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Date : 20070115

 

Dossier : A-145-06

Référence : 2007 CAF 41

 

CORAM :      LE JUGE LÉTOURNEAU

                        LE JUGE MALONE

                        LE JUGE RYER

 

ENTRE :

LE MINISTRE DU DÉVELOPPEMENT DES RESSOURCES HUMAINES

appelant

et

JOY HOGERVORST

intimée

 

 

 

 

 

 

 

 

Audience tenue à Ottawa (Ontario), le 10 janvier 2007.

Jugement rendu à l’audience à Ottawa (Ontario), le 15 janvier 2007.

 

 

MOTIFS DU JUGEMENT :                                                                     LE JUGE LÉTOURNEAU

Y ONT SOUSCRIT :                                                                                         LE JUGE MALONE

                                                                                                                                 LE JUGE RYER

 


Date : 20070115

Dossier : A-145-06

Référence : 2007 CAF 41

 

CORAM :      LE JUGE LÉTOURNEAU

                        LE JUGE MALONE

                        LE JUGE RYER

 

ENTRE :

LE MINISTRE DU DÉVELOPPEMENT DES RESSOURCES HUMAINES

appelant

et

JOY HOGERVORST

intimée

 

 

 

MOTIFS DU JUGEMENT

 

LE JUGE LÉTOURNEAU

 

[1]               Il s’agit d’un appel de la décision d’un juge de la Cour fédérale (le juge) qui a rejeté une demande de contrôle judiciaire d’une décision rendue le 6 juin 2005 par un membre de la Commission d’appel des pensions (la Commission).

 

[2]               Le membre a accordé à l’intimée une prorogation de délai et l’autorisation d’interjeter appel d’une décision rendue le 4 novembre 1997 par un tribunal de révision. Le généreux délai de quatre‑vingt‑dix (90) jours accordé pour interjeter appel avait pris fin depuis plus de sept ans lorsque le membre a rendu sa décision.

 

[3]               Je suis convaincu sans l’ombre d’un doute que le présent appel devrait être accueilli et que la décision du membre, rendue sans aucun motif à l’appui, ne peut être maintenue.

 

[4]               Avant d’énoncer les motifs pour lesquels le présent appel se doit d’être accueilli, je crois nécessaire de rappeler les principaux éléments de faits et de procédure.

 

LES FAITS ET LA PROCÉDURE

 

[5]               À l’âge de 46 ans, l’intimée, une infirmière autorisée qui n’était pas représentée par un avocat tout au long des différentes instances, a présenté une demande de prestations d’invalidité en vertu du Régime de pensions du Canada, L.R.C. 1985, ch. C-8 (le Régime). Cette demande a été rejetée une première fois de même qu’après un nouvel examen. L’intimée a interjeté appel de la décision. Le tribunal de révision, qui a rejeté l’appel de l’intimée le 4 novembre 1997, lui a expliqué qu’elle pouvait interjeter appel de la décision devant la Commission dans les quatre‑vingt‑dix (90) jours ou dans un délai plus long que le président ou le vice‑président de la Commission pourrait lui accorder. Mais l’intimée n’a pas interjeté appel de la décision rendue par le tribunal de révision (décision TR‑1), qui est devenue définitive et obligatoire en vertu du paragraphe 84(1) du Régime.

 

[6]               En janvier 2000, l’intimée a présenté une deuxième demande de prestations d’invalidité. Vu le caractère contributif du Régime, l’invalidité doit être établie au cours de la période de cotisation de la personne. En l’espèce, selon les cotisations de l’intimée, sa période de cotisation avait pris fin le 31 décembre 1997.

 

[7]               Étant donné que la décision TR‑1 rendue le 4 novembre 1997 était définitive et obligatoire, l’intimée, à l’égard de sa deuxième demande, avait droit à des prestations d’invalidité, mais seulement si elle pouvait établir qu’elle était devenue invalide entre le 5 novembre et le 31 décembre 1997, soit le dernier jour auquel elle satisfaisait aux exigences en matière de cotisation.

