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Date : 20061018

Dossier : A 147-05

Référence : 2006 CAF 334

 

CORAM :      LA JUGE SHARLOW

                        LE JUGE PELLETIER

                        LE JUGE MALONE

 

ENTRE :

Blood Tribe Department of Health

appelant

et

Le commissaire à la protection de la vie privée du Canada et Annette J. Soup

intimés

et

 

La Law Society of Alberta

 

intervenante

 

 

 

Audience tenue à Calgary (Alberta), le 4 octobre 2006

Jugement rendu à Ottawa (Ontario), le 18 octobre 2006

 

MOTIFS DU JUGEMENT :                                                                         LE JUGE MALONE

Y ONT SOUSCRIT :                                                                                   LA JUGE SHARLOW

LE JUGE PELLETIER

 


 

 

 

Date : 20061018

Dossier : A-147-05

Référence : 2006 CAF 334

 

CORAM :      LA JUGE SHARLOW

                        LE JUGE PELLETIER

                        LE JUGE MALONE

 

ENTRE :

Blood Tribe Department of Health

 

appelant

 

et

 

Le commissaire à la protection de la vie privée du Canada et Annette J. Soup

 

intimés

 

et

 

La Law Society of Alberta

 

intervenante

 

MOTIFS DU JUGEMENT

LE JUGE MALONE

I.  Introduction

[1]               Le présent appel concerne le pouvoir du commissaire à la protection de la vie privée du Canada (le commissaire) de forcer la production de documents pour lesquels est revendiqué le privilège du secret professionnel de l’avocat, dans le contexte d’une enquête menée en vertu de la Loi sur la protection des renseignements personnels et les documents électroniques, L.C. 2000, ch. 5 (la LPRPDE).

[2]               Un juge de la Cour fédérale (le juge) a décidé que les alinéas 12(1)a) et c) de la LPRPDE habilitaient bel et bien le commissaire à forcer la production de documents à propos desquels était revendiqué le privilège du secret professionnel de l’avocat, et cela pour qu’il soit en mesure d’exercer adéquatement son rôle d’enquêteur (ordonnance datée du 8 mars 2005 et publiée à : 2005 CF 328).

 

[3]               Les alinéas en question sont ainsi rédigés :

12. (1) Le commissaire procède à l’examen de toute plainte et, à cette fin, a le pouvoir :

 

 

a) d’assigner et de contraindre des témoins à comparaître devant lui, à déposer verbalement ou par écrit sous la foi du serment et à produire les documents ou pièces qu’il juge nécessaires pour examiner la plainte dont il est saisi, de la même façon et dans la même mesure qu’une cour supérieure d’archives;

 

 

c) de recevoir les éléments de preuve ou les renseignements — fournis notamment par déclaration verbale ou écrite sous serment — qu’il estime indiqués, indépendamment de leur admissibilité devant les tribunaux.

 

12. (1) The Commissioner shall conduct an investigation in respect of a complaint and, for that purpose, may,

 

(a) summon and enforce the appearance of persons before the Commissioner and compel them to give oral or written evidence on oath and to produce any records and things that the Commissioner considers necessary to investigate the complaint, in the same manner and to the same extent as a superior court of record;

 

(c) receive and accept any evidence and other information, whether on oath, by affidavit or otherwise, that the Commissioner sees fit, whether or not it is or would be admissible in a court of law.

