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Date : 20061117

Dossiers : A-505-05

A-506-05

 

Référence : 2006 CAF 378

CORAM :      LE JUGE LINDEN

                        LE JUGE PELLETIER

                        LE JUGE MALONE

 

ENTRE :

Dossier : A-505-05

H. J. HEINZ COMPANY OF CANADA LTD.

 

appelante

et

 

LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

 

 intimé

 

 

Dossier : A-506-05

 

H. J. HEINZ COMPANY OF CANADA LTD. et

JAMES FRIEL

 

appelants

et

 

                                        LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

 

intimé

 

Audience tenue à Ottawa (Ontario), le 11 octobre 2006.

 Jugement rendu à Ottawa (Ontario), le 17 novembre 2006.

MOTIFS DU JUGEMENT :                                                                     LE JUGE PELLETIER

Y ONT SOUSCRIT :                                                                                        LE JUGE LINDEN

                                                                                                                         LE JUGE MALONE

 


 

 

Date : 20061117

Dossiers : A-505-05

A-506-05

 

Référence : 2006 CAF 378

CORAM :      LE JUGE LINDEN

                        LE JUGE PELLETIER

                        LE JUGE MALONE

 

ENTRE :

Dossier : A-505-05

H. J. HEINZ COMPANY OF CANADA LTD.

 

appelante

et

 

LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

 

 intimé

 

 

Dossier : A-506-05

 

H. J. HEINZ COMPANY OF CANADA LTD. et

JAMES FRIEL

 

appelants

et

 

                                        LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

 

intimé

MOTIFS DU JUGEMENT

LE JUGE PELLETIER

INTRODUCTION

[1]               La question qui se pose dans le présent appel se rapporte à l’exemption de communication prévue dans la Loi sur l’accès à l’information ( L.R.C., 1985, ch. A-1) (la Loi) concernant les renseignements commerciaux de nature confidentielle (alinéa 20(1)b)) ou les renseignements concurrentiels de nature délicate (alinéa 20(1)c)). L’appel soulève aussi ce que l’on appelle l’exception à la communication eu égard à la pertinence.

 

[2]               Dans une décision publiée à 2005 CF 1314, le juge von Finckenstein de la Cour fédérale a rejeté la demande de Heinz visant à obtenir le contrôle judiciaire de la décision de l’Agence canadienne d’inspection des aliments (l’Agence) de communiquer des documents qui, selon Heinz, sont soustraits à la communication. Heinz interjette maintenant appel de cette décision devant la Cour d’appel fédérale.

 

LES FAITS

[3]               Les faits ne sont pas compliqués. L’Agence a reçu une demande, présentée en vertu de la Loi, relativement à la communication des documents concernant :

[traduction] […] toutes les observations présentées par toute partie (notamment H. J. Heinz Company of Canada Ltd. […] et l’Association des consommateurs du Canada) à l’Agence canadienne d’inspection des aliments et/ou à Agriculture Canada depuis le 1er janvier 2001, concernant la pertinence, la non-pertinence, l’opportunité ou la légalité des restrictions imposées à la forme des contenants en terme de volume, poids ou autre des aliments ou boissons classés comme aliments pour bébés ou pour jeunes enfants selon le Règlement sur les produits transformés, ainsi que toute proposition de modification ou de remplacement de ce Règlement tel qu’il s’appliquait aux formes de contenants d’aliments pour bébés ou pour jeunes enfants.

 

[4]               L’Agence a indiqué certains documents qui, selon elle, étaient visés par la demande de renseignements, dont sept documents qui contenaient des renseignements sur Heinz (les documents). Le 19 octobre 2004, l’Agence a écrit à Heinz pour l’informer des documents en question et lui donner la possibilité de présenter des observations quant à savoir si lesdits documents devraient être communiqués. Les documents comprenaient une présentation powerpoint (la présentation) d’un exposé fait pour Heinz par l’appelant James Friel. Le 17 novembre 2004, l’Agence a écrit de nouveau à Heinz pour l’informer qu’elle avait trouvé un autre document qu’elle croyait être visé par la demande de communication, à savoir un exposé traitant de l’alimentation des nourrissons (l’exposé) adressé par Heinz au ministère de la Santé.

