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Date : 20061102

Dossier : A-575-05

Référence : 2006 CAF 357

 

CORAM :      LE JUGE LINDEN

                        LE JUGE NADON

                        LE JUGE EVANS

 

ENTRE :

SANOFI-AVENTIS CANADA INC. et SANOFI‑AVENTIS DEUTSCHLAND GmbH

appelantes

et

APOTEX INC. et LE MINISTRE DE LA SANTÉ

intimés

 

Audience tenue à Toronto (Ontario), le 31 octobre 2006.

Jugement rendu à Toronto (Ontario), le 2 novembre 2006.

 

 

MOTIFS DU JUGEMENT :                                                                              LE JUGE NADON

Y ONT SOUSCRIT :                                                                                         LE JUGE LINDEN

                                                                                                                             LE JUGE EVANS

 


Date : 20061102

Dossier : A-575-05

Référence : 2006 CAF 357

 

CORAM :      LE JUGE LINDEN

                        LE JUGE NADON

                        LE JUGE EVANS

 

ENTRE :

SANOFI-AVENTIS CANADA INC. et SANOFI‑AVENTIS DEUTSCHLAND GmbH

appelantes

et

APOTEX INC. et LE MINISTRE DE LA SANTÉ

intimés

 

MOTIFS DU JUGEMENT

 

LE JUGE NADON

 

[1]               La Cour est saisie d'un appel de la décision du 27 octobre 2005 par laquelle le juge von Finckenstein de la Cour fédérale a rejeté la demande déposée par les appelantes en vertu du Règlement sur les médicaments brevetés (avis de conformité), DORS/93‑133 (le Règlement), en vue d'obtenir une ordonnance interdisant au ministre de la Santé de délivrer un avis de conformité (AC) à l'intimée Apotex à l'égard de ses gélules de ramipril pour administration orale de 1,25 mg, 2,5 mg, 5 mg et 10 mg avant l'expiration du brevet canadien 2 023 089 (le brevet 089 ou le brevet en cause), qui contient une revendication de l'utilisation du ramipril, notamment pour le traitement de l'hypertrophie cardiaque et vasculaire.

 

[2]               À mon avis, le présent appel ne peut être accueilli.

 

[3]               La question soulevée par l'appel concerne l'interprétation du sous‑alinéa 5(1)b)(iv) du Règlement, lequel dispose :

5.(1) Lorsqu'une personne dépose ou a déposé une demande d'avis de conformité pour une drogue et la compare, ou fait référence, à une autre drogue pour en démontrer la bioéquivalence d'après les caractéristiques pharmaceutiques et, le cas échéant, les caractéristiques en matière de biodisponibilité, cette autre drogue ayant été commercialisée au Canada aux termes d'un avis de conformité délivré à la première personne et à l'égard de laquelle une liste de brevets a été soumise, elle doit inclure dans la demande, à l'égard de chaque brevet inscrit au registre qui se rapporte à cette autre drogue :

 

[...]

 

b) soit une allégation portant que, selon le cas :

 

[...]

 

(iv) aucune revendication pour le médicament en soi ni aucune revendication pour l'utilisation du médicament ne seraient contrefaites advenant l'utilisation, la fabrication, la construction ou la vente par elle de la drogue faisant l'objet de la demande d'avis de conformité.

 

5.(1) Where a person files or has filed a submission for a notice of compliance in respect of a drug and compares that drug with, or makes reference to, another drug for the purpose of demonstrating bioequivalence on the basis of pharmaceutical and, where applicable, bioavailability characteristics and that other drug has been marketed in Canada pursuant to a notice of compliance issued to a first person and in respect of which a patent list has been submitted, the person shall, in the submission, with respect to each patent on the register in respect of the other drug,

 

. . .

 

(b) allege that

 

. . .

 

(iv) no claim for the medicine itself and no claim for the use of the medicine would be infringed by the making, constructing, using or selling by that person of the drug for which the submission for the notice of compliance is filed.

 

[Mon soulignement]

 

[4]               Plus précisément, il s'agit de savoir si, selon une interprétation exacte de la disposition, en l'absence de preuve qu'Apotex, une seconde personne au sens du Règlement, contrefera directement ou indirectement le brevet en question, il y a lieu de délivrer un AC. Autrement dit, le sous‑alinéa 5(1)b)(iv) du Règlement interdit‑il au ministre de délivrer un AC à une seconde personne lorsqu'il est concédé que la simple vente de son produit pharmaceutique pour l'utilisation approuvée entraînera une contrefaçon de l'utilisation brevetée lorsque des patients, suivant les ordonnances données par leurs médecins leur permettant de se servir du produit pharmaceutique aux fins de l'utilisation brevetée, consommeront le médicament aux fins de l'utilisation brevetée?

