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Date : 20061011

Dossier : A-589-05

Référence : 2006 CAF 328

 

CORAM :      LE JUGE LÉTOURNEAU

                        LE JUGE NOËL

                        LE JUGE EVANS

 

ENTRE :

SANOFI-AVENTIS CANADA INC. et

SANOFI-AVENTIS DEUTSCHLAND GmbH

appelantes

 

et

 

 

APOTEX INC. et

LE MINISTRE DE LA SANTÉ

intimés

 

 

 

 

Appel entendu à Toronto (Ontario), le 11 octobre 2006.

Ordonnance rendue à l’audience à Toronto (Ontario), le 11 octobre 2006.

 

MOTIFS DE L’ORDONNANCE DE LA COUR :                                             LE JUGE NOËL

 


 

 

Date : 20061011

Dossier : A-589-05

Référence : 2006 CAF 328

 

CORAM :      LE JUGE LÉTOURNEAU

                        LE JUGE NOËL

                        LE JUGE EVANS

 

ENTRE :

SANOFI-AVENTIS CANADA INC. et

SANOFI-AVENTIS DEUTSCHLAND GmbH

appelantes

 

et

 

 

APOTEX INC. et

LE MINISTRE DE LA SANTÉ

intimés

 

 

 

MOTIFS DE L’ORDONNANCE

(Prononcés à l’audience à Toronto (Ontario), le 11 octobre 2006)

 

LE JUGE NOËL

Introduction

[1]               Il s’agit d’une requête dans laquelle Apotex Inc. (Apotex) sollicite le rejet d’un appel formé par Sanofi-Aventis Canada Inc. (Aventis) au motif qu’il est devenu théorique. L’appel en question est interjeté de l’ordonnance du 4 novembre 2005 (2005 CF 1504) par laquelle la juge Tremblay‑Lamer a rejeté la demande d’Aventis qui sollicitait, en vertu du Règlement sur les médicaments brevetés (avis de conformité), DORS/93-133 (le Règlement), une ordonnance interdisant au ministre de la Santé de délivrer à Apotex un avis de conformité pour un médicament fabriqué par cette société, le ramipril, avant l’expiration des lettres patentes canadiennes numéro 1,246,457 (le brevet 457).

 

[2]               Apotex demande le rejet de l’appel, en raison de son caractère théorique, parce que le brevet 457 est venu à expiration le 13 décembre 2005.

 

Contexte

[3]               En août 2003, Apotex a présenté un premier avis d’allégation concernant le brevet 457 et son médicament, le ramipril. L’invalidité du brevet pour cause d’évidence n’a été plaidée qu’à titre conditionnel et, la condition ainsi évoquée ne s’étant pas réalisée, la Cour ne s’est pas prononcée sur ce motif dans sa décision écartant la première allégation.

 

[4]               Dans cette décision rendue le 11 octobre 2005 (2005 CF 1381), la juge Simpson a interdit au ministre de délivrer un avis de conformité à Apotex avant l’expiration du brevet 457 parce qu’elle a conclu qu’Apotex n’avait pas établi le bien-fondé de son allégation voulant que le médicament qu’elle envisageait de commercialiser ne serait pas utilisé dans le traitement de l’insuffisance cardiaque – une utilisation visée par le brevet 457.

 

[5]               La demande en question a été déposée à la suite d’un deuxième avis d’allégation, présenté le 10 novembre 2003, dans lequel Apotex invoquait l’invalidité, notamment pour cause d’évidence. La juge Tremblay‑Lamer a rejeté la demande d’interdiction. Elle a conclu que l’allégation d’invalidité du brevet pour cause d’évidence était fondée. En tirant cette conclusion, elle a rejeté l’argument d’Aventis qui prétendait que l’avis d’allégation présenté par Apotex représentait un abus de procédure et était donc invalide.

 

[6]               C’est de cette décision qu’est interjeté l’appel qu’Apotex demande à la Cour de rejeter.

 

[7]               À l’appui de sa requête, Apotex soutient qu’étant donné l’expiration du brevet 457 et qu’elle s’est engagée à se désister, si la Cour fait droit à la présente requête, de l’appel qu’elle a interjeté de la décision de la juge Simpson, la loi ne fait plus obstacle à la délivrance d’un avis de conformité et il n’y a donc plus de question à trancher. Apotex ajoute qu’un jugement sur l'appel ne peut rien y changer.

 

[8]               Apotex invoque la jurisprudence actuelle et, notamment, l’arrêt de la Cour d’appel Pfizer Canada Inc. c. Apotex Inc. (2001), 11 C.P.R. (4th) 245 (Pfizer), qui consacre le principe selon lequel à partir du moment où un appel formé en vertu du Règlement devient théorique, il n’y a pas lieu pour la Cour d’appel de l’entendre.

