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7

Date : 20070117

Dossiers : A-612-05

A-613-05

Référence : 2007 CAF 53

CORAM :      LE JUGE LÉTOURNEAU

                        LE JUGE EVANS

                        LE JUGE MALONE

 

ENTRE :

A-612-05

XCO INVESTMENTS LTD.

appelante

et

SA MAJESTÉ LA REINE

intimée

 

 

A-613-05

WEST TOPAZ PROPERTY LTD.

appelante

et

SA MAJESTÉ LA REINE

intimée

 

Audience tenue à Vancouver (Colombie-Britannique), le 17 janvier 2007

Jugement rendu à l’audience à Vancouver (Colombie-Britannique), le 17 janvier 2007

 

MOTIFS DU JUGEMENT DE LA COUR :                                   LE JUGE LÉTOURNEAU


 

Date : 20070117

Dossiers : A-612-05

A-613-05

Référence : 2007 CAF 53

 

CORAM :      LE JUGE LÉTOURNEAU

                        LE JUGE EVANS

                        LE JUGE MALONE

 

ENTRE :

A-612-05

XCO INVESTMENTS LTD.

appelante

et

SA MAJESTÉ LA REINE

intimée

 

 

A-613-05

WEST TOPAZ PROPERTY LTD.

appelante

et

SA MAJESTÉ LA REINE

intimée

 

 

MOTIFS DU JUGEMENT DE LA COUR

(Prononcés à l’audience à Vancouver (Colombie-Britannique), le 17 janvier 2007)

 

 

LE JUGE LÉTOURNEAU

 

[1]               Il s’agit en l’espèce des appels qui ont été interjetés d’une décision que le juge en chef Bowman (le juge en chef) de la Cour canadienne de l’impôt (la Cour de l’impôt) a rendue le 14 novembre 2005. Le juge en chef a accueilli en partie les appels des appelantes. Il a réduit de 557 556 $ le revenu attribué aux appelantes par le ministre du Revenu national.

 

Les questions soulevées en appel

 

[2]               Les appels soulèvent trois questions :

 

a)         Le juge en chef a-t-il commis une erreur en appliquant la disposition particulière sur l’évitement fiscal contenue au paragraphe 103(1) de la Loi de l’impôt sur le revenu (la Loi) afin de réattribuer le revenu que les appelantes avaient au départ attribué à Woodwards Store Limited (Woodwards), récemment admise comme troisième associée dans leur société de personnes?

 

b)         Le juge en chef a-t-il commis une erreur en établissant que la somme raisonnable à attribuer à Woodwards en vertu du paragraphe 103(1) de la Loi était de 557 556 $?

 

c)         Si le juge en chef a fait erreur en appliquant le paragraphe 103(1) à l’attribution du revenu de la société de personnes, la disposition générale anti-évitement (DGAE) de l’article 245 de la Loi peut‑elle être appliquée pour réattribuer le revenu entre les associés?

 

[3]               Ces trois questions, comme nous allons le voir, englobent les cinq points en litige énoncés par les appelantes dans leur mémoire des faits et du droit.

 

Les faits sous-jacents à la décision de la Cour de l’impôt

 

[4]               Les appels ont été entendus ensemble par la Cour de l’impôt et ont été interjetés contre des cotisations établies pour les années d’imposition 1993 et 1994 des appelantes.

 

[5]               La présente affaire porte principalement sur une société de personnes appelée The West Topaz Real Estate Partnership (la société de personnes), créée le 6 décembre 1986. Les premiers associés étaient Bosa Brothers Construction Ltd. (BBCL) et XCO Investments Ltd. (XCO), qui détenaient des participations de 99 % et 1 % respectivement. Ce partage des participations reflétait les apports de capital initiaux de 99 $ et 1 $ respectivement. Les deux associés étaient des filiales en propriété exclusive d’Astron Realty Group Inc., une société contrôlée par Natale Bossa (XCO Investments Ltd. c. La Reine, 2005 CCI 655, paragraphes 5 et 6 [XCO CCI]). Lorsque la société de personnes a été créée en 1986, le contrat de société de personnes prévoyait que, pour fins fiscales et comptables, le revenu serait attribué aux associés conformément à leur participation proportionnelle respective (contrat de société de personnes, article VII, cité dans XCO CCI, idem, au paragraphe 7).

