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Date : 20060616

Dossier : A-569-05

Référence : 2006 CAF 226

CORAM :       LE JUGE DÉCARY

                        LE JUGE LÉTOURNEAU

                        LE JUGE NOËL

ENTRE :

LORRAINE MALENFANT

Appelante

et

PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

Intimé

Audience tenue à Québec (Québec), le 14 juin 2006.

Jugement rendu à Ottawa (Ontario), le 16 juin 2006.

MOTIFS DU JUGEMENT :                                                                      LE JUGE LÉTOURNEAU

Y ONT SOUSCRIT :                                                                                          LE JUGE DÉCARY

                                                                                                                                 LE JUGE NOËL


Date : 20060616

Dossier : A-569-05

Référence : 2006 CAF 226

CORAM :       LE JUGE DÉCARY

                        LE JUGE LÉTOURNEAU

                        LE JUGE NOËL

ENTRE :

LORRAINE MALENFANT

Appelante

et

PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

Intimé

MOTIFS DU JUGEMENT

LE JUGE LÉTOURNEAU

[1]                Il s'agit d'une autre cause d'assurabilité de l'emploi impliquant une petite entreprise constituée en corporation, soit la société Érablière Jean-Yves Malenfant inc. (le payeur). Comme c'est souvent le cas, la question en litige provient d'une détermination rétroactive faite par le ministre du Revenu national (ministre) que le payeur et l'appelante, Mme Malenfant, conjointe de M. Jean-Yves Malenfant qui est l'unique actionnaire du payeur, n'auraient pas conclu un contrat de travail à peu près semblable si elles n'avaient pas eu un lien de dépendance entre elles.

[2]                Comme c'est aussi souvent le cas, cette détermination faite en vertu de l'alinéa 5(2)(i) de la Loi sur l'assurance-emploi, L.C. 1996, ch. 23 (Loi) implique, à cause de sa rétroactivité, une réclamation des sommes payées qui en l'espèce, nous dit-on, se chiffre à quelque 38 000 $ et couvre les années 1999 à 2004.

[3]                L'entreprise en question consiste en l'exploitation d'une érablière et en la vente de bois de chauffage. Les revenus bruts modestes de l'entreprise qui ne sont pas contestés s'établissent comme suit pour les années 2000 à 2003 (voir dossier de l'appelante, page 65) :

                                                   produits de l'érable                  ventes de bois

31/12/00                                                 12 006 $                              48 104 $

31/12/01                                                 85 766 $                              24 479 $

31/12/02                                                 62 166 $                              75 539 $

31/12/03                                                 91 791 $                              66 647 $

[4]                Selon les années, le payeur embauchait de 3 à 6 employés dont M. et Mme Malenfant.

[5]                Après avoir examiné les critères édictés par la Loi et développés par la jurisprudence pour l'analyse de la question de l'assurabilité de pareil emploi, le juge Dussault (juge) de la Cour canadienne de l'impôt a conclu que l'emploi occupé par l'appelante pour les périodes en litige n'était pas un emploi assurable. La synthèse de ses motifs se retrouve dans les paragraphes 41 à 45 de sa décision. Ils se lisent :

Les décisions de l'intimé portent sur des périodes précises d'emploi. Cependant, lorsqu'une personne rend des services au payeur toute l'année depuis plusieurs années, il s'agit d'un fait qui ne peut être ignoré dans l'évaluation de la relation entre les parties.

Les documents déposés en preuve établissent de façon non équivoque que l'appelante s'occupait de la gestion de l'entreprise du payeur tout au long de l'année. Toutefois, il n'est pas possible d'établir avec exactitude le temps réellement consacré à cette gestion par rapport au travail lié à la production comme telle durant la saison des sucres. Toutefois, dans la déclaration statutaire qu'elle a signée le 27 juillet 2004, l'appelante elle-même a estimé que ses tâches qu'elle décrit comme de la « comptabilité » pour l'entreprise pouvaient représenter l'équivalent d'un mois de travail. Les quelques heures déclarées ou qui sont indiquées au livre des salaires à l'extérieur des périodes de travail à temps complet, lorsqu'elles ont été ainsi déclarées ou indiquées au cours de certaines années, ne représentent sûrement pas le travail accompli par l'appelante en ce qui concerne la gestion de l'entreprise. La seule conclusion qui s'impose est que l'appelante n'a pas toujours été rémunérée pour les services rendus au payeur.

