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Date : 20061110

Dossier : A-658-04

Référence : 2006 CAF 368

 

CORAM :      LE JUGE LÉTOURNEAU

                        LE JUGE NOËL

                        LE JUGE PELLETIER

 

ENTRE :

MARCHAND SYNDICS INC., syndic

GEORGES E. MARCHAND, syndic

BRUNO MARCHAND, syndic

Appelants

et

SYLVIE LAPERRIÈRE

Intimée

 

 

 

 

 

 

Audience tenue à Ottawa (Ontario), le 18 octobre 2006.

Jugement rendu à Ottawa (Ontario), le 10 novembre 2006.

 

MOTIFS DU JUGEMENT :                                                                     LE JUGE LÉTOURNEAU

Y ONT SOUSCRIT :                                                                                               LE JUGE NOËL

                                                                                                                       LE JUGE PELLETIER

 


 

Date : 20061110

Dossier : A-658-04

Référence : 2006 CAF 368

 

CORAM :      LE JUGE LÉTOURNEAU

                        LE JUGE NOËL

                        LE JUGE PELLETIER

 

ENTRE :

MARCHAND SYNDICS INC., syndic

GEORGES E. MARCHAND, syndic

BRUNO MARCHAND, syndic

 

Appelants

et

SYLVIE LAPERRIÈRE

Intimée

 

 

MOTIFS DU JUGEMENT

 

 

LE JUGE LÉTOURNEAU

 

LES QUESTIONS EN LITIGE

 

[1]               Les appelants se portent à l’encontre d’une décision de la juge Tremblay-Lamer de la Cour fédérale (juge) rendue le 10 novembre 2004. Ils ont soulevé trois motifs d’appel dont un ayant trait au refus de la juge d’entendre une requête visant à obtenir sa récusation. Ils ont sagement abandonné à l’audience ce motif d’appel.

 

[2]               À l’audience les deux questions que nous avons retenues et sur lesquelles nous avons invité les procureurs des deux parties à soumettre leurs prétentions sont les suivantes :

 

a)         les appelants avaient-ils le droit d’être entendus avant que des mesures conservatoires des actifs gérés par les appelants ne soient prises en vertu de l’article 14.03 de la Loi concernant la faillite et l’insolvabilité, L.R.C. 1985, ch. B-3 (Loi), de sorte qu’il y aurait eu manquement à l’équité procédurale ?

 

b)         y-avait-il un lien rationnel entre les faits à l’origine de la décision de recourir à des mesures conservatoires et la mesure conservatoire qui donnait instruction au séquestre officiel de ne plus nommer les appelants pour administrer de nouveaux actifs d’administration ordinaire jusqu’à avis contraire ou jusqu’à ce qu’une décision soit rendue aux termes de l’article 14.01 de la Loi ?

                                                                                                                                    (je souligne)

 

[3]               En l’absence de lien rationnel, disent les appelants, la mesure est prise sans fondement légal et est en conséquence nulle parce qu’en violation de l’article 14.03 de la Loi et des alinéas 18.1(3)b) et 4a), c) et f) de la Loi sur les cours fédérales, L.R.C. 1985, ch. F-7.

 

[4]               Je reproduis les dispositions de la Loi de même que les instructions relatives aux mesures conservatoires qui sont pertinentes à la résolution du litige :

 

PARTIE I

 

FONCTIONNAIRES ADMINISTRATIFS

 

Surintendant

 

5.

 

 

Surveillance

 

(2) Le surintendant contrôle l’administration des actifs et des affaires régis par la présente loi.

 

 

Pouvoirs du surintendant

 

(4) Le surintendant peut :

a) intervenir dans toute affaire ou dans toute procédure devant le tribunal, lorsqu’il le juge à propos, comme s’il y était partie;

b) donner aux séquestres officiels, aux syndics, aux administrateurs au sens de la section II de la partie III et aux personnes chargées de donner des consultations au titre de la présente loi des instructions relatives à l’exercice de leurs fonctions, et notamment leur enjoindre de conserver certains dossiers et de lui fournir certains renseignements;

c) donner les instructions nécessaires à l’exécution de toute décision qu’il prend en vertu de la présente loi ou susceptibles de faciliter l’application de la présente loi et des Règles générales, et notamment en ce qui touche les attributions des syndics et des séquestres et celles des administrateurs au sens de l’article 66.11;

d) donner des instructions régissant les critères relatifs à la délivrance des licences de syndic, les qualités requises pour agir à titre de syndic et les activités des syndics;

e) prescrire, par instruction, la forme de documents requis pour l’application de la présente loi, ainsi que les renseignements à y porter.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

13.2

 

 

Suspension ou annulation

 

(5) Une licence peut être suspendue ou annulée par le surintendant :

a) si le syndic a été reconnu coupable d’un acte criminel;

b) si le syndic n’a pas observé l’une des conditions ou restrictions de sa licence;

c) si le syndic a cessé d’agir à ce titre;

d) à la demande du syndic.

 

 

 

 

Codes de déontologie

 

13.5 Les syndics sont tenus de se conformer aux codes de déontologie régissant leur conduite qui peuvent être prescrits.

 

 

Décision relative à la licence

 

14.01 (1) Après avoir tenu ou fait tenir une enquête sur la conduite du syndic, le surintendant peut prendre l’une ou plusieurs des mesures énumérées ci-après, soit lorsque le syndic ne remplit pas adéquatement ses fonctions ou a été reconnu coupable de mauvaise administration de l’actif, soit lorsqu’il n’a pas observé la présente loi, les Règles générales, les instructions du surintendant ou toute autre règle de droit relative à la bonne administration de l’actif, soit lorsqu’il est dans l’intérêt public de le faire :

a) annuler ou suspendre la licence du syndic;

b) soumettre sa licence aux conditions ou restrictions qu’il estime indiquées, et notamment l’obligation de se soumettre à des examens et de les réussir ou de suivre des cours de formation;

c) ordonner au syndic de rembourser à l’actif toute somme qui y a été soustraite en raison de sa conduite.

 

 

 

 

 

Application aux anciens syndics

 

(1.1) Dans la mesure où ils sont applicables, le présent article et l’article 14.02 s’appliquent aux anciens syndics avec les adaptations nécessaires.

 

Délégation

 

(2) Le surintendant peut, par écrit et aux conditions qu’il précise dans cet écrit, déléguer tout ou partie des attributions que lui confèrent respectivement le paragraphe (1), les paragraphes 13.2(5), (6) et (7) et les articles 14.02 et 14.03.

 

Notification

 

(3) En cas de délégation aux termes du paragraphe (2), le surintendant ou le délégué doit :

a) dans la mesure où la délégation vise les syndics en général, en aviser tous les syndics par écrit;

b) en tout état de cause, aviser par écrit, avant l’exercice du pouvoir qui fait l’objet de la délégation ou lors de son exercice, tout syndic qui pourrait être touché par l’exercice de ce pouvoir.

 

 

 

 

 

 

Avis au syndic

 

14.02 (1) Lorsqu’il se propose de prendre l’une des mesures visées au paragraphe 14.01(1), le surintendant envoie au syndic un avis écrit et motivé de la mesure qu’il entend prendre et lui donne la possibilité de se faire entendre.

 

 

 

Procédure de l’audition

 

(2) Lors de l’audition, le surintendant :

a) peut faire prêter serment;

b) n’est lié par aucune règle juridique ou procédurale en matière de preuve;

c) règle les questions exposées dans l’avis d’audition avec célérité et sans formalisme, eu égard aux circonstances et à l’équité;

d) fait établir un résumé écrit de toute preuve orale.

 

 

 

 

Dossier et audition

 

(3) L’audition et le dossier de l’audition sont publics à moins que le surintendant ne juge que la nature des révélations possibles sur des questions personnelles ou autres est telle que, en l’espèce, l’intérêt d’un tiers ou l’intérêt public l’emporte sur le droit du public à l’information. Le dossier de l’audition comprend l’avis prévu au paragraphe (1), le résumé de la preuve orale visé à l’alinéa (2)d) et la preuve documentaire reçue par le surintendant.

 

 

 

 

 

Décision

 

(4) La décision du surintendant est rendue par écrit, motivée et remise au syndic dans les trois mois suivant la clôture de l’audition, et elle est publique.

