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Date : 20070206

Dossier : A-77-06

Référence : 2007 CAF 33

 

CORAM :      LE JUGE LÉTOURNEAU

                        LE JUGE SEXTON

                        LE JUGE EVANS

 

ENTRE :

ANDRE GAGNON

appelant

et

LE MINISTRE DU REVENU NATIONAL

intimé

 

 

 

 

 

 

 

 

Audience tenue à Ottawa (Ontario), le 24 janvier 2007

Jugement rendu à Ottawa (Ontario), le 6 février 2007

 

 

MOTIFS DU JUGEMENT :                                                              LE JUGE LÉTOURNEAU

Y ONT SOUSCRIT :                                                             LES JUGES SEXTON ET EVANS


 

Date : 20070206

Dossier : A-77-06

Référence : 2007 CAF 33

 

CORAM :      LE JUGE LÉTOURNEAU

                        LE JUGE SEXTON

                        LE JUGE EVANS

 

ENTRE :

ANDRE GAGNON

appelant

et

LE MINISTRE DU REVENU NATIONAL

intimé

 

 

 

MOTIFS DU JUGEMENT

 

 

LE JUGE LÉTOURNEAU

 

[1]               Il s'agit d'un appel interjeté à l'encontre de la décision d'un juge de la Cour canadienne de l’impôt (ci-après le juge) qui a confirmé la décision du ministre du Revenu national (ci-après le ministre) selon laquelle onze personnes (ci-après les travailleurs) qui ont travaillé pour l’appelant occupaient des emplois assurables et ouvrant droit à pension aux termes de contrats de louage de services, et n’étaient pas des entrepreneurs indépendants engagés en vertu de contrats d’entreprise.

[2]               L’appelant effectue l’installation de cloisons sèches, et la majorité du travail qui lui est confié provient d’une même entreprise de construction. Lorsqu’il a plus de travail qu’il ne peut en faire, il embauche d’autres installateurs de cloisons sèches pour qu’ils l’aident à effectuer les travaux.

 

[3]               L’appelant allègue que le juge a appliqué incorrectement aux faits en l’espèce les critères servant à déterminer si un emploi est assurable. Ce faisant, il a commis une erreur manifeste et dominante qui justifie l’intervention de la Cour.

 

[4]               Le juge a analysé la relation d’affaires qui existait entre les installateurs de cloisons sèches et l’appelant à la lumière de quatre facteurs approuvés par la Cour suprême du Canada dans l’arrêt 671122 Ontario Ltd. c. Sagaz Industries Canada Inc., [2001] 2 R.C.S. 983 : la surveillance et le contrôle, la propriété des instruments de travail, la possibilité de profit et le risque de perte. Après avoir examiné ces facteurs, le juge s’est penché sur ce qu’on a appelé la « question centrale » dans des affaires semblables, soit la question de savoir si les installateurs de cloisons sèches fournissaient leurs services en tant que personnes travaillant à leur compte. Voir Sagaz, précité, au paragraphe 47.

 

[5]               Les contrats entre l’appelant et les travailleurs ont été conclus oralement. À l’audience, aucune preuve n’a été présentée quant aux intentions de l’appelant et des travailleurs en ce qui concerne leur relation d’affaires. Toutefois, les quatre facteurs analysés par le juge sont pertinents et utiles lorsqu’il s’agit de déterminer quelles étaient les intentions des parties aux contrats et la nature juridique de leur relation. Comme le juge l’a reconnu, les quatre facteurs ne sont pas exhaustifs.

Surveillance et contrôle

 

[6]               L’appelant allègue que le juge n’a accordé aucun poids à la question de surveillance et de contrôle exercés par l’appelant sur les personnes qui travaillaient pour lui. D’après l’appelant, tous les faits présentés au juge démontraient une absence de surveillance et de contrôle.

 

[7]               Le juge a correctement défini le contrôle comme étant « le droit qu’avait l’appelant de dire aux travailleurs comment faire leur travail, par opposition à la question de savoir si ce droit était exercé par l’appelant » : voir le paragraphe 14 de ses motifs. Il était d’avis que le droit de contrôler et de diriger la façon dont le travail était effectué n’était pas un facteur auquel il pouvait accorder une grande importance, car aucune preuve n’avait été apportée quant à l’existence de ce droit : voir les paragraphes 14 et 20 de ses motifs.

