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Date : 20061214

Dossier : A-406-05

Référence : 2006 CAF 408

 

CORAM :      LE JUGE LÉTOURNEAU

                        LE JUGE NADON

                        LE JUGE PELLETIER

 

ENTRE :

LES FERMES G. GODBOUT & FILS INC.

demanderesse

et

 

AGENCE CANADIENNE D'INSPECTION

DES ALIMENTS

défenderesse

 

 

 

 

Audience tenue à Montréal (Québec), les 11 et 14 décembre 2006.

Jugement rendu à Montréal (Québec), le 14 décembre 2006.

 

 

MOTIFS DU JUGEMENT DE LA COUR:                                              LE JUGE LÉTOURNEAU

 


 

Date : 20061214

Dossier : A-406-05

Référence : 2006 CAF 408

 

CORAM :      LE JUGE LÉTOURNEAU

                        LE JUGE NADON

                        LE JUGE PELLETIER

 

ENTRE :

LES FERMES G. GODBOUT & FILS INC.

demanderesse

et

 

AGENCE CANADIENNE D'INSPECTION

DES ALIMENTS

défenderesse

 

 

 

MOTIFS DU JUGEMENT DE LA COUR

(Prononcés à l’audience à  Montréal (Québec), le 14 décembre 2006)

 

LE JUGE LÉTOURNEAU

[1]               Les demandeurs dans les dossiers A-406-05, A-603-05, A-604-05, A-605-05 et A-616-05 ont attaqué par voie de contrôle judiciaire les décisions rendues par un membre de la Commission de révision en agriculture du Canada (la Commission).

 

[2]               Dans chacun des dossiers, la défenderesse reprochait aux demandeurs d’avoir contrevenu à l’alinéa 138(2)a) du Règlement sur la santé des animaux, C.R.C., ch. 296 (Règlement) adopté en vertu de la Loi sur la santé des animaux, L.C. 1990, ch.21.

 

[3]               L’alinéa 138(2)a) se lit ainsi :

138.(1)  […]

(2) Sous réserve du paragraphe (3), il est interdit de charger ou de faire charger, ou de transporter ou de faire transporter, à bord d’un wagon de chemin de fer, d’un véhicule à moteur, d’un aéronef ou d’un navire un animal :

a) qui, pour des raisons d’infirmité, de maladie, de blessure, de fatigue ou pour toute autre cause, ne peut être transporté sans souffrances indues au cours du voyage prévu;

(nous soulignons)

 

138(1)  […]

(2) Subject to subsection (3), no person shall load or cause to be loaded on any railway car, motor vehicle, aircraft or vessel and no one shall transport or cause to be transported an animal

 

 

(a) that by reason of infirmity, illness, injury, fatigue or any other cause cannot be transported without undue suffering during the expected journey;

(our emphasis)

 

 

Nous reproduisons également l’alinéa 138(2)c) :

138(1)  […]

(2)  […]

c)  s’il est probable que l'animal mette bas au cours du voyage.

138(1)  […]

(2)  […]

c)  if it is probable that the animal will give birth during the journey.

 

[4]               Dans chacun des cas, il s’agissait d’un transport par véhicule moteur d’un animal de ferme, en l’occurrence un porc. Un manquement à l’alinéa 138(2)a) du Règlement constitue une violation au sens de la Loi sur les sanctions administratives pécuniaires en matière d’agriculture et d’agroalimentaire, L.C. 1995, ch. 40 (Loi), donnant ouverture à un avertissement ou à une sanction administrative pécuniaire : voir les articles 4 et 7 de la Loi.

 

[5]               L’appel à la Commission est prévu par l’alinéa 9(2)c) de la Loi. L’alinéa 9(2)c) énonce qu’un contrevenant peut «demander à la Commission de l’entendre sur les faits reprochés».

 

[6]               L’audition devant notre Cour en fut une commune aux cinq causes. Les procureurs des demandeurs ont soumis un argument applicable aux cinq dossiers et des arguments plus spécifiques dans les dossiers de François Carbonneau (A-616-05), Les Fermes G. Godbout et Fils Inc. (A-406-05) et L’Oiselier de St-Bernard Inc. (A-605-05).

 

La Commission a-t-elle omis de prendre en compte l’usage qui prévalait au moment des infractions reprochées et de tenir compte des ambiguïtés et des incohérences qui caractérisaient le transport des animaux à ce moment-là?