 

 

 

Examen de la Cour fédérale

 

(5) La décision du surintendant, rendue et remise conformément au paragraphe (4), est assimilée à celle d’un office fédéral et comme telle est soumise au pouvoir d’examen et d’annulation prévu à la Loi sur les Cours fédérales.

 

 

Mesures conservatoires

 

14.03 (1) Pour assurer la sauvegarde d’un actif dans les circonstances visées au paragraphe (2), le surintendant peut :

a) donner instruction à quiconque de s’occuper des biens de l’actif visé dans les instructions conformément aux modalités qui y sont indiquées, notamment d’en continuer l’administration;

b) donner instruction à quiconque de prendre les mesures qu’il estime nécessaires à la sauvegarde des livres, registres, données sur support électronique ou autre, et documents de l’actif;

c) donner instruction à une banque ou autre dépositaire de ne faire aucun paiement sur les fonds détenus au crédit de cet actif, si ce n’est conformément à l’instruction;

d) donner instruction au séquestre officiel de ne plus nommer le syndic en cause pour administrer de nouveaux actifs tant qu’une décision n’est pas rendue au titre des paragraphes 13.2(5) ou 14.01(1).

 

Circonstances

 

(2) Le surintendant peut exercer les pouvoirs visés au paragraphe (1) dans les circonstances suivantes :

a) le décès, la destitution ou l’empêchement du syndic responsable de l’actif;

b) la tenue par lui de l’enquête prévue à l’alinéa 5(3)e);

c) l’exercice par lui des pouvoirs visés à l’article 14.01;

d) le défaut de paiement de droits prévus au paragraphe 13.2(2) à l’égard de la licence du syndic;

e) l’insolvabilité du syndic;

f) le syndic a été reconnu coupable d’un acte criminel ou n’a pas observé l’une des conditions ou restrictions de sa licence;

g) le fait qu’il envisage d’annuler la licence du syndic au titre des alinéas 13.2(5)c) ou d).

 

PART I

 

 

ADMINISTRATIVE OFFICIALS

 

Superintendent

 

5.

 

[…]

 

Extent of supervision

 

(2) The Superintendent shall supervise the administration of all estates and matters to which this Act applies.

 

[…]

 

Powers of Superintendent

 

(4) The Superintendent may

(a) intervene in any matter or proceeding in court, where the Superintendent considers it expedient to do so, as if the Superintendent were a party thereto;

(b) issue, to official receivers, trustees, administrators of consumer proposals made under Division II of Part III and persons who provide counselling pursuant to this Act, directives with respect to the administration of this Act and, without restricting the generality of the foregoing, directives requiring them

(i) to keep such records as the Superintendent may require, and

(ii) to provide the Superintendent with such information as the Superintendent may require;

(c) issue such directives as may be necessary to give effect to any decision made by the Superintendent pursuant to this Act or to facilitate the carrying out of the purposes and provisions of this Act and the General Rules, including, without limiting the generality of the foregoing, directives relating to the powers, duties and functions of trustees, of receivers and of administrators as defined in section 66.11;

(d) issue directives governing the criteria to be applied by the Superintendent in determining whether a trustee licence is to be issued to a person and governing the qualifications and activities of trustees; and

(e) issue directives prescribing the form of any document that is by this Act to be prescribed and the information to be given therein.

 

 

13.2

 

[…]

 

Suspension or cancellation

 

(5) A licence may be suspended or cancelled by the Superintendent

(a) if the trustee is convicted of an indictable offence;

(b) if the trustee has failed to comply with any of the conditions or limitations to which the licence is subject;

(c) if the trustee has ceased to act as a trustee; or

(d) at the request of the trustee.

 

 

Code of ethics

 

13.5 A trustee shall comply with such code of ethics respecting the conduct of trustees as may be prescribed.

 

 

 

Decision affecting licence

 

14.01 (1) Where, after making or causing to be made an investigation into the conduct of a trustee, it appears to the Superintendent that

(a) a trustee has not properly performed the duties of a trustee or has been guilty of any improper management of an estate,

(b) a trustee has not fully complied with this Act, the General Rules, directives of the Superintendent or any law with regard to the proper administration of any estate, or

(c) it is in the public interest to do so,

the Superintendent may do one or more of the following:

(d) cancel or suspend the licence of the trustee;

(e) place such conditions or limitations on the licence as the Superintendent considers appropriate including a requirement that the trustee successfully take an exam or enrol in a proficiency course, and

(f) require the trustee to make restitution to the estate of such amount of money as the estate has been deprived of as a result of the trustee’s conduct.

 

Application to former trustees

 

(1.1) This section and section 14.02 apply, in so far as they are applicable, in respect of former trustees, with such modifications as the circumstances require.

 

Delegation

 

(2) The Superintendent may delegate by written instrument, on such terms and conditions as are therein specified, any or all of the Superintendent’s powers, duties and functions under subsection (1), subsection 13.2(5), (6) or (7) or section 14.02 or 14.03.

 

Notification to trustees

 

(3) Where the Superintendent delegates in accordance with subsection (2), the Superintendent or the delegate shall

(a) where there is a delegation in relation to trustees generally, give written notice of the delegation to all trustees; and

(b) whether or not paragraph (a) applies, give written notice of the delegation of a power to any trustee who may be affected by the exercise of that power, either before the power is exercised or at the time the power is exercised.

 

 

Notice of proposed decision to trustee

 

14.02 (1) Where the Superintendent intends to exercise any of the powers referred to in subsection 14.01(1), the Superintendent shall send the trustee written notice of the powers that the Superintendent intends to exercise and the reasons therefor and afford the trustee a reasonable opportunity for a hearing.

 

Procedure at hearing

 

(2) At a hearing referred to in subsection (1), the Superintendent

(a) has the power to administer oaths;

(b) is not bound by any legal or technical rules of evidence in conducting the hearing;

(c) shall deal with the matters set out in the notice of the hearing as informally and expeditiously as the circumstances and a consideration of fairness permit; and

(d) shall cause a summary of any oral evidence to be made in writing.

 

Record

 

(3) The notice referred to in subsection (1) and, where applicable, the summary of oral evidence referred to in paragraph (2)(d), together with such documentary evidence as the Superintendent receives in evidence, form the record of the hearing and the record and the hearing are public, unless the Superintendent is satisfied that personal or other matters that may be disclosed are of such a nature that the desirability of avoiding public disclosure of those matters, in the interest of a third party or in the public interest, outweighs the desirability of the access by the public to information about those matters.

 

Decision

 

(4) The decision of the Superintendent after a hearing referred to in subsection (1), together with the reasons therefor, shall be given in writing to the trustee not later than three months after the conclusion of the hearing, and is public.

 

Review by Federal Court

 

(5) A decision of the Superintendent given pursuant to subsection (4) is deemed to be a decision of a federal board, commission or other tribunal that may be reviewed and set aside pursuant to the Federal Courts Act.

 

 

 

Conservatory measures

 

14.03 (1) The Superintendent may, for the protection of an estate in the circumstances referred to in subsection (2),

(a) direct a person to deal with property of the estate described in the direction in such manner as may be indicated in the direction, including the continuation of the administration of the estate;

(b) direct any person to take such steps as the Superintendent considers necessary to preserve the books, records, data, including data in electronic form, and documents of the estate;

(c) direct a bank or other depository not to pay out funds held to the credit of the estate except in accordance with the direction; and

(d) direct the official receiver not to appoint the trustee in respect of any new estates until a decision is made under subsection 13.2(5) or 14.01(1).

 

 

 

 

Circumstances

 

(2) The circumstances in which the Superintendent is authorized to exercise the powers set out in subsection (1) are where

(a) an estate is left without a trustee by the death, removal or incapacity of the trustee;

(b) the Superintendent makes or causes to be made any investigation pursuant to paragraph 5(3)(e);

(c) the Superintendent exercises any of the powers set out in section 14.01;

(d) the fees referred to in subsection 13.2(2) have not been paid in respect of the trustee’s licence;

(e) a trustee becomes insolvent;

(f) a trustee is convicted of an indictable offence or has failed to comply with any of the conditions or limitations to which the trustee’s licence is subject; or

(g) a circumstance referred to in paragraph 13.2(5)(c) or (d) exists and the Superintendent is considering cancelling the licence under subsection 13.2(5).