 

[5]               Heinz s’est opposée à la communication des documents au motif qu’ils contenaient des renseignements de nature commerciale qu’elle a toujours traités de façon confidentielle et elle a invoqué l’exemption de communication des documents contenant des renseignements de nature commerciale qui est prévue à l’alinéa 20(1)b) de la Loi. Heinz a allégué qu’elle entretient avec l’Agence des rapports étroits qui permettent souvent des échanges de renseignements confidentiels, des rapports qui pourraient être compromis si les renseignements ne pouvaient être partagés en toute confiance. Heinz a aussi soutenu que la communication des documents pourrait avoir des conséquences néfastes pour sa position concurrentielle car elle attirerait l’attention de ses concurrents sur les observations qu’elle a faites sur divers sujets et révèlerait la nature de ses observations, ce qui permettrait à ses concurrents de prendre des mesures pour contrer sa position.

 

[6]               Heinz s’est opposée à la communication de l’exposé au motif qu’il n’était pas visé par la demande de communication. Elle a simplement soutenu qu’étant donné que ce document n’était pas visé par la demande, la question des exemptions ne se posait pas.

 

LA DÉCISION PORTÉE EN APPEL

[7]               Avant d’examiner les motifs du juge de première instance, une clarification s’impose quant à la procédure. Des demandes distinctes ont été présentées en vertu de l’article 44 de la Loi en ce qui a trait aux documents et à l’exposé. Les deux demandes ont été réunies par suite d’une ordonnance et ont été entendues ensemble. L’appel porte sur les décisions rendues sur chacune des deux demandes. Les présents motifs se rapportent aux deux dossiers; une copie en sera versée dans chacun des dossiers.

 

[8]               Le juge de première instance a examiné la norme de contrôle et, se fondant sur l’arrêt de la Cour d’appel fédérale dans Wyeth-Ayerst Canada Inc. c. Canada (Procureur général), 2003 CAF 257, il a conclu que la norme qui s’applique en matière d’accès à l’information est la norme de la décision correcte.

 

[9]               Le juge de première instance a examiné les arguments de Heinz concernant la nature commerciale confidentielle des renseignements contenus dans les documents. Il a rejeté les observations de Heinz sur cette question au motif que le contenu des documents n’avait rien à voir avec les opérations commerciales de Heinz. Ainsi que l’a dit le juge de première instance, « Ils [les documents et la présentation] font simplement état de l’intérêt de Heinz pour la nutrition, et de sa crainte de voir des tailles plus petites entraîner un appauvrissement de la nutrition ». En conséquence, le juge a rejeté l’objection de Heinz fondée sur l’alinéa 20(1)b) de la Loi parce que Heinz n’avait pas établi que les documents contenaient des renseignements commerciaux.

 

[10]           L’argument de Heinz concernant la nature délicate des documents concurrentiels a également été rejeté. Heinz a soutenu que la communication des documents permettrait à ses concurrents de présenter une réponse spécifique à ses observations, réduisant ainsi le coût de préparation de telles observations et portant préjudice à la situation financière de Heinz. Le juge de première instance a rejeté catégoriquement cet argument. Il a estimé que nul ne serait surpris d’apprendre que Heinz avait présenté des observations au gouvernement sur ces questions puisque Heinz est l’une des plus grandes entreprises de l’industrie de l’alimentation.

 

[11]           Enfin, le juge de première instance a examiné l’exposé. Il a souligné que Heinz s’est appuyée sur la décision Cistel Technology Inc. c. Canada (Service correctionnel), 2002 CFPI 253, où la Cour a conclu que deux documents qui n’étaient pas visés par la demande de communication ne devaient pas être divulgués. Le juge de première instance a refusé de suivre la décision Cistel étant donné qu’elle n’a pas été suivie dans deux décisions subséquentes : Conseil canadien des fabricants des produits du tabac c. Canada (Ministre du Revenu national), 2003 CF 1037, et Mead Johnson Nutritionals, une filiale de Bristol-Myers Squibb Canada Co. c. Canada (Procureur général), 2005 CF 235.

 

[12]           Dans la décision Conseil canadien des fabricants des produits du tabac, la Cour a considéré que l’article 6 de la Loi n’interdit pas la communication de documents qui ne sont pas visés par une demande. Selon la Cour, il faudrait faire une interprétation très large pour arriver à la conclusion que cet article interdit la communication de renseignements qui ne sont pas pertinents à la demande.

