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Date : 20061026

Dossier : A‑622‑05

Référence : 2006 CAF 352

 

CORAM :      LE JUGE NOËL

                        LE JUGE EVANS

                        LE JUGE MALONE

 

ENTRE :

SA MAJESTÉ LA REINE

appelante

et

236130 BRITISH COLUMBIA LTD

intimée

 

 

 

Audience tenue à Vancouver (Colombie‑Britannique), le 25 octobre 2006.

Jugement rendu à Vancouver (Colombie‑Britannique), le 26 octobre 2006.

 

MOTIFS DU JUGEMENT :                                                                            LE JUGE NOËL

Y ONT SOUSCRIT :                                                                                      LE JUGE EVANS

                                                                                                                        LE JUGE MALONE

 


 

 

Date : 20061026

Dossier : A‑622‑05

Référence : 2006 CAF 352

 

CORAM :      LE JUGE NOËL

                        LE JUGE EVANS

                        LE JUGE MALONE

 

ENTRE :

SA MAJESTÉ LA REINE

appelante

et

236130 BRITISH COLUMBIA LTD

intimée

 

 

MOTIFS DU JUGEMENT

LE JUGE NOËL

[1]               Il s’agit d’un appel de l’ordonnance rendue par le juge Bell, de la Cour canadienne de l'impôt (2005 CCI 770), qui, saisi d’un renvoi présenté en vertu de l’article 173 de la Loi de l'impôt sur le revenu (la Loi), a estimé que les nouvelles cotisations pour les années d’imposition 1995 et 1996 de l’intimée avaient été établies après l’expiration du délai de prescription applicable.

 


Les faits

[2]               Le bref sommaire qui suit expose les principaux faits ayant mené au renvoi. Après avoir présenté des renonciations conformément au sous‑alinéa 152(4)a)(ii) de la Loi pour les années d’imposition 1995 et 1996, l’intimée a déposé des avis de révocation le 2 novembre 2001. Le délai de prescription applicable à l’établissement de nouvelles cotisations pour ces deux années d’imposition a donc expiré six mois plus tard, soit le 2 mai 2002.

 

[3]               Des avis de nouvelle cotisation datés du 8 avril 2002 ont été envoyés par la poste à l’intimée, vraisemblablement à cette date. Cependant, ils ont été envoyés à la mauvaise adresse, à Richmond (C.‑B.), par suite de l’erreur d’un fonctionnaire de l’Agence du revenu du Canada (l’ARC), qui a inscrit dans le système informatique l’adresse postale d’une autre société au lieu de celle de l’intimée.

 

[4]               Les avis de nouvelle cotisation ont été retournés à l’ARC, qui y a alors apposé une estampille de réception portant la date du 22 avril 2002. L’appelante a produit une preuve établissant que, compte tenu de la procédure en vigueur, les avis de nouvelle cotisation avaient été réexpédiés par la poste le 29 ou le 30 avril 2002.

 

[5]               Cependant, lors de leur réexpédition, les avis de nouvelle cotisation ont été envoyés à l’adresse des « livres et registres » indiquée sur la déclaration de revenus de l’intimée, laquelle avait indiqué un code postal erroné. La preuve a révélé que, sans vérifier les déclarations de revenus de l’intimée, un commis avait inscrit dans le système informatique l’adresse erronée des « livres et registres » en tant qu’adresse postale de l’intimée.

 

[6]               Les avis de nouvelle cotisation ont été reçus par l’intimée au plus tard le 17 mai 2002. La date exacte de réception n’a pas été établie.

 

[7]               Dans l’appel qui a suivi, l’intimée soutenait, entre autres, que les nouvelles cotisations étaient invalides parce qu’elles avaient été établies en dehors du délai applicable.

 

[8]               Les parties ont par la suite décidé de renvoyer à la Cour canadienne de l'impôt la question de savoir si les nouvelles cotisations avaient été établies dans le délai applicable (c’est‑à‑dire avant le 3 mai 2002). Le 8 décembre 2005, le juge Bell a statué que les nouvelles cotisations avaient été établies hors délai.

 

[9]               C’est cette décision qui fait l’objet du présent appel.

 

Dispositions législatives

[10]           Il est utile à ce stade d’énoncer les deux présomptions législatives qui favorisent le ministre lorsqu’un avis de cotisation est envoyé par la poste. Le paragraphe 244(14) prévoit notamment ce qui suit :

Pour l’application de la présente loi, la date de mise à la poste […] d’un avis de cotisation […] est présumée être la date apparaissant sur cet avis […]

 


For the purposes of this Act, where any … notice of assessment … is mailed, it shall be presumed to be mailed on the date of that notice …

 

[11]           Le paragraphe 244(15) prévoit en partie ce qui suit :

Lorsqu’un avis de cotisation […] a été envoyé par le ministre comme le prévoit la présente loi, la cotisation est réputée avoir été établie […] à la date de mise à la poste de l’avis de cotisation […]

 

