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Date : 20061120

Dossier : A-570-05

Référence : 2006 CAF 379

 

CORAM :      LE JUGE LINDEN

                        LE JUGE NOËL

                        LE JUGE EVANS

 

ENTRE :

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

appelant

et

MARTIN R. HYDE

 

intimé

 

 

 

Audience tenue à Halifax (Nouvelle-Écosse), le 15 novembre 2006.

Jugement rendu à Ottawa (Ontario), le 20 novembre 2006.

 

MOTIFS DU JUGEMENT :                                                                                   LE JUGE EVANS

Y ONT SOUSCRIT :                                                                                            LE JUGE LINDEN

LE JUGE NOËL

 

 


 

Date : 20061120

DOSSIER : A-570-05

Référence : 2006 CAF 379

 

CORAM :      LE JUGE LINDEN

                        LE JUGE NOËL

                        LE JUGE EVANS

 

ENTRE :

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

appelant

et

MARTIN R. HYDE

 

intimé

 

 

 

MOTIFS DU JUGEMENT

LE JUGE EVANS

A.        INTRODUCTION

[1]               Il s’agit d’un appel du ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration à l’encontre d’une décision par laquelle un juge de la Cour fédérale a rejeté la demande de contrôle judiciaire du ministre. Le juge des requêtes a confirmé une décision par laquelle la Section d’appel de l’immigration de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié (la « SAI ») avait rejeté une demande du ministre pour que l’appel de Martin R. Hyde, l’intimé en l’espèce, soit rejeté. Le ministre alléguait que l’appel de M. Hyde avait été classé par l’article 197 de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, L.C. 2001, ch. 27 (la « LIPR »). La décision portée en appel est publiée sous l’intitulé Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c. Hyde (2005), 276 F.T.R. 203, 2005 CF 950.

 

[2]               L’article 197 est l’une des dispositions transitoires de la LIPR et il est ainsi rédigé :

197. Malgré l’article 192, l’intéressé qui fait l’objet d’un sursis au titre de l’ancienne loi et qui n’a pas respecté les conditions du sursis, est assujetti à la restriction du droit d’appel prévue par l’article 64 de la présente loi, le paragraphe 68(4) lui étant par ailleurs applicable.

 

 

197. Despite section 192, if an appellant who has been granted a stay under the former Act breaches a condition of the stay, the appellant shall be subject to the provisions of section 64 and subsection 68(4) of this Act.

 

[3]               Cet article a pour effet de mettre fin à la compétence de la SAI à l’égard d’une personne qui tombe sous le coup de cette disposition. En particulier, il empêche la SAI de surseoir à l’exécution d’une mesure de renvoi dans le cadre de l’exercice de sa compétence au titre de l’article 68 de la LIPR. Il fait donc en sorte que les appelants visés soient passibles de renvoi sans avoir la possibilité de faire valoir auprès de la SAI que, pour des motifs d’ordre humanitaire et « vu les autres circonstances de l’affaire », la SAI devrait surseoir à leur renvoi du Canada, même s’ils ont été reconnus coupables d’un crime grave.

 

[4]               Le présent appel porte sur l’interprétation de l’article 197. Plus particulièrement, pour tomber sous le coup de cet article, faut-il qu’un appelant dont le renvoi a été suspendu par la SAI ait commis des infractions auxquelles s’appliquent à la fois l’article 64 et le paragraphe 68(4)? Ou alors, suffit-il que l’une ou l’autre de ces deux dispositions s’applique aux faits particuliers de la cause d’un appelant?

[5]               Le texte de l’article 64 et du paragraphe 68(4) de la LIPR est le suivant :

64.(1) L’appel ne peut être interjeté par le résident permanent ou l’étranger qui est interdit de territoire pour raison de sécurité ou pour atteinte aux droits humains ou internationaux, grande criminalité ou criminalité organisée, ni par dans le cas de l’étranger, son répondant.

 

64.(1) No appeal may be made to the Immigration Appeal Division by a foreign national or their sponsor or by a permanent resident if the foreign national or permanent resident has been found to be inadmissible on grounds of security, violating human or international rights, serious criminality or organized criminality.

 

(2) L’interdiction de territoire pour grande criminalité vise l’infraction punie au Canada par un emprisonnement d’au moins deux ans.

