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Date : 20061122

Dossier : A-391-05

Référence : 2006 CAF 380

 

CORAM :      LE JUGE LINDEN

                        LE JUGE NOËL

                        LE JUGE EVANS

 

ENTRE :

MINISTRE DU DÉVELOPPEMENT DES RESSOURCES HUMAINES

demandeur

et

CAMILLE TAIT

défenderesse

 

et

 

BARBARA WALLEY

défenderesse

 

 

 

 

Audience tenue à Halifax (Nouvelle-Écosse), le 16 novembre 2006

Jugement rendu à Ottawa (Ontario), le 22 novembre 2006

 

MOTIFS DU JUGEMENT :                                                                                  LE JUGE LINDEN

Y ONT SOUSCRIT :                                                                                                LE JUGE NOËL

                                                                                                                               LE JUGE EVANS

 


 

Date : 20061122

Dossier : A-391-05

Référence : 2006 CAF 380

 

CORAM :      LE JUGE LINDEN

                        LE JUGE NOËL

                        LE JUGE EVANS

 

ENTRE :

MINISTRE DU DÉVELOPPEMENT DES RESSOURCES HUMAINES

demandeur

et

CAMILLE TAIT

défenderesse

 

et

 

BARBARA WALLEY

défenderesse

 

 

 

 

MOTIFS DU JUGEMENT

 

LE JUGE LINDEN

[1]               La présente demande de contrôle judiciaire a trait à la décision du 5 août 2005 par laquelle la Commission d’appel des pensions (la Commission) a confirmé la décision du tribunal de révision qui désignait Camille Tait comme « survivante » de son époux légitime dont elle était séparée, Hugh Tait, au sens attribué à ce terme par l’article 42 du Régime de pensions du Canada, L.R.C. 1985, ch. C-8 (le Régime), même si la preuve non contestée démontrait qu’au moment de son décès M. Tait vivait en union de fait avec une autre femme, Mme Walley, depuis de nombreuses années.

 

Les faits

[2]               Les faits se résument comme suit. Mme Tait a été légalement mariée à Hugh Tait, le cotisant décédé, de novembre 1950 jusqu’au décès de ce dernier le 15 août 2001. Le couple vivait cependant séparé depuis 1973.

 

[3]               Mme Tait a présenté une demande de pension de survivante le 20 décembre 2001. Dans sa demande, elle a écrit qu’elle ne vivait pas avec le cotisant décédé au moment du décès de ce dernier. Elle a joint à sa demande une déclaration solennelle dans laquelle elle affirmait qu’elle vivait séparée du cotisant décédé depuis 1973 à cause de [traduction] « divergences irréconciliables » et que, depuis leur séparation, le cotisant décédé vivait en union de fait avec Barbara Walley.

 

[4]               Mme Tait a inscrit dans sa demande de pension l’adresse domiciliaire suivante du cotisant décédé : 117, promenade Caulder, Oakville (Ontario). Dans sa déclaration solennelle, elle a indiqué la même adresse pour Mme Walley.

 

[5]               Mme Walley a aussi présenté une demande de pension de survivante le 15 mai 2002. Cette demande était accompagnée d’une déclaration solennelle indiquant qu’elle avait vécu en union de fait avec le cotisant décédé de 1975 jusqu’à la date de son décès et qu’ils habitaient ensemble dans une maison dont elle était propriétaire au 117, promenade Caulder, à Oakville (Ontario). Mme Walley a aussi joint à sa demande un affidavit, le testament du décédé daté du 30 décembre 1998 et un formulaire de renonciation du conjoint aux fins du Régime de retraite des enseignantes et enseignants de l’Ontario, dans lequel le cotisant décédé avait lui-même déclaré être le conjoint de Mme Walley.

 

[6]               Dans son testament, le cotisant décédé nomme Mme Tait comme [traduction] « ma femme dont je suis séparé » et Mme Walley comme [traduction] « ma conjointe de fait ». Il a désigné Mme Walley à titre de bénéficiaire de la totalité des prestations découlant de tout régime enregistré d’épargne-retraite ou fonds enregistré de revenu de retraite qui lui appartiendrait à son décès. Il a désigné Mme Tait à titre de bénéficiaire du produit de tout autre régime de pension auquel il aurait participé, ce qui, d’après ce qu’on nous a dit, devait s’appliquer à la pension de survivante prévue par le Régime. Mme Walley a été nommée exécutrice testamentaire.