Where any notice of assessment … has been sent by the Minister, as required by this Act, the assessment … is deemed to have been made on the day of mailing of the notice of the assessment …

 

La décision du juge de la Cour de l’impôt

[12]           Le juge de la Cour de l’impôt a d’abord relevé qu’il incombait au ministre de prouver que les avis de nouvelle cotisation avaient été envoyés à temps. Cependant, il a reconnu que, dans un organisme tel que l’ARC, il est impossible de produire une preuve directe de la date de mise à la poste d’un document particulier et que le mode de preuve à appliquer est celui qui est énoncé dans la décision Schafer c. La Reine, [1998] GSTC 60 (CCI) (Schafer), et qui a été appliqué par la Cour dans l’arrêt Kovacevic c. La Reine, [2003] GSTC 112 (CAF) (Kovacevic).

 

[13]           Dans l’affaire Schafer, le juge Bowman (son titre à l’époque) a exposé le critère de la manière suivante :

[23] Dans une grande organisation comme un ministère, un cabinet d’avocats ou d’experts‑comptables ou une société, où le courrier envoyé chaque jour est volumineux, il est pratiquement impossible de trouver un témoin pouvant jurer qu’il a déposé au bureau de poste une enveloppe adressée à telle ou telle personne. Le mieux qu’on puisse faire est de décrire en détail les étapes suivies, par exemple le fait d’adresser les enveloppes, d’y insérer des documents, d’apporter les enveloppes à la salle du courrier et de livrer le courrier au bureau de poste.

 

 

 

[14]           Dans l’arrêt Kovacevic, la Cour a approuvé cet énoncé, mais en y apportant une nuance :

[16] Je conviens que lorsque la loi exige qu’un document soit envoyé par courrier ordinaire par une grande organisation comme un ministère, mais qu’elle n’exige pas que ce soit fait par courrier recommandé ou certifié ou qu’il y ait une preuve d’un moyen d’envoi plus formel, la remarque du juge Bowman dans la décision Schafer est raisonnable. En général, il suffit donc d’énoncer dans un affidavit, souscrit par la dernière personne en autorité qui a traité le document avant qu’il soit soumis à la procédure normale d’envoi du bureau, la description de cette procédure.

 

 

 

[15]           Le juge de la Cour de l’impôt a semblé admettre la preuve de la Couronne selon laquelle, dans le cours normal des opérations, la procédure applicable au courrier retourné aurait dû avoir pour résultat la mise à la poste des avis dans le délai requis. Cependant, il a estimé ne pas pouvoir, dans le cas présent, s’appuyer sur cette preuve puisqu’elle montrait que les avis de nouvelle cotisation avaient à nouveau été envoyés à une mauvaise adresse.

 

[16]           Il a écrit notamment ce qui suit :

[48]     Lorsque les avis de cotisation ont une seconde fois été envoyés à l’appelante par la poste, ils ont été envoyés à la mauvaise adresse fournie à Revenu Canada par l’appelante. Il s’agissait de l’adresse pour les livres et registres, qui était identique à l’adresse du siège social, sauf que le code postal de l’adresse pour les livres et registres n’était pas la bonne. Selon les témoignages des représentants de Revenu Canada, les trois adresses étaient affichées à l’écran et, de toute évidence, la mauvaise adresse avait été choisie. Même si l’appelante avait fourni cette adresse à l’intimée, Revenu Canada, en décidant de choisir l’adresse pour les livres et registres avec le mauvais code postal, a encore une fois fait preuve d’insouciance. Une mauvaise adresse, inscrite dans le système par Revenu Canada, ayant été utilisée lors du premier envoi, il aurait fallu prendre plus de temps et faire preuve de plus de soins pour s’assurer que la bonne adresse était utilisée la seconde fois. Deux adresses municipales identiques avec des codes postaux différents auraient dû attirer l’attention de Revenu Canada et auraient dû entraîner le choix de la bonne adresse.

 

 

 

 

[17]           Finalement, le juge de la Cour de l’impôt a estimé que le ministre n’avait pas établi, suivant la prépondérance de la preuve, que les avis de nouvelle cotisation avaient été réexpédiés par la poste avant le 3 mai 2002.

 

Erreurs alléguées

[18]           Selon l’appelante, le juge de la Cour de l’impôt a commis une erreur en concluant que le ministre n’avait pas réussi à établir, suivant la prépondérance de la preuve, que les avis de nouvelle cotisation avaient été mis à la poste le 29 ou le 30 avril 2002. D’après l’appelante, une fois qu’il a reconnu que la procédure en vigueur aurait mené à l’établissement de nouvelles cotisations dans le délai requis, le juge de la Cour de l’impôt était tenu d’appliquer la règle exposée dans la décision Schafer et de dire que le ministre s’était acquitté de la charge de la preuve.