 

[7]               Les procureurs des demandeurs avancent comme argument applicable à chacun des cinq dossiers qu’en rendant sa décision, la Commission a omis de prendre en compte l’usage qui, au moment où les infractions furent commises, prévalait en matière de transport des animaux. Ils allèguent aussi que les critères relatifs au transport étaient flous et incohérents à l’époque comme le démontrent les précisions et les correctifs qui ont depuis été apportés. Enfin, ils soumettent qu’il ne peut y avoir de souffrances indues au sens de l’alinéa 138(2)a) du Règlement dans les cas de transport d’un animal destiné à la consommation humaine.

 

[8]               L’argument de l’usage en cours à l’époque est séduisant. Il est d’autant plus séduisant qu’il masque sa véritable nature et qu’il détourne l’attention de la preuve faite dans chacun des cas de l’état de santé de l’animal et des souffrances que le transport leur a occasionnées. Ce moyen de défense soumis par les demandeurs, tout comme celui des ambiguïtés et des incohérences marquant le transport des animaux de ferme, équivaut à une défense à la fois de bonne foi et de diligence raisonnable, cette dernière consistant en des efforts pour connaître les normes de transport et s’y conformer.

 

[9]               Malheureusement, le paragraphe 18(1) de la Loi exclut comme moyen de défense la bonne foi et la diligence raisonnable :

18(1) Le contrevenant ne peut invoquer en défense le fait qu’il a pris les mesures nécessaires pour empêcher la violation ou qu’il croyait raisonnablement et en toute honnêteté à l’existence de faits qui, avérés, l’exonéreraient.

 

18(1) A person named in a notice of violation does not have a defence by reason that the person

(a) exercised due diligence to prevent the violation; or

(b) reasonably and honestly believed in the existence of facts that, if true, would exonerate the person.

 

 

Les violations à la Loi sont de responsabilité absolue.

 

[10]           Enfin, l’argument des demandeurs voulant qu’il ne peut y avoir de souffrances indues au sens de l’alinéa 138(2)a) du Règlement lorsque l’animal est destiné à la consommation humaine sous-tend une justification économique à l’imposition de telles souffrances. En d’autres termes, selon cet argument, les souffrances occasionnées par le transport ne peuvent être indues ou injustifiées puisque la destination ultime et inévitable de l’animal est l’abattoir, pour ensuite entrer dans la chaîne alimentaire.

 

[11]           Il nous apparaît évident, de l’un des objectifs importants recherchés par la Loi sur la santé des animaux, soit celui d’empêcher que ne soient infligés aux animaux des mauvais traitements (voir Samson c. Canada (Agence canadienne d’inspection des aliments) 2005 CAF 235, paragraphe 12), que des considérations d’ordre économique ne peuvent à elles seules justifier l’imposition de souffrances indues. D’ailleurs, le paragraphe 138(4) du Règlement illustre bien cette intention du législateur en créant l’obligation au transporteur de mettre un terme au transport d’un animal blessé ou malade ou devenu autrement inapte au transport en cours de voyage. Le transport doit alors prendre fin au plus proche endroit où l’animal peut recevoir des soins :

138(1)  […]

(4) Une compagnie de chemin de fer ou un transporteur routier cesse le transport d’un animal blessé, malade ou autrement inapte au transport en cours de voyage, au plus proche endroit où il peut recevoir des soins.

138(1)  […]

(4) No railway company or motor carrier shall continue to transport an animal that is injured or becomes ill or otherwise unfit for transport during a journey beyond the nearest suitable place at which it can receive proper care and attention.

 

 

[12]               Quoi qu’il en soit, dans chacun des cas en l’instance, l’animal fut jugé impropre à la consommation humaine et euthanasié.

 

Le dossier Carbonneau (A-616-05)

[13]           Le demandeur reproche au ministre de l’Agriculture et de l’Agroalimentaire (ministre) d’avoir rendu une décision en l’absence de preuve quant à l’état de l’animal avant l’embarquement pour le transport. Conséquemment, dit-il, le demandeur ne pouvait être trouvé coupable d’une violation.

 

[14]           La preuve au dossier, constituée du rapport de l’inspecteur et d’éloquentes photographies en couleur, révèle qu’à son arrivée à l’abattoir, le porc avait une volumineuse hernie ombilicale qui touchait le plancher. Celle-ci faisait approximativement 30 cm x 30 cm x 30 cm et gênait la démarche de l’animal. À l’inspection, l’animal manifestait des signes de douleur : voir le dossier du demandeur aux pages 12 et 60.

 

[15]            Étant donné le trajet d’environ 85 kilomètres entre le point de départ de l’animal et son arrivée à l’abattoir et le court laps de temps entre ces deux points, il n’était pas déraisonnable dans les circonstances d’inférer d’une condition aussi extrême à l’arrivée l’état de santé précaire de l’animal au moment du chargement.