 

[8]               La demande de l’intimée fut rejetée à la suite d’un premier examen ainsi qu’après un nouvel examen par l’appelant. Un appel a été interjeté devant un tribunal de révision, qui a rejeté l’appel de l’intimée. Selon ce tribunal, il n’y avait pas de faits nouveaux en regard de la première décision et l’intimée ne l’avait pas convaincu qu’elle souffrait d’une invalidité grave et prolongée avant le 31 décembre 1997.

 

[9]               Cette deuxième décision du tribunal de révision (la décision TR‑2), rendue le 1er octobre 2001, n’a pas été portée en appel par l’intimée et est devenue définitive et obligatoire.

 

[10]           Le 16 novembre 2001, l’intimée a, en vertu du paragraphe 84(2) du Régime, présenté une demande de réouverture de la décision TR‑2. Le paragraphe 84(2) autorise un tribunal de révision à annuler ou à modifier une décision antérieure sur la foi de faits nouveaux.

 

[11]           La demande présentée par l’intimée en vertu du paragraphe 84(2) a été entendue le 6 mars 2002 par un tribunal de révision, qui a conclu que les nouveaux éléments de preuve soumis par l’intimée ne satisfaisaient pas au critère des faits nouveaux. Par conséquent, sa demande fut rejetée.

 

[12]           La Commission a accordé à l’intimée l’autorisation d’interjeter appel de cette troisième décision d’un tribunal de révision (TR‑3). Une objection soulevée quant à la compétence de la Commission d’entendre l’appel fut rejetée par la Commission. En décembre 2004, la Cour a annulé cette décision rendue par la Commission et a conclu qu’elle n’avait pas compétence pour entendre l’appel en question puisqu’il n’y avait aucun fait nouveau. Comme recours, l’intimée pouvait solliciter en Cour fédérale le contrôle judiciaire de la décision TR‑3 rendue en application du paragraphe 84(2).

 

[13]           L’intimée n’a pas présenté de demande de contrôle judiciaire de la décision TR‑3. Elle a plutôt demandé à un membre de la Commission, en mars 2005, une prorogation de délai et l’autorisation d’interjeter appel de la décision TR‑1 rendue le 4 novembre 1997.

 

[14]           La demande de l’intimée a été présentée ex parte et accueillie par un membre de la Commission qui, comme je l’ai mentionné précédemment, a accordé une prorogation de délai et l’autorisation d’appel sans fournir de motifs, bien que plus de sept ans se fussent écoulés depuis le prononcé de la décision TR‑1.

 

[15]           L’appelant a contesté, en vain, la décision concernant la prorogation de délai et l’autorisation d’appel en procédant par voie de contrôle judiciaire à la Cour fédérale. Sa demande fut rejetée par la Cour fédérale le 30 mars 2006.

 

[16]           Le tableau présenté ci‑après, avec renvois au dossier d’appel, résume l’historique de la procédure en l’espèce jusqu’au présent appel.

 

Date

 

Fait

Page

août 1996

L’intimée présente une demande de prestations d’invalidité, qui est rejetée, de même qu’après un nouvel examen

 

4 nov. 1997

La première décision du tribunal de révision (TR‑1) par laquelle l’appel de l’intimée est rejeté

Vol. I, pp. 164-166

31 déc. 1997

La période de cotisation de l’intimée prend fin

Vol. II, p. 610

janv. 2000

L’intimée présente une deuxième demande de prestations d’invalidité, qui est rejetée, de même qu’après un nouvel examen

 

2 oct. 2001

La deuxième décision du tribunal de révision (TR‑2) par laquelle l’appel de l’intimée est rejeté

Vol. III, p. 731

16 nov. 2001

L’intimée demande la réouverture de la décision TR‑2 sur la foi de faits nouveaux

 

6 mars 2002

La troisième décision du tribunal de révision (TR‑3) selon laquelle l’intimée ne satisfait pas au critère relatif aux nouveaux éléments de preuve