 

[9]               Aventis fait valoir pour sa part que l’appel en question n’a rien de théorique car il ne le deviendrait qu’après la délivrance d’un avis de conformité (exposé écrit des appelantes, paragraphe 25). Or, en l’espèce, aucun avis de conformité n’a été délivré à ce jour. Aventis conteste donc l’argument d’Apotex selon lequel le présent appel a un caractère théorique.

 

[10]           Aventis insiste également sur le fait que, dans le cadre de la procédure intentée devant la juge Tremblay‑Lamer, elle demandait un jugement déclaratoire portant que l’avis d’allégation était invalide parce qu’il constituait un abus de procédure. Selon Aventis, l’expiration du brevet 457 n’a pas pour effet de rendre théorique cette question.

 

[11]           Quoi qu’il en soit, Aventis affirme qu’il s’agit d’un cas où la Cour devrait exercer son pouvoir discrétionnaire pour entendre l’appel même s’il est devenu théorique. Aventis se fonde à cet égard sur l’arrêt Bayer AG c. Apotex Inc. (2004), 32 C.P.R. (4th) 449 (Bayer), où la Cour a accepté d’entendre un appel malgré son caractère manifestement théorique.

 

[12]           Dans cet arrêt, le juge Rothstein (maintenant juge à la Cour suprême du Canada), se prononçant au nom de la Cour, a retenu le critère formulé dans l’arrêt Borowski c. Canada (Procureur général), [1989] 1 R.C.S. 342 (Borowski). Appliquant ce critère, la Cour a décidé d’entendre l’appel malgré son caractère théorique afin de conserver à Apotex le droit que lui reconnaît l’article 8 du Règlement de réclamer des dommages-intérêts.

 

[13]           Le paragraphe 8(1) du Règlement prévoit ce qui suit :

8. (1) Si la demande présentée aux termes du paragraphe 6(1) est retirée ou fait l’objet d’un désistement par la première personne ou est rejetée par le tribunal qui en est saisi, ou si l’ordonnance interdisant au ministre de délivrer un avis de conformité, rendue aux termes de ce paragraphe, est annulée lors d’un appel, la première personne est responsable envers la seconde personne de toute perte subie au cours de la période :

 

 

a) débutant à la date, attestée par le ministre, à laquelle un avis de conformité aurait été délivré en l’absence du présent règlement, sauf si le tribunal estime d’après la preuve qu’une autre date est plus appropriée;

 

 

b) se terminant à la date du retrait, du désistement ou du rejet de la demande ou de l’annulation de l’ordonnance.

8. (1) If an application made under subsection 6(1) is withdrawn or discontinued by the first person or is dismissed by the court hearing the application or if an order preventing the Minister from issuing a notice of compliance, made pursuant to that subsection, is reversed on appeal, the first person is liable to the second person for any loss suffered during the period

 

 

 

 

(a) beginning on the date, as certified by the Minister, on which a notice of compliance would have been issued in the absence of these Regulations, unless the court is satisfied on the evidence that another date is more appropriate; and

 

(b) ending on the date of the withdrawal, the discontinuance, the dismissal or the reversal.

 

Décision

[14]           Nous sommes convaincus que l’appel est devenu théorique en raison de l’expiration du brevet en cause. La réparation qui peut être accordée en vertu du Règlement ne peut avoir d’effet que jusqu’à l’expiration du brevet concerné par la demande d’interdiction (voir notamment le paragraphe 6(1) du Règlement). Autrement dit, à partir du moment où le brevet est expiré, il n'y a aucun motif pour lequel une interdiction pourrait être accordée à l'égard du ministre. Le fait que l’avis de conformité demandé n’ait pas encore été délivré n’y change rien.

 

[15]           Aventis ne saurait non plus faire valoir qu’elle avait également demandé à la juge Tremblay‑Lamer de rendre un jugement déclaratoire invalidant l’avis d’allégation. Le jugement déclaratoire devait empêcher Apotex d’entrer sur le marché avant l’expiration du brevet 457. Le brevet en question ayant expiré, un jugement d’appel sur ce point ne serait d’aucun effet.

 

[16]           La seule question qui subsiste est par conséquent celle de savoir si la Cour devrait néanmoins exercer son pouvoir discrétionnaire et entendre l’appel. Sur ce point, Aventis soutient que, si son appel n’est pas accueilli, elle s’expose, en vertu de l’article 8 du Règlement, à des dommages‑intérêts et qu’elle se trouve donc dans la situation qui était celle d’Apotex dans l’arrêt Bayer. Cela étant, Aventis demande à la Cour d’exercer son pouvoir discrétionnaire de la même manière.