Par ailleurs, lors de l'audition tant monsieur Malenfant que l'appelante ont affirmé qu'elle n'avait pas fait de « bénévolat » et qu'elle avait toujours été payée pour ses services, ce qui contredit leurs déclarations antérieures à cet égard. On peut penser que ce revirement est dû au fait qu'ils se sont rendus compte après coup que ces déclarations pouvaient porter préjudice à leur cause. À tout le moins, de telles contradictions laissent planer un doute sérieux sur la question de savoir si l'appelante était réellement rémunérée pour toutes ses heures de travail au cours des périodes de travail à temps complet, généralement au printemps, à l'égard desquelles le ministre a rendu ses décisions.

L'autre élément important sur lequel se fondent les décisions du ministre concerne le retard systématique dans le paiement du salaire de l'appelante à chaque année. Cet élément a été abondamment démontré tant par les déclarations statutaires que par les témoignages et les documents déposés en preuve. Si l'on peut reconnaître qu'un employé puisse occasionnellement accepter ou tolérer un retard dans le paiement de son salaire, j'estime qu'un retard systématique de plusieurs semaines et même de plusieurs mois, année après année, n'est pas une situation qui serait acceptable par une personne n'ayant pas de lien de dépendance avec le payeur. D'ailleurs, monsieur Malenfant lui-même a affirmé que les autres employés étaient payés sur une base régulière grâce à une marge de crédit et non pas, comme lui-même et l'appelante, lorsqu'il recevait un paiement de la Fédération pour le sirop d'érable acheté par celle-ci.

J'estime que ces éléments sont suffisamment importants pour me permettre de conclure que les décisions rendues par le ministre paraissent toujours raisonnables et qu'une intervention de la Cour n'est pas justifiée dans les circonstances.

[6]                Le procureur de l'appelante s'en prend aux conclusions du juge relatives aux heures travaillées et rémunérées de l'appelante, à l'étendue de son bénévolat et à la question du retard à recevoir sa rémunération pour le travail effectué, retard que le juge a qualifié de systématique.

[7]                Les conclusions prises par le juge quant à ces questions sont des conclusions de fait qui nécessitaient une appréciation de la preuve documentaire et testimoniale ainsi que de la crédibilité des témoins. Or, ces conclusions sont supportées par des éléments de preuve au dossier. Quant à celles fondées sur des questions de crédibilité, elles sont, sauf exceptions qui ne trouvent pas application ici, du ressort du juge qui a vu et entendu les témoins.

[8]                Le procureur de l'appelante a soutenu que le sort de cet appel était régi par les principes dégagés par notre Cour dans l'affaire Théberge c. Canada (Ministre du revenu national), 2002 CAF 123 et suivis dans l'affaire Chouinard c. Le Ministre du Revenu national, 2003 CAF 338.

[9]                Plus précisément, il prend appui sur les paragraphes 7, 19 et 20 des motifs du juge Décary dans l'affaire Théberge. Je reproduis ces paragraphes :

Le juge s'est donc employé à examiner la preuve faite devant lui et il a conclu que l'emploi devait être exclu. Je suis d'avis, avec égards, qu'il y a matière à intervention. Le juge, en effet, a erré, en ne se penchant ni sur les allégations du ministre ni sur les facteurs que mentionne l'alinéa 3(2)c), soit la rétribution versée, les modalités d'emploi et la nature, la durée et l'importance du travail accompli. Il a erré, aussi, en se penchant à peu près exclusivement sur la nature, la durée et l'importance du travail accompli en dehors des périodes d'emploi en litige.

Ce que fait un prestataire en dehors de la période pendant laquelle il exerce un emploi que le ministre reconnaît être un emploi assurable peut être pertinent aux fins, par exemple, de vérifier son état de chômage, de calculer le montant de ses prestations ou d'établir sa période de chômage. Aux fins, toutefois, de l'application de l'exclusion prévue à l'alinéa 3(2)c) de la Loi, ce que fait le prestataire en dehors de sa période d'emploi sera de peu de pertinence lorsqu'il n'est pas allégué, comme en l'espèce, que le salaire versé pendant la période d'emploi tenait compte du travail accompli en dehors de cette période, que le demandeur avait inclus dans les heures consacrées à son emploi assurable des heures de travail qu'il avait effectuées en dehors de la période ou encore que du travail accompli en dehors de sa période d'emploi avait été inclus dans le travail accompli pendant sa période d'emploi. Il me paraît aller de soi, ce que confirme la preuve, que dans le cas d'entreprises familiales consacrées à du travail saisonnier, le peu de travail qu'il reste à faire en dehors de la période active est généralement fait, sans rémunération, par les membres de la famille. Exclure un emploi saisonnier, dans une entreprise familiale agricole, au motif que la traite des vaches continue à l'année, c'est à toutes fins utiles priver d'assurance-chômage les membres de la famille qui se qualifient en travaillant pendant la période active et c'est ignorer les deux caractéristiques principales d'une telle entreprise, soit son caractère familial et son caractère saisonnier.

