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Date : 20070108

Dossier : A-1-07

Référence : 2007 CAF 7

 

EN PRÉSENCE DE MADAME LA JUGE SHARLOW

 

ENTRE :

APOTEX INC.

appelante

et

SANOFI-AVENTIS CANADA INC.

intimée

et

LE MINISTRE DE LA SANTÉ

intimé

 

 

 

Audience tenue à Ottawa (Ontario), le 5 janvier 2007

Ordonnance rendue à Toronto (Ontario), le 8 janvier 2007

 

MOTIFS DE L’ORDONNANCE :                                                  LA JUGE SHARLOW

 


Date : 20070108

Dossier : A-1-07

Référence : 2007 CAF 7

 

EN PRÉSENCE DE MADAME LA JUGE SHARLOW

 

ENTRE :

APOTEX INC.

appelante

et

SANOFI-AVENTIS CANADA INC.

intimée

et

LE MINISTRE DE LA SANTÉ

intimé

 

 

MOTIFS DE L’ORDONNANCE

LA JUGE SHARLOW

[1]               L’appelante, Apotex Inc., a interjeté appel d’une ordonnance interlocutoire de la Cour fédérale et sollicite maintenant la suspension de l’ordonnance interlocutoire jusqu’à ce qu'une décision ait été rendue sur l’appel.

[2]               Je résume ci-après les faits qui sous-tendent la présente requête.

[3]               Depuis 1994, l’intimée, Sanofi-Aventis, fabrique et vend un médicament appelé « Altace » pour le traitement de l’hypertension artérielle. L’ingrédient médicinal d’Altace est le ramipril.

[4]               Au registre des brevets que tient le ministre en vertu du Règlement sur les médicaments brevetés (avis de conformité), DORS/93-133 (le Règlement sur les AC), de nombreux brevets sont énumérés en ce qui concerne l’Altace. Pour les fins de la présente requête, seuls deux de ces brevets sont pertinents : le brevet canadien numéro 2,382,387 et le brevet canadien numéro 2,382,549. Ces deux brevets ont été délivrés après que Sanofi eut obtenu son avis de conformité pour l’Altace. Ils ont tous deux été déposés sur le fondement d’une présentation de drogue nouvelle (numéro de présentation 082094) produite par Sanofi le 6 novembre 2003, à la suite d’une modification de la section « Mode d’action et pharmacologie » de la monographie de produit d’Altace.

[5]               Apotex a déposé une présentation abrégée de drogue nouvelle demandant un avis de conformité afin de pouvoir mettre en marché son propre ramipril, appelé « Apo-Ramipril ». L’Altace est le médicament de comparaison pour cette présentation abrégée de drogue nouvelle. La présentation abrégée de drogue nouvelle a été déposée avant que Sanofi ait produit la présentation de drogue nouvelle sur laquelle elle s’est fondée pour ajouter le brevet 387 et le brevet 549 au registre des brevets.

[6]               À un certain moment avant les événements qui ont abouti à l’ordonnance portée en appel (la date exacte n’est pas pertinente pour la présente requête), le ministre a estimé que l’Apo-Ramipril est bioéquivalent à l’Altace, et qu’un avis de conformité devrait être accordé, sous réserve des exigences du Règlement sur les AC.

[7]               En novembre 2005, Apotex a signifié un avis d’allégation à Sanofi en vertu du Règlement sur les AC. L’avis d’allégation vise les brevets 387 et 549. Apotex prétend premièrement que certaines revendications des deux brevets sont des revendications pour autre chose que l’utilisation du médicament ramipril et que, pour cette raison, elles ne sont pas pertinentes en ce sens qu’elles ne doivent pas être prises en considération en vertu du Règlement sur les AC. Apotex allègue deuxièmement que les deux brevets ont été inscrits à tort au registre parce qu’ils sont fondés sur une présentation de drogue nouvelle et qu’une telle présentation ne peut pas, selon la jurisprudence pertinente, appuyer l’inscription d’un brevet au registre. Troisièmement, elle allègue qu’elle ne contrefera pas les brevets parce que les utilisations pour lesquelles elle demande un avis de conformité sont des utilisations révélées dans les antériorités. Quatrièmement, elle invoque plusieurs motifs pour affirmer que les brevets sont invalides (notamment l’antériorité et l’évidence).