 

 

Le dossier L’Oiselier de St-Bernard Inc. (A-605-05)

[16]           La demanderesse soumet que la Commission a erré en ne retenant pas le témoignage de M. Richard Nadeau, qui a vu l’animal avant son chargement, pour préférer le témoignage du Dr Marc Lapierre qui a inspecté l’animal à son arrivée à l’abattoir. Il s’agit du même animal que dans le dossier Carbonneau, ce dernier étant le transporteur.

 

[17]           M. Nadeau a affirmé lors de son témoignage qu’une hernie existait au moment du chargement, mais qu’elle était moins grosse que celle que révélait la photographie à l’arrivée.

 

[18]           Selon le témoignage du Dr Lapierre, cette hernie comportait des lésions douloureuses causées par le frottement avec le sol. Elle forçait l’animal à se tenir le dos rond pour éviter le frottement et alléger sa souffrance. Ce dernier affichait d’autres signes de détresse. Le Dr Lapierre a affirmé que, sans l’ombre d’un doute, l’animal souffrait de sa hernie préalablement à son transport, ce qui fut confirmé par M. Nadeau.

 

[19]           À notre avis, la preuve faite devant la Commission lui permettait de conclure que l’animal n’était pas apte au transport et que le fait d’ainsi le transporter avec 94 autres porcs lui avait causé des souffrances indues.

 

Le dossier Les Fermes G. Godbout et Fils Inc. (A-406-05)

[20]            Le procureur de la demanderesse soumet que cette dernière n’a pas été informée de la violation spécifique qu’on lui imputait. Cette prétention est sans fondement. La demanderesse fut avisée qu’on lui reprochait d’avoir contrevenu à l’alinéa 138(2) a) du Règlement. Le fait qu’elle aurait pu aussi être accusée sous le paragraphe 138(2)c) du Règlement, parce qu’il était probable que l’animal mette bas au cours du voyage, n’a pas pour effet d’altérer ou de modifier la violation alléguée.

 

[21]           Selon le Dr Lamothe, l’animal a donné naissance à un porcelet mort la journée du transport. Un autre témoin affirmait avoir appris que la mise bas avait eu lieu lors du déchargement. Quoi qu’il en soit, la Commission a retenu que la demanderesse n’était pas accusée en vertu de l’alinéa 138(2)c), mais bel et bien en vertu de l’alinéa 138(2)a).

 

[22]           Le Dr Lamothe a constaté, selon la Commission, que l’animal «souffrait d’un prolapsus utérin grave qu’il a décrit comme étant une grosse masse de tissus d’environ 20 cm de longueur et 15 cm de diamètre.»  Il y avait des signes évidents de cyanose qui l’ont amené à conclure que la bête souffrait de cette condition avant l’embarquement et le transport. C’est sur la base de cet état de santé de l’animal que la Commission a conclu à une violation de l’alinéa 138(2)a). À notre avis, la preuve lui permettait de prendre une telle conclusion.

 

[23]           Pour ces motifs, les cinq demandes de contrôle judiciaire seront rejetées avec dépens. Toutefois, il n’y aura, pour l’audition qui fut commune, qu’un seul jeu de dépens à être payés en parts égales par chacun des demandeurs.

 

[24]           Copie des présents motifs sera déposée dans chacun des dossiers au soutien du jugement rendu.

 

 

 

« Gilles Létourneau »

j.c.a.


COUR D’APPEL FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

DOSSIER :                                                                            A-406-05

 

INTITULÉ :                                                                           LES FERMES G. GOBDOUT & FILS INC. c. AGENCE CANADIENNE D’INSPECTION DES ALIMENTS

 

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                                                     Montréal (Québec)

 

 

DATES DE L’AUDIENCE :                                                 les 11 et 14 décembre 2006

 

 

MOTIFS DU JUGEMENT DE LA COUR :                       LES JUGES LÉTOURNEAU, NADON ET PELLETIER

 

PRONONCÉS À L’AUDIENCE :                                        LE JUGE LÉTOURNEAU

 

 

COMPARUTIONS :

 

Me Bruno Marcoux

Me Jean-François Paré

POUR LA DEMANDERESSE

 

 

Me Patricia Gravel

 

POUR LA DÉFENDERESSE

 

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Joli-Cœur, Lacasse et associés

Sillery (Québec)

POUR LA DEMANDERESSE

 

 

John H. Sims, c.r.

Sous-procureur general du Canada

Montréal (Québec)

 

POUR LA DÉFENDERESSE

 

 

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