 

[8]               Lorsqu’il doit décider si un emploi donné est assurable, le ministre suppose l’existence d’un certain nombre de faits recueillis auprès des travailleurs et de l’entreprise par des enquêteurs. Il incombe à la partie qui s’oppose à la décision du ministre de réfuter ces faits : voir Le Livreur Plus Inc. c. Le ministre du Revenu national et Laganière, 2004 C.A.F. 68, au paragraphe 12. En l’espèce, comme dans tous les litiges de même nature, le contrôle exercé sur les activités des travailleurs est en général un fait sur lequel se fonde le ministre : voir, par exemple, les lettres envoyées à l’appelant par le ministre, le 29 janvier 2004, dans lesquelles il est allégué qu’un contrôle était exercé sur les travailleurs, dossier d’appel, volume 2, pages 120 à 141. Dans l'avis d'appel qu’il a déposé, l'appelant nie avoir exercé un contrôle sur les activités des travailleurs : voir dossier d’appel, volume 1, page 9, paragraphe 38. Dans la réponse à l’avis d’appel, dont la forme et le fond laissent à désirer sur le plan de l’uniformité, le contrôle est décrit comme étant une hypothèse de fait : voir dossier d’appel, volume 1, pages 15, 17, 18 et 20.

 

[9]               La conclusion du juge selon laquelle aucune preuve n’a été apportée quant au droit de l’appelant de contrôler et de diriger la façon dont le travail était exécuté est appuyée par le dossier. Dans les circonstances, étant donné que l’appelant n’a pas été en mesure de réfuter la présomption de contrôle soulevée par l’intimé, l’existence de ce contrôle est réputée être prouvée.

 

La propriété des instruments de travail

 

[10]           Dans la présente affaire, le juge a examiné la question de la propriété des instruments de travail et a conclu que ce facteur ne lui était d’aucune utilité : voir le paragraphe 17 de ses motifs. À son avis, l’investissement des travailleurs était minime, soit environ 1 000 $. De plus, la preuve a démontré que l’appelant ou le constructeur avaient fourni de nombreux autres instruments, outils et fournitures nécessaires aux travailleurs. Il ressortait également de la preuve que les installateurs de cloisons sèches qui travaillaient en tant qu’employés syndiqués, et non en tant qu’entrepreneurs indépendants, utilisaient eux aussi en général leurs propres outils.

 

[11]            Il est vrai, comme l’a souligné l’appelant, que le fait que d’autres personnes puissent fournir des instruments à des travailleurs ne signifie pas nécessairement que ces travailleurs sont des employés (voir : Capri Interiors Ltd. c. Canada (Ministre du Revenu national – M.R.N.), 2004 C.C.I. 23; Precision Gutters Ltd. c. Canada (Ministre du Revenu national – M.R.N.), 2002 C.A.F. 207), mais je ne crois pas qu’en l’espèce la propriété des instruments de travail et les circonstances entourant cette propriété soient suffisamment importantes pour l’emporter sur la conclusion relative à la surveillance et au contrôle. Je ne vois rien qui me permette de conclure que le juge a commis une erreur manifeste et dominante en accordant peu de poids à ce facteur.

 

La possibilité de profit et le risque de perte

 

[12]           Le juge a souligné l’importance qu’avait ce facteur lorsqu’il s’agissait de qualifier la relation existant entre l’appelant et les travailleurs : voir le paragraphe 18 de ses motifs. Des onze travailleurs, seulement deux étaient rémunérés aux pièces, pouvant ainsi faire plus d’argent s’ils travaillaient davantage et plus rapidement. Il est également vrai, comme l’a mentionné le juge, que les employés payés à l’heure pouvaient eux aussi gagner davantage d’argent s’ils faisaient plus d’heures de travail : ibidem.

 

[13]           La difficulté qui se soulève lorsque vient le temps d’appliquer ce facteur découle du fait que, selon l’alinéa 5(1)a) de la Loi sur l’assurance-emploi, L.C. 1996, ch. 23, un emploi exercé aux termes d’un contrat de louage de services est aussi un emploi assurable lorsque la rémunération est calculée aux pièces, ou en partie au temps et en partie aux pièces. La disposition est libellée ainsi :

EMPLOI ASSURABLE

 

INSURABLE EMPLOYMENT

 

Sens de « emploi assurable »

 

Types of insurable employment

 

5(1) Sous réserve du paragraphe (2), est un emploi assurable :

 

5. (1) Subject to subsection (2), insurable employment is

 

a) l’emploi exercé au Canada pour un ou plusieurs employeurs, aux termes d’un contrat de louage de services ou d’apprentissage exprès ou tacite, écrit ou verbal, que l’employé reçoive sa rémunération de l’employeur ou d’une autre personne et que la rémunération soit calculée soit au temps ou aux pièces, soit en partie au temps et en partie aux pièces, soit de toute autre manière;

(a) employment in Canada by one or more employers, under any express or implied contract of service or apprenticeship, written or oral, whether the earnings of the employed person are received from the employer or some other person and whether the earnings are calculated by time or by the piece, or partly by time and partly by the piece, or otherwise;

 

 

                                                                                                            [Non souligné dans l’original.]