 

 

 

CANADA

 

Dans l'affaire de :          Bruno Marchand

                                    Georges E. Marchand

                                    Marchand Syndics inc.

 

INSTRUCTIONS DE MESURES CONSERVATOIRES (article 14.03 de la Loi sur la faillite et l'insolvabilité)

 

 

CONSIDÉRANT QUE la Loi sur la faillite et l'insolvabilité (la Loi) attribue au surintendant des faillites un pouvoir général de surveillance des actifs et des affaires régis par ladite Loi;

 

CONSIDÉRANT QUE l'exercice des pouvoirs du surintendant des faillites énoncés à l'alinéa 5(3)e) de la Loi a révélé que les syndics ont un nombre anormalement élevé de dossiers ouverts depuis plus de trois ans;

 

CONSIDÉRANT QUE ces syndics font également l'objet d'une enquête tenue en vertu des dispositions de l'article 14.01 de la Loi;

 

CONSIDÉRANT QUE le 5 août 2003, une lettre a été envoyée aux syndics leur donnant un délai de 15 jours ouvrables pour faire parvenir un plan de fermeture acceptable visant entre autres à réduire à 10 % de leur inventaire, le pourcentage des dossiers d'administration sommaire ouverts depuis plus de 36 mois et à 40 % de leur inventaire, le pourcentage des dossiers d'administration ordinaire ouverts depuis plus de 36 mois ou pour donner une explication satisfaisante au surintendant des faillites de la raison pour laquelle le nombre de dossiers de plus de 3 ans dépasse ces normes;

 

CONSIDÉRANT QUE, malgré des demandes répétées, les syndics n'ont pas soumis, dans les délais impartis, un plan de fermeture détaillé conforme aux exigences du surintendant des faillites;

 

CONSIDÉRANT QUE les syndics ont effectivement refusé de soumettre un plan de fermeture détaillé, se limitant à soumettre un plan qui n'attribue aucune priorité aux dossiers les plus âgés, ni à ceux ayant des soldes bancaires importants, ledit plan ne fixant même pas d'échéances pour les différentes étapes de fermeture, les syndics visés se contentant de contester l'autorité du bureau du surintendant d'exiger pareil plan de fermeture;

 

CONSIDÉRANT par surcroît que les syndics n'ont même pas respecté leur propre plan de fermeture, lequel n'avait cependant pas été, pour les motifs ci-hauts exposés, accepté par le bureau du surintendant;

 

CONSIDÉRANT QUE les syndics ont manqué de diligence dans la fermeture de leurs dossiers dont le nombre de dossiers d'actifs d'administration ordinaire ouverts depuis plus de trois ans, en date du 3 février 2004, s'élevait notamment à 69 administrés par le syndic corporatif et Bruno Marchand, ce qui représentait 99 % de son inventaire total de dossiers d'administration ordinaire, et à 133 par le syndic corporatif et Georges E. Marchand dont 35 sous la licence personnelle de Georges E. Marchand, ce qui représentait 98 % de son inventaire total de dossiers d'administration ordinaire;

 

CONSIDÉRANT QUE certains de ces dossiers contiennent des sommes d'argent importantes que les syndics ne distribuent pas aux créanciers;

 

CONSIDÉRANT QUE le comportement des syndics est préjudiciable aux créanciers qui subissent un délai indu dans le versement de leurs dividendes;

 

CONSIDÉRANT QUE les syndics refusent ou négligent de parachever l'administration de ces dossiers et ce faisant, ne soumettent pas leur reddition de comptes aux intervenants, tel qu'exigé par la Loi;

 

CONSIDÉRANT QU'il est inadmissible de la part d'un fiduciaire tel un syndic de faillite de refuser ou négliger de rendre compte de son administration;

 

CONSIDÉRANT QUE le surintendant des faillites a des motifs raisonnables de croire que les dossiers d'actifs doivent être sauvegardés et que l'administration de ces dossiers doit être parachevée dans les meilleurs délais;

 

CONSIDERANT QUE le surintendant des faillites peut, pour assurer la sauvegarde des actifs, exercer les pouvoirs visés au paragraphe 14.03(1) de la Loi, et ce, dans les circonstances prévues au paragraphe 14.03(2) de la Loi;

 

CONSIDÉRANT QUE le surintendant des faillites a délégué à la soussignée, en vertu de l'autorité du paragraphe 14.01(2) de la Loi, dans certaines situations mentionnées au paragraphe 14.03(2), les attributions du surintendant prévues au paragraphe 14.03 (1) de la Loi dont copies de la délégation et des paragraphes 14.01(2) et 14.03(1) à (4) de la Loi sont jointes aux présentes;

 

CONSIDÉRANT les dispositions de l'article 14.03(1)d) et (2)b) de la Loi sur la faillite et l'insolvabilité;

 

Je soussignée, Sylvie Laperrière, en ma qualité d'analyste principale, conduite professionnelle, donne instructions au :

 

Séquestre officiel de ne plus nommer Bruno Marchand, Georges E. Marchand et Marchand Syndics inc. pour administrer de nouveaux actifs d'administration ordinaire.

 

Ces instructions entrent en vigueur immédiatement et le resteront jusqu’à avis contraire ou jusqu’à ce qu’une décision soit rendue aux termes de l’article 14.01 de la Loi.

 

Selon les dispositions du paragraphe 14.03(3) de la Loi, les présentes instructions lient leurs destinataires, lesquels sont tenus de s'y conformer;

 

Selon les dispositions du paragraphe 14.03(4) de la Loi, quiconque obtempère aux présentes instructions échappe à toute responsabilité pour les actes posés dans le seul but de s'y conformer.

 

ET J'AI SIGNÉ, en la ville de Sainte-Foy, Québec

ce 10 février 2004

 

 

Sylvie Laperrière

Analyste principale, conduite professionnelle

 

                                                                                                                                    (je souligne)

 

 

[5]               Je n’ai pas reproduit les dispositions invoquées de la Loi sur les cours fédérales parce qu’elles ne sont pas nécessaires à la résolution du litige.

 

[6]               Une mise en contexte s’impose quant à l’émission de cette mesure conservatoire qui ne fut pas la seule. D’autres furent émises retirant aux appelants l’administration de 48 dossiers et les confiant au séquestre officiel pour en assurer la conservation et, par la suite à un mandataire du Bureau du surintendant des faillites, pour leur administration et règlement : voir le dossier d’appel, aux volumes 5 et 6, aux pages 969 à 972 et 997 à 1 000.

 

LES FAITS ET LA PROCÉDURE

 

[7]               La juge a bien résumé dans le présent dossier l’historique des faits et des circonstances qui ont mené ultimement à l’émission des mesures conservatoires. Il n’est pas nécessaire de tous les reprendre quoiqu’ils soient fort instructifs et révélateurs du comportement des appelants. Je me contenterai de reproduire les paragraphes 2 à 5, 7 à 23 et 28 à 31 de sa décision.

 

[2]        Les demandeurs ont fait l'objet de plusieurs rapports du Bureau du surintendant des faillites ( « BSF » ) depuis plus d'une décennie parce que leur administration démontrait des lacunes chroniques dans les délais de fermeture de dossiers. Un rapport de vérification daté de janvier 1992 indique, par exemple, qu'un dossier ouvert en février 1973 n'a jamais été fermé. En février 2004, ce dossier était toujours ouvert et les sommes n'étaient toujours pas distribuées aux créanciers, alors que le solde du compte en fidéicommis de ce dossier s'élevait à 575 505,30 $.

 

[3]        Cela représente peut-être le cas le plus extrême, mais d'autres rapports de surveillance et de vérification, en octobre 2000 et en mars 2003, démontrent les mêmes problèmes.

 

[4]        Sept ententes relatives à des plans de fermeture ont été établies au cours de la période de 1993 à 2001 par le BSF en collaboration avec les demandeurs afin que ceux-ci procèdent à la fermeture de leurs dossiers âgés de plus de trois ans. Seulement un de ces sept plans (celui de 1996) fut respecté par les demandeurs.

 

[5]        De plus, pendant cette période, de nombreux créanciers se sont plaints de la lenteur avec laquelle les demandeurs complétaient l'administration de leur dossier et plusieurs jugements de la Cour supérieure du Québec dénonçaient leur négligence.