(2) For the purpose of subsection (1), serious criminality must be with respect to a crime that was punished in Canada by a term of imprisonment of at least two years.

[…]

 

 

68.(4) Le sursis de la mesure de renvoi pour interdiction de territoire pour grande criminalité ou criminalité est révoqué de plein droit si le résident permanent ou l’étranger est reconnu coupable d’une autre infraction mentionnée au paragraphe 36(1), l’appel étant dès lors classé.

68.(4) If the Immigration Appeal Division has stayed a removal order against a permanent resident or a foreign national who was found inadmissible on grounds of serious criminality or criminality, and they are convicted of another offence referred to in subsection 36(1), the stay is cancelled by operation of law and the appeal is terminated.

 

 

 

[6]               En l’espèce, le juge des requêtes a conclu que M. Hyde n’était pas visé par l’article 197. Il a été ordonné que ce dernier soit expulsé pour avoir été reconnu coupable au Canada d’une infraction pour laquelle il a été condamné à une peine d’emprisonnement d’au moins deux ans, ce qui répondait donc aux conditions prescrites à l’article 64. Cependant, le paragraphe 68(4) ne s’appliquait pas à lui, car les infractions qu’il avait commises en violation des conditions dont était assorti le sursis à son renvoi n’étaient pas punissables d’un emprisonnement maximal d’au moins dix ans, et qu’il n’avait pas été condamné à une peine de plus de six mois pour ces infractions.

[7]               À mon humble avis, le juge des requêtes a commis une erreur dans son interprétation de l’article 197. Selon moi, un résident permanent dont la SAI a sursis au renvoi avant l’entrée en vigueur de la LIPR, et qui ne respecte pas une condition du sursis accordé, ne peut poursuivre un appel devant la SAI dans l’une ou l’autre des deux conditions suivantes : soit le fondement de la mesure d’expulsion était une condamnation criminelle assortie d’une peine d’emprisonnement d’au moins deux ans, soit l’infraction commise après que la SAI a sursis à la mesure de renvoi était punissable d’un emprisonnement maximal d’au moins dix ans ou qu’un emprisonnement de plus de six mois a été infligé.

 

[8]               Par conséquent, comme il a été ordonné d’expulser M. Hyde par suite d’une infraction visée à l’article 64 (c’est-à-dire, une infraction pour laquelle une peine d’emprisonnement d’au moins deux ans lui a été infligée), la LIPR a mis fin automatiquement à son appel lorsqu’il a enfreint les conditions dont son sursis était assorti. Dans ces circonstances, il importe peu que les infractions ne comportaient pas la commission d’infractions mentionnées au paragraphe 68(4). Je suis donc d’avis de faire droit à l’appel.

 

[9]               Après que le juge a rendu sa décision en l’espèce, la même question d’interprétation de l’article 197 s’est posée dans deux autres causes tranchées par des juges différents de la Cour fédérale : Bautista c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2006 CF 30 (juge Snider) et Carbonaro c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2006 CF 102 (juge Layden-Stevenson).

 

[10]           Contrairement au juge des requêtes en l’espèce, ceux qui se sont prononcés dans Bautista et Carbonaro ont pu bénéficier de l’opinion de la Cour suprême du Canada dans l’arrêt Medovarski c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [2005] 2 R.C.S. 539, 2005 CSC 51, où il était question de l’interprétation d’une disposition transitoire connexe de la LIPR, l’article 196.

 

[11]           Dans les décisions Bautista et Carbonaro, les juges ont considéré comme pertinents pour l’interprétation de l’article 197 les commentaires faits par la Cour dans l’arrêt Medovarski au sujet des objets des articles de la LIPR (dont l’article 196) portant sur le renvoi d’un résident permanent ayant commis un crime grave au Canada. Je suis essentiellement d’accord avec le raisonnement exposé dans les décisions Bautista et Carbonaro.

