laquelle tourne le disque.

[9]                Selon le mémoire descriptif du brevet en litige, l'objectif de l'inventeur était d'éviter d'endommager le disque en limitant les dommages aux dents et aux porte-dents (Brevet '788, mémoire descriptif, p.1, lignes 6 à 14). La dent et le porte-dent sont remplaçables par des pièces de rechange neuves que les exploitants forestiers apportent avec eux en forêt (brevet '788, mémoire descriptif, p. 2, lignes 34 à 35 et p. 3, lignes 1 à 7). L'exploitant forestier puise dans son inventaire de dents et de porte-dents pour assembler de nouveau une ou plusieurs nouvelles combinaisons.

[10]            Les appelants ont présenté devant le premier juge le tableau suivant qui décrit les produits Gilbert et les revendications du brevet '788 qui auraient été violées (transcription, vol. 8, page 242) :

[11]            Ils ont plaidé, en fonction de ce tableau, que l'intimée violait son brevet de deux façons, soit d'une part par la production et la vente de la dent et du porte-dent qui apparaissent à la combinaison #1 en contrefaçon directe du brevet, et d'autre part en incitant les forestiers à utiliser les dents Gilbert en combinaison avec les porte-dents des appelants qui apparaissent aux combinaisons #2 à #5 du tableau (contrefaçon par incitation).

[12]            Il n'y a pas lieu de reproduire les revendications dont la violation est alléguée. Il suffit de dire que ces revendications portent sur des combinaisons puisqu'elles commencent toutes (directement ou indirectement) avec les mots « A saw tooth and tooth holder combination » .

Décision sous appel

[13]            Le premier juge a d'abord conclu que le porte-dent Gilbert et la dent Gilbert à dos cylindrique (combinaison #1) ne donnaient pas lieu à une contrefaçon directe des revendications 2, 3 et 5 du brevet. Selon lui, les revendications 3 et 5 étaient dépendantes de la deuxième revendication, et cette dernière revendication n'était pas violée puisqu'elle se limite à une dent
« frusto-pyramidale » et à un porte-dent à forme correspondante alors que la dent Gilbert et son porte-dent ne comportent pas cette forme.

[14]            Les motifs du premier juge à cet égard sont les suivants :

[27]          [...] Il est vrai que dans la revendication 2 les mots « frusto-pyramidal » , ou « pyramidal » ne sont pas indiqués. Cependant, l'expert de la défenderesse maintient que le brevet ne peut couvrir autre chose qu'une dent de forme pyramidale. En préférant son opinion à celle de M. Marquis, je ne crois pas que la Cour ajoute un mot à la revendication 2, tel que le prétend le procureur de la demanderesse, compte tenu des explications probantes fournies. Pour appuyer ses prétentions, M. Gauthier fait référence à son analyse faite en rapport avec la revendication 1, le mémoire descriptif, les dessins et les mots mêmes de la revendication 2 « small end » , « large end » , « divergent surfaces » et les moyens d'appui. Il admet cependant que la dent de forme pyramidale peut avoir plus que quatre côtés.

[28]          Les moyens d'appui du porte-dent sont un autre élément essentiel du brevet. D'un côté, M. Marquis mentionne « un moyen d'appui contre lequel le dos et un côté de la dent sont appuyés » . Pour sa part, M. Gaudreault croit que « les moyens d'appui sont adaptés pour recevoir une dent de forme pyramidale, c'est-à-dire deux surfaces qui forment un L » . Le témoignage et le raisonnement de l'expert de la défenderesse m'ont convaincu que ses conclusions à cet égard sont plus probantes que celles de l'expert de la demanderesse. Les deux surfaces qui forment le L sont fabriquées de telle sorte qu'elles épousent la forme de la dent pyramidale. Elles sont donc adossées sur une surface plane et appuyées sur un de ses côtés sur une petite plate-forme. Avec la tige, et un moyen d'attachement, cette combinaison de porte-dent et de dent de scie prévient la rotation et les mouvements tangentiels.