 

[13]           Dans la décision Mead Johnson Nutritionals, la Cour fédérale s’est fondée sur l’arrêt Saint John Shipbuilding Ltd. c. Canada (Ministre des Approvisionnements et Services) (C.A.F.) (1990), 67 D.L.R. (4th) 315, où la Cour d’appel fédérale a statué que « l’intérêt de l’appelante, en tant que tierce partie intervenante dans une demande de renseignements, se limite aux sujets énoncés dans le paragraphe 20(1) et qu’elle ne peut objecter que le gouvernement ait pu avoir donné plus ou moins ce qui était demandé ». Par conséquent, dans la décision Mead Johnson Nutritionals, la Cour a conclu qu’une tierce partie ne peut pas protester si une institution fédérale propose de divulguer aussi d’autres documents que ceux dont il est question dans la demande.

 

[14]           En fin de compte, le juge de première instance a rejeté la demande de Heinz.

 

ANALYSE

[15]           Je souscris au raisonnement du juge en chef Richard dans l’arrêt Wyeth-Ayerst Canada Inc. sur la question de la norme de contrôle et je conclus, comme lui, que la norme de contrôle applicable à une décision relative aux exemptions de communication en vertu de la Loi est celle de la décision correcte.

 

[16]           La première question qui se pose est celle de savoir si les documents visés contiennent :

b) des renseignements financiers, commerciaux, scientifiques ou techniques fournis à une institution fédérale par un tiers, qui sont de nature confidentielle et qui sont traités comme tels de façon constante par ce tiers;

 

[17]           Il ressort de l’examen des documents qu’il s’agit, exception faite de la présentation, de la correspondance qu’ont échangée Heinz et un fonctionnaire de l’Agence au sujet de certaines modifications réglementaires proposées, correspondance dans laquelle Heinz commente parfois les modifications par rapport à ses pratiques. Heinz soutient que la communication de ces documents révélerait certains renseignements commerciaux et pourrait nuire à sa relation de confiance avec l’Agence.

 

[18]           Un examen de l’affidavit confidentiel de Becky McMullin, la déposante de l’Agence, n’apporte aucune précision quant aux circonstances dans lesquelles les documents ont été établis. Les documents contiendraient la réponse de Heinz à un projet de modification du Règlement sur les produits transformés, DORS/82-701 (le Règlement). Toutefois, dans son affidavit, Mme McMullin n’explique pas de quelle façon Heinz a été informée des modifications proposées au Règlement ni si Heinz a été invitée, avec les autres membres de cette industrie, à commenter le projet de modification ni si Heinz a simplement pris l’initiative de communiquer son point de vue à l’Agence.

 

[19]           La seule partie de l’affidavit de Mme McMullin qui porte sur cette question est le paragraphe 32 où elle affirme que l’existence même des documents démontre que Heinz fait des observations à l’Agence au sujet du Règlement. Il est allégué que cela confirmerait aux concurrents de Heinz que celle‑ci prépare de telles observations, ce qui leur donnerait la possibilité de présenter eux‑mêmes des observations pour contrer celles de Heinz.

 

[20]           À mon avis, cela n’indique pas un processus de libre consultation de l’industrie. Si des commentaires avaient été sollicités de l’industrie, tout le monde s’attendrait à ce que Heinz, en raison du volume de ses opérations, soumette des observations. Par conséquent, l’argument selon lequel la communication des renseignements attirerait l’attention des concurrents de Heinz sur le fait qu’elle intervient dans le processus nous porte à croire que ces communications n’étaient pas le résultat d’une demande de commentaires du public. Tout cela pour dire que Heinz ne semble pas être dans une position lui permettant de soutenir qu’elle a fourni les documents à l’Agence à la demande de cette dernière ou dans le cadre d’une consultation publique. La preuve dont j’ai été saisi m’amène à conclure que Heinz a transmis ces renseignements à l’Agence de sa propre initiative, sans avoir obtenu l’assurance de la part de l’Agence que ces renseignements seraient tenus confidentiels.

 

[21]           C’est dans ce contexte que j’aborde la question de la demande d’exemption au motif que les documents contiennent des renseignements commerciaux confidentiels. J’ai examiné les documents en litige. Je ne suis pas d’accord avec la conclusion du juge de première instance selon laquelle les documents ne concernent que la stratégie réglementaire de Heinz. Les documents font référence à des pratiques ou à des ingrédients précis reliés à certaines catégories d’aliments préparés. Ils traitent également de la question de l’emballage. Je suis convaincu que les documents contiennent des renseignements commerciaux, au sens large du terme.

