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Date : 20061123

Dossier : A‑588‑04

Référence : 2006 CAF 384

 

CORAM :      LE JUGE LÉTOURNEAU

                        LE JUGE PELLETIER

                        LE JUGE MALONE

 

ENTRE :

GREGORY J. WHELAN

appelant

et

 

SA MAJESTÉ LA REINE

intimée

 

 

 

 

 

Audience tenue à Saskatoon (Saskatchewan), le 23 novembre 2006

Jugement rendu à l’audience à Saskatoon (Saskatchewan), le 23 novembre 2006

 

 

 

MOTIFS DU JUGEMENT DE LA COUR :                                     LE JUGE LÉTOURNEAU

 


Date : 20061123

Dossier : A‑588‑04

Référence : 2006 CAF 384

 

CORAM :      LE JUGE LÉTOURNEAU

                        LE JUGE PELLETIER

                        LE JUGE MALONE

 

ENTRE :

GREGORY J. WHELAN

appelant

et

 

SA MAJESTÉ LA REINE

intimée

 

 

MOTIFS DU JUGEMENT DE LA COUR

(Prononcés à l’audience à Saskatoon (Saskatchewan), le 23 novembre 2006)

 

LE JUGE LÉTOURNEAU

 

[1]               Il s’agit d’un appel de la décision par laquelle un juge de la Cour canadienne de l’impôt a rejeté les appels interjetés par l’appelant à l’encontre de nouvelles cotisations établies en vertu de la Loi de l’impôt sur le revenu, L.R.C. 1985 (5e suppl.), ch. I, modifiée (la Loi), pour les années d’imposition 2001 et 2002. En rejetant ces appels, le juge a confirmé le refus du ministre d’autoriser les déductions faites par l’appelant au titre d’une pension alimentaire pour enfants. Il convient de récapituler les faits pour bien comprendre la question en litige.

 

[2]               L’appelant et son ex‑épouse, Diane Whelan, sont parents de cinq enfants. En vertu d’un accord écrit en date du 31 août 1993, l’appelant a convenu de verser à son ex‑épouse une somme forfaitaire mensuelle de 1 200 $ à titre de pension alimentaire pour les enfants. Le 27 novembre 1997, la Cour du Banc de la Reine de la Saskatchewan a accordé la garde de l’aînée des enfants à l’appelant, tandis que son ex‑épouse a conservé la garde des quatre autres enfants. Le montant de la pension alimentaire pour enfants est resté le même. Le jugement en question contenait les dispositions suivantes :

 

[traduction]

 

L’appelant :

 

paiera à […] DIANE KIM WHELAN à titre de pension alimentaire pour les quatre enfants à charge, à compter du 1er décembre 1997, la somme de 1 200 $ le premier de chaque mois tant que lesdits enfants resteront des enfants à charge au sens de la Loi sur le divorce. Ces paiements seront déductibles du revenu du requérant [Gregory Whelan] et devront être déclarés comme revenu par l’intimée [Diane Whelan].

 

                                                                                                                                                [Non souligné dans l’original.]

 

 

[3]               Le 24 novembre 2000, le juge Laing, alors membre de la Cour du Banc de la Reine de la Saskatchewan, a ordonné que le paragraphe précité du jugement de 1997 soit remplacé par les dispositions suivantes, citées à l’onglet 8 du dossier d’appel :

 

 

 

[traduction]

 

ORDONNANCE

Les avocats de la demanderesse et du défendeur ayant été entendus et vu les affidavits déposés par les parties ainsi que les actes de procédure et procédures de la présente action et attendu que j’estime que les montants spécifiés dans le premier jugement l’ont été par simple inadvertance, je suis convaincu que la pension alimentaire pour enfants devait continuer d’être versée conformément aux dispositions de l'accord du 31 août 1993 et que le jugement devrait indiquer cette intention.