 

 

[7]        En juillet 2003, le BSF a commencé l'Initiative pour l'administration ponctuelle et ordonnée des dossiers d'insolvabilité (IAPO) à travers le pays. Selon le paragraphe 5.3(e) de la Loi, le BSF a effectué une enquête générale pour identifier tous les syndics au Canada qui n'arrivent pas à fermer leurs dossiers en moins de trois ans à un niveau acceptable. Pour être identifiés par ce programme, les dossiers d'administration ordinaire âgés de plus de trois ans devaient composer plus de 60 % de l'inventaire du syndic, et les dossiers d'administration sommaire devaient composer plus de 15 %.

 

[8]        Le but de l'IAPO était de ramener ces niveaux à moins de 40 % et à moins de 10 %, respectivement. Quatre-vingt-dix-neuf syndics ont été identifiés dans cette enquête et les demandeurs étaient inclus dans ce groupe.

 

[9]        Le 5 août 2003, Mme Lorraine Provost, la représentante du BSF, écrivait aux 99 syndics identifiés pour les inviter à fournir, dans un délai de 15 jours ouvrables, un plan de fermeture acceptable par le BSF et à démontrer les progrès réguliers tout au long de l'année. Les rapports mensuels devront énumérer, au minimum, les dossiers fermés le mois précédent ainsi que ceux qui le seront dans le mois courant, en plus de fournir toutes autres informations quant au statut des autres dossiers devant être fermés suivant le plan de fermeture. Elle expliquait que le BSF considérait un dossier comme étant fermé seulement lorsque le syndic obtenait sa libération et non avant.

 

[10]      Dans la lettre qu'elle adressait aux demandeurs, elle remarquait que 94,29 % des dossiers ordinaires et 57,76 % des dossiers sommaires de Georges Marchand, et 97,70 % des dossiers ordinaires et 62,63 % des dossiers sommaires de Bruno Marchand étaient ouverts depuis plus de trois ans.

 

[11]      De plus, les demandeurs et tous les autres syndics identifiés dans l'IAPO - étaient également informés que le défaut de produire les documents ou de se conformer aux demandes pour un plan de fermeture acceptable par le BSF dans les délais impartis, les exposaient à des mesures conservatoires suivant l'article 14.03 de la Loi.

 

[12]      Le 26 août 2003 les demandeurs soumettaient au BSF un tableau où ils indiquaient le nombre de dossiers qu'ils planifiaient fermer pour chacun des quatre prochains trimestres commençant le 1er septembre 2003.

 

[13]      L'échange de correspondance entre les parties durant cette période est crucial parce qu'elle est au coeur du litige. Il est donc important d'en relater la teneur de façon détaillée.

 

[14]      Le 4 septembre 2003, M. Georges Marchand adressait une lettre à M. François Leblanc du BSF, dans laquelle il indiquait qu'il avait compris que le plan de fermeture devait être plus détaillé, ce qui fut fait le 8 septembre 2003.

 

[15]      Dans une lettre adressée à la même date, Mme Provost expliquait que le plan suggéré n'était pas acceptable. Pour qu'il le soit, le plan devait indiquer :

 

-           le nombre de dossiers d'administration sommaire de plus de trois ans pour lesquels seront produits des relevés de recettes et débours;

 

-           le nombre de dossiers d'administration sommaire de plus de trois ans pour lesquels la libération du syndic sera obtenue;

 

-           le nombre de dossiers d'administration ordinaire de plus de trois ans pour lesquels seront produits des relevés de recettes et débours;

 

-           le nombre de dossiers d'administration ordinaire de plus de trois ans pour lesquels la libération du syndic sera obtenue.

 

[16]      Le BSF exigeait également que les demandeurs fournissent une liste détaillée des dossiers qui devaient être fermé à l'intérieur du prochain trimestre.

 

[17]      Dans une lettre datée du 10 septembre 2003, les demandeurs demandaient au BSF des clarifications quant à l'ensemble des commentaires échangés dans la lettre du 5 août 2003, plus particulièrement quant à la référence à l'article 14.03 de la Loi. De plus, les demandeurs expliquaient, qu'à leurs yeux, vu la décision de la Cour supérieure dans l'affaire Abderrazik (Syndic de), [2002] J.Q. no 2241 (C.S.)(QL), le BSF n'avait pas le pouvoir d'exiger une liste détaillée des dossiers à fermer.

 

[18]      Le 19 septembre 2003, en réponse à cette lettre, Mme Provost informait les demandeurs que le plan soumis n'était pas accepté par le BSF. Elle expliquait que l'expression « les dossiers fermés » voulait dire que le BSF recevrait avant la fin de l'échéance prévue, un document démontrant la libération du syndic soit le certificat de conformité ou l'ordonnance de libération.

 

[19]      Le 25 septembre 2003, le procureur des demandeurs écrivait une autre lettre à Mme Provost. Il réitérait que le plan soumis était acceptable et que la demande d'une liste détaillée outrepassait les pouvoirs administratifs du BSF. Il suggérait une rencontre dans 90 jours, si cela s'avérait nécessaire, pour discuter de cette affaire.

 

[20]      Dans une lettre datée le 24 octobre 2003, le procureur du BSF avisait de nouveau les demandeurs que le plan soumis n'était pas acceptable et demandait un engagement écrit à fermer en priorité les dossiers de plus de 10 ans avec un solde bancaire de 25 000 $ et plus, soit un total de 17 dossiers d'administration ordinaire dont la liste leur était fournie.

 

[21]      Le 31 octobre 2003, le procureur du demandeur répondait à la lettre du 24 octobre 2003 en fournissant des chiffres quant à la fermeture de dossiers et des objectifs à atteindre à l'intérieur du délai. Il suggérait une rencontre au début de janvier 2004 pour faire le point et d'examiner les efforts déployés à cette fin sur une période représentée de quelques mois.

 

[22]      Le 7 novembre 2003, le procureur du BSF indiquait que le dossier était très sérieux. Il informait que la demande du BSF relativement au plan de fermeture des dossiers demeurait inchangée.

 

[23]      Le même jour, le procureur du demandeur renouvelait sa demande de tenir une réunion au début de l'année 2004 et demandait encore une fois en vertu de quelle disposition législative le BSF pouvait exiger un ordre séquentiel de fermeture des dossiers.

 

 

[28]      Il mentionnait également que le processus de fermeture d'un dossier de faillite est assujetti à des délais à l'égard desquels le syndic n'a aucun contrôle. C'est pourquoi le programme IAPO accorde normalement douze mois aux syndics pour faire leur preuve. Le fait que la défenderesse suggère d'imposer des mesures conservatoires après six mois seulement n'était pas équitable. Les demandeurs étaient disponibles pour discuter de l'avancement réel et significatif du processus de fermeture et ainsi éviter que ne soient prises des mesures conservatoires.

 

[29]      C'est à ce moment, vu le refus répété des demandeurs de se conformer aux exigences du BSF, que se cristallise la décision de la défenderesse d'imposer deux séries d'instructions de mesures conservatoires. Ces mesures ont été prises uniquement à l'égard des 48 dossiers ayant des soldes bancaires importants (10 000 $ et plus) puisque ce sont ces dossiers qui sont susceptibles de produire un dividende au créancier.

 

[30]      La première série qui prenait effet le 10 février 2004 prévoyait :

 

-           de retirer aux demandeurs 48 dossiers actifs d'administration ordinaire ouverts depuis plusieurs années, jusqu'à ce que le séquestre officiel en termine l'administration ou qu'un syndic gardien soit nommé à cette fin; et

 

-           de faire en sorte que les demandeurs ne puissent se voir confier, par le séquestre officiel de nouveaux dossiers d'administration ordinaire.

 

[31]      La deuxième série émise le 24 février 2004 avait comme résultat de confier à la firme H.H. Davis & associés inc. le mandat de terminer l'administration des 48 dossiers retirés aux demandeurs.