 

[22]           Je vais maintenant examiner la question de la confidentialité. Il est bien établi en droit que toute demande de confidentialité doit satisfaire à la fois à un élément subjectif et à un élément objectif : voir Maislin Industries Limited c. Canada (Ministre de l’Industrie et du Commerce), [1984] 1 C.F. 939. L’élément subjectif est l’opinion qu’a la partie concernant la confidentialité des renseignements et le fait qu’elle les a toujours traités comme confidentiels. L’élément objectif est l’évaluation objective de la nature confidentielle des renseignements en fonction de leur contenu et des circonstances entourant leur communication au gouvernement : voir Canada (Commissaire à l’information) c. Canada (Bureau d’enquête sur les accidents de transport et de la sécurité des transports), 2006 CAF 157, au paragraphe 72, et la jurisprudence qui y est citée. L’énoncé classique du critère de la confidentialité se trouve dans la décision Air Atonabee Ltd. c. Canada (Ministre des transports) (1989), 27 F.T.R. 194 ((C.F. 1re inst.), où le juge MacKay a énoncé comme suit l’élément objectif de ce critère à la page 210 :

…la question de savoir si un renseignement est de nature confidentielle dépend de son contenu, de son objet et des circonstances entourant sa préparation et sa communication, c’est-à-dire :

 

a) le contenu du document est que les renseignements qu’il contient ne peuvent être obtenus de sources auxquelles le public a autrement accès, ou ne peuvent être obtenus par observation ou par étude indépendante par un simple citoyen agissant de son propre chef;

 

b) les renseignements doivent avoir été transmis confidentiellement avec l’assurance raisonnable qu’ils ne seront pas divulgués;

 

c) les renseignements doivent être communiqués, que ce soit parce que la loi l’exige ou parce qu’ils sont fournis gratuitement, dans le cadre d’une relation de confiance entre l’administration et la personne qui les fournit ou dans le cadre d’une relation qui n’est pas contraire à l’intérêt public, et la communication de renseignements doit favoriser cette relation dans l’intérêt du public.

 

 

[23]           En l’espèce, les communications en litige (sauf la présentation et l’exposé) sont toutes des communications qui ont été faites par une entité réglementée à son organisme de réglementation au sujet de modifications au régime de réglementation. Même si Heinz s’attendait subjectivement à ce que de telles communications ne soient pas divulguées, une telle attente n’était fondée sur aucun élément objectif. Les modifications à un régime de réglementation sont des questions d’intérêt public. Il est dans l’intérêt légitime du public de savoir jusqu’à quel point les entités réglementées ont influencé l’organisme de réglementation, et au bénéfice de qui.

 

[24]           Heinz prétend qu’il existe entre elle et l’Agence une relation confidentielle découlant de la présence d’inspecteurs de l’Agence dans ses usines. Même si Heinz peut raisonnablement s’attendre à ce que les renseignements recueillis par les inspecteurs de l’Agence ne seront utilisés à aucune autre fin que l’application des lois pertinentes, cette relation n’est pas une relation confidentielle. Il s’agit d’une relation entre l’organisme de réglementation et l’entité réglementée, et donc d’une relation qui est nécessairement soumise à un examen public. Bien que le volume des opérations de Heinz puisse faciliter son accès à l’Agence, cette facilité d’accès ne peut pas être considérée comme un accès confidentiel. Aucun des documents qui m’a été présenté n’établit que Heinz a une relation confidentielle avec l’Agence.

 

[25]           Le juge de première instance a évoqué ces considérations dans ses motifs, bien qu’il l’ait fait en traitant de la demande d’exemption de communication en vertu de l’alinéa 20(1)c) de la Loi. Au paragraphe 19 de ses motifs, il a décrit le processus par lequel le gouvernement sollicite les commentaires des groupes concernés lorsqu’il envisage des modifications à la loi. Après avoir énuméré les divers éléments du processus, il a ajouté :

 

 

Pour que ce processus donne des résultats, il doit être ouvert et transparent. Prétendre que l’administration ne peut pas communiquer (en particulier lorsqu’une demande de communication lui est adressée) une politique ouvertement défendue par l’un des participants, et qui ne rend compte aucunement des préoccupations opérationnelles ou de l’influence du participant, simplement parce que telle communication pourrait révéler la politique de ce participant en matière de réglementation (c’est-à-dire sa position), ce serait faire fi totalement de l’objet de la Loi. Des consultations publiques dignes de ce nom deviendraient impossibles.