Vol II, pp. 462-464

2 oct. 2002

Un membre de la Commission d’appel des pensions accorde à l’intimée l’autorisation d’interjeter appel de la décision TR‑3

Vol III., p 739

14 déc. 2004

La Cour d’appel fédérale annule la décision de la Commission au motif que celle‑ci n’a pas compétence d’entendre des appels de décision où on a conclu qu’il n’y a pas de faits nouveaux

Cahier de la jurisprudence et de la doctrine, onglet 1 (2004 CAF 433)

6 juin 2005

Un membre de la Commission accorde une prorogation de délai et l’autorisation d’interjeter appel de la décision TR‑1

Vol. I, p. 34

30 mars 2006

La Cour fédérale rejette la demande de contrôle judiciaire de l’appelant

Vol. I, p. 6

 

 

ANALYSE DES DÉCISIONS RENDUES PAR LE MEMBRE ET PAR LA COUR FÉDÉRALE

 

[17]           Suite à la demande de contrôle judiciaire déposée devant elle, la Cour fédérale devait examiner la légalité de la décision du membre d’accorder une prorogation de délai et l’autorisation d’interjeter appel de la décision TR‑1. En appel, notre rôle est de décider si la Cour fédérale a commis des erreurs en exerçant sa fonction de surveillance. À mon avis, elle a commis des erreurs qui justifient notre intervention.

 

La décision du membre d’accorder l’autorisation d’interjeter appel de la décision TR‑1 équivaut à une contestation incidente de la décision TR‑2

 

 

[18]           Selon la décision TR‑1, l’intimée n’était pas invalide au cours de la période prenant fin le 4 novembre 1997. Il en va de même pour la décision TR‑2 quant à la période du 5 novembre au 31 décembre 1997. Même si ces deux décisions portent sur des périodes différentes, elles sont nécessairement liées, car elle traitent de la question de l’invalidité de l’intimée.

 

[19]           À vrai dire, un constat d’invalidité pour la période prenant fin le 4 novembre 1997 pouvait difficilement coexister avec la conclusion selon laquelle l’intimée n’est pas invalide pour la période du 5 novembre au 31 décembre 1997, en particulier puisque selon la décision TR‑2, aucun fait nouveau n’avait été présenté en regard de la décision TR‑1. La décision TR‑2 fait le point sur la question de l’invalidité de l’intimée pour la période allant jusqu’au 31 décembre 1997. Ainsi, un appel interjeté contre la décision TR‑1 conteste indirectement la décision TR‑2, qui est également définitive et obligatoire à toutes fins du Régime, en vertu du paragraphe 84(1) du Régime.

 

[20]           Il s’agit ici d’une situation analogue à une demande de révision d’une première décision sans contestation d’une décision subséquemment rendue sur la même question et confirmant la première. Voilà deux décisions distinctes et la deuxième décision doit être contestée directement et non indirectement ; voir Vidéotron Télécom Ltée c. Le Syndicat canadien des communications, de l’énergie et du papier, 2005 CAF 90, au paragraphe 12.

 

[21]           Le juge aurait dû mettre un frein à cette contestation incidente. La Cour a statué dans l’arrêt Sa Majesté la Reine du chef du Canada et al. c. Budisukma Puncak Sendirian Berhad et al. (2005), 338 N.R. 2006, 2005 CAF 267, aux paragraphes 61 et 62 (l’affaire Berhad), que toute contestation incidente de décisions définitives devait être interdite dans l’intérêt public, car une telle contestation encourage un comportement contraire aux objectifs des lois et tend à miner leur efficacité.

 

La décision du membre d’accorder l’autorisation d’interjeter appel de la décision TR‑1 peut donner lieu à des décisions incompatibles

 

 

[22]           Un constat d’invalidité fait dans le cadre de l’appel porté contre la décision TR‑1 serait incompatible avec les décisions TR‑2 et TR‑3. En fait, il irait à leur encontre. Comme l’a affirmé la Cour dans l’affaire Vidéotron Télécom Ltée, au paragraphe 13, « l’état et la stabilité du droit seraient mal servis si l’on permettait la coexistence de deux décisions potentiellement contradictoires » concernant les mêmes parties et la même question.