PAR CONSÉQUENT, LA COUR ORDONNE :

1.             En vertu de l’article 343A des Règles de la Cour du Banc de la Reine, l’alinéa 2d) du jugement rendu dans la présente affaire le 27 novembre 1997 est remplacé par l’alinéa suivant :

2d). Les parties reconnaissent qu’elles ont conclu le 31 août 1993 un accord sur la pension alimentaire pour enfants devant prendre effet le 28 janvier 1993, par lequel le requérant s’engageait à effectuer les paiements de pension alimentaire pour enfants le premier de chaque mois tant que les enfants visés resteraient des enfants à charge au sens de la Loi sur le divorce. Les parties reconnaissent que tous les paiements effectués depuis le 28 janvier 1993 l’ont été conformément à cet accord et déclarent leur intention que les paiements continuent de l’être conformément audit accord. Le présent jugement ne modifie aucune des dispositions dudit accord relatives à la pension alimentaire pour enfants.

 

                                                                                                                                                [Non souligné dans l’original.]

 

 

[4]               Même si le jugement de la Cour du Banc de la Reine prévoyait explicitement qu’il ne modifiait aucune des dispositions relatives à la pension alimentaire pour enfants de l’accord conclu en 1993 par les parties, le juge de la Cour de l’impôt a constaté que le jugement de 1997 faisait passer le montant annuel par enfant de 2 880 $ à 3 600 $, alors que la somme forfaitaire annuelle payée par l’appelant au titre de la pension alimentaire pour enfants restait la même. De cette constatation, il a déduit que le jugement de 1997 créait une « date d’exécution » au sens de l’alinéa 56.1(4)b) de la Loi. Les dispositions en question du paragraphe 56.1(4) sont ainsi libellées :

 

56.1

 

[…]

 

(4) Les définitions qui suivent s'appliquent au présent article et à l'article 56.

 

« pension alimentaire pour enfants » Pension alimentaire qui, d'après l'accord ou l'ordonnance aux termes duquel elle est à recevoir, n'est pas destinée uniquement à subvenir aux besoins d'un bénéficiaire qui est soit l'époux ou le conjoint de fait ou l'ex-époux ou l'ancien conjoint de fait du payeur, soit le père ou la mère d'un enfant dont le payeur est le père naturel ou la mère naturelle.

 

« date d'exécution » Quant à un accord ou une ordonnance:

 

a) si l'accord ou l'ordonnance est établi après avril 1997, la date de son établissement;

 

b) si l'accord ou l'ordonnance est établi avant mai 1997, le premier en date des jours suivants, postérieur à avril 1997:

 

(i) le jour précisé par le payeur et le bénéficiaire aux termes de l'accord ou de l'ordonnance dans un choix conjoint présenté au ministre sur le formulaire et selon les modalités prescrits,

 

(ii) si l'accord ou l'ordonnance fait l'objet d'une modification après avril 1997 touchant le montant de la pension alimentaire pour enfants qui est payable au bénéficiaire, le jour où le montant modifié est à verser pour la première fois,

(iii) si un accord ou une ordonnance subséquent est établi après avril 1997 et a pour effet de changer le total des montants de pension alimentaire pour enfants qui sont payables au bénéficiaire par le payeur, la date d'exécution du premier semblable accord ou de la première semblable ordonnance,

(iv) le jour précisé dans l'accord ou l'ordonnance, ou dans toute modification s'y rapportant, pour l'application de la présente loi.

 

 

[…]

 

56.1.

 

[…]

 

(4) The definitions in this subsection apply in this section and section 56.

 

 

"child support amount" means any support amount that is not identified in the agreement or order under which it is receivable as being solely for the support of a recipient who is a spouse or common-law partner or former spouse or common-law partner of the payer or who is a parent of a child of whom the payer is a natural parent.