 

 

[26]           Je ne qualifierai pas le contenu des communications comme l’a fait le juge de première instance, mais je souscris à son raisonnement au sujet de la nature de la procédure. J’ai déjà dit que je ne souscris pas à l’affirmation du juge de première instance selon laquelle les renseignements en litige ne sont pas des renseignements commerciaux. Toutefois, je conviens que le processus public de consultation, si c’est effectivement ce dont il s’agit en l’espèce, n’a pas été mis de l’avant par la revendication de Heinz relative à la confidentialité de ses renseignements. Ainsi que l’a fait remarquer le juge de première instance, l’élaboration des politiques publiques nécessite un débat public, un processus qui serait neutralisé si chacune des communications avec le gouvernement était protégée en tant que communication confidentielle.

 

[27]           La présentation a un fondement factuel un peu différent, mais elle est soumise au même principe. Bien que la présentation ne traite pas de réformes précises au Règlement, il s’agissait d’une communication destinée à influencer le processus réglementaire et c’est pourquoi elle n’était pas une communication effectuée dans le contexte d’une relation confidentielle.

 

[28]           Heinz a également tenté de protéger les documents en litige en vertu de l’alinéa 20(1)c) de la Loi qui vise les renseignements dont la communication risquerait vraisemblablement de nuire à la compétitivité d’une tierce partie. En l’espèce, Heinz affirme que la communication de son opinion au sujet des modifications à la réglementation permettrait à ses concurrents de contester celle‑ci. En toute déférence, c’est la raison d’être de la Loi sur l’accès à l’information. Cette loi existe pour permettre aux tiers, y compris aux concurrents, de contester les demandes spéciales. Quoi qu’il en soit, on n’a produit devant moi aucun élément qui peut me convaincre que la communication entraînerait un risque vraisemblable de préjudice probable pour Heinz : voir Canada Packers Inc. c. Canada (Ministre de l’Agriculture, [1989] 1 C.F. 47, à la page 60.

 

[29]           Le juge de première instance n’a commis aucune erreur en rejetant cet élément de la demande de Heinz.

 

[30]           Le dernier point encore en litige est l’affirmation de Heinz selon laquelle elle avait le droit de soulever la question de la pertinence des documents que l’Agence propose de communiquer, compte tenu des conditions de la demande initiale. Ainsi qu’il a été dit plus haut, le juge de première instance a fondé sa décision sur deux décisions antérieures de la Cour fédérale qui limitaient les motifs de non-divulgation à ceux qui sont énoncés à l’article 20 de la Loi. Ces décisions sont étayées par l’arrêt Saint John Shipbuilding Ltd. où le juge Hugessen (tel était alors son titre) a dit :

…Deux points mineurs devraient être mentionnés en terminant. Premièrement, l’appelante a laissé entendre que les documents dont on a ordonné la communication étaient, sous quelques aspects, différents de ce qui avait été demandé; pour répondre brièvement à cela, disons que l’intérêt de l’appelante, en tant que tierce partie intervenante dans une demande de renseignements, se limite aux sujets énoncés dans le paragraphe 20(1) et qu’elle ne peut objecter que le gouvernement ait pu avoir donné plus ou moins ce qui était demandé.

 

 

[31]           Cette question a été examinée de nouveau depuis l’arrêt Saint John Shipbuilding Ltd. Dans l’arrêt Siemens Canada Ltd. c. Canada (Ministre des Travaux publics et des Services gouvernementaux) (Siemens), 2001 CFPI 1202, (2001), 213 F.T.R. 125, conf. par 2002 CAF 414, (2002), 21 C.P.R. (4th) 575, la Cour d’appel fédérale, dans des motifs très succincts, a permis à un tiers de soulever des questions de sécurité nationale dans le cadre d’une révision effectuée en vertu de l’article 44. L’arrêt Siemens a été suivi par la Cour d’appel fédérale dans l’arrêt H.J. Heinz Co. of Canada Ltd. c. Canada (Procureur général), 2004 CAF 171, [2005] 1 R.C.F. 281, où un tiers a été autorisé à soulever la question de l’exemption de communication de renseignements personnels en vertu de l’article 19 de la Loi, et ce, même si les renseignements personnels en cause se rapportaient à une personne autre que ce tiers. En appel, la Cour suprême du Canada a confirmé l’arrêt de la Cour d’appel fédérale (2006 CSC 13, [2006] 1 R.C.S. 441). Nous pouvons maintenant affirmer qu’il est établi en droit qu’un tiers n’a pas à se limiter aux motifs énoncés à l’article 20 de la Loi.