 

[23]           Là encore, le juge aurait dû intervenir et annuler la décision du membre pour éviter ce genre de conséquence.

 

La décision du membre ne tient pas compte du principe du caractère définitif des décisions et l’enfreint en ce qui concerne les décisions TR‑1, TR‑2 et TR‑3

 

 

[24]           Dans l’affaire Berhad, précitée, au paragraphe 60, la Cour a rappelé le principe selon lequel le délai imposé à quiconque veut contester une décision administrative n’est pas affaire de caprice. « Il existe dans l’intérêt public, afin que les décisions administratives acquièrent leur caractère définitif et puissent aussi être exécutées sans délai, apportant la tranquillité d’esprit à ceux qui observent la décision ou qui veillent à ce qu’elle soit observée, souvent à grands frais ».

 

[25]           En l’espèce, ce rappel est encore plus important étant donné qu’il y avait, en plus de la décision TR‑1 qui est actuellement contestée, deux décisions définitives et obligatoires rendues subséquemment par des tribunaux de révision (TR‑2 et TR‑3), qui vont dans le même sens que la décision TR‑1.

 

[26]           De plus, le paragraphe 84(2) du Régime prévoit une réparation contre une décision antérieure lorsqu’il y a découverte de faits nouveaux et que ceux‑ci sont présentés au tribunal de révision. Cette réparation fut sollicitée par l’intimée et donna lieu à la décision TR‑3. Comme je l’ai mentionné précédemment, la conclusion définitive de la décision TR‑3 était qu’il n’y avait pas de faits nouveaux justifiant une annulation de la décision TR‑2. Cette conclusion correspondait à celle tirée dans la décision TR‑2 selon laquelle aucun fait nouveau n’avait été présenté depuis le prononcé de la décision TR‑1.

 

[27]           La contestation de la décision TR‑1, si on accepte d’y donner suite, peut produire une situation préjudiciable intolérable tant du point de vue de l’intérêt public que de celui de l’équité pour l’appelant. Le juge a commis une erreur en omettant de reconnaître et de donner effet au principe du caractère définitif des décisions dans les circonstances.

 

La décision du membre d’accorder une prorogation de délai pour la présentation d’une demande d’autorisation et d’appel contre la décision TR‑1 constitue un exercice inapproprié de son pouvoir discrétionnaire

 

 

[28]           À mon humble avis, la décision du membre d’accorder une prorogation de délai pour la présentation d’une demande d’autorisation et d’appel contre la décision TR‑1 constitue un exercice inapproprié de son pouvoir discrétionnaire.

 

[29]           Il y a eu débat devant le juge quant à savoir si le membre était légalement tenu de fournir des motifs lorsqu’il a décidé d’accorder la prorogation de délai et l’autorisation. Cela passe à côté de la question et ne tient pas du tout compte des faits et des circonstances de l’espèce.

 

[30]           D’une part, le fait d’accorder, sans fournir d’explication ou de justification, une prorogation de délai et une autorisation de contester une décision définitive plus de sept ans après le prononcé de cette décision ne peut raisonnablement donner lieu qu’à la conclusion que le pouvoir discrétionnaire a été pour le moins exercé de façon inappropriée, sinon arbitraire, particulièrement lorsque deux autres décisions définitives et obligatoires allant dans le même sens, qui portent sur la même question et concernent les mêmes parties, demeurent valides et non contestées.

 

[31]           D’autre part, dans de telles circonstances, le juge siégeant en contrôle judiciaire doit examiner scrupuleusement la décision du membre et fournir des motifs appropriés. C’est ce que le juge a entrepris de faire, mais il a appliqué incorrectement le critère juridique applicable à la question.