[8]               Le 17 janvier 2006, Sanofi a présenté une demande (T-87-06) en vertu du Règlement sur les AC afin d’obtenir une ordonnance interdisant au ministre de délivrer un avis de conformité à Apotex pour l’Apo‑Ramipril. À ce moment‑là, toutes les parties auraient accepté que le dépôt de cette demande correspondait au début de la période de 24 mois prévue à l’alinéa 7(1)e) du Règlement sur les AC, souvent appelée « suspension légale ». L’article 7 du Règlement sur les AC est libellé comme suit :

7. (1)  Le ministre ne peut délivrer un avis de conformité à la seconde personne avant la plus tardive des dates suivantes :

a) [Abrogé, DORS/98-166, art. 6]

b) la date à laquelle la seconde personne se conforme à l’article 5;

c) sous réserve du paragraphe (3), la date d’expiration de tout brevet inscrit au registre qui ne fait pas l’objet d’une allégation;

d) sous réserve du paragraphe (3), la date qui suit de 45 jours la date de réception de la preuve de signification de l’avis d’allégation visé aux alinéas 5(3)b) ou c) à l’égard de tout brevet inscrit au registre;

e) sous réserve des paragraphes (2), (3) et (4), la date qui suit de 24 mois la date de réception de la preuve de présentation de la demande visée au paragraphe 6(1);

f) la date d’expiration de tout brevet faisant l’objet d’une ordonnance rendue aux termes du paragraphe 6(1).

 

(2) L’alinéa (1)e) ne s’applique pas si, à l’égard de chaque brevet visé par une demande au tribunal aux termes du paragraphe 6(1) :

a) soit le brevet est expiré;

b) soit le tribunal a déclaré que le brevet n’est pas valide ou qu’aucune revendication pour le médicament en soi ni aucune revendication pour l’utilisation du médicament ne seraient contrefaites.

 

(3) Les alinéas (1)c), d) et e) ne s’appliquent pas à l’égard d’un brevet si le propriétaire de celui-ci a consenti à ce que la seconde personne utilise, fabrique, construise ou vende la drogue au Canada.

 

 

(4) L’alinéa (1)e) cesse de s’appliquer à l’égard de la demande visée au paragraphe 6(1) si celle-ci est retirée ou fait l’objet d’un désistement par la première personne ou est rejetée par le tribunal qui en est saisi.

(5) Lorsque le tribunal n’a pas encore rendu d’ordonnance aux termes du paragraphe 6(1) à l’égard d’une demande, il peut :

a) abréger le délai visé à l’alinéa (1)e) avec le consentement de la première personne et de la seconde personne, ou s’il conclut que la première personne n’a pas, au cours de l’instance relative à la demande, collaboré de façon raisonnable au règlement expéditif de celle-ci;

b) proroger le délai visé à l’alinéa (1)e) avec le consentement de la première personne et de la seconde personne, ou s’il conclut que la seconde personne n’a pas, au cours de l’instance relative à la demande, collaboré de façon raisonnable au règlement expéditif de celle-ci.

7. (1) The Minister shall not issue a notice of compliance to a second person before the latest of

(a) [Repealed, SOR/98-166, s. 6]

(b) the day on which the second person complies with section 5,

(c) subject to subsection (3), the expiration of any patent on the register that is not the subject of an allegation,

(d) subject to subsection (3), the expiration of 45 days after the receipt of proof of service of a notice of any allegation pursuant to paragraph 5(3)(b) or (c) in respect of any patent on the register,

(e) subject to subsections (2), (3) and (4), the expiration of 24 months after the receipt of proof of the making of any application under subsection 6(1), and

(f) the expiration of any patent that is the subject of an order pursuant to subsection 6(1).

 

 

(2) Paragraph (1)(e) does not apply if at any time, in respect of each patent that is the subject of an application pursuant to subsection 6(1),

(a) the patent has expired; or

(b) the court has declared that the patent is not valid or that no claim for the medicine itself and no claim for the use of the medicine would be infringed.

 

 

(3) Paragraphs (1)(c), (d) and (e) do not apply in respect of a patent if the owner of the patent has consented to the making, constructing, using or selling of the drug in Canada by the second person.

 

(4) Paragraph (1)(e) ceases to apply in respect of an application under subsection 6(1) if the application is withdrawn or discontinued by the first person or is dismissed by the court hearing the application.

(5) If the court has not yet made an order under subsection 6(1) in respect of an application, the court may

(a) shorten the time limit referred to in paragraph (1)(e) on consent of the first and second persons or if the court finds that the first person has failed, at any time during the proceeding, to reasonably cooperate in expediting the application; or

(b) extend the time limit referred to in paragraph (1)(e) on consent of the first and second persons or, if the court finds that the second person has failed, at any time during the proceeding, to reasonably cooperate in expediting the application.