 

 

[4]               Le droit d’une organisation privée de refuser la production de documents protégés par le secret professionnel de l’avocat est conféré par le paragraphe 9(3) de la LPRPDE :

9.(3) … l’organisation n’est pas tenue de communiquer à l’intéressé des renseignements personnels dans les cas suivants seulement:

 

a) les renseignements sont protégés par le secret professionnel liant l’avocat à son client;

 

9.(3) … an organization is not required to give access to personal information only if,

 

 

(a) the information is protected by solicitor-client privilege;

 

 

[5]               Le juge a analysé lesdits alinéas en adoptant une interprétation libérale, fondée sur l’objet visé (voir le paragraphe 38 de ses motifs). Le fondement de son ordonnance était que le commissaire était investi, sur le fond et sur la forme, de pouvoirs extraordinaires semblables à ceux d’une cour supérieure d’archives et qu’il était fondé à examiner les documents confidentiels. Le juge a aussi trouvé convaincant le fait que, si le législateur avait voulu empêcher le commissaire de vérifier le bien-fondé d’un privilège revendiqué de cette nature, il était à même d’exclure expressément ce pouvoir comme il l’avait fait dans plusieurs autres lois (voir les paragraphes 56 à 58 de ses motifs).

 

II. Les faits

[6]               Annette J. Soup a été démise de ses fonctions auprès du Blood Tribe Department of Health (la tribu des Blood). Son dossier d’emploi renfermait notamment une correspondance échangée entre la tribu des Blood et les avocats de celle-ci (les documents confidentiels). Après son congédiement, Mme Soup a déposé une plainte auprès du commissaire pour obtenir communication de ses renseignements personnels touchant son emploi. La tribu des Blood avait rejeté sa demande sans lui donner de motifs. Mme Soup prétendait aussi que les renseignements avaient été recueillis par un représentant de la tribu des Blood sans son consentement et qu’ils avaient été présentés à une réunion du conseil de la tribu des Blood.

 

[7]               Une commissaire adjointe à la protection de la vie privée avait demandé les documents de la tribu des Blood en des termes très généraux :

[traduction]

Comme première étape de l’enquête, prière de transmettre à mon attention une copie du dossier d’emploi de Mme Soup, avec l’évaluation de rendement et le document susmentionné alléguant une atteinte à la confidentialité. Prière de me communiquer aussi une copie des notes ou pièces de correspondance intéressant l’emploi de Mme Soup, notamment les procès-verbaux des réunions du conseil au cours desquelles a été débattu son contrat de travail.

 

Tous les documents ont été produits, sauf les documents confidentiels pour lesquels fut allégué le privilège du secret professionnel de l’avocat au moyen d’un affidavit non contesté établi par un représentant de la tribu des Blood. Cette revendication de privilège n’a jamais été l’objet d’une renonciation.

 

[8]               Le commissaire a ordonné la production des documents confidentiels conformément aux pouvoirs qui lui sont censément conférés par les alinéas 12(1)a) et c) de la LPRPDE.

 

III. La norme de contrôle

[9]               Dans l’arrêt Dr Q c. College of Physicians and Surgeons of British Columbia, [2003] 1 R.C.S. 226, la Cour suprême du Canada a passé en revue les facteurs à prendre en compte dans une analyse pragmatique et fonctionnelle. Les facteurs en question sont bien connus : 1) la présence ou l’absence d’une clause privative ou d’un droit d’appel d’origine législative; 2) la spécialisation du tribunal administratif; 3) l’objet de la loi et de la disposition en particulier; et 4) la nature de la question.

 

[10]           Après mise en balance de ces facteurs, le juge est arrivé à la conclusion que la norme de contrôle qu’il convient d’appliquer à la décision du commissaire concernant son pouvoir d’ordonner la production de documents pour lesquels est revendiqué le privilège du secret professionnel de l’avocat est la norme de la décision correcte.

 

[11]           Selon mon analyse, l’application des facteurs susmentionnés donne à penser que la Cour n’est pas tenue de faire preuve d’une grande retenue envers la manière dont le commissaire interprète l’étendue des pouvoirs qui lui sont conférés par les alinéas 12(1)a) et c). D’abord, aucune clause privative ne prétend exclure le contrôle judiciaire de la manière dont le commissaire interprète la LPRPDE. Deuxièmement, le commissaire n’est pas plus spécialisé qu’une juridiction de contrôle lorsqu’il s’agit de définir la nature et l’étendue de ses pouvoirs. Troisièmement, même si le régime législatif confère au commissaire de larges pouvoirs d’enquête, ces pouvoirs sont circonscrits par le paragraphe 9(3). Finalement, la question soulevée dans le présent appel est une question de droit.