 

[32]           Il n’y a aucun débat quant au critère juridique qui s’applique à une requête visant une prorogation de délai pour la présentation d’une demande d’autorisation d’appel ; voir Marshall c. Canada, 2002 CAF 172; Neis c. Baksa, 2002 CAF 230. Ce qu’il faut, c’est :

 

a)         qu’il y ait eu et qu’il y ait une intention constante de la part de la partie qui présente la requête de poursuivre l’appel;

 

b)         que les moyens d’appel révèlent une cause défendable;

 

c)         qu’il y ait une explication raisonnable pour le retard de la partie défaillante;

 

d)         que la prorogation de délai ne cause aucun préjudice à l’autre partie.

 

[33]           Ce critère ne va pas à l’encontre de la déclaration formulée par la Cour il y a plus de vingt (20) ans dans la l’arrêt Grewal c. Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1985] 2 C.F. 263, selon laquelle l’aspect fondamental à prendre en considération dans une demande de prorogation de délai consiste à s’assurer que justice est faite entre les parties. Le critère à quatre volets susmentionné sert d’appui à l’application de cet aspect fondamental. Il s’ensuit qu’une prorogation de délai peut être accordée même si l’un des volets du critère n’est pas respecté ; voir Grewal c. Canada, précité, aux pages 278 et 279.

 

a)   L’intention constante d’interjeter appel de la décision TR‑1

 

[34]           En l’espèce, la nouvelle demande de prestations présentée en janvier 2000, qui a donné lieu à la décision TR‑2, et la révision de cette décision en novembre 2001, dont découle la décision TR‑3, ainsi que le laps de temps de plus de sept ans écoulé avant que l’intimée sollicite une prorogation de délai pour interjeter appel de la décision TR‑1, sont des preuves convaincantes que l’intimée n’avait pas l’intention, et encore moins une intention constante, d’interjeter appel de la décision TR‑1, ni dans les 90 jours prévus à cette fin, ni par la suite.

 

[35]           La conclusion tirée par le membre ou le juge selon laquelle l’intimée avait une intention constante d’interjeter appel de la décision TR‑1 est tout à fait déraisonnable dans les circonstances. Même si l’intimée n’était pas représentée par un avocat, cela ne justifie pas une dérogation aux principes juridiques applicables. Seul le chaos peut résulter de décisions prises ad personam plutôt qu’en fonction de la règle de droit. Notre collègue le juge Pelletier a écrit ce qui suit dans l’arrêt Wagg c. Canada, 2003 CAF 303, au paragraphe 25 :

 

[25] En d’autres termes, les plaideurs qui choisissent de se représenter eux‑mêmes doivent accepter les conséquences de leur choix : [traduction] La cour tiendra donc compte du manque d’expérience et de formation du plaideur, mais ce plaideur doit également comprendre que, dans la décision qu’il a prise de se représenter lui-même, il y a aussi la volonté d’accepter les conséquences qui peuvent découler de son manque d’expérience ou de formation.

(Lieb c. Smith, [1994] N.J. no 199).

 

 

b)   L’existence d’une cause défendable

 

[36]           Pour ce qui est de la question de savoir s’il existe une cause défendable, le juge a écrit ce qui suit au paragraphe 17 de sa décision :

 

[17] Le dossier que la Cour a en main montre que la défenderesse a une solide preuve prima facie qu’elle est atteinte d’une invalidité physique grave et prolongée, qui la rend régulièrement incapable de détenir une occupation véritablement rémunératrice et que cette invalidité durera vraisemblablement pendant une période indéfinie. Voir le paragraphe 42(2) du RPC ci-joint. Il s’agit là d’une constatation de fait.

 

 

[37]           À mon humble avis, j’estime que le juge a adopté le mauvais point de vue pour aborder la question, qui consiste à savoir si la cause de l’intimée est, en droit, défendable. En d’autres mots, est‑ce que l’intimée a une chance raisonnable de succès sur le plan juridique? Dans le meilleur des cas, il s’agit d’une question mixte de fait et de droit.