 

B.        LES FAITS

[12]           M. Hyde, citoyen britannique, a immigré au Canada avec ses parents en 1957, alors qu’il était âgé d’un an. À partir de 1979, il a acquis un lourd casier judiciaire; ses infractions semblent être liées à la drogue. En fin de compte, en janvier 1999, il a fait l’objet d’un rapport fondé sur l’article 27 en tant que personne visée aux sous-alinéas 27(1)d)(i) et (ii) de la Loi sur l’immigration, L.R.C. 1985, ch. I-7, aujourd’hui abrogée, et une enquête a été ordonnée et tenue. L’enquête a été fondée sur la condamnation de M. Hyde en 1998 pour possession de stupéfiants en vue d’en faire le trafic, une infraction pour laquelle il a été condamné à une peine d’emprisonnement de quatre ans et demi. En février 1999, un arbitre de la Section d’arbitrage de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié a conclu que M. Hyde n’était pas admissible et a pris contre lui une mesure d’expulsion en se basant sur les résultats de l’enquête.

 

[13]           À la suite de l’appel de M. Hyde devant la SAI, cette dernière, en juillet 1999, a sursis à l’exécution de la mesure de renvoi le concernant en exerçant son pouvoir discrétionnaire, et ce « eu égard aux circonstances particulières de l’espèce » : alinéa 70(1)b) de l’ancienne Loi sur l’immigration. Les conditions que la SAI a imposées au sursis de la mesure de renvoi incluaient le fait de s’abstenir de consommer et de vendre illégalement de la drogue, de ne pas troubler l’ordre public et d’avoir une bonne conduite. En septembre 2000, la SAI a examiné de nouveau ces conditions et les a renouvelées.

 

[14]           Cependant, M. Hyde ne les a pas respectées. Il a admis à un agent d’immigration avoir consommé de la drogue en mars 2002. En août 2002, il a plaidé coupable à des accusations de voies de fait et de méfait criminel. Pour le premier chef, il a été condamné à une peine d’emprisonnement de huit jours et à douze mois de probation et, pour le second, à une peine d’emprisonnement de huit jours à purger concurremment.

 

[15]           La LIPR est entrée en vigueur en juin 2002. En avril 2003, le ministre a demandé que l’appel de M. Hyde devant la SAI soit rejeté, au motif que la LIPR la privait de sa compétence à l’égard de l’appel. Le ministre a fait valoir que l’article 190 s’appliquait à toutes les procédures en instance au moment de l’entrée en vigueur de la Loi. L’article 192 crée une exception à l’article 190 en disposant qu’un appel interjeté auprès de la SAI avant l’entrée en vigueur de la LIPR se poursuit sous le régime de la Loi sur l’immigration. Cependant, ce principe est lui-même soumis à des exceptions, dont l’article 197, la disposition qui en litige en l’espèce.

 

[16]           Dans une décision datée du 6 août 2003, la SAI a rejeté la demande du ministre. Elle a exprimé l’avis que l’article 197 ne s’appliquait qu’à un appelant qui, d’une part, avait été l’objet d’une mesure d’expulsion pour avoir été reconnu coupable d’une infraction visée à l’article 64 (c’est-à-dire une infraction pour laquelle une peine d’emprisonnement d’au moins deux ans lui avait été infligée) et qui, d’autre part, avait enfreint les conditions dont était assorti le sursis à l’exécution de la mesure de renvoi en perpétrant une infraction visée au paragraphe 68(4) (c’est-à-dire une infraction décrite au paragraphe 36(1) de la LIPR, qui inclut une infraction punissable d’un emprisonnement maximal d’au moins dix ans ou une infraction pour laquelle la personne concernée a été condamnée à un emprisonnement de plus de six mois).

 

[17]           La mesure d’expulsion de M. Hyde était fondée sur une déclaration de culpabilité au criminel au Canada pour laquelle il avait été condamné à une peine d’emprisonnement de plus de deux ans. L’article 64 s’appliquait donc à lui et, si son appel avait été interjeté après l’entrée en vigueur de la LIPR, il n’aurait pu en appeler à la SAI. Cependant, ses déclarations de culpabilité subséquentes pour voies de fait et méfait criminel ne tombaient pas aussi sous le coup du paragraphe 68(4). Ces infractions n’étaient pas punissables d’un emprisonnement maximal d’au moins dix ans, pas plus qu’il n’avait été condamné à une peine de plus de six mois. Par conséquent, si M. Hyde n’avait pas été l’objet d’une mesure d’expulsion à cause de sa condamnation à l’égard d’une infraction visée à l’article 64, le fait d’avoir enfreint la condition d’avoir une bonne conduite en commettant de nouveau une infraction n’aurait pas mis fin à son appel.