 

[7]               Le 18 avril 2002, le ministre a rejeté la demande de Mme Tait au motif que le cotisant décédé avait vécu en union de fait avec Mme Walley pendant au moins 12 mois avant son décès. Selon le ministre, Mme Tait n’était donc pas la « survivante » du cotisant décédé aux fins du Régime. Dans une lettre datée du 25 juin 2002, Mme Tait a demandé la révision de cette décision.

 

[8]               Dans une lettre datée du 28 juin 2002, Mme Walley a renoncé à tout droit à la pension de survivante qu’elle pouvait avoir à titre de conjointe de fait du cotisant décédé. Elle a écrit dans sa lettre :

[traduction] Selon le testament de M. Tait et ses souhaits tels que je les comprends, Camille Tait, sa femme dont il était séparé, devait recevoir cette pension. M. Tait a toujours envoyé à Camille Tait le montant de cette pension pour qu’elle puisse subvenir à ses besoins. Camille Tait a besoin de cette pension pour payer ses dépenses, et c’est pourquoi je vous supplie de lui accorder la pension de survivante de Hugh Tait.

 

[9]               Malgré cette lettre, le ministre a fait savoir à Mme Walley, dans une lettre datée du 18 juillet 2002, qu’elle avait droit à la pension de survivante parce qu’elle avait vécu en union de fait avec le cotisant décédé [traduction] « pendant environ 26 ans avant son décès en août 2001 ».

 

[10]           Dans une lettre datée du 26 septembre 2002, le ministre a confirmé sa décision antérieure concernant Mme Tait, en y expliquant :

[traduction] Dans le cas présent, une autre personne a vécu en union de fait avec Hugh C. Tait durant au moins un an avant son décès le 15 août 2001. Selon les règles du Régime, nous devons considérer cette personne comme la survivante et nous ne pouvons accorder la pension qu’à cette personne. Par conséquent, même si vous êtes l’épouse légitime séparée, vous n’avez pas droit à la pension.

 

 

[11]           Le 15 octobre 2002, Mme Tait a interjeté appel de la décision du ministre auprès du Bureau du Commissaire des tribunaux de révision. Elle invoquait, au soutien de sa demande, des motifs d’ordre humanitaire, à savoir qu’elle a besoin de la pension de survivante parce qu’elle doit maintenant subvenir seule à ses besoins et à ceux du fils schizophrène du cotisant décédé.

 

[12]           Le tribunal de révision a accueilli l’appel de Mme Tait dans une décision datée du 23 septembre 2003. Se fondant sur le retrait de la demande de Mme Walley et sur l’absence de tout conflit entre les deux femmes, le tribunal de révision a conclu que Mme Tait était la [traduction] « survivante dans le cadre du Régime de pensions du Canada ».

 

[13]           Le ministre a interjeté appel de la décision auprès de la Commission. Celle-ci a rejeté l’appel dans une décision datée du 5 août 2005. C’est cette décision qui est contestée.

 

[14]           Le 6 novembre 2006, le juge Noël a demandé que deux lettres de Mme Walley, qui avaient été reçues par le greffe le 26 octobre 2006, soient remises aux membres du tribunal qui devait entendre la demande. Il est écrit dans l’une de ces lettres adressées à la Cour :

[traduction] Je suis l’une des défenderesses dans cette affaire. Je regrette de ne pas avoir été en mesure d’assister à l’audience du 16 novembre 2006. Je vous ai fait parvenir une lettre en juin 2002. J’avais écrit cette lettre après avoir obtenu des renseignements erronés. JE SOUHAITE RETIRER CETTE LETTRE DE JUIN 2002. Je suis la conjointe de fait de Hugh Tait. J’ai vécu avec lui en tant que sa femme au 117, promenade Caulder, à Oakville (Ontario), durant vingt-six ans. Je suis donc la véritable bénéficiaire du RPC de Hugh Tait. J’ai droit à cette pension.

 

 

La deuxième lettre est adressée à M. Gray, l’avocat ayant représenté le ministre dans le cadre du présent appel. Cette lettre indique :

[traduction] Veuillez trouver ci-joint ma demande concernant le dossier no IHRD 2255-322. Cette lettre est-elle suffisante pour étayer la demande que j’ai présentée afin de conserver ma pension? À qui est-ce que je l’envoie?