Un prestataire n'a pas à demeurer complètement inactif pendant qu'il reçoit des prestations. Aux termes de l'article 10 de la Loi, des prestations sont payables pour chaque « semaine de chômage » comprise dans la période de prestations et une « semaine de chômage » est une semaine pendant laquelle il n'effectue pas une semaine entière de travail. Aux termes du paragraphe 15(2) de la Loi, un prestataire peut recevoir une rémunération pour une partie d'une semaine de chômage et cette rémunération ne sera déduite de ses prestations que si elle dépasse vingt-cinq pour cent du taux de ses prestations hebdomadaires. Il est par ailleurs acquis que le travail véritablement bénévole n'affecte pas l'état de chômage d'un prestataire (Bérubé c. Canada (Emploi et Immigration) (1990), 124 N.R. 354 (C.A.F.)).

[10]            L'appelante soutient que le juge ne s'est pas conformé aux obligations contenues au premier paragraphe cité. Avec respect, ce reproche est sans fondement puisque le juge a révisé les allégations du ministre en fonction des facteurs qui y sont énumérés.

[11]            Quant à la ratio decidendi de l'arrêt Théberge, je ne crois pas qu'elle soit applicable en l'espèce. Il ne s'agissait pas ici, comme dans l'affaire Théberge, d'une entreprise purement familiale saisonnière. L'entreprise pour laquelle l'appelante travaillait opérait à l'année et employait aussi des personnes qui n'étaient pas liées par un lien de dépendance. En outre, le traitement de ces autres personnes était en règle générale différent de celui reçu et accepté par l'appelante et ne pouvait s'expliquer autrement que par le lien de dépendance de cette dernière avec le payeur. Rien de tel n'existait dans l'affaire Théberge. Enfin, il n'y avait pas dans l'affaire Théberge, comme c'est ici le cas, d'heures substantielles de bénévolat effectuées durant les périodes de travail rémunéré.

[12]            Je ne peux conclure toutefois sans réitérer, comme je l'ai fait à l'audience, le préjudice que cause à l'appelante l'application rétroactive de la détermination du ministre quant à l'assurabilité de l'emploi. Le procureur de l'intimé nous a indiqué qu'il existait une possibilité de défalcation de tout ou de partie de la somme due. Sans vouloir m'immiscer de quelque manière que ce soit dans cette prérogative qui appartient au ministre, je crois qu'il s'agit d'un cas où cette possibilité devrait être considérée à l'égard d'une partie substantielle du montant en litige.

[13]            Pour ces motifs, je rejetterais l'appel, mais sans frais dans les circonstances.

« Gilles Létourneau »

j.c.a.

« Je suis d'accord

            Robert Décary j.c.a. »

« Je suis d'accord

            Marc Noël j.c.a. »


COUR D'APPEL FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

DOSSIER :                                                                             A-569-05

INTITULÉ :                                                                            LORRAINE MALENFANT c. PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

LIEU DE L'AUDIENCE :                                                      Québec (Québec)

DATE DE L'AUDIENCE :                                                    14 juin 2006

MOTIFS DU JUGEMENT :                                                 LE JUGE LÉTOURNEAU

Y ONT SOUSCRIT :                                                              LE JUGE DÉCARY

                                                                                                LE JUGE NOËL

DATE DES MOTIFS :                                                           16 juin 2006

COMPARUTIONS :

Me Jérôme Carrier

POUR L'APPELANTE

Me Martin Gentile

POUR L'INTIMÉ

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

1379, rue des Caps

Lévis (Québec)

POUR L'APPELANTE

Me John H. Sims, c.r.

Sous-procureur général du Canada

POUR L'INTIMÉ

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