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Date : 20070117

Dossier : A-334-06

Référence : 2007 CAF 52

 

CORAM :      LE JUGE NOËL

                        LE JUGE SEXTON

                        LE JUGE PELLETIER

 

ENTRE :

TOMASZ WINNICKI

appelant

et

LA COMMISSION CANADIENNE DES DROITS DE LA PERSONNE

intimée

 

 

 

Audience tenue à Ottawa (Ontario), le 16 janvier 2007.

Jugement rendu à Ottawa (Ontario), le 17 janvier 2007.

 

MOTIFS DU JUGEMENT :                                                                                 LE JUGE SEXTON

Y ONT SOUSCRIT :                                                                                                LE JUGE NOËL

                                                                                                                         LE JUGE PELLETIER

 


Date : 20070117

Dossier :         A-334-06

Référence : 2007 CAF 52

 

CORAM :      LE JUGE NOËL

                        LE JUGE SEXTON

                        LE JUGE PELLETIER

 

ENTRE :

TOMASZ WINNICKI

appelant

et

LA COMMISSION CANADIENNE DES DROITS DE LA PERSONNE

intimée

 

 

MOTIFS DU JUGEMENT

LE JUGE SEXTON

[1]               Comme l'appelant est encore en détention et comme le présent appel met en doute la pertinence de la peine qu'il purge présentement, je propose de régler l'appel de façon sommaire pour que le statut de l'appelant soit fixé sans délai. On devrait lire les présents motifs en gardant cela à l'esprit.

 

[2]               L'appelant a interjeté appel d'une peine d'incarcération de neuf mois que la Cour fédérale a imposée le 12 juillet 2006 après avoir conclu que l'appelant avait violé une injonction émise par la Cour fédérale le 4 octobre 2005.

 

[3]               L'appelant a fait l'objet d'une plainte devant la Commission canadienne des droits de la personne selon laquelle il avait affiché des messages méprisants sur Internet au sujet de la religion ou de la race de certaines personnes, messages susceptibles d'exposer ces personnes à la haine ou au mépris aux termes du paragraphe 13(1) de la Loi canadienne sur les droits de la personne, L.R.C. 1985, ch. H-6.

 

[4]               La Cour fédérale a accordé une injonction interlocutoire interdisant à l'appelant de continuer à afficher de tels messages sur Internet, en attendant une décision du Tribunal canadien des droits de la personne au sujet des plaintes qui avaient été déposées. L'injonction interlocutoire a été accordée le 4 octobre 2005. Le Tribunal canadien des droits de la personne, qui a entendu la plainte contre l'appelant, n'a rendu sa décision que le 13 avril 2006. Le Tribunal a notamment décidé que l'appelant avait violé le paragraphe 13(1) de la Loi canadienne sur les droits de la personne.

 

[5]               L'injonction précisait que l'appelant devait « s’abstenir de transmettre, au moyen de l’Internet, des messages susceptibles de susciter la haine ou le mépris à l’égard de certaines personnes en raison de leur race, origine ethnique ou nationale, couleur ou religion, en violation du paragraphe 13(1) de la Loi canadienne sur les droits de la personne ».

 

[6]               L'appelant, malgré l'injonction, a continué d'afficher des messages sur Internet et, par conséquent, l'intimée a déposé une requête pour outrage au tribunal.

[7]               Dans un jugement rendu le 12 juillet 2006, la Cour fédérale a conclu que l'appelant avait continué à afficher des messages, contrairement à l'injonction, et a donc déclaré l'appelant coupable d'outrage au tribunal. Dans le même jugement, la Cour fédérale a imposé à l'appelant une peine de neuf mois d'emprisonnement et lui a ordonné de payer les dépens de l’intimée sur la base avocat‑client.

 

[8]               L'appelant a interjeté appel du jugement de la Cour fédérale, alléguant premièrement que le juge avait commis une erreur de principe en ne lui donnant pas l'occasion de formuler des observations au sujet de la peine avant de l’imposer et en ne tenant pas compte de tous les facteurs pertinents quant à la peine. Deuxièmement, l'appelant interjete appel de la peine de neuf mois au motif qu'elle était trop sévère, disproportionnée compte tenu des circonstances et incompatible avec d'autres précédents quant à la détermination d'une peine.