 

[18]           Étant donné que seul l’article 64, et non pas aussi le paragraphe 68(4), s’appliquait aux faits relatifs au dossier de M. Hyde, la SAI a conclu que l’article 197 n’excluait pas le principe, énoncé à l’article 192, que les procédures engagées devant la SAI avant l’entrée en vigueur de la LIPR sont continuées sous le régime de la Loi sur l’immigration. Il était donc loisible à la SAI de décider si « eu égard aux circonstances particulières de l’espèce » (dont les condamnations de M. Hyde et la consommation reconnue de drogue), elle devait poursuivre le sursis à l’exécution de la mesure de renvoi et, si oui, à quelles conditions.

 

[19]           Le juge des requêtes a essentiellement adopté - et explicité - le raisonnement de la SAI et a rejeté la demande de contrôle judiciaire du ministre en vue de faire annuler sa décision. La question certifiée par le juge en vue d’un appel, aux termes de l’alinéa 74d) de la LIRP, est la suivante :

L’interprétation faite de l’article 197 de la LIPR dans les présents motifs est-elle correcte compte tenu des faits de l’espèce?

 

 

C.        ANALYSE

[20]           Pour expliquer pourquoi je suis d’accord avec l’interprétation de l’article 197 qui a été adoptée dans les décisions Bautista et Carbonaro, et non avec celle du juge des requêtes en l’espèce, je puis m’exprimer de façon relativement succincte, et souligner ce qui suit.

 

(i) Le texte de l’article 197

[21]           La version anglaise de l’article 197 ne force pas à conclure que ce dernier ne s’applique qu’aux faits qui, dans une affaire instruite après l’entrée en vigueur de la LIPR, empêcheraient à la fois d’interjeter appel auprès de la SAI en vertu de l’article 64 et mèneraient à l’annulation d’un sursis et à la cessation d’un appel interjeté auprès de la SAI pour manquement à une condition, en application du paragraphe 68(4).

 

[22]           L’article 197 dit simplement, en anglais, que si un appelant n’a pas respecté les conditions du sursis, « the appellant shall be subject to the provisions of section 64 and subsection 68(4) » de la LIPR. Le fait qu’un appelant soit assujetti (subject to) aux deux dispositions ne signifie pas nécessairement que les deux doivent s’appliquer aux faits d’une espèce donnée avant que l’article 197 entre en jeu pour classer un appel. Après tout, le mot « and » peut être conjonctif ou disjonctif, suivant le contexte.

 

[23]           Néanmoins, toute ambiguïté présente dans la version anglaise de l’article 197 est absente du texte français, qui ne comporte pas l’équivalent du mot « and », entre les dispositions en question. Sans se reporter à la version française, le juge a accordé une grande importance à la présence du mot « and », qu’il a considéré comme conjonctif. Après avoir déclaré qu’un appelant est assujetti à la restriction imposée au droit d’appel que prévoit l’article 64, la version française de l’article 197 conclut comme suit : « le paragraphe 68(4) lui étant par ailleurs applicable ». L’idée qui en ressort est la suivante : si l’article 64 ne s’applique pas à un appelant particulier, le paragraphe 68(4) lui s’applique.

(ii) Le régime législatif

[24]           L’interprétation de l’article 197 adoptée dans les décisions Bautista et Carbonaro est plus cohérente, ou harmonieuse, avec la conception du régime législatif, en ce sens qu’elle reflète la façon dont l’article 64 et le paragraphe 68(4) s’appliquent dans les affaires postérieures à l’entrée en vigueur de la LIPR. C’est-à-dire que l’article 64 refuse tout droit d’appel devant la SAI à une personne frappée d’une mesure d’expulsion parce qu’elle a été déclarée coupable d’une infraction pour laquelle une peine d’emprisonnement d’au moins deux ans a été infligée. Cependant, une telle personne, comme M. Hyde, qui a interjeté appel et qui s’est vu accorder un sursis avant l’entrée en vigueur de la LIPR, ne sera pas renvoyée si elle se conforme aux conditions dont le sursis est assorti.

 

[25]           La gravité du crime commis, comme en témoigne la durée de la peine d’emprisonnement imposée, qui constitue le fondement d’une mesure d’expulsion, justifie le classement de la peine si l’on enfreint n’importe quelle condition dont le sursis est assorti.