 

[19]           De plus, il n’était pas loisible au juge de la Cour de l’impôt de dire que le critère servant à établir la date de mise à la poste n’avait pas été observé, étant donné que le mauvais code postal utilisé par le ministre pour envoyer les avis à la deuxième occasion avait été fourni par l’intimée.

 

Décision

[20]           À mon avis, il n’est pas nécessaire ici de savoir si – même en reconnaissant que la procédure en vigueur aurait eu pour résultat l’envoi par la poste des avis de nouvelle cotisation dans le délai requis – le juge de la Cour de l’impôt pouvait conclure que le ministre n’avait pas produit la preuve requise. Les avis de nouvelle cotisation ont été envoyés à la mauvaise adresse, et cela revient à dire qu’ils n’ont pas été délivrés du tout.

 

[21]           Sur ce point, il m’est impossible de souscrire à l’argument de l’appelante pour qui l’erreur à l’origine de l’envoi des avis de nouvelle cotisation à la mauvaise adresse est imputable à l’intimée, et qui dit que, par conséquent, on ne pouvait « en imputer la responsabilité au ministre » (P.G. du Canada c. Bowen, 91 D.T.C. 5594 (CAF), page 5596). Ainsi que l’exige le formulaire réglementaire de déclaration de revenus, trois adresses figuraient sur la déclaration de revenus de l’intimée : une adresse postale, l’adresse de l’endroit où sont conservés les livres et registres, et l’adresse du siège social. L’adresse du siège social et l’adresse postale ont été inscrites correctement. Toutefois, les avis de nouvelle cotisation ont été envoyés à l’adresse des livres et registres qui, comme je l’ai mentionné, ne contenait pas le bon code postal.

 

[22]           En définitive, les avis de nouvelle cotisation ont été envoyés à la mauvaise adresse, par deux fois. Comme on peut le lire dans la décision L.B. Scott c. M.R.N. [1960] C.T.C. 402 (C.É.), à la page 417 :

[traduction] « […] on doit aussi en déduire, à mon avis, que le législateur n’a jamais voulu qu’un tel avis puisse être effectivement donné au moyen de son “envoi par la poste” au contribuable à une mauvaise adresse ou à une adresse fictive et je ne trouve rien dans la loi rien qui donne à entendre que le législateur ait voulu que le contribuable soit lié par un avis de cotisation au moment de la mise à la poste d’un avis y afférent qui lui est adressé ailleurs qu’à sa véritable adresse ou à une adresse qu’il a d’une façon ou d’une autre autorisée ou adoptée comme adresse à cette fin. »

 

 

 

[23]           L’appelante a fait valoir que les trois adresses indiquées par l’intimée dans sa déclaration de revenus sont « d’une façon ou d’une autre autorisées ou adoptées » par elle pour les envois postaux. Bien entendu, cela ne tient pas compte du formulaire réglementaire qui oblige expressément un contribuable à indiquer une adresse à des fins postales. En l’espèce, il se trouve que cette adresse diffère de l’adresse du siège social et de l’adresse des livres et registres. À l’évidence, l’adresse postale est la seule adresse autorisée et adoptée pour les envois postaux.

 

[24]           Je reconnais avec l’intimée que, sauf indication contraire, l’adresse postale est celle à laquelle les lettres doivent être envoyées, y compris les avis de nouvelle cotisation dont il est question ici. Si les avis en question avaient été envoyés à cette adresse plutôt qu’à l’adresse indiquée pour les livres et registres, alors ils auraient été envoyés à temps. L’erreur est totalement imputable aux fonctionnaires du ministre, qui, lorsque les premiers avis furent retournés, ont négligé de vérifier l’adresse postale de l’intimée en examinant les déclarations de revenus.

 

[25]           Je rejetterais l’appel, avec dépens.

« Marc Noël »   

j.c.a.

 

« Je souscris aux présents motifs

            John M. Evans, juge »

 

« Je souscris aux présents motifs

            B. Malone, juge »

 

 

 

Traduction certifiée conforme

Lynne Davidson-Fournier, traductrice-conseil

 


COUR D’APPEL FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

DOSSIER :                                                                A‑622‑05

 

INTITULÉ :                                                                Sa Majesté la Reine c.
236130 British Columbia Ltd.

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                                         Vancouver (Colombie‑Britannique)

 

DATE DE L’AUDIENCE :                                       LE 26 OCTOBRE 2006

 

MOTIFS DU JUGEMENT :                                    LE JUGE NOËL

                                                                                    LE JUGE EVANS

                                                                                    LE JUGE MALONE

 

PRONONCÉS À L’AUDIENCE PAR :                   LE JUGE NOËL

 

COMPARUTIONS :

 

Wendy Burnham

Deborah Horowitz                                                        POUR L’APPELANTE

 

Warren J.A. Mitchell, c.r.                                             POUR L’INTIMÉE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

John H. Sims, c.r.

Sous‑procureur général du Canada

 

 

POUR L’APPELANTE

Thorsteinssons LLP

Vancouver (Colombie‑Britannique)

 

POUR L’INTIMÉE

 

 

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