 

 

[9]               En novembre 2006, les contre-interrogatoires concernant la procédure en interdiction étaient en cours.

[10]           Le 3 novembre 2006, la Cour suprême du Canada a rendu son arrêt dans AstraZeneca Canada Inc. c. Canada, [2006] 2 R.C.S. 560, 2006 CSC 49. Il semble y avoir désaccord sur le sujet précis qui a été établi dans cette affaire, mais aux fins de la présente requête, il suffit de se référer au paragraphe 31 de cet arrêt où le juge Binnie, s’exprimant au nom de la Cour, a énoncé la question en litige. Le paragraphe 31 porte qu’« il s’agit de savoir si au par. 5(1) [du Règlement sur les AC] les termes "une autre drogue pour en démontrer la bioéquivalence" et "cette autre drogue" à l’égard de laquelle les brevets sont inscrits au registre renvoient au [à la drogue nouvelle] dans toutes ses formulations, y compris celles qui n’ont jamais été mises sur le marché (position d’AstraZeneca) ou s’ils ne concernent, de façon plus restrictive, que la drogue [nouvelle], qui est visée par [l’avis de conformité particulier] et qui est copiée par Apotex (position d’Apotex) ».

[11]           L’arrêt AstraZeneca est important, car, selon la position adoptée par le ministre et Apotex, le principe qu’il a établi peut être appliqué à la présente espèce, ce qui rendrait inutile la procédure en interdiction. Sanofi adopte la position inverse.

[12]           Au début de décembre, Apotex a écrit au ministre pour demander qu’un avis de conformité soit délivré pour l’Apo-Ramipril malgré la procédure en interdiction. Apotex aurait soutenu que, compte tenu de l’interprétation donnée du paragraphe 5(1) du Règlement sur les AC dans l’arrêt AstraZeneca, Apotex n’était pas obligée, sur le plan juridique, de tenir compte des brevets 387 et 549. Je présume qu’Apotex a également rappelé au ministre la jurisprudence de la Cour selon laquelle lorsqu’une présentation abrégée de drogue nouvelle est déposée dans des circonstances où le Règlement sur les AC ne s’applique pas, le ministre a l’obligation légale de délivrer un avis de conformité une fois qu’il est convaincu de la bioéquivalence : Apotex Inc. c. Canada (Procureur général), [1994] 1 C.F. 742 (C.A.).

[13]           Dans une lettre datée du 8 décembre 2006, un fonctionnaire de Santé Canada a écrit à Apotex pour l’informer que le ministre reconnaissait que le principe énoncé dans l’arrêt AstraZeneca s’appliquait à la présente affaire, mais qu’un avis de conformité ne serait pas délivré en raison de la suspension légale découlant de la procédure en interdiction qui était en cours. Une copie de cette lettre a été envoyée à Sanofi.

[14]           Le 11 décembre 2006, Sanofi a répondu au ministre pour lui indiquer qu’elle n’était pas d’accord avec son analyse concernant l’arrêt AstraZeneca et avec sa conclusion selon laquelle cet arrêt s’appliquait en l’espèce.

[15]           Le ministre ne semble pas avoir été convaincu par les observations de Sanofi. Pour des raisons qui ne sont pas claires, le ministre a également changé d’avis au sujet de la suspension légale car, le 12 décembre 2006, il a délivré un avis de conformité à Apotex pour l’Apo-Ramipril.

[16]           Le 13 décembre 2006, le ministre a également délivré un avis de conformité à Ratiopharm Inc. pour son produit de ramipril, apparemment fabriqué par Sanofi et commercialisé sous licence par Ratiopharm. Sanofi dit qu’il s’agit d’un produit générique autorisé. Apotex le qualifie de pseudogénérique. Peu importe le terme utilisé, il est clair qu’il s’agit d’un produit destiné à faire concurrence à l’Apo-Ramipril sur le marché des produits génériques.