 

[17]           Signalons en premier lieu qu’à l’inverse d’Apotex dans l’arrêt Bayer, Aventis, en tant que titulaire du brevet, a le droit d'engager une action en contrefaçon de brevet (si les circonstances s’y prêtent) et, si elle obtient gain de cause, de toucher des dommages‑intérêts ou d’être indemnisée de ses pertes.

 

[18]           De plus, le risque pour Aventis d’être condamnée à des dommages‑intérêts en vertu de l’article 8 est trop éloigné et conjectural pour que la Cour décide d’entendre l’appel.

 

[19]           En vertu de cette disposition, la première personne est responsable de toute perte subie au cours de la période débutant à la date à laquelle un avis de conformité aurait été délivré en l’absence du Règlement. Cette disposition a pour but de permettre à la seconde personne d’être indemnisée si la demande déposée par la première personne est rejetée parce que la demanderesse est déboutée en première instance ou parce que l’ordonnance d’interdiction obtenue en première instance est infirmée en appel.

 

[20]           En l’espèce, Apotex a décidé de commencer par soumettre son allégation conditionnelle à la juge Simpson. Elle n’a pas tenté d’accélérer l’appel qu’elle a interjeté de cette décision et, par conséquent, en ce qui concerne cette même décision, aucun des événements prévus à l’article 8 n’est survenu. L’ordonnance d’interdiction rendue par la juge Simpson est demeurée en vigueur jusqu’à l’expiration du brevet 457. Au vu du dossier partiel dont nous disposons et sans préjuger de la question, au cas où elle serait soulevée dans le contexte d’une action intentée au titre de l’article 8, le risque encouru aux termes de l'article 8 nous paraît conjectural.

 

[21]           Pour nous convaincre qu’il convient d’entendre l’appel malgré son caractère théorique, il incombait à Aventis d'établir, selon la prépondérance de la preuve, que le jugement d’appel aurait une incidence pratique sur les droits des parties (Borowski, pages 358 à 362, tel qu’appliqué dans l’arrêt Bayer, précité). Or, cela n’a pas été démontré.

 

[22]           La requête sera accueillie avec dépens et l’appel sera rejeté avec dépens en raison de son caractère théorique.

 

« Marc Noël »

Juge

 

 

 

 

Traduction certifiée conforme

Suzanne Bolduc, LL.B.

 


COUR D'APPEL FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

DOSSIER :                                                    A-589-05

 

INTITULÉ :                                                   SANOFI-AVENTIS CANADA INC. et

                                                                        SANOFI-AVENTIS DEUTSCHLAND GmbH

                                                                        c.

                                                                        APOTEX INC. et LE MINISTRE DE LA SANTÉ

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                             TORONTO (ONTARIO)

 

MOTIFS DE L’ORDONNANCE

DE LA COUR :                                              (LES JUGES LÉTOURNEAU, NOËL et EVANS)

 

PRONONCÉS À

L’AUDIENCE PAR :                                    LE JUGE NOËL

 

 

COMPARUTIONS :

 

Gunars A. Gaikis

J. Sheldon Hamilton

Yoon Kang

 

 

POUR LES APPELANTES

 

Harry B. Radomski

Rick Tuzi

Sorelle Simmons

 

 

POUR L’INTIMÉE (APOTEX INC.)

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

SMART & BIGGAR

Avocats

Toronto (Ontario)

 

 

POUR LES APPELANTES

 

GOODMANS LLP

Avocats

Toronto (Ontario)

 

POUR L’INTIMÉE (APOTEX INC.)


 

 

Date : 20061011

Dossier : A-589-05

Toronto (Ontario), le 11 octobre 2006

CORAM :      LE JUGE LÉTOURNEAU

                        LE JUGE NOËL

                        LE JUGE EVANS

 

ENTRE :

SANOFI-AVENTIS CANADA INC. et

SANOFI-AVENTIS DEUTSCHLAND GmbH

appelantes

et

 

APOTEX INC. et

LE MINISTRE DE LA SANTÉ

intimés

 

 

ORDONNANCE

 

            Vu la requête présentée au nom de l’intimée le 27 février 2006 en vue d’obtenir le rejet du présent appel :

LA COUR ORDONNE :

            La requête visant à obtenir le rejet de l'appel est accueillie avec dépens et l’appel est rejeté avec dépens en raison de son caractère théorique.

 

« Gilles Létourneau »

Juge

 

 

Traduction certifiée conforme

Suzanne Bolduc, LL.B.

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