 

Les observations au sujet de la peine

[9]               À l'audience de justification, l'intimée a présenté des observations selon lesquelles l'appelant devait être déclaré coupable d'outrage au tribunal, ainsi que des observations au sujet de la peine appropriée qui devait être imposée. L'appelant, quant à lui, a seulement présenté des observations quant à savoir s'il devrait être déclaré coupable d’outrage au tribunal. Il n'a fait aucune observation au sujet de la peine.

[10]           Le juge a sursis au prononcé du jugement. Huit jours plus tard, il rendait son jugement et déclarait l'appelant coupable d'outrage au tribunal et lui imposait une peine d'emprisonnement de neuf mois.

[11]            L'appelant soutient que les principes de justice naturelle imposent à la Cour l'obligation de permettre la présentation d'observations au sujet de la peine après une déclaration de culpabilité. L'intimée reconnaît que l'appelant avait le droit de présenter des observations au sujet de la peine, mais déclare qu'il avait l'obligation de le faire pendant l'audience devant la Cour fédérale. L'intimée soutient qu'elle a présenté des observations et que l'appelant n'avait aucune raison de ne pas en faire autant. En gardant le silence et en ne demandant pas l'autorisation de présenter des observations ultérieurement, l'appelant a renoncé à ses droits et sa plainte n'est donc pas valide.

 

[12]           Il n’y a donc aucun litige quant au droit d'une personne qui a été déclarée coupable d'outrage au tribunal de présenter des observations au sujet de la peine. La question que la Cour doit trancher est de savoir si l'appelant a renoncé à ce droit en ne présentant pas ses observations au cours de l’audience de justification ou en ne se réservant pas le droit de le faire s'il était déclaré coupable d'outrage au tribunal.

 

[13]           Il me semble que l'appelant n'a pas perdu ce droit. Dans de nombreux cas, il serait en effet difficile, peut-être même impossible, pour l'avocat de présenter des observations au sujet de la peine avant de connaître les conclusions du juge au sujet de la culpabilité de l'accusé. Les observations au sujet d'une peine peuvent varier selon la gravité des conclusions du juge. De plus, l'avocat pourrait souhaiter produire des preuves au sujet de faits à examiner, qui pourraient porter le juge à prescrire une peine moins sévère. De tels faits, en soi, pourraient impliquer l'accusé dans l'infraction et, par conséquent, on ne peut pas s'attendre à ce que l'avocat présente une telle preuve avant que le juge ait conclu que l'accusé est bien coupable d'outrage au tribunal. De telles preuves pourraient fort probablement être interprétées comme étant un aveu de culpabilité. Lors de la détermination de la peine, l'un des facteurs d'atténuation dont il faut tenir compte est de savoir si l’accusé a exprimé des regrets. Évidemment, l’expression de regrets de la part d'un accusé constitueraient une admission. Par conséquent, il ne serait pas prudent de présenter de telles preuves avant que l'accusé ne soit déclaré coupable.

 

[14]           La jurisprudence appuie cette façon de voir. Dans l’arrêt R. c. K. (B.), [1995] 4 R.C.S. 186, à  la page 198, la Cour suprême du Canada a déclaré :

De plus, si le témoin est déclaré coupable d'outrage au tribunal, il faut lui donner la possibilité de présenter des observations relativement à la peine appropriée. Cela n'a pas été fait, et il n'était pas nécessaire de déroger à toutes ces formalités. [Non souligné dans l'original.]

 

 

La Cour d'appel de la Colombie-Britannique a exprimé une idée semblable dans MacMillan Bloedel Ltd. c. Simpson (1993), 106 D.L.R. (4th) 540 (C.A.C.-B.) :

 

[traduction]

Après avoir déclaré l'appelant coupable d'outrage au tribunal, le juge, par méprise, a omis de demander à l'avocat de présenter des observations au sujet de la peine.

 

 

[15]           Dans une affaire très semblable, une audience de justification avait été tenue après violation d'une injonction interdisant l'affichage de messages haineux. Le juge Teitelbaum de la Cour fédérale avait conclu que Liberty Net avait violé une injonction interdisant l’affichage de messages haineux sur Internet. Le juge Teitelbaum a conclu qu'il s'agissait d'une violation grave et a déclaré « [c]'est pour cette raison que j'ai ordonné aux parties de comparaître devant moi aujourd'hui pour faire des observations quant à la peine qui devrait être imposée ». (Canada (Commission des droits de la personne) c. Canadian Liberty Net, [1992] A.C.F. no 723.)