 

[12]           Par conséquent, je suis d’avis que le juge a eu raison de dire que la norme de contrôle est celle de la décision correcte.

 

IV. Analyse

a) Privilège du secret professionnel de l’avocat – La règle générale

[13]           En 1982, dans l’arrêt Descoteaux c. Mierzwinski, [1982] 1 R.C.S. 860, la Cour suprême du Canada établissait, à propos du privilège du secret professionnel de l’avocat, une règle de fond qui donnait certaines précisions sur la manière d’interpréter le pouvoir conféré par une loi de forcer la production de documents. D’abord, le privilège du secret professionnel de l’avocat protégera un dossier quel que soit le contexte juridique où est né le droit antagoniste; une procédure judiciaire pendante n’est pas requise. Deuxièmement, lorsqu’un texte législatif établit un droit censé autoriser l’accès à une communication confidentielle, le privilège conféré doit avoir préséance. Troisièmement, un texte qui autorise expressément une restriction du privilège sera circonscrit par une procédure empêchant une négation inutile du privilège et permettant de minimiser telle négation. Finalement, tout pouvoir de cette nature doit être interprété d’une manière restrictive (voir page 875).

 

b) La nécessité d’une disposition expresse

[14]           Au paragraphe 57 de sa décision, le juge écrivait que, si le législateur avait voulu empêcher le commissaire d’évaluer le bien-fondé d’une revendication de privilège, il était à même d’exclure expressément ce pouvoir. Contrastant vivement avec cette manière de voir, la position récemment adoptée par la Cour suprême du Canada nous enseigne que, si le législateur souhaite conférer le pouvoir de forcer la production de documents confidentiels, alors il doit le faire en des termes non équivoques.

 

[15]           Dans l’arrêt Pritchard c. Ontario (Commission des droits de la personne), [2004] 1 R.C.S. 809, au paragraphe 33, le juge Major écrivait qu’un texte législatif prétendant limiter ou écarter l’application du privilège du secret professionnel de l’avocat doit être interprété restrictivement et que le privilège ne saurait être supprimé par déduction. Puis, au paragraphe 35, il écrivait qu’il faut se garder d’interpréter une formulation générale ou englobante se rapportant à la production de documents comme si telle formulation comprenait les communications confidentielles.

 

[16]           Aux paragraphes 28 à 31 de sa décision, le juge se fonde sur une décision rendue par la Cour fédérale dans l’affaire Canada (Procureur général) c. Canada (Commissaire à l’information), [2004] 4 R.C.F. 181 [la décision Commissaire à l’information]. Dans cette affaire-là, la Cour fédérale a interprété d’une manière libérale, en se fondant sur l’objet visé, les pouvoirs d’enquête conférés par la Loi sur l’accès à l’information, L.R.C. 1985, ch. A-1 (la LAI). Cependant, ce jugement fut plus tard infirmé par la Cour. Les motifs de l’arrêt rendu par la Cour ont été rendus publics le 27 mai 2005 après que le juge eut communiqué ses motifs dans la présente affaire.

 

[17]           L’arrêt Commissaire à l’information (2005 CAF 188) portait sur l’interprétation du paragraphe 36(2) de la LAI. Ce paragraphe donne au commissaire l’accès à tout document nonobstant toute immunité reconnue par le droit de la preuve. La Cour a estimé dans cet arrêt que le juge de première instance avait commis une erreur en adoptant pour cette disposition une interprétation libérale, fondée sur l’objet visé, compte tenu des déclarations de la Cour suprême du Canada en matière de privilège. Malgré la formulation explicite du paragraphe 36(2) visant à écarter l’application du privilège, la Cour s’est exprimée ainsi, au paragraphe 22 :

[…] il convient d’interpréter de manière restrictive le paragraphe 36(2) afin de ne donner accès à des renseignements confidentiels que lorsque cela s’avère absolument nécessaire à l’exercice du pouvoir législatif en question.