 

[6]               En décembre 1986, le mois pendant lequel la société de personnes a été créée, deux biens ont été transférés à la société de personnes : Topaz Apartments et Westhill Apartments. Ce dernier bien a été transféré par BBCL. BBCL a également transféré sa participation dans la société de personnes à l’appelante, West Topaz Property Ltd. (West Topaz), qui venait d’être constituée comme filiale en propriété exclusive d’Astron Realty Group, Inc. (XCO CCI, précité, note 2, paragraphes 8, 6). Le juge en chef a dit :

 

Ainsi, de 1986 à 1992, la société de personnes se composait de West Topaz, dans une proportion de 99 %, et de XCO, dans une proportion de 1 %. La société de personnes était propriétaire de deux immeubles d’appartements, Topaz Apartments et Westhill Apartments. West Topaz agissait comme fiduciaire pour la société de personnes (idem, paragraphe 9).

 

 

[7]               En 1992, il y a eu une série d’opérations qui ont donné lieu aux présents appels. Ces opérations sont décrites de façon détaillée au paragraphe 11 des motifs du juge en chef. En résumé, trois opérations ont été effectuées en prévision de la vente des Westhill Apartments par la société de personnes :

 

a)         Woodwards, une société ouverte œuvrant dans le commerce de détail et ayant d’importantes pertes autres qu’en capital accumulées, ne s’est jointe à la société de personnes que relativement à Westhill Apartments. On lui a donné le droit de participer à 80 % du bénéfice d’exploitation et des rentrées nettes de fonds relativement à Westhill Apartments. En contrepartie, elle a fait un apport en espèces égal à 80 % de l’avoir net estimatif de la société de personnes dans Westhill Apartments, moins l’encours des prêts hypothécaires, et moins une réduction de 6,5 %, de manière à tenir compte du fait que l’assiette d’imposition du bien était inférieure à sa valeur actuelle. La juste valeur marchande de Westhill Apartments était estimée à 10 800 000 $. Les hypothèques sur ce bien atteignaient au total 8 500 000 $ (il en sera question plus loin). Si l’on soustrait la réduction de 6,5 % et les hypothèques, Woodwards a fait un apport de 1 260 000 $.

 

b)         Avant que Woodwards soit admise dans la société de personnes, il y avait deux hypothèques sur ce bien, d’une valeur totale de 3 500 000 $. Le 13 mars 1992, Natale Bossa a préparé une série de paiements pour hypothéquer le bien de 5 000 000 $ et pour permettre l’admission de Woodwards dans la société de personnes. Cette série de paiements comprenait un virement de fonds circulaire de Bosa Development Corporation, grâce à :

i)          une prime à Natale Bossa;

ii)         un prêt d’actionnaire à Bancorp, société de personnes contrôlée par Natale Bossa;

iii)         un prêt hypothécaire à la société de personnes;

iv)        un remboursement du prêt hypothécaire de Bosa Development Corporation.

 

c)         Le 19 mars 1992, le contrat de société initial a été modifié de façon importante de manière à refléter la participation de 80 % de Woodwards dans Westhill Apartments, dont West Topaz détenait une participation de 19,8 % et XCO une participation de 0,2 %. Les associés ont accepté de partager la distribution du produit de la vente en proportion de leurs participations. Woodwards avait le droit pendant une période de 180 jours de se retirer de la société de personnes, mais une fois le bien Westhill Apartments vendu, elle ne pouvait se retirer qu’après la fin de l’exercice suivant de la société de personnes. La définition d’ « associé majoritaire » a été révisée de manière à désigner West Topaz plutôt que le détenteur d’une participation majoritaire (idem, paragraphe 11).

 

[8]               Le 20 mars 1992, 420688 BC Ltd., une société sans lien de dépendance, a acheté Westhill Apartments pour la somme de 10 850 000 $.