[17]           Entre-temps, le 12 décembre 2006, Sanofi a déposé une demande de contrôle judiciaire (T‑2196‑6) en vue d’obtenir, notamment, une ordonnance annulant la décision de délivrer un avis de conformité à Apotex, une ordonnance interdisant la délivrance d’un avis de conformité, un jugement déclaratoire portant que le ministre a mal interprété l’arrêt AstraZeneca et le paragraphe 5(1) du Règlement sur les AC, une ordonnance provisoire en vertu du paragraphe 18.2 de la Loi sur les Cours fédérales suspendant l’application de la décision de délivrer l’avis de conformité, ainsi qu’une ordonnance interdisant la délivrance de l’avis de conformité. L’avis de demande de contrôle judiciaire a apparemment été signifié au ministre et à Apotex le lendemain, le 13 décembre 2006. On ne sait pas si le ministre était au courant, lorsque l’avis de conformité a été délivré à Apotex le 12 décembre 2006, que Sanofi avait déposé son avis de demande de contrôle judiciaire, même si Sanofi avait apparemment communiqué au ministre son intention de le faire.

[18]           Sanofi a déposé, avec sa demande de contrôle judiciaire, un avis de requête afin d’obtenir la « suspension de l’application et de l’effet » de la décision du ministre de délivrer un avis de conformité à Apotex. Le 15 décembre 2006, une suspension provisoire a été refusée et l’audience sur la requête visant à obtenir la suspension interlocutoire a été fixée au 21 décembre 2006. La requête a été entendue ce jour‑là. Le 29 décembre 2006, l’ordonnance portée en appel a été rendue. L’ordonnance suspend l’application de l’avis de conformité et exige qu’Apotex et le ministre se comportent comme si l’avis de conformité n’avait pas été délivré.

[19]           L’ordonnance est en vigueur jusqu’à ce qu’une décision soit rendue sur la demande de Sanofi visant à obtenir le contrôle judiciaire de la décision du ministre de délivrer l’avis de conformité (T-2196-06) ou jusqu’à ce que prenne fin la période de 24 mois à laquelle a donné lieu la suspension légale par suite de la procédure en interdiction introduite par Sanofi (T-87-06), selon l’évènement qui se produit en premier.

[20]           Apotex a immédiatement interjeté appel de l’ordonnance et déposé un avis de requête pour demander une suspension. La requête a fait l'objet d’une instruction accélérée.

[21]           J’examinerai d’abord l’argument de Sanofi selon lequel cette requête est vouée à l’échec parce qu’elle vise essentiellement une nouvelle audition de la requête en suspension entendue par la Cour fédérale. Cet argument est fondé sur les décisions Wellcome Foundation Ltd. c. Apotex Inc. (1990), 32 C.P.R. (3d) 515 (C.F. 1re inst.), et Syntex Inc. c. Apotex Inc. (no 2) (1989), 28 C.P.R. (3d) 43 (C.F. 1re inst.). Il s’agissait dans ces deux affaires de requêtes présentées à la Cour fédérale dans le cadre d’actions en contrefaçon de brevet afin d’obtenir la suspension d’une injonction interlocutoire accordée par la Cour. À mon avis, le raisonnement suivi dans ces affaires ne peut pas s’appliquer à la situation plutôt inusitée de la présente espèce. 

[22]           Le juge a examiné les critères habituellement appliqués pour accorder une suspension, citant l’arrêt Manitoba (Procureur général) c. Metropolitan Stores (MTS) Ltd., [1987] 1 R.C.S. 110. Dans le contexte de la requête qui lui était adressée, les questions pertinentes en vertu de ces critères traditionnels étaient les suivantes :

1)      La demande de Sanofi visant à obtenir le contrôle judiciaire de la décision du ministre de délivrer un avis de conformité soulève-t-elle une question sérieuse?

2)      Sanofi subira-t-elle un préjudice irréparable si la suspension n’est pas accordée et si sa demande est accueillie?

3)      La prépondérance des inconvénients favorise-t-elle l’octroi de la suspension?

[23]           Même si le juge n’a pas examiné expressément s’il y avait une question sérieuse ou non, il est évident qu’il a cru que cet élément du critère était respecté. Il a effectué une analyse approfondie de la preuve et il a conclu que Sanofi n’avait pas établi qu’elle subirait un préjudice irréparable. Cela aurait suffi en vertu du critère traditionnel à justifier le rejet de la requête visant à obtenir une suspension.

[24]           Le juge a accordé la suspension pour un motif complètement différent. Il a conclu qu'étant donné que la procédure en interdiction était en cours au moment où l’avis de conformité a été délivré, la délivrance de cet avis était irrespectueuse à l’égard de la Cour fédérale.