 

 

[18]           En l’espèce, la LPRPDE ne renferme aucune disposition explicite écartant le privilège comme celle qui se trouve au paragraphe 36(2) de la LAI. Le commissaire dit qu’il doit être en mesure de vérifier le bien-fondé des revendications du privilège du secret professionnel de l’avocat, au lieu de devoir accepter d’emblée lesdites revendications ou de s’adresser à la Cour pour qu’un juge tranche la question. Cependant, le commissaire n’a présenté qu’un exposé général des raisons pour lesquelles son enquête serait de ce fait entravée. L’affidavit présenté par la tribu des Blood n’a pas été contesté en contre-interrogatoire. Au vu du présent dossier, aucun fait n’a été avancé montrant pourquoi les documents confidentiels sont de quelque manière nécessaires pour l’enquête du commissaire.

 

[19]           Tout aussi déconcertant est le paragraphe 20(5) de la LPRPDE, ainsi formulé :

20.(5)  Dans les cas où, à son avis, il existe des éléments de preuve touchant la perpétration d'infractions au droit fédéral ou provincial par un cadre ou employé d'une organisation, le commissaire peut faire part au procureur général du Canada ou d'une province, selon le cas, des renseignements qu'il détient à cet égard.

 

20(5) The Commissioner may disclose to the Attorney General of Canada or of a province, as the case may be, information relating to the commission of an offence against any law of Canada or a province on the part of an officer or employee of an organization if, in the Commissioner's opinion, there is evidence of an offence.

 

 

[20]           Le commissaire doit s’abstenir, en vertu du paragraphe 20(1), de divulguer les renseignements qu’il a recueillis durant son enquête, mais le pouvoir conféré par le paragraphe 20(5) fait que la population doit croire que le commissaire exercera toujours son pouvoir discrétionnaire d’une manière prudente dans les affaires faisant intervenir le privilège du secret professionnel de l’avocat. L’idée que des documents soumis à ce privilège puissent aboutir dans les mains d’agents d’application de la loi ne peut avoir que l’effet paralysant évoqué par le juge Binnie dans l’arrêt R. c. Campbell, [1999] 1 R.C.S. 565, au paragraphe 49, ce qui risque d’ébranler la confiance et la franchise des justiciables dans leurs rapports avec leurs avocats.

 

[21]           Bien que les parties n’aient pas plaidé la question, il convient aussi de noter que les documents soumis au privilège du secret professionnel de l’avocat seraient soustraits à la divulgation, qu’ils soient ou non censés l’être en vertu de la LPRPDE. C’est ce qu’a statué la Cour d’appel de la Colombie-Britannique dans l’arrêt Legal Services Society v. British Columbia (Information and Privacy Commissioner), (2003) 8 W.W.R. 399, au paragraphe 29, dans le contexte de la Freedom of Information and Protection of Privacy Act, R.S.B.C. 1996, ch. 165 :

[traduction]

Qu’en est-il donc de l’objet de l’article 14 de la loi de la Colombie-Britannique? Intitulé « Avis juridiques », cet article dispose ainsi : « Le responsable d’un organisme public peut refuser de communiquer à un demandeur des renseignements qui sont assujettis au privilège du secret professionnel de l’avocat ». On imagine que cette disposition visait à protéger les communications entre les organismes publics en tant que clients et leurs avocats; mais encore une fois, même si l’article 14 n’avait pas été édicté, la loi protégerait les renseignements soumis au privilège du secret professionnel de l’avocat, qu’ils soient ceux de l’avocat ou ceux de son client.