 

 

 

"commencement day" at any time of an agreement or order means

 

(a) where the agreement or order is made after April 1997, the day it is made; and

 

(b) where the agreement or order is made before May 1997, the day, if any, that is after April 1997 and is the earliest of

(i) the day specified as the commencement day of the agreement or order by the payer and recipient under the agreement or order in a joint election filed with the Minister in prescribed form and manner,

(ii) where the agreement or order is varied after April 1997 to change the child support amounts payable to the recipient, the day on which the first payment of the varied amount is required to be made,

 

(iii) where a subsequent agreement or order is made after April 1997, the effect of which is to change the total child support amounts payable to the recipient by the payer, the commencement day of the first such subsequent agreement or order, and

 

 

(iv) the day specified in the agreement or order, or any variation thereof, as the commencement day of the agreement or order for the purposes of this Act.

 

[…]

 

 

                                                                                                                                                [Non souligné dans l’original.]

 

[5]               Seuls les sous-alinéas 56.1(4)b)(ii) et (iii) sont potentiellement pertinents pour les faits en litige.

 

[6]               En toute déférence, nous croyons que l’interprétation donnée par le juge de l’alinéa 56.1(4)b), et en particulier de ses sous-alinéas (ii) et (iii), n’est étayée ni par le texte de la Loi ni par les faits de l’espèce. À notre avis, le juge a dépassé l’intention du législateur en reformulant ces deux sous-alinéas de manière à évaluer les conditions de la pension alimentaire pour enfants par rapport aux enfants pris individuellement, alors que les deux sous-alinéas visent respectivement le montant forfaitaire ou le total des montants de la pension alimentaire pour enfants. Aucun élément de ces dispositions ne commande ou ne justifie la conclusion du juge.

 

[7]               Premièrement, les deux sous-alinéas visent une modification du montant payable au bénéficiaire et non des montants payables par enfant : voir Callwood c. La Reine, 2005 D.T.C. 1253 (C.C.I.), au paragraphe 24, infirmée en appel pour d’autres motifs par Callwood c. Canada, 2006 CAF 188. Le montant total payable au bénéficiaire n’a pas été modifié dans la présente espèce, et les parties à l’accord ont déclaré explicitement que leur intention était que le total des montants de pension alimentaire payables au bénéficiaire devait rester inchangé. En outre, le juge Laing de la Cour du Banc de la Reine de Saskatchewan a reconnu judiciairement cette intention des parties. Il a écrit expressément que [TRADUCTION] « [l]e présent jugement ne modifie aucune des dispositions dudit accord relatives à la pension alimentaire pour enfants » [c’est‑à‑dire l’accord en date du 31 août 1993]. Il aurait fallu donner effet au sens manifeste et ordinaire des sous-alinéas (ii) et (iii), ainsi qu’à l’intention des parties de ne pas modifier l’accord de 1993. Qui plus est, le texte de cet accord était conforme au libellé de ces deux sous-alinéas de la Loi.

 

[8]               Le juge a appuyé sa position sur l’interprétation qu’il donnait du terme child (« enfant ») dans l’expression child support amount (« pension alimentaire pour enfants ») employée au paragraphe 56.1(4). Dans la décision Diane Kim Whelan c. La Reine, 2002‑32(IT)I, qu’il a rendue dans une affaire concernant l’ex‑épouse de l’appelant en l’absence de celui‑ci, qui n’y était pas partie, le juge a formulé la conclusion suivante :

 

[traduction]

 

Le paragraphe 56.1(4) parle de « montants ». La Cour considère que ce terme désigne les paiements mensuels habituels dans le cadre de telles ordonnances alimentaires, versés sur la base de l’année civile. Cependant, le paragraphe 56.1(4) vise un total de montants de pension alimentaire pour enfants pris individuellement [« child » support amounts] […]

 

Du point de vue de la Cour, le paragraphe 56.1(4) doit être interprété comme étant applicable par enfant [« child »] pris individuellement.