 

 

[8]               Comme le mentionne la juge, les mesures conservatoires n’ont pas été prises capricieusement par le Bureau du surintendant. Elles se situent dans un historique de délais inexcusables sanctionnés par les tribunaux : voir Société Chapichou Inc., Georges Marchand et Procureur général du Canada, C.S. no. 500-11-002944-862, 16 mars 1995 où le juge conclut qu’il n’existe aucune excuse valable pour le défaut de la part du syndic de mettre un terme au dossier et que le syndic était seul responsable pour des délais qualifiés d’inadmissibles; Dubois (Re), [1995] A.Q. no. 1684 où le juge dit qu’il apparaît difficile de trouver une justification à la prolongation pendant huit années d’une gestion d’actifs minimes; Benchaya et Marchand Syndics Inc. et Surintendant des Faillites, C.S. no. 500-11-006335-976, 17 janvier 2000; Benchaya et Marchand Syndics Inc., C.S. no. 500-11-006335-976, 6 juillet 2000 où le syndic, dans le même dossier, fut condamné à 1 000 $ d’amende pour outrage au tribunal parce qu’il avait refusé d’obéir à l’ordonnance de la Cour supérieure lui enjoignant de payer à la débitrice une somme de 5 157,92 $; Blais et Marchand Syndics Inc. et Surintendant des Faillites, C.S. no. 405-11-000158-897, 15 janvier 2003, où le juge Sénécal concluait qu’il n’y avait aucune justification pour que le dossier ait traîné dix ans.

 

[9]               Les appelants ont attaqué la validité de ces mesures à la fois devant la Cour supérieure du Québec et devant la Cour fédérale sur pratiquement la même base de contestation, mais sans toutefois développer devant nous, dans leur mémoire écrit, l’argument d’inconstitutionnalité fondé sur l’alinéa 2e) de la Déclaration canadienne des droits. Ils ont obtenu gain de cause en Cour supérieure : voir Marchand Syndics Inc. c. Procureur général du Canada et H.H. Davis et associés Inc., [2005] R.J.Q. 2094. La Cour supérieure déclara inopérants les alinéas 14.03(1)a) et d) de la Loi parce qu’incompatibles avec les alinéas 1a) et 2e) de la Déclaration canadienne des droits. Appel fut interjeté par les intimés et l’affaire est maintenant en délibéré devant la Cour d’appel du Québec.

 

[10]           À l’opposé, la Cour fédérale a rejeté les prétentions des appelants retenues par la Cour supérieure du Québec. D’où l’appel dont nous sommes saisis par les Marchand Syndics Inc. ainsi que les syndics Georges et Bruno Marchand.

 

[11]           En appel devant nous, je dois dire que les appelants ne se sont pas pressés pour faire avancer leur dossier. Le 15 juillet 2005, la Cour leur a octroyé sans frais une prolongation des délais pour produire une réponse à une requête en rejet de leur appel suite à leur défaut de poursuivre les procédures avec diligence : voir dossier A-658-04, ordonnance du 15 juillet 2005. Dans une décision du 25 août 2005, la Cour constatait que plus de 8 mois s’étaient écoulés depuis que l’avis d’appel avait été déposé et qu’aucune démarche n’avait été entreprise par les appelants pour faire avancer le dossier. Néanmoins la Cour rejetait la requête en rejet d’appel, mais condamnait les appelants à 1 000 $ de frais payables immédiatement : voir dossier A-658-04, ordonnance du 25 août 2005.

 

[12]           Enfin, le 18 juillet 2006, la Cour rejetait une demande sans fondement de suspension de l’audition du présent appel faite par les appelants. Elle les condamnait à des dépens de 1 500 $, payables immédiatement et ce peu importe l’issue du litige. La Cour ordonnait aussi à l’administratrice judiciaire de fixer l’audition de cet appel, qui avait déjà suffisamment traîné, dans les meilleurs délais possibles. Il fut en conséquence entendu le 18 octobre 2006, soit trois mois après l’ordonnance : voir dossier A-658-04, ordonnance du 18 juillet 2006.

 

ANALYSE DES PRÉTENTIONS DES APPELANTS ET DE LA DÉCISION DE LA JUGE DE LA COUR FÉDÉRALE

 

 

La violation alléguée de l’équité procédurale

 

[13]           Les appelants soumettent que l’émission des instructions de mesures conservatoires fut faite en violation des règles d’équité procédurale et de justice fondamentale. Trois motifs sont invoqués à l’audience au soutien de cette prétention. Premièrement, les appelants soutiennent qu’ils avaient le droit d’être entendus, par audition orale, sur l’opportunité d’émettre des mesures conservatoires. Deuxièmement, que les mesures sont des mesures d’application illimitée dans le temps et qu’elles affectent sérieusement leur droit de pratique. Troisièmement, qu’elles ont été émises par une personne qui était à la fois juge et partie, violant de ce fait même la règle Nemo judex in causa sua : nul ne peut être juge dans sa propre cause.

 

[14]           J’examinerai chacune de ces prétentions en commençant par le droit d’être entendu. Mais je tiens à signaler que, comme pour l’argument d’inconstitutionnalité fondé sur la Déclaration canadienne des droits, cet argument d’équité procédurale, tel que plaidé à l’audience, n’apparaît ni dans l’avis d’appel comme motif d’appel, ni dans le mémoire écrit des appelants. Le seul manquement à l’équité procédurale qu’ils ont soulevé est celui relatif au refus de recevoir la demande de récusation de la juge. Et il s’agit d’un motif d’appel qu’ils ont abandonné. Les procureurs des appelants se sont contentés de nous référer au paragraphe 20 de leur mémoire écrit où il est dit que leur mémoire des faits et du droit produit en première instance vient compléter l’argumentation ci-après exposée. Or, il n’y a aucune telle argumentation. Pourtant la Règle 337 stipule bien que l’avis d’appel doit contenir un énoncé complet et concis des motifs qui seront invoqués. Ce sont ces motifs que normalement développe le Mémoire des faits et du droit. L’avis d’appel des appelants coure sur vingt (20) pages et reflète tout, sauf la concision, la précision et l’intégralité des motifs d’appel. Il est en fait un Mémoire déguisé imparfait des faits et du droit.

 

 

 

Le droit d’être entendu avant l’émission d’instructions de mesures conservatoires en vertu de l’article 14.03 de la Loi

 

 

[15]           Les appelants ont réclamé à l’audience, en rapport avec les mesures conservatoires, le droit à une audition orale, vraisemblablement devant un tiers, probablement un juge, pour décider s’il y a lieu d’émettre de telles mesures. Il est difficile de connaître la position exacte des appelants sur le sujet parce que, comme je l’ai dit, leur Mémoire des faits et du droit n’a aucunement fait état de la question et encore moins de celle du droit d’être entendu par un tiers. Le procureur de l’intimée, au nom de cette même équité procédurale dont pourtant se réclament avidement les appelants, s’est objecté à ce qu’un nouveau motif d’appel soit soulevé pour la première fois en appel, à l’audience alors qu’il n’apparaissait pas au mémoire écrit et à l’avis d’appel. La plaidoirie orale des procureurs des appelantes n’a pas été beaucoup plus éclairante sur la question, ceux-ci se contentant de dire, sans plus, que l’audition ne peut avoir lieu devant la même personne.

 

[16]           En fait, les appelants remettent en cause la décision de notre Cour dans l’affaire Tremblay c. Canada (Surintendant des Faillites), 2001 CAF 46 où notre Cour a rejeté pareille prétention d’un droit à une audition orale lors d’un recours à des mesures conservatoires. Aux paragraphes 4 à 6, la Cour écrit :

 

[4]        Dans un tel contexte, il n'est guère surprenant que le surintendant ait jugé nécessaire de recourir à des mesures conservatoires pour protéger les actifs qui, objectivement, selon la preuve dont il disposait, lui semblaient alors en péril.

 

[5]        Nous sommes d'avis qu'il n'y a aucun mérite dans cette prétention des appelants que le surintendant n'a pas, en transigeant avec eux, respecté les règles de justice naturelle. Les appelants étaient au courant des vérifications en cours à leurs bureaux. Ils savaient qu'un certain nombre de plaintes avaient été portées contre eux et ils en connaissaient la teneur. Comme l'a souligné à juste titre la juge des requêtes, ils ont eu plusieurs opportunités d'être entendus et de fournir des explications sur les manquements reprochés, mais ils ont choisi de les ignorer. Ils sont bien mal venus aujourd'hui de s'en plaindre.