 

 

[14]           Il n’est donc pas suffisant de se fier uniquement au fait que la rémunération est calculée aux pièces et qu’elle pourrait donc être plus importante que si elle était calculée à l’heure. Il faut examiner ce fait dans le cadre du contexte plus large de toutes les autres circonstances et modalités ayant trait à l’exécution du contrat. Autrement, le processus a un caractère circulaire : l’alinéa 5(1)a) prévoit qu’il est possible qu’un contrat de louage de services puisse exister lorsque la rémunération est calculée aux pièces, et le fait même que la rémunération est calculée aux pièces constitue un facteur dont on tient compte pour déterminer si le contrat est un contrat de louage de services.

 

[15]           Le juge a étudié toutes les circonstances entourant l’exécution du contrat lorsqu’il a analysé le fait que deux des travailleurs étaient rémunérés aux pièces : voir les paragraphes 18 à 21 de ses motifs. La preuve au dossier permettait d’étayer sa conclusion selon laquelle la possibilité de profit et le risque de perte en l’espèce ne tendaient pas à démontrer que les travailleurs étaient des hommes d’affaires indépendants. Je ne peux trouver d’erreur manifeste et dominante dans cette conclusion et dans la manière dont le juge a apprécié ce facteur.

 

[16]           L’avocat de l’appelant s’est fortement appuyé sur l’arrêt de la Cour rendu dans l’affaire Precision Gutters Ltd., précité, où plusieurs poseurs de gouttières d’immeuble ont été qualifiés d’entrepreneurs indépendants. Cet arrêt doit être écarté en l’espèce pour trois motifs.

 

[17]           Premièrement, dans le litige en question, le juge de la Cour de l’impôt n’avait pas appliqué le bon critère : voir les paragraphes 13 à 15 des motifs de la Cour. Par conséquent, la Cour devait appliquer le critère approprié aux faits. Aucune retenue n’était donc due envers la décision de la Cour de l’impôt.

 

[18]           Deuxièmement, le juge de la Cour de l’impôt avait conclu que le facteur « contrôle » militait en faveur d’une conclusion que les poseurs étaient des entrepreneurs indépendants. La Cour n’était pas en désaccord avec cette conclusion : voir le paragraphe 22 de ses motifs. En l’espèce, le facteur du contrôle milite en faveur de la thèse selon laquelle les travailleurs doivent être qualifiés d’employés.

 

[19]           Troisièmement, cette cause ne portait pas sur le travail aux pièces ou la rémunération aux pièces. Le travail était plutôt exécuté en vertu d’un contrat dont le prix était négocié 20 à 30 pour cent du temps. La Cour a conclu que la capacité de négocier les modalités du contrat supposait une possibilité de profit et un risque de perte.


Conclusion

 

[20]           Pour ces motifs, je rejetterais l'appel avec dépens.

 

 

« Gilles Létourneau »

Juge

« Je souscris aux présents motifs

            J. Edgar Sexton, juge »

 

« Je souscris aux présents motifs

            John M. Evans, juge »

 

 

 

 

 

 

Traduction certifiée conforme

 

Aleksandra Koziorowska, LL.B.


COUR D’APPEL FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

 

DOSSIER :                                                                            A-77-06

 

Appel d’une décision du juge Bowie de la Cour canadienne de l’impôt, rendue le 1er février 2006

 

INTITULÉ :                                                                           ANDRE GAGNON c.

                                                                                                LE MINISTRE DU REVENU NATIONAL

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                                                     OTTAWA (ONTARIO)

 

DATE DE L’AUDIENCE :                                                   LE 24 JANVIER 2007

 

MOTIFS DU JUGEMENT :                                                LE JUGE LÉTOURNEAU

 

Y ONT SOUSCRIT :                                                             LES JUGES SEXTON ET EVANS

 

DATE DES MOTIFS :                                                          LE 6 FÉVRIER 2007

 

 

COMPARUTIONS :

 

Paul Lefebvre

POUR L’APPELANT

 

Charles Camirand

Geneviève Léveillé

 

POUR L’INTIMÉ

 

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Weaver, Simmons LLP

Sudbury (Ontario)

 

POUR L’APPELANT

 

John H. Sims, c.r.

Sous-procureur général du Canada

POUR L’INTIMÉ

 

 

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