 

[26]           Par contraste, une personne frappée d’une mesure d’expulsion parce qu’elle a été reconnue coupable d’une infraction pour laquelle une peine d’emprisonnement de moins deux ans a été imposée peut quand même interjeter appel devant la SAI après l’entrée en vigueur de la LIPR. Si la SAI surseoit à l’exécution de la mesure de renvoi, l’appel n’est automatiquement classé que si l’appelant est reconnu coupable d’une infraction punissable d’un emprisonnement maximal de dix ans, ou s’il est condamné à une peine d’emprisonnement de plus de six mois. Par conséquent, lorsqu’une mesure d’expulsion est fondée sur une peine d’emprisonnement de moins de deux ans, et si l’appelant convainc la SAI que « vu les autres circonstances de l’affaire », il faudrait surseoir à l’exécution de la mesure de renvoi, l’appel ne peut être classé, aux termes du paragraphe 68(4), qu’en cas de reconnaissance de culpabilité subséquente à l’égard d’une ou plusieurs des infractions graves décrites au paragraphe 36(1).

 

[27]           Le fait de considérer que l’article 197 permet de continuer l’appel de M. Hyde parce que les infractions pour lesquelles il a été reconnu coupable, après s’est vu accorder un sursis, n’étaient pas graves au point de tomber sous le coup du paragraphe 36(1), fait abstraction du fait qu’il a été frappé d’une mesure d’expulsion à cause d’une peine qui était à ce point grave qu’il lui aurait été tout à fait exclu d’interjeter appel auprès de la SAI s’il avait voulu le faire après l’entrée en vigueur de la LIPR.

 

[28]           L’article 64 traite des personnes ayant fait l’objet d’une mesure d’expulsion pour avoir été condamnées à une peine d’emprisonnement de plus de deux ans, et qui, de ce fait, n’ont aucun droit d’appel. Le paragraphe 68(4) traite nécessairement des personnes ayant fait l’objet d’une mesure d’expulsion à cause d’une peine moins sévère, et ces personnes disposent donc d’un droit d’appel, qu’elles peuvent perdre si, après avoir obtenu un sursis, elles commettent une infraction visée au paragraphe 36(1).

 

[29]           Par définition, il s’agit de deux groupes de personnes différents, puisqu’une personne qui a commis une infraction visée à l’article 64, et qui interjette appel auprès de la SAI après l’entrée en vigueur de la LIPR, n’a aucun droit d’appel et ne peut donc jamais obtenir un sursis à son renvoi sous réserve d’un certain nombre de conditions. Dans un appel interjeté après l’entrée en vigueur de la LIPR, le paragraphe 68(4) ne peut donc s’appliquer qu’aux personnes qui n’ont pas commis une infraction visée à l’article 64. Cela étant, il serait anormal que l’article 197 traite de la même façon ceux qui, après l’entrée en vigueur de la LIPR, n’avaient absolument aucun droit d’appel en vertu de l’article 64, et ceux qui bénéficiaient d’un droit d’appel.

 

[30]           L’avocat de M. Hyde a fait valoir que l’inclusion, à l’article 197, du renvoi à l’article 64 a eu pour but de fixer une limite à l’application de l’article 197. Cet article ne s’appliquerait donc jamais à un appelant qui a été l’objet d’une mesure d’expulsion parce qu’il a commis une infraction pour laquelle il a été condamné à une peine d’emprisonnement de moins de deux ans. Cet argument comporte toutefois trois difficultés au moins.

 

[31]           Premièrement, la version française de l’article 197 indique que le renvoi à l’article 64 a pour but de restreindre le droit d’appel : « l’intéressé… est assujetti à la restriction du droit d’appel prévue par l’article 64 de la présente loi ».

 

[32]           Deuxièmement, l’argument revient à dire que l’arrêt Singh c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [2006] 3 R.C.F. 70, 2005 CAF 417, a été tranché erronément. M. Singh avait été frappé d’une mesure d’expulsion pour avoir commis une infraction pour laquelle il avait été condamné à une peine d’emprisonnement de 20 mois (paragraphe 6) (c’est-à-dire, une peine à laquelle ne s’appliquait pas l’article 64). La Cour a néanmoins conclu que son appel auprès de la SAI avait été classé par l’article 197 car, même s’il y avait eu sursis à l’exécution de la mesure de renvoi le concernant, il avait commis une infraction à laquelle s’appliquait le paragraphe 68(4). Selon la théorie de M. Hyde, il n’aurait pas fallu conclure que l’article 197 s’appliquait à M. Singh car ce dernier ne tombait pas à la fois sous le coup de l’article 64 et du paragraphe 68(4).