 

[32]           Cela étant dit, la Loi permet-elle à un tiers de s’opposer à la communication au motif que le document en question ne fait pas partie de la catégorie de documents visés par la demande? Les dispositions pertinentes de la Loi sont les suivantes :

4. (1) Sous réserve des autres dispositions de la présente loi, mais nonobstant toute autre loi fédérale, ont droit à l’accès aux documents relevant d’une institution fédérale et peuvent se les faire communiquer sur demande :

 

a) les citoyens canadiens;

 

b) les résidents permanents au sens du paragraphe 2(1) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés.

 

 

 

 

 

[…]

 

6. La demande de communication d’un document se fait par écrit auprès de l’institution fédérale dont relève le document; elle doit être rédigée en des termes suffisamment précis pour permettre à un fonctionnaire expérimenté de l’institution de trouver le document sans problèmes sérieux.

 

[…]

 

20. (1) Le responsable d’une institution fédérale est tenu, sous réserve des autres dispositions du présent article, de refuser la communication de documents contenant[…]

 

[…]

 

27. (1) Sous réserve du paragraphe (2), le responsable d’une institution fédérale qui a l’intention de donner communication totale ou partielle d’un document est tenu de donner au tiers intéressé, dans les trente jours suivant la réception de la demande, avis écrit de celle-ci ainsi que de son intention, si le document contient ou s’il est, selon lui, susceptible de contenir :

 

a) soit des secrets industriels d’un tiers;

 

b) soit des renseignements visés à l’alinéa 20(1)b) de la Loi qui ont été fournis par le tiers;

 

 

 

c) soit des renseignements dont la communication risquerait, selon lui, d’entraîner pour le tiers les conséquences visées aux alinéas 20(1)c) ou d).

 

La présente disposition ne vaut que s’il est possible de rejoindre le tiers sans problèmes sérieux.

 

 

 

 

 

 

 

[Non souligné dans l’original.]

 

4. (1) Subject to this Act but notwithstanding any other Act of Parliament, every person who is

 

 

 

 

(a) a Canadian citizen, or

 

(b) a permanent resident within the meaning of subsection 2(1) of the Immigration and Refugee Protection Act,

 

has a right to and shall, on request, be given access to any record under the control of a government institution.

 

 

6. A request for access to a record under this Act shall be made in writing to the government institution that has control of the record and shall provide sufficient detail to enable an experienced employee of the institution with a reasonable effort to identify the record.

 

 

20. (1) Subject to this section, the head of a government institution shall refuse to disclose any record requested under this Act that contains …

 

 

 

 

27. (1) Where the head of a government institution intends to disclose any record requested under this Act, or any part thereof, that contains or that the head of the institution has reason to believe might contain

 

 

 

 

(a) trade secrets of a third party,

 

 

(b) information described in paragraph 20(1)(b) that was supplied by a third party, or

 

 

 

(c) information the disclosure of which the head of the institution could reasonably foresee might effect a result described in paragraph 20(1)(c) or (d) in respect of a third party,

 

the head of the institution shall, subject to subsection (2), if the third party can reasonably be located, within thirty days after the request is received, give written notice to the third party of the request and of the fact that the head of the institution intends to disclose the record or part thereof.

 

[Emphasis added.]

 

 

[33]           Lors des premiers litiges portant sur cette question, la Cour fédérale a statué que seuls les documents demandés devaient être divulgués : voir Congrès juif canadien c. Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1996] 1 C.F. 268, aux paragraphes 72 et 73; Cistel. Toutefois, la Cour fédérale a eu généralement à favoriser la communication même lorsque le document ne respecte pas intégralement la demande d’accès. Par exemple, dans la décision Conseil canadien des fabricants des produits du tabac, le juge Russell a statué que la Loi favorise la communication plutôt que la non-communication. Il a conclu que « [l]e fait qu’une institution ne soit pas obligée de divulguer des renseignements non pertinents à un demandeur d’accès n’accorde pas aux tiers le droit d’empêcher la divulgation au motif de la non-pertinence » : voir le paragraphe 93 des motifs du juge de première instance. La même conclusion a été tirée dans les décisions Corporation hôtelière Canadien Pacifique c. Canada (Procureur général), 2004 CF 444, et Mead Johnson Nutritionals.