 

Les deux lettres ont été admises, mais le juge Noël a ordonné que la lettre antérieure de Mme Walley, datée du 28 juin 2002, reste dans le dossier, ce qui a été fait.

 

 

 

 

Les dispositions législatives pertinentes

 

[15]           L’alinéa 44(1)d) du Régime énonce les conditions d’admissibilité à une pension de survivant :

44. (1) Sous réserve des autres dispositions de la présente partie :

44. (1) Subject to this Part,

d) sous réserve du paragraphe (1.1), une pension de survivant doit être payée à la personne qui a la qualité de survivant d’un cotisant qui a versé des cotisations pendant au moins la période minimale d’admissibilité, si le survivant :

(d) subject to subsection (1.1), a survivor’s pension shall be paid to the survivor of a deceased contributor who has made contributions for not less than the minimum qualifying period, if the survivor

(i) soit a atteint l’âge de soixante-cinq ans,

(i) has reached sixty-five years of age, or

(ii) soit, dans le cas d’un survivant qui n’a pas atteint l’âge de soixante-cinq ans :

(ii) in the case of a survivor who has not reached sixty-five years of age,

(A) ou bien avait au moment du décès du cotisant atteint l’âge de trente-cinq ans,

(A) had at the time of the death of the contributor reached thirty-five years of age,

(B) ou bien était au moment du décès du cotisant un survivant avec enfant à charge,

(B) was at the time of the death of the contributor a survivor with dependent children, or

(C) ou bien est invalide;

 

(C) is disabled;

 

 

[16]           Le paragraphe 42(1) du Régime définit le « survivant » dans les termes suivants :

42. (1) Les définitions qui suivent s’appliquent à la présente partie.

 

42. (1) In this part,

 

[…]

[…]

« survivant » s’entend :

 

“survivor”, in relation to a deceased contributor, means

 

a) à défaut de la personne visée à l’alinéa b), de l’époux du cotisant au décès de celui-ci;

 

(a) if there is no person described in paragraph (b), a person who was married to the contributor at the time of the contributor’s death, or

 

b) du conjoint de fait du cotisant au décès de celui-ci.

(b) a person who was the common-law partner of the contributor at the time of the contributor’s death;

 

[17]           Le paragraphe 2(1) du Régime définit le « conjoint de fait » de la façon suivante :

« conjoint de fait » La personne qui, au moment considéré, vit avec un cotisant dans une relation conjugale depuis au moins un an. Il est entendu que, dans le cas du décès du cotisant, « moment considéré » s’entend du moment du décès.

 

“common-law partner”, in relation to a contributor, means a person who is cohabiting with the contributor in a conjugal relationship at the relevant time, having so cohabited with the contributor for a continuous period of at least one year. For greater certainty, in the case of a contributor’s death, the “relevant time” means the time of the contributor’s death.

 

La décision de la Commission d’appel des pensions

 

[18]           La Commission a rejeté l’appel du ministre et, en employant le libellé de l’ancienne loi, a conclu que Mme Tait était la « conjointe » aux fins du Régime. Elle a considéré que, comme le ministre n’avait présenté aucune preuve et que Mme Walley avait retiré sa demande avant que la demande de prestations de survivante de Mme Tait soit rejetée, il n’y avait pas de litige entre les parties rivales. Elle a écrit au paragraphe 34 :

En outre, j’ai du mal à accepter qu’il ait été impossible à Mme Walley de retirer sa demande de reconnaissance de son statut de conjointe de fait. Ce statut ne peut en effet être revendiqué que par une seule personne en s’appuyant d’ailleurs sur une preuve fondée sur le principe de la prépondérance des preuves. Étant donné que le ministre n’a présenté aucune preuve devant le tribunal de révision ou devant la Commission, sauf pour ce qui est de la demande de retrait et de la déclaration solennelle, je suis d’avis que l’appelant ne s’est pas acquitté du fardeau de la preuve. […]

 

 

[19]           La Commission a rejeté l’argument du ministre selon lequel le Régime ne comporte aucune disposition permettant à une partie de renoncer à ses droits ou de retirer une demande et, en conséquence, le retrait de la demande de Mme Walley n’a aucun effet sur la décision initiale du ministre de la considérer comme la « survivante » du cotisant décédé aux fins du Régime. La Commission a écrit au paragraphe 18 :

Il nous paraît difficile d’accepter l’argument présenté par le ministre selon lequel Mme Walley ne pouvait pas retirer sa demande en faveur de l’épouse légitime. C’est en particulier le cas étant donné qu’elle pouvait retirer son appel à tout moment au cours du processus d’appel. Si elle l’avait fait, elle ne se serait pas acquittée du fardeau de la preuve et l’épouse légitime du défunt aurait eu gain de cause. Il est difficile de comprendre pourquoi le ministre aurait un statut juridique plus élevé que la personne soutenant avoir le statut de conjoint de fait.