 

[9]               Le 25 mars 1992, Woodwards a conclu avec la société de personnes et le cabinet d’avocats Owen Bird un contrat de dépôt entre les mains d’un tiers qui prévoyait que l’apport de 1 260 000 $ de Woodwards à la société de personnes serait détenu en fiducie par Owen Bird. Comme l’indique clairement une référence dans le contrat de dépôt entre les mains d’un tiers, un peu avant le 25 mars 1992, Woodwards a préparé et remis à la société de personnes un avis indiquant qu’elle se retirait de la société de personnes : voir le dossier d’appel, vol. 1, page 311, paragraphe 4. Le juge en chef a mentionné les faits suivants tirés des arguments des appelantes :

 

[traduction] La vente de Westhill Apartments s’est conclue le 8 juillet 1992, avec la réception du produit de vente de 10 090 467 $, sans compter un versement initial de 750 000 $ effectué précédemment. Le produit a été versé comme suit :

 

1 715 736 $ à la SCHL;

1 860 952 $ à la Compagnie Trust National;

5 000 000 $ à Bancorp en remboursement du prêt relatif à l’hypothèque non enregistrée;

2 917 $ en frais juridiques;

1 510 862 $ à l’appelante;

 

Le 13 juillet 1992, l’appelante a reçu le versement initial de 750 000 $;

 

Le 13 juillet 1992, le cabinet d’avocats Owen Bird a reçu pour instructions de remettre à la société de personnes les 1 260 000 $ déposés entre les mains du cabinet d’avocats à titre de tiers, plus 25 200 $ d’intérêts courus. Un chèque a été fait à l’ordre de l’appelante et déposé dans le compte de cette dernière à la Banque Royale;

 

Le 15 mai 1993, Woodwards a transféré sa participation dans la société de personnes à l’appelante pour 1 $ et une autre contrepartie de valeur;

 

Pour l’exercice de la société de personnes se terminant le 30 avril 1992, Woodwards s’est vu attribuer un bénéfice d’exploitation pour fins comptables de 11 563 $ sur un total de 292 066 $. Aux fins de l’impôt, le bénéfice d’exploitation attribué à Woodwards a été de 118 405 $ sur un total de 292 066 $;

 

Le 4 mai 1992, Woodwards a reçu une lettre l’avisant que sa part de bénéfice d’exploitation distribuable pour mars 1992 était de 8 827 $. Un chèque de ce montant accompagnait la lettre;

 

Un résumé de la distribution du produit net de vente en date du 13 juillet 1992 indique un produit net de 2 260 862 $ (1 510 862 $ + 750 000 $). La part de 80 % du produit revenant à Woodwards a été calculée comme s’élevant à 1 808 689,86 $. L’appelante a donc envoyé à Woodwards un chèque de ce montant, le 13 juillet 1992. Le produit aurait été de 7 260 862 $ sans le prêt hypothécaire de 5 000 000 $ de Bancorp;

 

Pour l’exercice de la société de personnes se terminant le 30 avril 1993, Woodwards s’est vu attribuer un revenu de société de personnes de 5 748 931 $, soit un montant de 5 725 794 $ relatif au gain sur la vente de Westhill Apartments et un montant de 23 137 $ relatif au bénéfice d’exploitation. Ce revenu a été abrité de l’impôt grâce à l’utilisation de pertes autres qu’en capital de Woodwards;

 

Pour l’exercice de la société de personnes se terminant le 30 avril 1994, le reste du montant de 6 652 877 $ dans le compte de capital de Woodwards a été réattribué aux associés restants. L’appelante s’est vu attribuer une proportion de 99 % et XCO, une proportion de 1 %; (idem)

 

 

[10]           En réponse à cette attribution de revenu, l’intimée a indiqué qu’à son avis, Woodwards n’était pas un associé dans la société de personnes et elle a réattribué l’ensemble du revenu attribué à Woodwards aux deux appelantes, conformément à leurs participations respectives de 99 % et de 1 % (idem, paragraphe 12). Les appelantes ont interjeté appel de cette réattribution devant la Cour de l’impôt.

Le juge en chef a-t-il commis une erreur en appliquant la disposition anti-évitement contenue au paragraphe 103(1) de la Loi?

 

 

[11]           Le paragraphe 103(1) de la Loi prévoit ce qui suit :

 

103. (1) Lorsque les associés d’une société de personnes sont convenus de partager en proportions déterminées tout revenu ou perte de la société de personnes provenant d’une source donnée ou de sources situées dans un endroit déterminé ou tout autre montant qui se rapporte à une activité quelconque de la société de personnes et qui doit entrer en ligne de compte dans le calcul du revenu ou du revenu imposable de tout associé de cette société de personnes et lorsqu’il est raisonnable de considérer que cette convention a pour objet principal de réduire les impôts ou de différer le paiement des impôts qui auraient pu être ou devenir payables par ailleurs en vertu de la présente loi, la part du revenu ou de la perte, selon le cas, ou de l’autre montant, revenant à chaque associé de la société de personnes est le montant qui est raisonnable, compte tenu des circonstances, y compris les proportions dans lesquelles les associés sont convenus de partager les profits et les pertes de la société de personnes provenant d’autres sources ou de sources situées à d’autres endroits.