[25]           Dans la requête dont j’ai été saisie, c’est‑à‑dire une requête en suspension d’une ordonnance de la Cour fédérale, les critères traditionnels sont les mêmes et peuvent être exprimés comme suit :

(1)               L’appel de l’ordonnance de suspension soulève-t-il une question sérieuse?

(2)               Apotex subira-t-elle un préjudice irréparable si la suspension n’est pas accordée et si son appel est accueilli?

(3)               La prépondérance des inconvénients favorise-t-elle l’octroi de la suspension?

[26]           Le premier critère est souvent considéré comme étant très peu exigeant, de sorte qu’il n’est habituellement pas nécessaire ou souhaitable d’examiner les motifs d’appel en profondeur. Par contre, je ne peux pas m’empêcher de souligner qu’il y a des motifs d’appel sérieux dans la présente affaire. À ce sujet, j’aimerais faire trois remarques générales.

[27]           Premièrement, l’ordonnance portée en appel a pour effet d’annuler, ne serait-ce que sur une base interlocutoire, une décision qui non seulement relève du mandat confié au ministre par la loi, mais qui semble également à première vue être motivée par la jurisprudence de la Cour (Apotex Inc. c. Canada (Procureur général), citée ci-dessus). Il est vrai que la procédure en interdiction était en cours et que le Règlement sur les AC impose une suspension légale dans le cas où une telle procédure est engagée. Cependant, le ministre se doit souvent d’agir en se fondant sur sa propre analyse de la loi, et on ne peut pas exiger qu’il obtienne chaque fois l’approbation de la Cour avant de le faire. En principe, s’il se produit un évènement qui compromet le fondement d’une procédure particulière en interdiction, le ministre peut et doit probablement tenir compte de cet évènement et agir en conséquence. Dans le contexte de la présente espèce, il se peut que le ministre ait eu raison ou non de conclure que le principe établi dans l’arrêt AstraZeneca signifiait qu’il n’y avait plus de fondement à la procédure en interdiction présentée par Sanofi mais, en toute justice, on ne peut pas affirmer que sa décision de donner suite à cette conclusion était irrespectueuse envers la Cour fédérale. La suspension légale est de nature législative et non pas de nature judiciaire. Il peut s’avérer que la décision du ministre était fondée sur une erreur de droit, mais si c’est le cas, je crois qu’il s’agit d’une erreur d’interprétation de la loi et non d’un affront à la Cour fédérale.

[28]           Deuxièmement, l’ordonnance portée en appel n’a pas pour effet de préserver le statu quo, ce qui est normalement l’objectif d’une ordonnance de suspension, mais elle modifie plutôt le statu quo pour conférer un avantage concurrentiel à la partie sollicitant la suspension. Le statu quo, au moment où la requête en suspension a été présentée à la Cour fédérale, était qu’Apotex avait le droit de commercialiser l’Apo-Ramipril. En accordant la suspension, le juge a désavantagé Apotex sur le plan concurrentiel pendant la durée de la suspension.

[29]           Troisièmement, la suspension a été accordée malgré la conclusion selon laquelle Sanofi ne subira aucun préjudice irréparable par suite de la délivrance de l’avis de conformité à Apotex. On ne m’a cité aucune jurisprudence qui permettrait d’ordonner la suspension malgré une telle conclusion.

[30]           Apotex a produit une preuve de préjudice irréparable liée à la concurrence de Ratiopharm. Pour le moment, il n’y a aucun autre produit générique de ramipril sur le marché ou sur le point d’y entrer dans un avenir proche. Suivant la preuve d’Apotex, qui n’est pas contredite, la première entreprise qui fait son apparition sur le marché des produits génériques a un avantage permanent et non quantifiable en termes de parts de marché. Sanofi prétend qu’on ne peut pas considérer que la preuve du préjudice irréparable pour Apotex est plus convaincante que la preuve du préjudice irréparable soumise par Sanofi à la Cour fédérale. Cependant, à mon avis, elle est plus convaincante en raison de la délivrance d’un avis de conformité à Ratiopharm, titulaire de la licence de Sanofi, quasiment au même moment que la délivrance d’un avis de conformité à Apotex.