 

La Commission était d’avis que Mme  Walley avait le droit de retirer sa demande de statut de « conjointe de fait » et de changer, en exerçant ce droit, la décision initiale du ministre selon laquelle elle était la « survivante » du cotisant décédé.

 

Analyse

 

[20]           L’interprétation du Régime est généralement considérée comme une question de droit, à laquelle s’applique la norme de la décision correcte. Dans le cas d’une décision de la Commission portant sur des faits ou des questions mixtes de droit et de fait, c’est la norme de la décision manifestement déraisonnable qui s’applique (Spears c. Canada (2004), 320 N.R. 351 (C.A.), au paragraphe 10).

 

[21]           Avant d’examiner la décision de la Commission, la Cour doit se pencher sur l’objectif législatif du Régime. La Cour suprême du Canada a écrit dans Granovsky c. Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [2000] 1 R.C.S. 703, au paragraphe 9 :

Le RPC est un régime d’assurance sociale destiné aux Canadiens privés de gains en raison d’une retraite, d’une déficience ou du décès d’un conjoint ou d’un parent salarié.  Il s’agit non pas d’un régime d’aide sociale, mais plutôt d’un régime contributif dans lequel le législateur a défini à la fois les avantages et les conditions d’admissibilité, y compris l’ampleur et la durée de la contribution financière d’un requérant.

 

[22]           Pour avoir droit à la pension de survivant, le demandeur doit être considéré comme le « survivant » d’un cotisant décédé au sens du paragraphe 42(1) du Régime. Selon le Régime, il ne peut y avoir qu’un seul survivant à l’égard d’un cotisant donné. Il s’agit de la personne qui vivait avec le cotisant dans une relation conjugale au moment du décès de celui-ci. Ainsi, « la demande d’un conjoint marié qui s’est séparé du cotisant peut être supplantée par celle d’un conjoint de fait qui vivait avec le cotisant au moment du décès de ce dernier et ce, depuis au moins un an » (Hodge c. Canada (Ministre du Développement des ressources humaines), [2004] 3 R.C.S. 357, au paragraphe 6).

 

[23]           Le ministre prétend que la Commission a commis une erreur lorsqu’elle a conclu que Mme Tait satisfaisait à la définition de « survivant » prévue par la loi. Il soutient que la Commission a considéré à tort que Mme Walley pouvait retirer sa demande en tout temps au cours du processus d’appel et changer ainsi sa décision initiale selon laquelle elle était la « survivante » du cotisant décédé.

 

[24]           Le ministre affirme que le fait que Mme Walley a retiré sa demande de pension de survivante n’a aucune importance lorsqu’il s’agit de décider si Mme Tait est la « survivante » aux fins du Régime. Je suis aussi de cet avis.

 

[25]           Le Régime exige qu’une demande soit faite afin que le ministre approuve le paiement de la pension de survivant à un demandeur qui répond à la définition de « survivant » prévue par le Régime (voir le paragraphe 60(1) du Régime). La demande de Mme Tait ne dépend pas cependant du fait que Mme Walley a présenté une demande de pension, a retiré sa demande ou a omis de présenter une telle demande; elle dépend plutôt de l’ensemble de la preuve présentée à la Commission au sujet de la question de savoir si le cotisant décédé avait une « conjointe de fait », selon le sens attribué à cette expression dans le Régime, sans égard à la façon dont cette preuve a été obtenue. Si la preuve démontre, selon la prépondérance des probabilités, que le cotisant avait une conjointe de fait au moment de son décès, c’est elle, et non l’épouse légitime, qui est la survivante du cotisant décédé.