 

 

[22]           Bref, la raison pour laquelle un texte explicite est requis pour écarter le privilège du secret professionnel de l’avocat est que ce privilège est présumé inviolable. L’exception à ce privilège prévue à la LPRPDE n’est pas ce qui soustrait les documents confidentiels à la divulgation. C’est là le rôle des règles régissant ce privilège. L’exception reconnaît simplement le principe du secret professionnel.

 

 

c) La LPRPDE régit les renseignements détenus par les organisations privées et non publiques

[23]           La LPRPDE régit la collecte, l’utilisation et la communication de renseignements personnels par les organisations privées et reflète une décision assez hésitante du Canada d’abandonner le principe d’autoréglementation de l’industrie (voir McIsaac, Shields et Klein dans The Law of Privacy in Canada, feuilles mobiles (Toronto (Ontario) : Carswell, 2000)). Cette décision résultait de la nécessité pour le gouvernement du Canada d’harmoniser ses lois avec les impératifs commerciaux de l’Union européenne. L’historique de la loi a été minutieusement examiné par la Cour dans l’arrêt Englander c. Telus Communications Inc., [2005] 2 R.C.F. 572 (C.A.) [l’arrêt Englander]. Cet historique nous enseigne que la loi résultait d’un compromis entre parties intéressées qui souhaitaient un cadre législatif souple. La LPRPDE prévoit explicitement qu’elle sera subordonnée à toute loi provinciale similaire sur le fond.

 

[24]           L’objet de la LAI (voir les paragraphes 14 et 15) est quant à lui beaucoup plus important pour le système canadien de gouvernement. Dans l’arrêt Lavigne c. Canada (Commissariat aux langues officielles), [2002] 2 R.C.S. 773, la Cour suprême écrivait, au paragraphe 31, que la LAI, comme les autres lois sur l’accès à l’information, a pour principal objet la codification d’un droit d’accès à l’information que détient le gouvernement canadien. Dans l’arrêt Lavigne, la Cour suprême du Canada reconnaissait la nécessité de cette caractéristique dans le régime politique du Canada. Dans une administration moderne, l’accès à l’information permet de préserver les valeurs nationales et d’humaniser le système de gouvernement. C’est pourquoi la législation sur l’accès à l’information s’est vu reconnaître un statut quasi constitutionnel, et c’est pourquoi le commissaire ainsi habilité en la matière s’est vu reconnaître un rôle d’ombudsman (voir l’arrêt Lavigne, paragraphes 38 et 39).

 

[25]           Dans l’arrêt Englander, la Cour écrivait aussi qu’il faut se garder d’appliquer à la LPRPDE les principes et règles d’interprétation élaborés dans le contexte de la Loi sur la protection des renseignements personnels (la LPRP) (voir le paragraphe 36).  S’exprimant au nom de la formation, le juge Décary écrivait que l’objet de la LPRPDE était tout à fait différent de celui de la LPRP, et il reconnaissait que la LPRPDE était le produit d’un compromis législatif. Pour le cas qui nous concerne, le juge écrivait pour sa part que, puisque le législateur avait confiance dans la capacité du commissaire de protéger les renseignements sensibles aux termes de la LPRP, on devait en déduire que le législateur voulait que le commissaire dispose d’un accès aux documents confidentiels (voir le paragraphe 55 de ses motifs). D’après moi, il a commis une erreur lorsqu’il a adopté, pour une analyse selon la LPRPDE, les principes juridiques élaborés dans le contexte de la LPRP.

 

d) Le rôle du commissaire lorsqu’est revendiqué le privilège du secret professionnel de l’avocat

[26]           Le juge a conclu que l’exercice par le commissaire du pouvoir de forcer la production de documents soumis au privilège du secret professionnel de l’avocat, et du pouvoir d’examiner tels documents, ne revenait pas à nier ce privilège. Selon lui, le privilège ne perdait pas son caractère sacré parce qu’un enquêteur du Commissariat examinait la communication privilégiée (voir le paragraphe 58 de ses motifs). Malheureusement, il m’est impossible de partager son avis.