[16]           Je conclus que l'approche du juge Teitelbaum est la procédure à suivre après une déclaration de culpabilité pour outrage au tribunal. Comme le juge en l'espèce n'a pas suivi cette procédure, l'appelant a été privé de son droit absolu de présenter des observations au moment opportun. L'accusé ne peut pas, avant la déclaration de culpabilité, avoir le fardeau de présenter des observations au sujet de la peine ou de se réserver le droit de le faire ultérieurement.

 

La peine était-elle appropriée?

[17]           Le juge a déclaré :

Je conclus que M. Winnicki a désobéi à l’ordonnance en date du 4 octobre 2005 du juge de Montigny. En vue d’établir la sanction opportune, il convient d’examiner les facteurs pertinents. Comme l’a déclaré le juge Lemieux dans Lyons Partnership, L.P. c. MacGregor (2000), 186 F.T.R. 241, les facteurs à prendre en compte sont les suivants :

 

1.    la gravité de l’outrage, appréciée en fonction des faits particuliers de l’espèce relatifs à l’administration de la justice;

 

2.    la question de savoir si l’infraction d’outrage constitue une première infraction;

 

3.    la présence de facteurs atténuants telles la bonne foi ou des excuses;

 

4.    la dissuasion d’un comportement semblable.

 

 

 

[18]           Bien que le juge ait correctement invoqué les critères à examiner, il s'est privé de la possibilité de les examiner convenablement lorsqu'il n'a pas donné à l'appelant l'occasion de présenter des observations avant que la peine soit imposée. De telles observations auraient permis au juge de correctement tenir compte du fait qu'il s'agissait de la première infraction de l'appelant.

 

[19]           À la suite de son incarcération, l'appelant a présenté une demande de sursis à la peine en attendant l’audition de son appel. Il a déjà purgé 83 jours en prison. Parmi les documents qui ont été présentés au juge qui a accordé le sursis et a ordonné la mise en liberté sous condition de l'appelant se trouvaient la preuve selon laquelle l'outrage au tribunal était la première infraction de l'appelant.

[20]           La jurisprudence est claire : la cour doit faire particulièrement attention lorsqu'elle impose une peine d'emprisonnement dans le cas d'une première infraction. Le juge devrait avoir un rapport présentenciel ou un énoncé clair au sujet des antécédents et de la situation de l'accusé, en particulier lorsqu'il s'agit d'un jeune contrevenant, comme l'appelant en l'espèce. De plus, il a été reconnu qu'à l'exception d'infractions très graves ou d'infractions avec violence, la meilleure façon d'atteindre l'objectif principal de la dissuasion individuelle est d'ordonner soit une sentence suspendue ou une probation, soit une peine d'emprisonnement de courte durée suivie d'une période de probation. (Voir R. c. Gladue, [1999] 1 R.C.S. 688.) Dans R. c. Priest, [1996] O.J. no 3369, aux paragraphes 20 et 23, la Cour d'appel de l'Ontario a déclaré :

[traduction]

Dans le cas d'une première infraction, l'obligation d'examiner d'autres dispositifs avant d'imposer une peine d'emprisonnement n'est pas un formalisme creux que l’on peut contourner en faisant appel à l'objectif de la dissuasion générale. Il doit ressortir clairement du dossier de la procédure, préférablement des motifs du juge, pourquoi les circonstances de l'affaire exigent qu'une personne qui n’a jamais commis d’infraction auparavant soit condamnée à une peine d'emprisonnement. La preuve dont le juge était saisi ne lui permettait pas de tirer cette conclusion. Il n'y a aucune explication dans ses motifs qui justifie une telle exception à ce principe bien établi, notamment dans le cas d'une jeune personne n’ayant pas d’antécédents judiciaires.

 

Même si une peine d'emprisonnement était appropriée en l'espèce, la Cour a bien établi le principe d'imposition de la peine selon lequel un emprisonnement pour une première infraction doit être aussi court que possible et doit tenir compte de la situation particulière de l'accusé plutôt que de servir uniquement de dissuasion générale. […]

 

 

Dans le même ordre d'idées, dans l'affaire R. c. Curran (1973), 57 Cr. App. R. 945, il a été noté que :

 

[traduction]

De façon générale, il n'est pas souhaitable qu'une première peine d'emprisonnement immédiat soit longue, disproportionnée par rapport à la gravité de l'infraction et imposée, comme ce fut le cas pour la peine en l'espèce, pour des motifs de dissuasion générale et qu’elle serve d'avertissement à d'autres personnes. La durée d'une première peine doit être déterminée raisonnablement, en tenant compte de la dissuasion individuelle et du type de peine nécessaire pour donner au contrevenant une leçon qu'il n'a pas apprise des peines allégées qu'il a déjà reçues.