 

103. (1) Where the members of a partnership have agreed to share, in a specified proportion, any income or loss of the partnership from any source or from sources in a particular place, as the case may be, or any other amount in respect of any activity of the partnership that is relevant to the computation of the income or taxable income of any of the members thereof, and the principal reason for the agreement may reasonably be considered to be the reduction or postponement of the tax that might otherwise have been or become payable under this Act, the share of each member of the partnership in the income or loss, as the case may be, or in that other amount, is the amount that is reasonable having regard to all the circumstances including the proportions in which the members have agreed to share profits and losses of the partnership from other sources or from sources in other places.

 

 

                                                                                                                                (Non souligné dans l’original.)

 

 

[12]           Il n’est maintenant plus contesté qu’une société de personnes valable existait entre Woodwards et les appelantes. Le juge en chef était convaincu que les relations juridiques créées par le contrat de société de personnes ne correspondaient pas à des opérations trompe‑l’œil et qu’elles étaient authentiques et valables : voir les paragraphes 14 et 15 de sa décision.

 

[13]           Cela dit, il a conclu à juste titre, à mon avis, que l’admission de Woodwards dans la société de personnes était principalement motivée par des considérations fiscales, du moins du point de vue des appelantes. À l’audience devant la Cour, l’avocat des appelantes a reconnu la même chose. Pour une mise de fonds d’un peu plus d’un demi-million de dollars, les appelantes s’attendaient à réaliser des économies d’impôt de plus de 2 000 000 $ : voir le paragraphe 31 de sa décision. Le juge en chef a été « incapable de déterminer une fin commerciale ou non fiscale » : ibidem.

 

[14]           Les appelantes soutiennent que le paragraphe 103(1) ne s’applique pas en l’espèce puisqu’il y avait partage des profits et non échange de pertes. Elles invoquent la décision de la Cour de l’impôt dans l’affaire Loyens c. Sa Majesté la Reine, 2003 CCI 214, dans laquelle le juge a écrit, au paragraphe 110 :

 

Après avoir lu les affaires en question, je ne vois pas comment l’intimée peut dégager des commentaires quelconques qui appuient l’assertion selon laquelle le partage des profits est interdit […] De toute évidence, la décision OSFC Holdings Ltd. interdit l’échange de pertes. Toutefois, je n’étendrai pas la portée des principes énoncés dans l’affaire OSFC Holdings Ltd. concernant l’échange de pertes pour conclure que le partage des profits est interchangeable avec l’échange de pertes.

 

 

[15]           L’affaire Loyens a donné lieu à une analyse de l’article 245 (DGAE) pour déterminer s’il y avait eu abus des dispositions de la Loi dans son ensemble. Le paragraphe 103(1) porte sur un autre problème et prévoit un critère différent. Ce paragraphe s’applique lorsqu’il y a partage des revenus (ou des pertes) de la société de personnes, comme c’est le cas en l’espèce.

 

[16]           Puisqu’on a conclu que le paragraphe 103(1) s’appliquait parce qu’il y avait partage des revenus et que le principal motif de l’entente avec Woodwards était la réduction de l’impôt qu’elle aurait payé autrement, cela nous amène à la deuxième question à laquelle il faut répondre, c’est‑à‑dire celle de savoir si l'attribution du revenu aux associés était déraisonnable.

 

[17]           Le juge en chef a conclu que l’attribution de 80 % du revenu provenant de Westhill Apartments à Woodwards était déraisonnable étant donné que la contribution de Woodwards a été à la fois éphémère et, à toutes fins pratiques, sans risque : voir les paragraphes 33 et 34 de sa décision. Il s’agit de conclusions portant sur des questions de fait ou des questions mixtes de droit et de fait qui ne peuvent être infirmées en appel que si les appelantes nous convainquent que le juge a commis une erreur manifeste et dominante.