[15]            Quant à l'allégué de contrefaçon par incitation, le premier juge en a disposé comme suit :

[38]          J'adhère à la thèse avancée par le procureur de la défenderesse à l'effet que la demanderesse poursuit Gilbert en rapport avec un produit qui ne représente pas une combinaison d'un porte-dent et des dents. Dans les cinq revendications du brevet, la première phase commence par « A saw tooth and tooth holder... » . Pour réussir, la demanderesse devait prouver que Gilbert fabriquait, vendait, des dents et des porte-dents dans les combinaisons 2, 3, 4 et 5 ce qui n'est évidemment pas le cas. En effet, il n'y a aucun porte-dent Gilbert dans ces combinaisons. Cette constatation en elle seule est suffisante pour déclarer que les combinaisons 2, 3, 4 et 5 ne violent pas le brevet.

Motifs au soutien de l'appel

[16]            Les appelants n'en appellent pas de la première partie de la décision du premier juge à l'effet que la combinaison #1 ne donne pas lieu à la contrefaçon directe des revendications 2, 3 et 5 du brevet (mémoire des appelants, para. 48). Ils nous demandent tout de même de déclarer par voie de jugement déclaratoire que le premier juge a eu tort de conclure que la revendication 2 du brevet de Quadco est limitée à une dent ayant une forme pyramidale ou « frusto-pyramidale » et à un porte-dent à forme correspondante. Selon eux, cette interprétation est erronée et pourrait leur être nuisible puisqu'elle risque de les lier dans le cadre de litiges à venir.

[17]            En ce qui a trait à la deuxième question (contrefaçon par incitation), l'avocat des appelants maintient que le premier juge a perdu de vue la question qu'il avait à décider lorsqu'il a conclu que l'intimée devait vendre les dents en combinaison avec le porte-dent pour qu'il y ait contrefaçon par incitation. En effet, il ne s'agissait pas de savoir si la vente des dents de remplacement Gilbert, seules, viole le brevet Quadco. Il s'agissait plutôt de déterminer si l'intimée se rend coupable de contrefaçon par incitation en invitant les opérateurs forestiers à combiner les dents de remplacement Gilbert avec les porte-dents Quadco (Rucker Co. c. Gravel's Vulcanizing Ltd, (1985) 7 C.P.R. (3d) 294 (C.F. 1ère inst.) aux pp. 322-323).

[18]            Enfin les appelants précisent que la combinaison #2 n'est plus en cause de sorte que seules les combinaisons #3, #4 et #5 font l'objet de l'appel.

Décision

1. Contrefaçon directe

[19]            En demandant l'émission d'un jugement déclaratoire les appelants s'attaquent à l'essence même du jugement de première instance pour conclure à l'absence de contrefaçon directe à l'égard de la combinaison #1. La décision des appelants de ne pas se porter en appel de la décision du premier juge sur cette question fait en sorte que le jugement déclaratoire qu'ils nous demandent de rendre serait purement académique.

[20]            Une Cour d'appel peut dans certaines circonstances choisir de disposer d'une question même si elle est devenue académique. Ici, les appelants étaient en mesure de saisir la Cour d'appel de la question qu'ils aimeraient voir trancher en portant la décision en appel, mais ils ont choisi de ne pas le faire pour des raisons qui sont demeurées inexpliquées et ce malgré le fait que la Cour s'en soit enquis séance tenante.

[21]            Les appelants ne peuvent s'attendre à ce que la Cour exerce sa discrétion en leur faveur et acceptent d'aborder une question qu'ils ont eux-mêmes rendue académique sans qu'ils expliquent à tout le moins pourquoi ils n'ont pas eu recours à leur droit d'appel. Dans ces circonstances, il n'y a pas lieu de se pencher sur la question théorique qui sous-tend le jugement déclaratoire demandé.