 

[38]           Je ne vois pas comment on peut dire que la cause de l’intimée est défendable lorsque tant dans la décision TR‑2 que dans la décision TR‑3, qui sont définitives et obligatoires, la conclusion tirée est que l’intimée n’était pas invalide pour la période allant jusqu’au 31 décembre 1997 et qu’aucun fait nouveau n’avait été présenté depuis le prononcé de la décision TR‑1.

 

c)   Une explication raisonnable justifiant le retard

 

[39]           L’intimée n’a fourni aucune explication justifiant la période de ving‑sept mois d’inaction entre le prononcé de la décision TR‑1 (le 4 novembre 1997) et la présentation de sa deuxième demande de prestations (janvier 2000). Au cours des cinq années subséquentes, l’intimée a engagé différentes procédures. Même si cela peut constituer une explication pour cette deuxième période, elle ne permet guère de justifier l’inaction quant à la décision TR‑1. En fait, l’explication montre que l’intimée, à l’époque en cause, ne souhaitait pas poursuivre un appel de la décision TR‑1 puisqu’elle avait exercé d’autres recours, qui se sont avérés infructueux. Le fait que ces recours aient été inefficaces ne justifie pas les cinq autres années qui se sont écoulées avant que l’intimée décide d’interjeter appel de la décision TR‑1.

 

d)   Le préjudice causé à l’autre partie

 

[40]           Le juge a conclu qu’aucune preuve au dossier ne permettait de croire qu’un préjudice serait causé à l’appelant si une prorogation de délai était accordée. Il n’est pas étonnant qu’il n’y ait eu aucune preuve de cette nature étant donné que la demande de prorogation de délai et d’autorisation d’appel s’est déroulée ex parte et que l’appelant ne s’est pas fait entendre sur la question. Il va sans dire que l’intimée avait le fardeau de démontrer qu’aucun préjudice ne serait causé à l’appelant. Il semble que le juge n’ait pas examiné la question du préjudice sous cet angle.

 

[41]           Je conviens avec la juge Heneghan dans la décision Canada (Ministre du Développement des ressources humaines c. de Tommaso, 2005 CF 1531, au paragraphe 20, où l’autorisation d’appel avait été accordée environ sept ans après l’expiration du délai prescrit, que la tenue d’une nouvelle audience devant la Commission après une si longue période de temps causerait vraisemblablement un préjudice à l’appelant.

 

[42]           De plus, l’appelant, tout comme le public et d’autres parties à un litige, a droit à ce que le principe du caractère définitif des décisions soit respecté ; voir Canada (Ministre du Développement des ressources humaines c. Gattellaro, 2005 CF 883 (C.F.). Il est impossible d’éviter l’incertitude et de ne pas porter atteinte à l’appelant, ainsi qu’à l’intérêt public, si la Cour permet les contestations incidentes des décisions TR‑2 et TR‑3 en autorisant qu’un appel de la décision TR‑1 suive son cours.

 

Le juge a-t-il outrepassé les limites du contrôle judiciaire?

 

[43]           L’appelant prétend dans son exposé des faits et du droit que le juge a conclu que l’intimée était invalide. Selon lui, il semble que cette conclusion ait eu un effet sur la décision du juge de rejeter sa demande de contrôle judiciaire. L’appelant cite de nombreux extraits de la transcription de l’instance pour étayer son affirmation.

 

[44]           Je n’ai pas besoin de me pencher sur cette question vu la conclusion que j’ai tirée sur les autres moyens d’appel. Je veux toutefois souligner ceci : je conviens avec l’appelant que le rôle du juge n’était pas de statuer sur l’invalidité de l’intimée ou de donner son opinion personnelle à cet égard.

 

[45]           Le juge a estimé qu’il avait l’obligation de [traduction] « s’occuper » des plaideurs qui ne sont pas représentés par un avocat ; voir la transcription de l’instance, dossier d’appel, vol. III, onglet 10, à la page 906. Cependant, certains de ses commentaires allaient bien au-delà de l’aide à un plaideur non représenté et étaient déplacés dans le contexte du litige qu’il devait trancher.