 

[5]               La Cour a entièrement examiné et tranché la question dont nous sommes saisis dans l'arrêt Pharmascience Inc. c. Sanofi‑Aventis Canada Inc., 2006 CAF 229, [Pharmascience], une décision rendue le 21 juin 2006. Cette décision donne, à mon avis, une réponse complète à la question soulevée par le présent appel.

 

[6]               Les appelantes soutiennent que l'arrêt Pharmascience est erroné et que nous devrions plutôt suivre un arrêt antérieur de la Cour, soit la décision « Genpharm », Compagnie pharmaceutique Procter & Gamble Canada c. Canada (Ministre de la Santé), [2003] 1 C.F. 402 (C.A.F.). En d'autres termes, les appelantes soutiennent qu'en raison de décisions contradictoires, il est loisible pour notre Cour de décider quelle interprétation du sous‑alinéa 5(1)b)(iv) du Règlement est exacte.

 

[7]               À mon avis, la prétention des appelantes ne doit pas être retenue. Premièrement, je ne peux admettre que nous avons affaire à des arrêts contradictoires sur le point de droit dont nous sommes saisis. Cette prétention était probablement bien fondée au moment où la question a été débattue devant le tribunal saisi de l'affaire Pharmascience, mais ce n'est plus le cas.

 

[8]               À mon avis, s'il y avait un conflit entre l'arrêt Genpharm, sur lequel les appelantes se fondent essentiellement, et un autre arrêt de notre Cour, à savoir l'arrêt AB Hassle c. Canada (Ministre de la Santé nationale et du Bien‑être social), 2002 CAF 42, [2002] A.C.F. no 1533 (QL) [AB Hassle], invoqué par Apotex, et je suis prêt à admettre qu'il y avait effectivement un conflit, l'arrêt Pharmascience, précité, l'a réglé.

 

[9]               Bien que la juge Sharlow, qui a rédigé les motifs unanimes de la Cour dans l'arrêt Pharmascience, ait été quelque peu réticente à conclure que ces arrêts retenaient des interprétations contradictoires du sous‑alinéa 5(1)b)(iv) du Règlement, elle a néanmoins affirmé clairement au paragraphe 59 de ses motifs que « certaines affirmations dans l'arrêt Genpharm pourraient donner à penser qu'elles confirment l'interprétation plus large donnée par Aventis au sous‑alinéa 5(1)b)(iv) [...] » (les prétentions d'Aventis dans l'affaire Pharmascience sont identiques à celles qu'ont formulées les appelantes dans le présent appel).

 

[10]           La juge Sharlow a ajouté que bien que l'arrêt Genpharm ait certainement été justifié en fonction des faits qui avaient été présentés à la Cour, les paragraphes 45 à 50 de cet arrêt (auxquels les appelantes accordent beaucoup d'importance) « ne représentent pas une interprétation correcte du sous‑alinéa 5(1)b)(iv) du Règlement sur les AC et, dans cette mesure, on devrait considérer qu'ils ont été infirmés par l'arrêt AB Hassle ».

 

[11]           Nous devons donc nous demander s'il nous est maintenant loisible d'infirmer l'arrêt Pharmascience, précité. Je suis d'avis que non.

 

[12]           Dans l'arrêt Miller c. Canada (Procureur général), 2002 CAF 370, la Cour a déclaré qu'une décision antérieure ne serait pas infirmée à moins qu'il ne puisse être démontré qu'elle était manifestement erronée, « du fait que la Cour n'aurait pas tenu compte de la législation applicable ou d'un précédent qui aurait dû être retenu » (paragraphe 10 des motifs du juge Rothstein dans l'arrêt Miller).

 

[13]           Les appelantes n'ont pas réussi à me convaincre que l'arrêt Pharmascience est « manifestement erroné » et elles n'ont pas fait valoir qu'il y avait des motifs de distinguer cette affaire de la présente espèce.

 

[14]           Bien que cela soit suffisant, eu égard aux faits de l'espèce, pour trancher l'appel en faveur d'Apotex, j'ajouterais, pour les motifs exprimés par la juge Sharlow dans l'arrêt Pharmascience, précité, que les appelantes, lesquelles sont une première personne au sens du Règlement, ne sauraient avoir gain de cause dans leur demande visant à obtenir une ordonnance d'interdiction à moins qu'elles puissent démontrer qu'Apotex, une seconde personne au sens du Règlement, contrefera le brevet 089 en fabriquant, en construisant, en utilisant ou en vendant son Apo‑ramipril, le médicament à l'égard duquel elle demande la délivrance d'un AC pour le traitement de l'hypertension.

 

[15]           Plus particulièrement, je souscris entièrement aux observations suivantes faites par la juge Sharlow au paragraphe 57 de ses motifs dans l'arrêt Pharmascience :

À mon avis, l'interprétation proposée par Pharmascience [la seconde personne] correspond davantage au sens grammatical du sous‑alinéa 5(1)b)(iv) du Règlement sur les AC ainsi qu'à l'esprit et à l'objet de la législation. Le paragraphe 55.2(4) de la Loi sur les brevets et, par extension, le Règlement sur les AC visent à prévenir la contrefaçon du brevet par Pharmascience et non par les patients.