 

[27]           D’abord, quand l’alinéa 12(1)a) de la LPRPDE dit que le commissaire peut exercer son pouvoir de la même façon et dans la même mesure qu’une cour supérieure d’archives, cela ne signifie pas que le commissaire est investi de la compétence d’une cour supérieure d’archives. Cet alinéa ne s’applique pas d’une manière générale à l’ensemble des pouvoirs extraordinaires du commissaire, mais uniquement au pouvoir procédural conféré par cet alinéa, soit le pouvoir de contraindre des témoins à déposer et à produire les documents ou pièces nécessaires pour l’examen d’une plainte.

 

[28]           Autrement dit, l’alinéa 12(1)a) autorise le commissaire, pour cette fin restreinte, à émettre des citations à comparaître et à rendre des ordonnances qui ont force de loi pour les aspects qui relèvent par ailleurs de son pouvoir d’enquête.

 

[29]           Des mots qui confèrent à un tribunal administratif le pouvoir de contraindre des témoins à déposer, de la même façon et dans la même mesure qu’une cour supérieure ou que la cour fédérale, ne sauraient élargir la compétence de ce tribunal administratif ou d’une commission. Ainsi, dans la décision Alliance de la fonction publique du Canada c. Territoires du Nord-Ouest, (2000) 191 F.T.R. 266 (1re inst.), confirmée 2001 CAF 259, le juge MacKay examinait l’effet de l’alinéa 50(3)a) de la Loi canadienne sur les droits de la personne, L.R.C. 1985, ch. H-6. Cet alinéa est ainsi formulé :

50.(3) Pour la tenue de ses audiences, le membre instructeur a le pouvoir :

 

a) d’assigner et de contraindre les témoins à comparaître, à déposer […] et à produire les pièces […] au même titre qu’une cour supérieure d’archives;

 

50.(3) In relation to a hearing of the inquiry, the member or panel may,

 

(a) in the same manner and to the same extent as a superior court of record, summon and enforce the attendance of witnesses and compel them to … produce any documents …

 

 

 

 

[30]           Dans cette affaire, les demandeurs faisaient valoir que, d’après ce texte, le tribunal pouvait se prononcer sur une revendication de privilège faite en vertu de l’article 37 de la Loi sur la preuve au Canada, L.R.C. 1985, ch. C-5. Le juge MacKay a décidé que seule une cour supérieure au sens propre du terme pouvait statuer sur la question du privilège.

 

e) Comment statuer sur une revendication du privilège du secret professionnel de l’avocat aux termes de la LPRPDE

[31]           L’article 15 de la LPRPDE autorise le commissaire à s’adresser à la Cour fédérale pour toute question, mentionnée dans l’article 14, qui comporte un privilège du secret professionnel de l’avocat selon ce que prévoit le paragraphe 9(3) de la LPRPDE (voir le paragraphe 4 des présents motifs).

 

[32]           L’intervenante, la Law Society of Alberta, nous a renvoyés à l’arrêt de la Cour suprême du Canada dans l’affaire R. c. McClure, [2001] 1 R.C.S. 445. Ce précédent expose des principes utiles que les juridictions civiles et criminelles sont invitées à appliquer lorsqu’elles examinent une revendication du secret professionnel de l’avocat. McClure était accusé d’infractions sexuelles par douze anciens étudiants, dont un certain J.C., qui avait également engagé une action civile contre lui. Dans la poursuite criminelle, McClure a demandé la production du dossier de J.C. relatif à son action civile afin de déterminer la nature des allégations du plaignant et de voir s’il avait pu inventer ou exagérer des épisodes d’agression. Le juge Major a exposé un critère procédural en trois étapes pour la protection du privilège du secret professionnel de l’avocat. Dans les deux premières étapes, la partie qui sollicite les documents confidentiels doit établir qu’il n’existe aucune autre source d’où puissent être obtenus les renseignements confidentiels, et apporter la preuve que les renseignements seraient juridiquement utiles. Durant la troisième étape, le juge doit alors examiner les documents et il n’en autorisera pas la communication à moins d’être certain qu’ils soulèveraient probablement une question de pertinence intéressant l’issue finale de l’affaire.