 

Le membre de la Commission a-t-il commis une erreur en entendant ex parte la demande d’autorisation?

 

[46]           L’article 7 des Règles de procédure de la Commission d’appel des pensions (prestations) énonce expressément qu’« il est statué ex parte » sur les demandes d’autorisation d’interjeter appel « à moins que le président ou le vice‑président n’en décide autrement ». L’appelant reconnaît que le membre de la Commission avait le pouvoir légal de procéder comme il l’a fait.

 

[47]           Cependant, cela dit, je me serais attendu à ce que l’on fasse preuve d’un certain bon sens dans ce processus. Plus de sept ans s’étaient écoulés depuis le prononcé de la décision TR‑1 que l’intimée souhaitait contester. L’appelant avait participé à toutes les instances engagées par l’intimée. Dans ces circonstances inhabituelles, le membre de la Commission aurait dû demander l’avis du président ou du vice-président quant à la pertinence de solliciter des observations de l’appelant en réponse à la demande de l’intimée. Cette façon de faire aurait permis de faire preuve d’équité à l’égard de l’appelant et de se donner de meilleures chances d’arriver à une décision plus éclairée de même qu’elle aurait renforcé la crédibilité de la Commission.

 

CONCLUSION

 

[48]           Pour ces motifs, j’accueillerais l’appel et infirmerais la décision de la Cour fédérale rendue le 30 mars 2006. Rendant le jugement qui aurait dû être rendu, j’accueillerais la demande de contrôle judiciaire de l’appelant et annulerais la décision rendue par le membre de la Commission le 6 juin 2005, par laquelle il a accordé à l’intimée une prorogation de délai et l’autorisation d’interjeter appel de la décision du 4 novembre 1997 rendue par un tribunal de révision. Étant donné qu’il serait inutile de renvoyer l’affaire pour nouvel examen, je rejetterais la demande de prorogation de délai et d’autorisation d’appel présentée par l’intimée ; voir Mobil Oil c. Office des Hydrocarbures, [1994] R.C.S. 202, à la page 228; Yassine c. Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration, [1994] A.C.F. no 949 (C.A.F.), au paragraphe 9; Cartier c. Canada (Procureur général), [2002] A.C.F. no 1386, aux paragraphes 31 à 33; Vézina c. Procureur général du Canada (Ministre du Revenu national), 2003 CAF 67, au paragraphe 7.

 

 

[49]           L’appelant n’ayant pas sollicité de dépens devant la Cour et devant la Cour fédérale, je ne rendrais aucune ordonnance quant aux dépens.

 

 

« Gilles Létourneau »

j.c.a.

« Je souscris aux présents motifs

            B. Malone, j.c.a. »

 

« Je souscris aux présents motifs

            C. Michael Ryer, j.c.a. »

 

 

 

Traduction certifiée conforme

Annie Beaulieu

 


 

COUR D’APPEL FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

 

DOSSIER :                                                    A-145-06

 

APPEL INTERJETÉ VISANT UNE DÉCISION DE LA COUR FÉDÉRALE EN DATE DU 30 MARS 2006, DOSSIER NO T-1205-05

 

 

INTITULÉ :                                                   LE MINISTRE DU DÉVELOPPEMENT DES

                                                                        RESSOURCES HUMAINES c.

                                                                        JOY HOGERVORST

 

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                             OTTAWA (ONTARIO)

 

DATE DE L’AUDIENCE :                           LE 10 JANVIER 2007

 

MOTIFS DU JUGEMENT :                        LE JUGE LÉTOURNEAU

 

Y ONT SOUSCRIT :                                     LES JUGES MALONE ET RYER

 

DATE DES MOTIFS :                                  LE 15 JANVIER 2007

 

 

COMPARUTIONS :

 

Florence Clancy

POUR L’APPELANT

 

Joy Hogervorst

EN SON PROPRE NOM

 

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

John H. Sims, c.r.

Ministère de la Justice

Ottawa (Ontario)

POUR L’APPELANT

 

 

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