[Mon soulignement]

 

[16]           Les appelantes ont produit des éléments de preuve selon lesquels, si l'Apo‑ramipril est autorisé sur le marché par suite de la délivrance d'un AC par le ministre, les médecins le prescriront pour le traitement de l'hypertrophie, les pharmaciens le vendront à cette fin et les patients le consommeront pour le traitement de l'hypertrophie.

 

[17]           Cependant, il est impossible que la simple vente par Apotex de son Apo‑ramipril pour le traitement de l'hypertension, c'est‑à‑dire l'utilisation pour laquelle un AC sera délivré, constitue une contrefaçon par Apotex du brevet en question. 

 

[18]           Pour qu'Apotex se livre à une contrefaçon indirecte du brevet, il doit y avoir, pour reprendre les termes du juge Sexton dans l'arrêt AB Hassle, « quelque chose de plus » qu'une vente. Le « quelque chose de plus » est une conduite qui engagerait la responsabilité d'Apotex dans une action en contrefaçon, notamment en incitant ou amenant autrui à commettre une contrefaçon. Or, il n'y a aucune preuve en l'espèce d'une telle conduite de la part d'Apotex.

 

[19]           À cet égard, les paroles du juge Sexton au paragraphe 57 de ses motifs dans l'arrêt AB Hassle, précité sont tout à fait à propos, et je les fais miens :

Par conséquent, Apotex ne peut être empêchée d'obtenir un avis de conformité pour le seul motif qu'elle vendra de l'oméprazole. Affirmer le contraire soulèverait de graves questions de politique. S'il y avait une quelconque possibilité qu'un patient consomme un produit générique pour une utilisation brevetée, alors le produit générique ne serait pas approuvé. Cela empêcherait l'autorisation de nouvelles utilisations de médicaments existants, car il est toujours possible que quelqu'un, quelque part, utilise le médicament pour l'objet breveté et interdit. Cette position mènerait à une véritable injustice : comme la société qui fabrique des génériques peut raisonnablement contrôler comment chacun dans le monde utilise son produit, empêcher le fabricant de génériques de commercialiser son produit contribuerait à conforter et élargir davantage le monopole des titulaires de brevet. Les titulaires de brevet se trouveraient de ce fait à contrôler effectivement non seulement les nouvelles utilisations d'un composé existant, mais le composé lui‑même, même si celui‑ci n'est pas protégé par le brevet au départ. Les titulaires de brevet auraient ainsi un avantage qu'ils ne devaient pas avoir. En fin de compte, la société serait privée de l'avantage des nouveaux modes d'utilisation des produits pharmaceutiques existants, disponibles à un coût inférieur.

 

Je signale que ce point de vue a également été clairement exprimé par la juge Sharlow au paragraphe 58 de ses motifs dans l'arrêt Pharmascience.

 

[20]           Par conséquent, j'en arrive à la conclusion que le juge von Finckenstein n'a pas commis d'erreur lorsqu'il a rejeté la demande d'ordonnance d'interdiction des appelantes.

 

[21]           Je rejetterais donc l'appel avec dépens.

 

« M. Nadon »

j.c.a.

 

 

« Je suis d'accord.

            A. M. Linden, j.c.a. »

 

 

« Je suis d'accord.

            John M. Evans, j.c.a. »

 

 

Traduction

 


COUR D'APPEL FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

DOSSIER :                                                    A-575-05

 

INTITULÉ :                                                  SANOFI‑AVENTIS CANADA INC. ET AL.

appelantes

                                                                        et

 

                                                                        APOTEX INC. ET AL.

intimés

 

LIEU DE L'AUDIENCE :                          TORONTO (ONTARIO)

 

DATE DE L'AUDIENCE :                         LE 31 OCTOBRE 2006

 

MOTIFS DU JUGEMENT :                       LE JUGE NADON

 

Y ONT SOUSCRIT :                                   LE JUGE LINDEN

                                                                        LE JUGE EVANS

 

DATE DES MOTIFS :                                 LE 2 NOVEMBRE 2006

 

COMPARUTIONS :

 

Gunars A. Gaikis                                            POUR LES APPELANTES

Yoon Kang                                                     POUR LES APPELANTES

                                                                       

Andrew R. Brodkin                                        POUR L'INTIMÉE APOTEX INC.

John H. Simpson                                             POUR L'INTIMÉE APOTEX INC.

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

SMART & BIGGAR

Avocats

Toronto (Ontario)

 

POUR LES APPELANTES

 

GOODMANS LLP

Avocats

Toronto (Ontario)

 

POUR L'INTIMÉE APOTEX INC.

 

John H. Sims, c.r.

Sous‑procureur général du Canada

POUR L'INTIMÉ LE MINISTRE DE LA SANTÉ

 

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