 

[33]           Selon moi, l’aptitude du commissaire à mener son enquête n’est pas réduite par une règle qui protège les communications confidentielles. Lorsqu’une revendication générale du privilège du secret professionnel de l’avocat est utilisée pour faire obstacle à une enquête, les juges de la Cour fédérale sont à même d’élaborer des procédures propres à minimiser comme il convient l’abus possible de la revendication du privilège (voir aussi l’arrêt Goodis c. Ontario (Ministère des Services correctionnels), 2006 CSC 31, paragraphe 21).

 

V.  Dispositif

[34]           En résumé, le juge a commis une erreur en adoptant, pour les alinéas 12(1)a) et c) de la LPRPDE, une interprétation libérale, fondée sur l’objet visé, et en adoptant les principes de la LPRP dans un examen intéressant la LPRPDE. L’appel devrait être accueilli, l’ordonnance du juge en date du 8 mars 2005 devrait être cassée et l’ordre de production de documents rendu par le commissaire en date du 22 octobre 2003 devrait être annulé. Les dépens sont adjugés à l’appelant dans le présent appel. L’intervenante, la Law Society of Alberta, n’a pas sollicité l’adjudication de dépens.

 

« B. Malone »

Juge

 

« Je souscris aux présents motifs

     K. Sharlow, juge »

 

« Je souscris aux présents motifs

     J.D. Denis Pelletier, juge »

 

 

Traduction certifiée conforme

David Aubry, LL.B.


COUR D’APPEL FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

DOSSIER :                                        A-147-05

 

INTITULÉ :                                       Blood Tribe Department of Health

                                                            c.

                                                            Le Commissaire à la protection de la vie privée du Canada et la Law Society of Alberta

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                 Calgary (Alberta)

 

DATE DE L’AUDIENCE :               LE 3 OCTOBRE 2006

 

MOTIFS DE L’ARRÊT :                 LE JUGE MALONE

 

Y ONT SOUSCRIT :                         LA JUGE SHARLOW

                                                            LE JUGE PELLETIER

 

DATE DES MOTIFS :                      LE 18 OCTOBRE 2006

 

 

 

COMPARUTIONS :

 

Gary Befus

 

                  POUR L’APPELANT

Steve Welchner

Patricia Kosseim

            POUR L’INTIMÉ

              POUR L’INTIMÉE

Garner A. Groome

POUR L’INTERVENANTE

 

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Walsh Wilkins Creighton LLP

 

                     POUR L’APPELANT

John H. Sims, c.r.

Sous-procureur général du Canada

              POUR L’INTIMÉ

Garner A. Groome

Law Society of Alberta

POUR L’INTERVENANTE

 


 

Date : 20061018

Dossier : A-147-05

 

Ottawa (Ontario), le 18 octobre 2006

 

CORAM :      LA JUGE SHARLOW

                        LE JUGE PELLETIER

                        LE JUGE MALONE

 

ENTRE :

Blood Tribe Department of Health

appelant

et

Le Commissaire à la protection de la vie privée du Canada et Annette J. Soup

intimés

et

 

La Law Society of Alberta

 

intervenante

 

 

 

JUGEMENT

 

            L’appel est accueilli, l’ordonnance du juge Mosley en date du 8 mars 2005 est cassée et l’ordre de production de documents rendu par le commissaire en date du 22 octobre 2003 est annulé.

 

            Les dépens du présent appel sont adjugés à l’appelant. L’intervenante, la Law Society of Alberta, n’a pas sollicité l’adjudication de dépens.

 

« K. Sharlow »

Juge

 

 

 

Traduction certifiée conforme

David Aubry, LL.B.

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