 

[6]        Enfin, les appelants prétendent que la prise en charge des dossiers d'actifs par le surintendant constituait une révocation déguisée de leur licence de syndic sans qu'ils aient eu l'opportunité de se faire entendre comme le prévoit l'article 14.02 de la Loi sur la faillite et l'insolvabilité, L.R.C. (1985), c. B-3, telle que modifiée ( « Loi » ) . Cette prétention, sans fondement en l'espèce, repose sur une qualification erronée, pour ne pas dire une dénaturation, du geste posé par le surintendant. La prise en charge des dossiers d'actifs, rendue nécessaire par le comportement des appelants, était une mesure de protection des biens d'autrui prise en cours d'enquête administrative et disciplinaire. Cette enquête est maintenant terminée, des poursuites disciplinaires ont été entamées et les appelants pourront, si ce n'est déjà fait, y exercer les droits que leur confère l'article 14.02.

 

                                                                                                                                    (je souligne)

 

[17]           Ici, comme dans l’affaire Tremblay, les appelants ont eu, à plusieurs occasions, l’opportunité d’exprimer leur point de vue sur les demandes du Bureau du surintendant. Ils étaient bien au courant de ce qu’on leur reprochait. Ils ont produit plus d’une fois des explications à ce sujet. Ils connaissaient, sous peine de se voir imposer des mesures conservatoires, la demande qui leur était faite de produire un plan détaillé de fermeture des dossiers qui traînaient démesurément en longueur au détriment des créanciers. Ils ont refusé de le faire au motif qu’à leur avis, le Bureau du surintendant ne possédait pas l’autorité pour leur réclamer un tel plan.

 

[18]           En passant, les procureurs des appelants ont argumenté à l’audience que la juge avait eu tort de conclure que leurs clients n’avaient pas fourni le plan détaillé qui leur était demandé. Ils nous ont référé à des lettres qui contenaient des projections statistiques de fermeture de dossiers (ex. 90 dossiers au 30 novembre 2003, 170 au 28 février 2004, etc.) : voir dossier d’appel, vol. II, page 359. De toute évidence, ces lettres sans autre détails et spécifications ne sauraient constituer un plan de fermeture valable qui tienne compte des préoccupations exprimées par le Bureau du surintendant quant à l’ancienneté des dossiers et à la valeur des actifs en cause. Bref, il était impossible pour le Bureau du surintendant de savoir si l’emphase était vraiment mise sur les dossiers anciens où des sommes importantes y dormaient au détriment des créanciers (voir, par exemple, le cas d’un dossier remontant à 1973 qui accuse un solde de compte en fidéicommis de 575 505,30 $ et qui en 2004 n’était toujours pas réglé : décision de la juge, paragraphe 2; voir aussi les dossiers Vide et Traitement Canada Inc. datant de 1992; Les Remorques Bédard Inc., de 1990; et Matériaux de Plomberie et Chauffage du Coteau Inc., de 1991, avec des actifs respectifs de 414 986,93 $, 272 008,19 $ et 146 990,09 $). En fait, le procureur des appelants n’a pu pointer au dossier d’appel un élément de preuve établissant que le plan détaillé demandé avait été effectivement fourni.

 

[19]           Je partage l’opinion de la juge qu’il n’y a pas eu ici de manquement à l’équité procédurale et que les appelants ont été entendus et ont eu la possibilité de faire valoir leurs arguments. Je reproduis les paragraphes 82 à 86 de sa décision qui résume bien cette opinion :

 

[82]      En l'espèce, je dois prendre en considération la démarche entreprise par le BSF avec sa décision de commencer l'IAPO à travers le pays, ce qui a mené à une enquête plus spécifique dans les affaires d'administration des dossiers actifs des demandeurs. Je retiens que dès le commencement de cette démarche entre le BSF et les Syndics Marchand, le BSF a informé les demandeurs que l'omission de fournir un plan de fermeture acceptable pourrait déclencher des mesures conservatoires.

 

[83]      L'abondante correspondance échangée entre les demandeurs et le BSF témoigne que les règles de justice naturelle ont été respectées puisque les demandeurs ont été informés à maintes reprises des exigences du BSF et des conséquences auxquelles ils s'exposaient en cas de refus de se plier à ces exigences.

 

[84]      Les demandeurs estiment également avoir eu des attentes légitimes qu'une certaine procédure serait suivie. Ils mentionnent que le processus envisagé par le programme IAPO s'échelonnait sur une période de 12 mois, mais que dans leurs cas, les mesures conservatoires avaient été émises après six mois seulement. Je note cependant que le programme IAPO exigeait qu'un plan de fermeture satisfaisant aux exigences du BSF soit accepté au départ. Ce qui ne s'est pas produit en l'espèce. La défenderesse n'a donc contrevenu à la procédure établie par le programme IAPO puisque les demandeurs n'ont jamais fourni un plan de fermeture acceptable.

 

[85]      Dans ces circonstances, compte tenu du cadre législatif, le BSF n'avait pas besoin d'accorder aux demandeurs une audition, ni de les rencontrer une dernière fois puisque toutes les démarches précédentes s'étaient montrées inutiles. Comme je l'ai dit dans Groupe G. Tremblay, précitée, une audition n'est pas nécessaire avant de prendre des mesures conservatoires puisque lorsqu'elles s'avèrent nécessaires, il est impératif pour le BSF d'agir rapidement.

 

[86]      Je suis donc satisfaite que les règles de justice naturelle ont été respectées à l'égard des demandeurs et que la décision d'émettre des instructions de mesures conservatoires ne contrevient pas au paragraphe 2e) de la Déclaration canadienne des droits, précitée.

 

 

 

[20]           Les appelants ne nient pas qu’ils ont été entendus à bien des égards, mais pas, disent-ils, sur la nature et le choix des mesures conservatoires prises contre eux. Pour moi, l’arrêt Tremblay de notre Cour, précité, est déterminant. Les appelants ne m’ont pas convaincu qu’il y avait lieu d’y déroger. Le fait que l’alinéa d) de l’article 14.03 ait été ajouté à la Loi après la décision de notre Cour ne change rien au fait que nous sommes en présence de mesures conservatoires qui, comme nous le verrons plus loin, sont des mesures de protection de biens et de l’administration de biens appartenant à des tiers, lesquelles sont dictées par des impératifs soit de sécurité, soit d’urgence, soit de nécessité pour pouvoir accomplir les objectifs de la Loi.

 

[21]           J’ajouterais ceci au plan purement pratique et fonctionnel. Peut-on imaginer qu’une mesure prise pour la conservation d’éléments de preuve, qu’un ordre de fermeture d’un lieu de travail pris par un inspecteur en vertu de l’article 186 de la Loi sur la santé et sécurité du travail, L.R.Q., ch. S-2.1 pour assurer la sécurité des travailleurs ou qu’une ordonnance de saisie-arrêt en mains-tierces en vertu du paragraphe 224(1) de la Loi de l’impôt sur le revenu soit soumise à un avis d’audition préalable ? Poser la question, c’est y répondre. D’ailleurs, la Cour supérieure du Québec n’a eu aucune difficulté à y répondre en ces termes à l’égard de l’article 15 de la Loi sur le Ministère du Revenu du Québec, une disposition analogue au paragraphe 224(1) de la loi fédérale, dans l’affaire Sioui c. Sous-ministre du Revenu du Québec, [1995] R.J.Q. 2 492, à la page 2 496 :

 

Le tribunal est d’avis que le droit d’être entendu, consacré par l’article 23 de la charte, ne s’applique pas à la saisie de l’article 15… Cette saisie ne détermine pas le droit du justiciable; elle constitue une mesure provisoire dont l’objet vise le paiement de l’impôt en attendant qu’une décision définitive tranche le litige.

 

 

[22]           Dans la présente instance, comme nous le verrons plus loin, la mesure conservatoire est en elle-même provisoire et donc limitée dans le temps. Au-delà de ce fait, les appelants ne sont pas sans recours. Ils pouvaient exercer un contrôle judiciaire de la décision rendue : de fait, ils en ont exercé deux devant deux tribunaux différents où ils ont été entendus tant sur la constitutionnalité de l’existence du pouvoir de décréter de telles mesures que sur la légalité de l’exercice qui en fut fait dans leur cas. Ils pourront aussi se faire entendre lors de l’audition quant à leur licence : l’article 14.02 le prévoit expressément et la décision qui en résulte peut faire l’objet d’un contrôle judiciaire et d’un appel subséquent.