 

[26]           Cette opinion est conforme à la décision rendue par la Commission dans l’affaire Ministre du Développement social c. Hudson et Stanizewski (19 mai 2005) CP03662 (Hudson), sur laquelle le ministre s’appuyait. Dans cette affaire, l’épouse légitime et la conjointe de fait du cotisant décédé avaient toutes deux présenté une demande de pension de survivante. Le ministre a rejeté la demande de l’épouse légitime au motif que la conjointe de fait était la survivante au sens du Régime. Il a cependant aussi rejeté la demande de la conjointe de fait parce que celle-ci n’était pas âgée de 35 ans au moment du décès du cotisant. En conséquence, aucune pension de survivante ne devait être versée à quiconque. Pour contourner le problème, les deux conjointes ont conclu une entente écrite et la conjointe de fait a retiré sa demande de pension de survivante. La Commission a néanmoins rejeté la demande de pension de survivante de l’épouse légitime. Elle a écrit (aux paragraphes 60 et 61) :

Selon moi, que le conjoint de fait remplisse une demande de prestations ou qu’il en remplisse une pour la retirer par la suite, comme c’est ici le cas, n’est pas du tout pertinent pour établir qui est le conjoint aux termes du paragraphe 2(1) et le conjoint survivant, au sens de l’alinéa 44(1)d).

 

Si le ministre détient suffisamment de preuves crédibles qui attestent l’existence d’un conjoint de fait, tel qu’il est défini au paragraphe 2(1), alors selon ledit paragraphe, la personne est le conjoint aux fins des prestations de survivant, peu importe qu’il y ait ou non un conjoint marié : le conjoint de fait reçoit ou est admissible à recevoir les prestations et le conjoint marié n’est plus admissible, sous réserve, bien sûr, des droits d’appel de novo conférés à un requérant qui veut présenter le litige devant le tribunal de révision et la Commission.

 

[27]           La Commission a aussi mentionné dans Hudson, au paragraphe 88 :

Par conséquent, les époux et d’autres personnes peuvent volontairement renoncer à certains droits dont ils disposent en vertu de divers régimes législatifs. Cependant, ils ne peuvent pas empiéter sur le rôle de la législature d’établir les critères précis de la loi d’une pension ou d’une admissibilité. Les parties ont peut-être la possibilité de se soustraire à une loi, mais ils ne peuvent pas se substituer à une autre partie pour recevoir des prestations prévues à une loi, compte tenu de l’absence du pouvoir de le faire dans les limites du texte législatif.

 

 

[28]           Cette interprétation du droit est correcte, sauf pour ce qui est de la norme de preuve requise. une preuve crédible n’est pas suffisante : il faut une preuve selon la prépondérance des probabilités. Le Régime ne prévoit pas que le ministre, ou une autre personne à cette fin, ne peut pas produire une preuve lorsque le prétendu conjoint de fait ne présente pas une demande ou ne produit pas des éléments de preuve pertinents.

 

[29]           Je ne relève aucune erreur de droit dans l’interprétation que la Commission a faite de la définition de « survivant » prévue par le Régime. La Commission a dit avec raison (au paragraphe 13) que « [l]a preuve de l’union de fait doit être faite en s’appuyant sur un mélange de faits et d’éléments de droit ». Selon la Commission, l’épouse légitime est présumée avoir droit à la pension de survivante, sauf si l’existence d’une « conjointe de fait » est prouvée. La définition prévoit clairement que, « à défaut de la personne visée à l’alinéa b) », l’épouse légitime est la survivante. Si, par contre, il y a, au moment du décès, une conjointe de fait au sens de la définition figurant au paragraphe 2(1), c’est elle qui est la survivante.

 

[30]           La Commission a commis une erreur de droit en s’appuyant sur le retrait de la demande de Mme Walley et sur l’absence de litige entre celle-ci et Mme Tait. Elle a aussi commis une erreur en se préoccupant de la source de la preuve qui lui avait été présentée. Ces questions n’étaient pas pertinentes en l’espèce.