[31]           À l’audience portant sur la requête en suspension, l’avocat de Sanofi a semblé reconnaître le bien-fondé de la preuve d’Apotex au sujet du préjudice irréparable causé par la concurrence de Ratiopharm et il a indiqué que Sanofi s’engagerait à ce que Ratiopharm ne commercialise pas son produit tant que durerait la suspension de l’avis de conformité et qu’Apotex ne serait pas sur le marché. Cette proposition n’apparaît pas dans ses observations écrites et semble avoir été en quelque sorte une réflexion après coup. Je dois considérer que cet engagement est une très faible protection pour Apotex. L’avocat de Sanofi a été incapable de garantir que Sanofi a un droit contractuel de contrôler les activités de commercialisation de Ratiopharm. De plus, ainsi que l’avocat d’Apotex l’a fait remarquer, l’engagement proposé, par ses propres termes, n’empêche pas Ratiopharm d’expédier le produit pour lequel elle a déjà reçu des commandes et n’empêche pas non plus les clients de Ratiopharm de constituer des stocks de son produit et d’en faire la distribution. Je suppose que Sanofi connaît ou sait comment s’y prendre pour connaître tous les faits pertinents sur ses relations contractuelles avec Ratiopharm et toutes les mesures que Ratiopharm a prises pour commercialiser, vendre et expédier son propre produit, et pourtant le dossier est muet sur ces questions.

[32]           Je conclus qu’Apotex a établi qu’elle subira un préjudice irréparable si l’ordonnance interlocutoire n’est pas suspendue.

[33]           Je conclus également que la prépondérance des inconvénients est en faveur de l’octroi de la suspension. Sanofi n’a fourni aucune preuve en réponse à l’affirmation d’Apotex qu’elle subira un préjudice irréparable, et la preuve soumise à la Cour fédérale sur cette question a été jugée insuffisante. Plus important encore, l’octroi de la suspension rétablira le statu quo (c’est-à-dire la situation qui existait avant que la requête en suspension de Sanofi ait été entendue par la Cour fédérale). Cela permettra à Apotex de livrer à Ratiopharm une concurrence normale, ou du moins aussi normale que possible, étant donné le temps qui s’est écoulé depuis que les avis de conformité ont été délivrés à Apotex et à Ratiopharm. 

[34]           Je ferai droit à la requête en suspension d’Apotex, à la condition qu’Apotex, à la demande de Sanofi, prenne toutes les mesures raisonnables pour s’assurer que la procédure en interdiction (T‑87‑06) soit suspendue jusqu’au prononcé de la décision sur la demande contrôle judiciaire (T‑2196‑06), et que la suspension légale soit prorogée à cette fin. Si je comprends bien, l’audience sur la demande de contrôle judiciaire a fait l’objet d'une procédure accélérée en Cour fédérale et une audience est prévue à la fin de mars 2007.

[35]           L’avis de requête d’Apotex comporte une demande d’instruction accélérée de l’appel. Toutes les parties sont d’accord à ce sujet et elles ont accepté de collaborer pour assurer qu’une instruction accélérée soit possible. Une ordonnance sera rendue en conséquence.

 

 

« K. Sharlow »

Juge

 

 

 

 

Traduction certifiée conforme

Suzanne Bolduc, LL.B.

 


COUR D’APPEL FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

DOSSIER :                                                    A-1-07

 

AUDITION D’UNE REQUÊTE VISANT À OBTENIR UNE SUSPENSION DE L’ORDONNANCE DE LA COUR FÉDÉRALE EN DATE DU 29 DÉCEMBRE 2006 (T‑2196‑06)

 

INTITULÉ :                                                   APOTEX INC.

                                                                        c.

                                                                        SANOFI-AVENTIS CANADA INC. et al.

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                             OTTAWA (ONTARIO)

 

DATE DE L’AUDIENCE :                           LE 5 JANVIER 2007

 

MOTIFS DE L’ORDONNANCE :              LA JUGE SHARLOW

 

DATE DES MOTIFS :                                  LE 8 JANVIER 2007

 

COMPARUTIONS :

 

H. B. Radomski

A. Brodkin

Miles Hastie

J. Simpson

POUR L’APPELANTE

 

Gunars A. Gaikis

A. David Morrow

J. Sheldon Hamilton

Nancy Pei

POUR L’INTIMÉE

(Sanofi-Aventis Canada Inc.)

 

F. B. Woywada                                                POUR L’INTIMÉ

                                                                        (Le ministre de la Santé)

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Goodmans s.r.l.

Toronto (Ontario)

POUR L’APPELANTE

 

Smart & Biggar

Toronto (Ontario)

 

John H. Sim, c.r.                                

Ottawa (Ontario)

POUR L’INTIMÉE

(Sanofi-Aventis Canada Inc.)

                                                          

POUR L’INTIMÉ

(Le ministre de la Santé)

 

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