 

[18]           À notre avis, il y avait suffisamment de preuves étayant les conclusions du juge. M. Lazzari, comptable principalement responsable des affaires fiscales de Bosa Development Corporation, a déclaré que l’association de Woodwards n’avait jamais été vue comme une entente à long terme : voir la transcription de l’audience, vol. 1, pages 90, 93 et 214. En réalité, il n’y avait aucun lien d’intérêt commercial entre Woodwards, société ouverte œuvrant dans le commerce de détail, et la société de personnes, exploitant une entreprise de location. La vente de Westhill Apartments était imminente et on ne s’attendait pas à ce que Woodwards demeure un associé au‑delà de l’exercice financier au cours duquel la vente a eu lieu.

 

[19]           En ce qui concerne le fait que la contribution de Woodwards à la société de personnes était pour ainsi dire sans risque, la preuve dont a été saisi le juge en chef a révélé que le contrat de société de personnes, après modification, limitait expressément la responsabilité de Woodwards aux dettes ou aux obligations liées à Westhill Apartments.

 

[20]           De plus, en vertu d’un contrat de dépôt entre les mains d’un tiers, l’apport de Woodwards était protégé jusqu’à ce qu’elle accepte de débloquer les fonds ou jusqu’à ce qu’elle reçoive sa distribution initiale provenant de la vente de Westhill Apartments. En fait, c’est ce qui s’est produit : l’apport de Woodwards à la société de personnes n’a été débloqué du contrat de dépôt entre les mains d’un tiers qu’après qu’elle a reçu le paiement intégral de la vente de Westhill Apartments : voir le dossier d’appel, à la page 342, lettre des appelantes au cabinet d’avocats Owen Bird, dans laquelle ces dernières accusent réception du paiement de la distribution initiale faite à Woodwards et demandent le déblocage de l’apport de Woodwards en vertu du contrat de dépôt entre les mains d’un tiers. En se fondant sur cette preuve, le juge en chef pouvait conclure que l’apport de Woodwards était, « à toutes fins pratiques, sans risque ».

 

[21]           Les appelantes affirment que le juge en chef n’a pas tenu compte du fait que la disposition concernant l’attribution des revenus et des pertes entre les associés de la société de personnes, à des fins fiscales et comptables, a été adoptée plus de cinq ans avant que Woodwards ne se joigne à cette société de personnes. Elles allèguent qu’il s’agissait d’une façon rationnelle, raisonnable et normale d’attribuer le revenu conformément à la Loi. Elles font valoir que [traduction] « un tribunal ne devrait pas substituer son avis quant à ce qui est raisonnable dans les circonstances en remettant en cause le sens des affaires d’un contribuable » : voir les paragraphes 16 à 18 de leur mémoire des faits et du droit. Pour appuyer leur position, elles citent l'extrait suivant de la décision du juge Martin dans Signum Communications Inc. c. Sa Majesté, 88 DTC 6427, à la page 6430, qui a par la suite été confirmée par la Cour d’appel fédérale, 91 DTC 5360 :

 

… lorsque la répartition d’une perte se fait suivant une formule rationnelle, raisonnable et normale, comme ce fut le cas en l’espèce, la perte ayant été répartie proportionnellement à l’apport en capital, rien n’autorise le ministre à invoquer les dispositions de l’article 103.

 

 

[22]           Il ressort de la lecture des motifs fournis par le juge en chef qu’il n’a pas omis de tenir compte de la disposition de la société de personnes portant sur l’attribution du revenu entre les associés de la société. Il est clair, suivant le paragraphe 103(1) de la Loi, que les proportions dans lesquelles les associés ont convenu de partager les profits et les pertes ne constituent qu’une des circonstances qu’il faut examiner. Ce paragraphe exige du juge en chef qu’il examine l’ensemble des circonstances pour établir si la somme attribuée est raisonnable. C’est ce qu’a fait le juge en chef.

 

[23]           À notre avis, le juge en chef a eu raison de conclure qu’il n’était pas raisonnable, compte tenu des circonstances, d’attribuer 80 % des revenus à Woodwards.

 

[24]           Même si la société de personnes était valable, il n’y avait aucun motif réel de distribuer des profits à Woodwards. La participation de Woodwards à titre d’associé a toujours été considérée comme une participation à court terme. Son apport à la société de personnes était peu nécessaire ou utile. Elle n’a offert aucune expertise à la société de personnes. En fait, elle n’a apporté que des pertes. Même si, en l’espèce, l’opération avait pour effet de transférer des profits à une entreprise déficitaire (plutôt que de transférer des pertes à une entreprise rentable), les appelantes ont pu, grâce à la participation de Woodwards, tirer profit des pertes accumulées par cette dernière en payant moins d’impôt que ce qu’elles auraient payé si le revenu de la société de personnes leur avait été attribué directement.