 

La nature des mesures conservatoires en vertu de l’article 14.03 de la Loi

 

[23]           Comme cette Cour le rappelait dans l’affaire Tremblay, précitée, les mesures conservatoires de l’article 14.03 de la Loi sont des mesures de protection des biens d’autrui prises en cours d’enquête administrative et disciplinaire. Elles sont dictées par une nécessité d’agir rapidement afin d’assurer la sauvegarde d’actifs dans les circonstances identifiées au paragraphe 14.03(2). Par « sauvegarde », il faut ici entendre non seulement une protection contre la perte ou la destruction des actifs en question, mais aussi une protection contre une mauvaise ou une absence d’administration de ces actifs au détriment des créanciers et de l’intérêt public. C’est ce qui ressort d’ailleurs des circonstances établies par la Loi en vertu desquelles le surintendant peut avoir recours à ces mesures.

 

[24]           En effet, le surintendant peut recourir à ces mesures de protection lorsqu’il effectue une enquête ou une investigation en vertu des pouvoirs que lui confère l’alinéa 5(3)e) de la Loi, lorsqu’en vertu du paragraphe 14.01(1) des mesures sont prises à l’égard de la licence d’un syndic pour défaut de remplir adéquatement ses fonctions, pour mauvaise administration des actifs ou pour défaut d’obéir aux instructions du surintendant (paragraphe 14.01(1), lorsqu’il est dans l’intérêt de le faire (ibidem) ou lorsqu’un syndic ne respecte pas l’une de ses conditions de licence, dont le code de déontologie régissant sa conduite (article 13.5) (je souligne).

 

[25]           Il est évident que le recours à des mesures conservatoires n’est pas, comme ultimement le prétendent les appelants, limité aux seuls cas de compromission des actifs par suite de fraude, de détournement ou de malversation. Il existe pour permettre que les objectifs de la Loi soient atteints dont certes ceux d’une saine et efficace administration des actifs ainsi que celui du respect par un syndic des termes et des conditions de sa licence.

 

[26]           Il est faux de prétendre comme le font les appelants que les mesures conservatoires sont d’application illimitée dans le temps, particulièrement dans le cas présent.

 

[27]           Tout d’abord, la Loi elle-même prévoit clairement, en rapport avec l’administration de nouveaux actifs, une limite temporelle à la durée de la restriction. L’alinéa 14.03(1)d) stipule qu’elle a cours jusqu’à ce qu’une décision soit rendue quant à la suspension ou à l’annulation de la licence. Les mesures conservatoires en cause sont des mesures purement accessoires au litige principal qui est d’ordre disciplinaire quant à la capacité des appelants d’exercer leur profession : elles naissent à l’occasion de ce litige et s’éteignent avec lui.

 

[28]           Deuxièmement, la mesure conservatoire qui est ici en litige contient une limite additionnelle : l’ordonnance peut être levée si le surintendant est satisfait des garanties offertes quant à une saine et diligente administration des actifs au bénéfice plutôt qu’au détriment des créanciers. Pour utiliser les termes mêmes de l’instruction, « ces instructions entrent en vigueur immédiatement et le resteront jusqu’à avis contraire ».

 

[29]           Il est indéniable que les appelants sont affectés par cette mesure du 10 février 2004 leur restreignant temporairement l’accès à de nouveaux actifs. Mais il ne faut pas dramatiser. Outre la limite temporelle, l’instruction contient également une limite matérielle : elle ne vaut qu’à l’égard de nouveaux actifs d’administration ordinaire. Elle est intimement liée et adaptée à la problématique que l’on reproche aux appelants : soit une négligence caractérisée dans l’administration des actifs d’administration ordinaire. Comme le faisait remarquer le juge Chamberland de la Cour d’appel du Québec à qui les appelants s’étaient adressés pour demander l’exécution provisoire d’un jugement en leur faveur qui déclarait inopérants les alinéas a) et d) de l’article 14.03 et, en conséquence, annulait les instructions de mesures conservatoires, les appelants sont certes gênés dans leurs activités professionnelles, mais ils ne sont pas empêchés d’agir comme syndics dans les dossiers d’administration sommaire, dans certains dossiers d’administration ordinaire et dans les cas de propositions : voir l’affaire Procureur général du Canada et al. c. Marchand Syndics Inc. et al. et H.H. Davis et Ass. Inc. et Banque canadienne impériale de commerce, C.A.Q., no. 500-09-015869-050, 8 novembre 2005.

 

[30]           À l’appui du rejet de la requête des appelants, le juge Chamberland écrivait :

 

La preuve du préjudice irréparable n’est pas très convaincante. Il ne fait pas de doute que les mesures dont les requérants font l’objet depuis février 2004 gênent leurs activités professionnelles. La preuve établit toutefois que cela ne les empêche pas de continuer à agir comme syndics, soit en continuant l’administration de certains dossiers de faillite d’administration ordinaire, soit en administrant des dossiers d’administration sommaire et des propositions. La situation est peut-être difficile – puisqu’ils ne peuvent pas se faire nommer syndics dans des dossiers de faillite d’administration ordinaire – mais elle ne semble pas dramatique, ni constituer un préjudice irréparable.

 

 

[31]           J’ajouterais comme complément d’information que les appelants avaient informé le Bureau du surintendant qu’ils voulaient, de toute façon, réduire sensiblement l’entrée de nouveaux dossiers d’administration ordinaire. Ils ont réitéré cette information devant nous en ajoutant que les appelants envisageaient de prendre leur retraite.

 

[32]           J’aborde maintenant la troisième complainte des appelants à l’appui de leur allégation d’un manquement à l’équité procédurale, soit que la personne qui a émis les instructions de mesures conservatoires était à la fois juge et partie. Il ne serait normalement pas nécessaire d’aborder cette question puisqu’il s’agit d’une autre question que les appelants n’ont pas soulevée et développée dans leur Mémoire des faits et du droit. Mais les appelants ont insisté pour qu’elle soit décidée afin d’éviter qu’une nouvelle contestation soit entreprise.

 

[33]           Elle est sans mérite pour les raisons que j’ai déjà exprimées et qui tiennent à la nature même de ce qu’est une mesure conservatoire. Elle est aussi sans mérite parce que les appelants fondent leur prétention sur une interprétation étriquée et erronée de l’arrêt Sheriff et al. c. Le Procureur général du Canada, 2006 CAF 139 de notre Cour.

 

[34]           Dans cette affaire, notre Cour a simplement réitéré le principe qu’une personne ne peut être à la fois poursuivant et juge de la poursuite. Cela va sans dire. Mais ici les mesures conservatoires ne sont pas une poursuite. Comme je l’ai déjà dit, elles sont incidentes et accessoires à une poursuite disciplinaire intentée contre les appelants. Or, l’audition de cette poursuite, en attente de décisions sur les divers recours en contestation des pouvoirs du surintendant intentés par les appelants, a été confiée à Me Greenberg, un adjudicateur indépendant qui entendra les appelants en conformité avec l’article 14.02. Je crois qu’il serait superflu d’en dire plus.

 

[35]           Les appelants ont aussi invoqué les arrêts Authorson c. Canada (Procureur général), [2003] 2 R.C.S. 40 et Air Canada c. La Procureure générale du Canada et le Commissaire de la concurrence, [2003] R.J.Q. 322 (C.A.Q.) au soutien de leur prétention.

 

[36]           L’arrêt Authorson n’est d’aucun secours aux appelants. Au paragraphe 42 de cette décision, le juge Major énonce que l’alinéa 1a) de la Déclaration canadienne des droits ne garantit le droit à un préavis et à une possibilité quelconque de contester une mesure gouvernementale qui la dépossède de ses droits de propriété que dans le contexte juridictionnel d’une décision judiciaire ou quasi-judiciaire déterminant ses droits et ses obligations (je souligne). Autant il est évident que la mesure conservatoire a un impact sur l’entreprise des appelants, autant il est acquis qu’ils n’ont pas de droit de propriété sur les actifs des tiers qu’ils sont chargés d’administrer conformément à la Loi et à leurs conditions de licence. Ils n’en sont que des administrateurs fiduciaires et, aux termes des paragraphes 5(2) et (4) de la Loi, le contrôle ultime des actifs appartient au surintendant des faillites qui peut donner aux syndics des instructions relatives à l’exercice de leurs fonctions. En outre, la décision de l’intimée, à l’instar de celle d’un inspecteur, demeure une décision administrative autorisée par la Loi.