 

[31]           De plus, la décision de la Commission est manifestement déraisonnable, à mon avis, en ce qui a trait à l’application du droit aux faits de la présente affaire parce que la Commission n’a pas tenu compte des éléments de preuve accablants et non contredits qui lui avaient été correctement présentés et qui indiquaient que le cotisant décédé avait une conjointe de fait, Mme Walley, qui était la survivante et qui, avons-nous appris, avait commencé à recevoir les prestations de survivante peu de temps après en avoir fait la demande. La preuve révélait :

 

·         que Mme Walley et le cotisant décédé avaient vécu ensemble pendant 26 ans;

 

·         que Mme Walley était désignée comme l’exécutrice testamentaire et la principale bénéficiaire dans le testament du cotisant décédé;

 

·         que, dans son testament, le cotisant décédé nommait Mme Walley comme [traduction] « ma conjointe de fait » et Mme Tait comme [traduction] « ma femme dont je suis séparé »;

 

·         que Mme Walley a présenté au ministre une Déclaration solennelle d’union de fait dans laquelle elle désigne le cotisant décédé comme son conjoint de fait;

 

·         que Mme Tait a présenté au ministre une Déclaration solennelle – Séparation d’époux légaux, où elle avait écrit qu’elle et le cotisant décédé étaient séparés depuis 1973, que la raison de la séparation était l’existence de [traduction] « divergences irréconciliables » et que le cotisant décédé avait vécu en union de fait pendant leur séparation;

 

·         que Mme Tait n’a jamais contesté l’existence de la relation entre Mme Walley et le cotisant décédé. Elle a simplement revendiqué le droit à la prestation en raison de son statut d’épouse légitime du cotisant décédé, des souhaits de ce dernier et de sa propre situation financière difficile.

 

De plus, le représentant de Mme Tait a admis, lors de l’audition du présent appel, que Mme Walley était la conjointe de fait de M. Tait au moment du décès de ce dernier.

 

[32]           Il est évident que les prestations de survivant prévues par le Régime ne peuvent être cédées ou versées à une personne désignée, compte tenu du paragraphe 65(1) du Régime. M. Tait a essayé, dans son testament, de faire en sorte que son épouse légitime reçoive la pension de survivante, dont, avons-nous appris, il lui avait versé le montant approximatif pendant qu’il était vivant. Après le décès de M. Tait, Mme Walley a cherché à respecter ses souhaits, mais a apparemment changé d’avis. Rien ne l’empêche de remettre la totalité ou une partie de la somme qu’elle reçoit en vertu du Régime, soit 109 $ par mois, si elle le souhaite. Malheureusement, le ministre ne peut pas exaucer les souhaits du défunt, ni faire droit à la demande initiale présentée par Mme Walley afin que la prestation soit versée à Mme Tait. Il ne peut pas non plus faire abstraction du libellé non équivoque du Régime et de la preuve claire qui existe.

 

[33]           Pour ces motifs, j’accueillerais la présente demande de contrôle judiciaire, j’annulerais la décision de la Commission et je lui renverrais l’affaire afin qu’elle annule la décision du tribunal de révision et lui ordonne de confirmer la décision du ministre selon laquelle Mme Walley est la seule « survivante » de M. Tait aux fins du Régime. Les dépens n’ont pas été demandés ni adjugés.

 

 

« A. M. Linden »

Juge

 

« Je souscris aux présents motifs

            Marc Noël, juge »

 

« Je souscris aux présents motifs

            John M. Evans, juge »

 

 

 

 

Traduction certifiée conforme

Lynne Davidson-Fournier, traductrice-conseil 

 


COUR D’APPEL FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

DOSSIER :                                                        A-391-05

 

 

INTITULÉ :                                                       MINISTRE DU DÉVELOPPEMENT DES RESSOURCES HUMAINES

                                                                            c.

                                                                            CAMILLE TAIT ET BARBARA WALLEY

 

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                                HALIFAX (NOUVELLE-ÉCOSSE)

 

DATE DE L’AUDIENCE :                               LE 16 NOVEMBRE 2006

 

MOTIFS DU JUGEMENT :                            LE JUGE LINDEN

 

Y ONT SOUSCRIT :                                        LE JUGE NOËL

                                                                            LE JUGE EVANS

 

DATE DES MOTIFS :                                     LE 22 NOVEMBRE 2006

 

 

COMPARUTIONS :

 

James Grey                                                          POUR LE DEMANDEUR

 

Camille Tait                                                          POUR SON PROPRE COMPTE

 

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

John H. Sims, c.r.                                                 POUR LE DEMANDEUR

Sous-procureur général du Canada

Ottawa

 

Camille Tait                                                          POUR SON PROPRE COMPTE

Kentville (Nouvelle-Écosse)

 

Barbara Walley                                                    POUR SON PROPRE COMPTE

Oakville (Ontario)

 

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