 

 

 

[21]           Il est clair qu'en l'espèce, comme le juge n'a pas tenu compte des antécédents et de la situation de l'appelant, et qu'il n'a pas mentionné dans ses motifs qu'il s'agissait de la première infraction de l'appelant, la Cour doit réviser la peine.

[22]           Lorsque le juge commet une erreur de principe ou ne tient pas compte d'un facteur pertinent, la Cour doit examiner la peine qui a été imposée afin de déterminer si elle était appropriée. (R. c. Rezaie (1996), 112 C.C.C. (3d) 97 (C. A. Ont.).)

[23]           Dans des situations factuelles semblables, les peines imposées étaient :

1.      sept jours (R. c. Richard, [1980] O.J. no 1507);

2.      deux mois, ensuite réduit à deux jours par la Cour d'appel, (Canada (Commission des droits de la personne) c. Canadian Liberty Net, [1992] A.C.F. no 723 (C.F. 1re inst.), [1996] A.C.F. nº 100 (C.A.F.));

 

3.      30 à 60 jours (MacMillan Bloedel Ltd. c. Blaker, [1994] B.C.J. no 1458 (C.A.C.-B.));

 

4.      une amende (Canada (Ministre du Revenu national - M.R.N.) c. Wigemyr, [2004] A.C.F. 1123 (C.F.));

 

5.      cinq semaines (R. c. Priest, [1996] O.J. no 3369 (C.A. Ont.));

6.      troisième infraction d'outrage au tribunal - quatre mois (MacMillan Bloedel Ltd. c. Simpson (1993), 106 D.L.R. (4th) 540 (C.A.C.-B.)).

 



[24]           Comme l'appelant n'a pas eu l'occasion de présenter des observations au sujet de la peine devant la cour d'instance inférieure, il a été convenu que la Cour entendrait ces observations, qui étaient les suivantes :

1.      Il s'agissait de la première infraction de l'appelant.

2.      L'appelant occupe un emploi rémunéré comme programmeur pour le même employeur depuis 1999. Il travaille 44 heures par semaine, on s'attend à ce qu'il fasse des heures supplémentaires, et il est perçu comme un excellent employé indispensable au succès de la compagnie.

 



[25]           Compte tenu de ces facteurs et du fait que l'appelant a déjà purgé 83 jours d'emprisonnement, à mon avis, sa peine devrait être réduite de façon à équivaloir au temps déjà purgé. Par conséquent, j’accueillerais l’appel et je réduirais la peine au temps déjà purgé.

[26]            En ce qui a trait aux dépens, l'appelant a soutenu qu'il ne devrait pas y avoir adjudication de dépens dans l'appel et je suis du même avis.

[27]           L'adjudication des dépens par le juge de la Cour fédérale devrait rester la même puisque la déclaration de culpabilité pour outrage au tribunal n'a pas été contestée.

 

« J. Edgar Sexton »

Juge

 

« Je souscris aux présents motifs

 Marc Noël, juge »

 

« Je souscris aux présents motifs

 J.D. Denis Pelletier, juge »

 

 

 

 

 

Traduction certifiée conforme

Evelyne Swenne, traductrice


COUR D'APPEL FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

 

DOSSIER :                                                                            A-334-0606

 

APPEL D'UN JUGEMENT DE LA COUR FÉDÉRALE RENDU LE 12 JUILLET 2006, DOSSIER NO T-1309-05

 

INTITULÉ :                                                                           Tomasz Winnicki c. La Commission canadienne des droits de la personne

 

LIEU DE L'AUDIENCE :                                                     Ottawa (Ontario)

 

DATE DE L’AUDIENCE :                                                   Le 16 janvier 2007

 

MOTIFS DU JUGEMENT :                                                Le juge Sexton

 

Y ONT SOUSCRIT :                                                             Le juge Noël

                                                                                                Le juge Pelletier

 

DATE DES MOTIFS :                                                          Le 17 janvier 2007

 

 

COMPARUTIONS :

 

James Foord

POUR L’APPELANT

 

Joy Noonan

Judith Parisien

POUR L’INTIMÉE

 

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Foord, Murray

Ottawa (Ontario)

 

POUR L’APPELANT

 

Heenan Blaikie LLP

Ottawa (Ontario)

POUR L’INTIMÉE

 

 

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