 

[34]           Les juges de la Cour fédérale ont eu tendance à tirer cette conclusion parce qu’il n’y a aucune exemption pour les documents « non pertinents » et que, par conséquent, rien ne s’oppose à leur communication. À mon avis, cette analyse est fallacieuse. Le juge Heald a eu raison de conclure dans la décision Congrès juif canadien que les seuls documents dont on peut exiger la communication sont « les documents demandés ». Par conséquent, si on ne peut pas exiger la communication de documents « non demandés », il n’y a aucune raison pour laquelle une exemption de communication pourrait s’appliquer. Cela ne signifie pas que des documents « non demandés » ne peuvent pas faire l’objet d’une exemption. Si certains renseignements sont exemptés de la communication obligatoire, il va de soi qu’ils sont également exemptés de la communication volontaire lorsqu’il s’agit de documents « non demandés ».

 

[35]           Cependant, le fait que l’on ne puisse pas exiger la communication ne signifie pas que la communication est interdite. Le point de départ de toute analyse de cette question est l’article 4 de la Loi qui indique clairement que la Loi repose sur le principe selon lequel les citoyens et les résidents permanents ont droit à l’accès aux documents relevant d’une institution fédérale. Le but d’une demande écrite est de préciser la nature des documents demandés afin qu’ils puissent être repérés et communiqués. Une demande d’accès écrite sert à définir les documents pertinents et non à les exclure. Le droit d’accès présumé qui est conféré par l’article 4 s’applique à tous les documents, même à ceux qui ne sont pas décrits dans une demande d’accès. Par conséquent, la réponse à une opposition à la communication de renseignements « non demandés » ou « non pertinents » est l’affirmation du droit d’accès présumé, et non l’absence d’une exemption de communication pour les documents « non demandés » ou « non pertinents ».

 

[36]           En fin de compte, je rejetterais l’appel avec dépens en faveur de l’intimé.

 

 

« J.D. Denis Pelletier »

Juge

 

 

« Je souscris aux présents motifs

A.M. Linden, juge »

 

« Je souscris aux présents motifs

B. Malone, juge »

 

 

 

Traduction certifiée conforme

Suzanne Bolduc, LL.B.

 


COUR D’APPEL FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

DOSSIER :                                                       A-505-05

 

APPEL D’UN JUGEMENT OU D’UNE ORDONNANCE DE LA COUR FÉDÉRALE EN DATE DU 26 SEPTEMBRE 2005, DOSSIER T-474-04

 

INTITULÉ :                                                      H. J. HEINZ COMPANY OF CANADA LTD.

                                                                           c.

                                                                           LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

 

DOSSIER :                                                       A-506-05

 

APPEL D’UN JUGEMENT OU D’UNE ORDONNANCE DE LA COUR FÉDÉRALE EN DATE DU 26 SEPTEMBRE 2005, DOSSIER T-2214-04

 

INTITULÉ :                                                      H. J. HEINZ COMPANY OF CANADA LTD. et JAMES FRIEL

                                                                           c.

                                                                           LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                                OTTAWA (ONTARIO)

 

DATE DE L’AUDIENCE :                              LE 11 OCTOBRE 2006

 

MOTIFS DU JUGEMENT DE LA COUR :  LE JUGE PELLETIER

 

Y ONT SOUSCRIT :                                        LE JUGE LINDEN

                                                                           LE JUGE MALONE

 

DATE DES MOTIFS :                                     LE 17 NOVEMBRE 2006

 

COMPARUTIONS :

 

Craig Collins-Williams                                         POUR L’APPELANTE

 

Richard Casanova                                               POUR L’INTIMÉ

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Stikeman Elliott                                                    POUR L’APPELANTE

Ottawa (Ontario)

 

John H. Sims, c.r.                                                POUR L’INTIMÉ

Sous-procureur général du Canada

Ottawa (Ontario)

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