 

[33]           Troisièmement, il est difficile de justifier la conclusion selon laquelle le législateur a envisagé qu’une personne frappée d’une mesure d’expulsion pour avoir été condamnée à une peine d’emprisonnement de dix-huit mois devrait voir son sursis annulé et son appel classé parce qu’elle a commis par la suite une infraction à laquelle s’applique le paragraphe 68(4), si elle a porté sa cause en appel après l’entrée en vigueur de la LIPR, mais pas si elle l’a fait avant. En fait, un tel résultat serait incompatible avec l’objet législatif de ces dispositions, que j’aborde ci‑après.

 

(iii) L’objet de la loi

[34]           L’objet qui sous-tend les dispositions d’une loi peut jeter un éclairage important sur le sens de dispositions particulières. Dans le contexte de la présente espèce, je ne puis faire mieux que faire écho au commentaire concis et perspicace qu’a formulé la juge Layden-Stevenson dans la décision Carbonaro (au paragraphe 29) :

Il me semble que l’interprétation de l’article 197 fondée sur son objet ne saurait être différente de l’interprétation donnée par la Cour suprême à l’article 196, à savoir faciliter le renvoi de résidents permanents qui se sont livrés à des activités de grande criminalité : Medovarski (paragraphe 9).

 

À l’appui de ce qui précède, je me reporterais aussi au paragraphe 10 des motifs rendus dans Medovarski, ainsi qu’aux paragraphes 43 à 45 de l’arrêt Singh.

[35]           Un examen de l’objet de la loi étaye donc aussi l’interprétation de l’article 197 qui a été adoptée dans Bautista et Carbonara.

 

 

D.        CONCLUSION

[36]           Pour ces motifs, je suis d’avis de faire droit à l’appel, d’infirmer le jugement de la Cour fédérale, d’autoriser la demande de contrôle judiciaire du ministre en vue de faire annuler la décision de la SAI datée du 6 août 2003, d’infirmer la décision de la SAI et de renvoyer l’affaire à cette dernière afin qu’elle statue à nouveau sur la demande du ministre de rejeter l’appel de M. Hyde au motif qu’elle n’avait pas compétence du fait de l’article 197 de la LIPR, le tout sans dépens.

 

[37]           À la question certifiée : « L’interprétation faite de l’article 197 de la LIPR dans les présents motifs est-elle correcte compte tenu des faits de l’espèce? », la réponse est « non ».

 

 

 

« John M. Evans »

Juge

 

« Je souscris aux présents motifs

            A.M. LINDEN, JUGE »

 

« Je souscris aux présents motifs

MARC NOËL, JUGE »

 

 

Traduction certifiée conforme

Alphonse Morissette, LL.L.

 


COUR D’APPEL FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

 

DOSSIER :                                                    A-570-05

 

(APPEL D’UN JUGEMENT DE LA COUR FÉDÉRALE DATÉ DU 7 JUILLET 2005, NO IMM-6961-03)

 

INTITULÉ :                                                   MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION c. MARTIN R. HYDE

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                             HALIFAX (NOUVELLE-ÉCOSSE)

 

DATE DE L’AUDIENCE :                           LE 15 NOVEMBRE 2006

 

MOTIFS DU JUGEMENT :                        LE JUGE EVANS

 

Y ONT SOUSCRIT :                                     LES JUGES LINDEN ET NOËL

 

DATE DES MOTIFS :                                  LE 20 NOVEMBRE 2006

 

 

COMPARUTIONS :

 

François Joyal

POUR L’APPELANT

 

Ian W. H. Bailey

POUR L’INTIMÉ

 

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

John H. Sims, c.r

Sous-procureur général du Canada

 

POUR L’APPELANT

 

Ian W. H. Bailey

Avocat

Charlottetown (Île-du-Prince-Édouard)

POUR L’INTIMÉ

 

 

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