 

 

[9]               Le juge semble tirer du fait que le terme child (enfant) est employé au singulier dans l'expression child support amount (pension alimentaire pour enfants), la conclusion que la question de savoir si un accord a été modifié doit être décidée en fonction des paiements annuels relatifs aux enfants pris individuellement.

 

[10]           L’emploi du terme child au singulier dans le paragraphe 56.1(4) ne tire pas à conséquence. C’est une règle classique de la rédaction législative, formulée au paragraphe 33(2) de la Loi d’interprétation, L.R.C. 1985, ch. I‑2, que « [l]e pluriel ou le singulier s’appliquent, le cas échéant, à l’unité et à la pluralité ». Qui plus est, le texte français du paragraphe 56.1(4) emploie le pluriel dans l’expression « pension alimentaire pour enfants » (non souligné dans l’original). L’expression child support amount est en fait une expression technique désignant les sommes payées au titre de la pension alimentaire pour un ou plusieurs enfants.

 

[11]           La décision portée en appel a pour conséquence pratique de modifier un montant de pension alimentaire pour enfants alors que ce montant, en fait, reste inchangé et que les parties ont déclaré expressément leur intention de ne pas le modifier. La modification, bien qu’inexistante dans les faits, est déclarée exister sur le fondement de facteurs externes à l’intention exprimée par les parties. Ainsi, le décès d’un enfant modifierait le montant de la pension alimentaire pour enfants, tout comme l’inflation, bien que le montant ou le montant total du paiement au titre de ladite pension reste le même. Les facteurs externes de cette nature, selon l’interprétation donnée par le juge du paragraphe 56.1(4), créeraient une « date d’exécution » au sens de ce paragraphe. Or nous ne pensons pas que cette interprétation soit étayée par le sens manifeste et ordinaire des dispositions législatives applicables et des dispositions de l’accord signé par les parties.

 

[12]           Pour ces motifs, l’appel sera accueilli avec dépens et la décision de la Cour canadienne de l’impôt sera infirmée. Les nouvelles cotisations établies à l’égard de l’appelant pour les années d’imposition 2001 et 2002 seront annulées et l’affaire sera renvoyée au ministre pour réexamen sur la base suivante :

 

La pension alimentaire pour enfants versée par l’appelant à son ex‑épouse pendant les années d’imposition 2001 et 2002 est déductible du revenu de l’appelant pour ces années d’imposition.

 

 

Nous tenons à remercier de leur aide les avocats des parties, qui se sont tous deux montrés à la hauteur des normes les plus rigoureuses de leur profession.

 

 

                                                                                                              « Gilles Létourneau »

Juge

 

 

 

Traduction certifiée conforme

Suzanne Bolduc, LL.B.


 

COUR D’APPEL FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

 

DOSSIER :                                                             A‑588‑04

 

[APPEL D’UN JUGEMENT DE LA COUR CANADIENNE DE L’IMPÔT EN DATE DU 8 OCTOBRE 2004, DOSSIER 2004-2554(IT)I]

 

INTITULÉ :                                                            GREGORY J. WHELAN

                                                                                 c.

                                                                                 SA MAJESTÉ LA REINE

 

LIEU DE L'AUDIENCE :                                      SASKATOON (SASKATCHEWAN)

 

DATE DE L'AUDIENCE :                                    LE 23 NOVEMBRE 2006

 

MOTIFS DU JUGEMENT DE LA COUR :       LES JUGES LÉTOURNEAU, PELLETIER ET MALONE        

 

PRONONCÉS À L'AUDIENCE PAR :                LE JUGE LÉTOURNEAU

 

 

COMPARUTIONS :

 

Patrick H. Loran

POUR L’APPELANT

 

Lyle Bouvier

POUR L’NTIMÉE

 

 

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

McKercher McKercher & Whitmore LLP

Saskatoon (Saskatchewan)

 

POUR L’APPELANT

 

John H. Sims, c.r.

Sous-procureur général du Canada

Ottawa (Ontario)

POUR L’INTIMÉE

 

 

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