 

[37]           Au paragraphe 59, le juge Major énumère les garanties de justice fondamentale conférées par l’alinéa 2e) de la Déclaration canadienne des droits. Il ajoute et je cite :

 

Il s’agit là de garanties juridiques applicables avant ou pendant une audience devant une cour de justice ou un tribunal…

 

Ses garanties ne jouent que dans le cadre de l’application de la loi à des situations individuelles dans une instance tenue devant une cour de justice, un tribunal administratif ou un organisme semblable.

 

 

L’instance à laquelle réfère le juge Major est ici l’instance disciplinaire où les appelants seront entendus en conformité avec l’article 14.02 de la Loi devant un tribunal disciplinaire. Le recours aux mesures conservatoires n’est pas une procédure devant une telle instance : l’intimée n’est ni une cour de justice, ni un tribunal administratif ou organisme semblable.

 

[38]           Quant à l’affaire Air Canada, précitée, nous n’avons pas eu, dans son mémoire écrit, le bénéfice des prétentions de l’intimée à cet égard puisque le motif d’appel des appelants était nouveau et n’apparaissait pas, comme je l’ai déjà mentionné, dans leur avis d’appel et dans leur Mémoire écrit des faits et du droit (la seule mention de cet arrêt par les appelants à leur mémoire se retrouve au paragraphe 44 et couvre trois lignes; elle est faite en rapport avec le motif d’appel qui a trait à la récusation de la juge et qui fut abandonné à l’audience). Mais ceci dit, la décision de la Cour d’appel du Québec dans cette affaire est d’un tout autre ordre que celle qui est en cause en l’espèce.

 

[39]           Dans l’affaire Air Canada, le Commissaire de la concurrence (Commissaire) a émis des ordonnances provisoires de nature injonctive contre Air Canada lui interdisant d’offrir en vente ou de vendre, directement ou indirectement, des tarifs particuliers sur un certain nombre de trajets. La Cour d’appel du Québec a conclu que le Commissaire, tout en poursuivant l’enquête contre Air Canada, était devenu juge le temps de rendre une ordonnance de nature injonctive. Ce n’est nullement le cas de l’intimée en vertu de la Loi et de l’article 14.03. D’ailleurs, dans l’affaire Métivier c. Mayrand, [2003] J.Q. no. 15389 (C.A.Q.), la Cour d’appel du Québec a distingué, au niveau des garanties d’indépendance et d’impartialité du surintendant des faillites offertes par l’alinéa 2e) de la Déclaration canadienne des droits, la situation de ce dernier de celle du Commissaire. Elle a conclu que le régime législatif qui découle des articles 14.01 et 14.02 de la Loi n’était pas contraire à la Déclaration canadienne des droits, et n’était donc pas nul et inopérant.

 

[40]           En outre, la décision prise par l’intimée de recourir à des mesures conservatoires n’est pas une mesure injonctive comme celle prise par le Commissaire. Elle n’interdit pas aux appelants d’exercer leurs activités de syndic. Elle soustrait d’eux seulement certains dossiers dont l’administration est en péril par suite de leur incapacité de les fermer et de leur défaut ou refus de collaborer à une procédure qui leur aurait vraisemblablement permis de les conserver.

 

[41]           Il est vrai que les appelants sont privés temporairement de la possibilité de recevoir de nouveaux dossiers d’actifs d’administration ordinaire. Mais ce fait ne change pas la nature conservatoire de la mesure prise en vertu de l’alinéa d) de l’article 14.03 dans la mesure où il existe un lien rationnel entre cette dernière et les faits à l’origine de la décision de recourir à des mesures conservatoires. J’aborde maintenant cette question.

 

 

 

 

Y avait-il un lien rationnel entre les faits à l’origine de la décision de recourir à des mesures conservatoires et celle prise sous l’alinéa d) de l’article 14.03 de la Loi ?

 

 

[42]           La juge a conclu que les appelants se sont vus demander à plusieurs reprises, mais sans succès, de fournir un plan de fermeture précis qui, dans les circonstances, aurait permis de s’attaquer aux dossiers les plus problématiques en priorité. Cette conclusion de fait est amplement supportée par la preuve.

 

[43]           Suite aux multiples refus essuyés et aux préavis que des mesures conservatoires pourraient être prises, la juge a aussi conclu au paragraphe 70 de sa décision qu’il « n’était pas manifestement déraisonnable de considérer que l’administration des actifs des dossiers les plus anciens était compromise et qu’il était nécessaire de recourir à des mesures conservatoires afin que soit terminée l’administration des dossiers avec diligence et que les sommes obtenues soient versées aux créanciers dans les meilleurs délais ». Que l’on applique en l’espèce la norme du manifestement déraisonnable ou celle du simplement déraisonnable, la situation justifiait à mon avis la prise de ces mesures dans l’intérêt des créanciers, dans l’intérêt public et dans l’intérêt d’une saine et efficiente administration des biens d’autrui à laquelle les appelants étaient tenus par la Loi.

 

[44]           Dans un contexte d’une négligence indéniable et indiscutable dans l’administration des dossiers d’administration ordinaire et d’un refus de collaborer pour en accélérer le règlement, il n’était pas déraisonnable d’éviter d’aggraver le problème existant en ne permettant pas que de nouveaux dossiers du même genre viennent s’ajouter à ceux que les appelants continueraient d’administrer, risquant ainsi de compromettre à la fois la saine administration de ceux-ci et celle des

 

 

nouveaux dossiers. Car seulement 48 dossiers d’administration ordinaire les plus criants ont été soustraits de leur administration par la voie des mesures conservatoires, en conformité avec le programme d’administration ponctuelle et ordonnée des dossiers d’insolvabilité à travers le pays. Les autres, au total de 144, sont demeurés sous leur administration.

 

CONCLUSION

 

[45]           À mon avis, la juge n’a commis, dans l’analyse des arguments présentés par les appelants et dans l’application du droit aux faits de la cause, aucune erreur qui justifierait notre intervention. Les mesures conservatoires temporaires prises étaient nécessaires pour assurer une saine administration des actifs d’administration ordinaire que la négligence et le refus de collaborer des appelants ont compromise. Elles l’ont été dans le respect de la Loi et des droits qu’elle confère aux appelants. Ces derniers se plaignent de mesures qu’ils ont engendrées par leur propre turpitude.

 

[46]           Pour ces motifs, je rejetterais l’appel avec dépens. Dans les circonstances, vu l’état et les procédures du dossier d’appel ainsi que la nature de la contestation qui a substantiellement dérivé de

 

 

 

sa course première, j’ordonnerais que les dépens soient payables immédiatement et qu’ils soient taxés selon la colonne V du tableau du tarif B.

 

 

« Gilles Létourneau »

j.c.a.

 

 

 

« Je suis d’accord

            Marc Noël j.c.a. »

 

« Je suis d’accord

            J.D. Denis Pelletier j.c.a. »

 


COUR D’APPEL FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

DOSSIER :                                        A-658-04

 

APPEL D’UNE ORDONNANCE DE L’HONORABLE JUGE TREMBLAY-LAMER DATÉE DU 10 NOVEMBRE 2004 DANS LE DOSSIER T-1116-04.

 

INTITULÉ :                                       MARCHAND SYNDIC INC., syndic et al.  c.

                                                            SYLVIE LAPERRIÈRE

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                 Ottawa (Ontario)

 

DATE DE L’AUDIENCE :               18 octobre 2006

 

MOTIFS DU JUGEMENT :            LE JUGE LÉTOURNEAU

 

Y ONT SOUSCRIT :                         LE JUGE NOËL

                                                            LE JUGE PELLETIER

 

DATE DES MOTIFS :                      10 novembre 2006

 

 

COMPARUTIONS :

 

Me Michel Décary

Me Jean-Philippe Gervais

 

POUR LES APPELANTS

 

Me Bernard Letarte

POUR L’INTIMÉE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Stikeman Elliott

Montréal (Québec)

 

Gervais & Gervais

Montréal (Québec)

 

POUR LES APPELANTS

 

John H. Sims, c.r.

Sous-procureur général du Canada

POUR L’INTIMÉE

 

 

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