2. Contrefaçon par incitation

[22]            Il est également possible de disposer rapidement du deuxième aspect de l'appel. Le premier juge, en concluant que les combinaisons #2 à #5 ne violaient pas le brevet, semble avoir oublié momentanément qu'il traitait de contrefaçon par incitation. Le test applicable en la matière est le suivant :

1)        That an act of infringement was completed by the direct infringer ...

2)        Completion of the act of infringement was influenced by the acts of the inducer. Without said influence, infringement would not otherwise take place ...

3)        The influence must knowingly be exercised by the seller, i.e., the seller knows his influence will result in the completion of the act of infringement. (voir Dableh c. OntarioHydro, (1996) 68 C.P.R. (3d) 129 (C.A.F.) aux pp. 148-149 ainsi que Halford c. Seed Hawk Inc., (2004) 31 C.P.R. (4th) 434 (C.F. 1ère inst.) (j. Pelletier) aux pp. 559-560 et AB Hassle c. Canada(Minister of National Health and Welfare), (2001) 16 C.P.R. (4th) 21 (C.F. 1ère inst.) (j. O'Keefe) à la p. 42; conf. 22 C.P.R. (4th) 1 (C.A.F.) à la p. 7).

Lorsque ces trois conditions sont remplies, le vendeur se rend coupable de contrefaçon par incitation.

[23]            En ce qui a trait à la première question, le fait que les produits vendus par l'intimée se limitaient à une dent plutôt qu'à une combinaison de dents et de porte-dents est sans importance. La question que devait se poser le premier juge était celle de savoir si les exploitants forestiers, en utilisant la dent Gilbert en combinaison avec le porte-dent Quadco, violaient le brevet. C'est cette combinaison qui doit donner lieu à un acte de contrefaçon au sens de la première question.

[24]            Avant de répondre à cette première question, le premier juge devait tout d'abord se demander si les opérateurs forestiers pouvaient, en vertu de la licence implicite découlant de l'achat de la combinaison brevetée Quadco, en « réparer » les composantes endommagées en y insérant les dents Gilbert sans enfreindre le brevet (Harold G. Fox, Canadian Patent Law and Practice,
4
e éd., Toronto, Carswell, 1969, aux pages 301 et 391). Sinon et dans l'éventualité où l'utilisation de la dent Gilbert en combinaison avec le porte-dent Quadco viole le brevet tel qu'allégué, le premier juge devait répondre à la deuxième et le cas échéant à la troisième question.

[25]            Or, le premier juge n'a abordé aucune de ces questions. Dans ces circonstances, l'appel doit être accueilli, la décision portant sur la contrefaçon par incitation doit être annulée et l'affaire doit être retournée au premier juge pour qu'il en dispose à nouveau en fonction du test juridique applicable et selon le dossier tel qu'il fût constitué devant lui. Les appelants auront droit à leurs dépens.

« Marc Noël »

j.c.a.


COUR D'APPEL FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

DOSSIER :                                                                             A-78-05

APPEL D'UN JUGEMENT DU JUGE BEAUDRY DU 6 DÉCEMBRE 2004, NO DU DOSSIER T-2270-00.

INTITULÉ :                                        CHARLES D. MACLENNAN et ÉQUIPEMENT QUADCO INC. c. LES PRODUITS GILBERT INC.

LIEU DE L'AUDIENCE :                                                      Montréal (Québec)

DATES DE L'AUDIENCE :                                                  Les 29 et 31 mai 2006

MOTIFS DU JUGEMENT DE LA COUR:                        LE JUGE LÉTOURNEAU

                                                                                                LE JUGE NOËL

                                                                                                LE JUGE PELLETIER

PRONONCÉS ÀL'AUDIENCE :                                         LE JUGE NOËL

COMPARUTIONS:

Me François Guay

Me Marc-André Huot

POUR LES APPELANTS

Me Bob Sotiriadis

POUR L'INTIMÉE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER:

Smart & Biggar

Montréal (Québec)

POUR LES APPELANTS

Leger Robic Richard, s.e.n.c.r.l.

Montréal (Québec)

POUR L'INTIMÉE

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