 

[25]           Selon nous, il convient d’appliquer le paragraphe 103(1) en l’espèce. Nous sommes d’avis que le juge en chef n’a commis aucune erreur à cet égard.

 

Le juge en chef a-t-il commis une erreur en décidant que la somme raisonnable devant être attribuée à Woodwards en vertu du paragraphe 103(1) était de 557 556 $ ?

 

 

[26]           Le juge en chef a estimé que la vraie réalité économique de l’entente entre Woodwards et les appelantes constituait un élément important pour déterminer ce qui serait une attribution de revenu raisonnable dans la présente affaire : voir le paragraphe 35 de sa décision. Par conséquent, il a conclu qu’un traitement raisonnable de cette entente en vertu de l’article 103 de la Loi serait de considérer la part du revenu revenant à Woodwards comme étant la somme qu’elle a effectivement reçue, c’est‑à‑dire 557 556 $.

 

[27]           Nous ne pouvons pas affirmer que la décision est déraisonnable à cet égard. Puisque les appelantes n’ont jamais bénéficié des 557 556 $ que Woodwards a retirés de la société de personnes, elles ne devraient pas être imposées pour ce revenu. Les autres revenus attribués à Woodwards pour fins fiscales n’ont pas été attribués de façon raisonnable et sont considérés à juste titre comme étant imposables entre les mains des appelantes.

 

La disposition générale anti-évitement (DGAE) prévue à l’article 245 de la Loi peut‑elle être appliquée pour réattribuer le revenu entre les associés?

 

 

[28]           Étant donné les conclusions que nous avons tirées concernant l’article 103 de la Loi, nous n’avons pas à répondre à cette question.

 

Conclusion

[29]           Pour ces motifs, les appels seront rejetés avec un seul jeu de dépens, plus les débours pour chacun des dossiers.

 

« Gilles Létourneau »

Juge

 

 

 

Traduction certifiée conforme

Suzanne Bolduc, LL.B.

 


COUR D’APPEL FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

 

DOSSIER :                                                    A-612-05

 

INTITULÉ :                                                   XCO INVESTMENTS LTD.

                                                                        c.

                                                                        SA MAJESTÉ LA REINE

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                             VANCOUVER (COLOMBIE-BRITANNIQUE)

 

DATE DE L’AUDIENCE :                           LE 17 JANVIER 2007

 

MOTIFS DU JUGEMENT                           LE JUGE LÉTOURNEAU

DE LA COUR :                                              LE JUGE EVANS

                                                                        LE JUGE MALONE

 

PRONONCÉS À L’AUDIENCE PAR :       LE JUGE LÉTOURNEAU

 

 

COMPARUTIONS :

 

Craig C. Sturrock

POUR L’APPELANTE

 

Robert Carvalho

Gavin Laird

 

POUR L’INTIMÉE

 

 

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIERS :

 

Thorsteinssons, s.r.l.

Vancouver (Colombie-Britannique)

 

POUR L’APPELANTE

 

John H. Sims, c.r.

Sous-procureur général du Canada

POUR L’INTIMÉE

 


COUR D’APPEL FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

 

DOSSIER :                                                    A-613-05

 

INTITULÉ :                                                   WEST TOPAZ PROPERTY LTD. c.

                                                                        SA MAJESTÉ LA REINE

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                             VANCOUVER (COLOMBIE-BRITANNIQUE)

 

DATE DE L’AUDIENCE :                           LE 17 JANVIER 2007

 

MOTIFS DU JUGEMENT                           LE JUGE LÉTOURNEAU

DE LA COUR :                                              LE JUGE EVANS

                                                                        LE JUGE MALONE

 

PRONONCÉS À L’AUDIENCE PAR :       LE JUGE LÉTOURNEAU

 

 

COMPARUTIONS :

 

Craig C. Sturrock

POUR L’APPELANTE

 

Robert Carvalho

Gavin Laird

 

POUR L’INTIMÉE

 

 

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Thorsteinssons, s.r.l.

Vancouver (Colombie-Britannique)

 

POUR L’APPELANTE

 

John H. Sims, c.r.

Sous-procureur général du Canada

POUR L’INTIMÉE

 

 

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