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Date : 20070208

Dossier : A‑85‑06

Référence : 2007 CAF 36

 

CORAM :      LE JUGE NADON

                        LE JUGE SEXTON

                        LA JUGE SHARLOW

 

ENTRE :

DAVID MISHIBINIJIMA

demandeur

et

LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

défendeur

 

 

 

Audience tenue à Toronto (Ontario), le 11 janvier 2007.

Jugement rendu à Ottawa (Ontario), le 8 février 2007.

 

MOTIFS DU JUGEMENT :                                                                                  LE JUGE NADON

Y ONT SOUSCRIT :                                                                                           LE JUGE SEXTON

                                                                                                                         LA JUGE SHARLOW

 

 


 

Date : 20070208

Dossier : A‑85‑06

Référence : 2007 CAF 36

CORAM :      LE JUGE NADON

                        LE JUGE SEXTON

                        LA JUGE SHARLOW

 

ENTRE :

DAVID MISHIBINIJIMA

demandeur

et

LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

défendeur

 

MOTIFS DU JUGEMENT

 

LE JUGE NADON

 

[1]               Il s’agit d’une demande de contrôle judiciaire de la décision datée du 30 novembre 2005 (CUB 59150B) par laquelle le juge‑arbitre a conclu que le demandeur avait perdu l’emploi qu’il exerçait auprès d’Ardron‑Mackie Ltd. (l’« employeur ») en raison de son inconduite. Le juge‑arbitre a donc annulé la décision du conseil arbitral (le « conseil ») et a confirmé la décision de la Commission de l’assurance‑emploi du Canada (la « Commission »), à savoir que le demandeur était exclu du bénéfice des prestations parce qu’il avait perdu son emploi en raison de son inconduite.

 

[2]               Nul ne conteste que le demandeur, qui a été au service de l’employeur depuis septembre 1992 jusqu’au 2 novembre 2001, a omis de se présenter au travail ou est arrivé tard le lundi à maintes reprises et, de temps à autre, d’autres jours de la semaine, parce qu’il consommait beaucoup d’alcool la fin de semaine.

 

[3]               Par la lettre datée du 29 octobre 2001, l’employeur a informé le demandeur le 30 octobre 2001 qu’en raison de son absentéisme, son emploi était en péril. La lettre que le demandeur a reçue indiquait ce qui suit :

[TRADUCTION]

NOUS VOUS INFORMONS PAR LA PRÉSENTE QUE VOTRE ABSENTÉISME A ATTEINT UN STADE TRÈS SÉRIEUX, ET NE SERA PLUS TOLÉRÉ. L’ANCIEN CHEF DE L’ATELIER ET MOI‑MÊME VOUS AVONS PARLÉ À DE NOMBREUSES REPRISES DE CE PROBLÈME AU COURS DE L’ANNÉE ÉCOULÉE (Y COMPRIS 3 OU 4 FOIS AU COURS DU MOIS DERNIER), ET VOS ÉTATS DE SERVICE AUPRÈS DE L’ENTREPRISE AINSI QUE VOTRE RENDEMENT AU TRAVAIL PAR AILLEURS SATISFAISANT ONT ÉTÉ PRIS EN CONSIDÉRATION…

 

EN CONSÉQUENCE, VOUS ÊTES TENU DE VOUS CONFORMER AUX CONDITIONS SUIVANTES PENDANT LES SIX PROCHAINS MOIS, FAUTE DE QUOI IL SERA MIS FIN À L’EMPLOI QUE VOUS EXERCEZ AUPRÈS D’ARDRON‑MACKIE LIMITED :

1.     AUCUNE ABSENCE SANS AUTORISATION PRÉALABLE.

2.     TOUTE ABSENCE NON AUTORISÉE DOIT ÊTRE JUSTIFIÉE PAR UN BILLET D’UN MÉDECIN.

 

 

[4]               Le lundi 5 novembre 2001, le demandeur a téléphoné au chef de l’usine, Jim Sinclair, pour l’informer qu’il ne se présenterait pas au travail ce jour‑là et que, de ce fait, il présumait qu’on le congédierait. Le demandeur voyait juste; il a été licencié.

 

[5]               Le 12 décembre 2001, le demandeur a présenté une demande de prestations d’assurance‑emploi et, le 13 mai 2002, la Commission l’a informé qu’il était exclu du bénéfice des prestations parce qu’il avait perdu son emploi en raison de son inconduite.

 

[6]               Le 29 janvier 2003, le conseil a fait droit à l’appel du demandeur contre la décision de la Commission. Après avoir conclu que sa dépendance à l’égard de l’alcool constituait une « déficience » au sens de la Loi canadienne sur les droits de la personne, L.R.C. 1996, ch. H‑6 (la « LCDP ») et que sa dépendance était la cause de son absentéisme, le conseil a jugé que la conduite du demandeur n’était pas délibérée « parce que ses actes étaient dictés par sa dépendance à l’alcool » (page 4 de la décision du conseil). Le conseil s’est dit d’avis qu’étant donné que l’employeur n’avait rien fait pour composer avec l’alcoolisme du demandeur, son congédiement ne pouvait être justifié. En outre, le conseil a déclaré que la conduite du demandeur n’était pas répréhensible au point de justifier son congédiement, car il ne pouvait pas contrôler ses actes en raison de son alcoolisme. Enfin, le conseil a exprimé l’avis que l’employeur aurait dû soutenir le demandeur en lui permettant de travailler du mardi au vendredi, en l’autorisant à suivre un traitement ou un programme de réadaptation ou en imposant des sanctions moins sévères que le congédiement. De l’avis du conseil, ces mesures s’imposaient aux termes de la LCDP.

 

[7]               Le juge‑arbitre, dont le demandeur tente de faire annuler la décision, a considéré l’affaire sous un angle tout à fait différent et il a ainsi annulé la décision du conseil. Il s’est dit d’avis que la seule question dont le conseil était saisi consistait à savoir si le demandeur avait perdu son emploi en raison de son inconduite. Il a donc indiqué que la question de savoir si l’alcoolisme constituait une déficience au sens de la LCDP ou si l’employeur était tenu de prendre d’autres mesures pour aider le demandeur n’était pas pertinente.

 

[8]               Le juge‑arbitre a ensuite examiné les faits ayant mené au congédiement du demandeur et il a analysé ces éléments de preuve à la lumière de la jurisprudence de la présente Cour, soit les arrêts Canada (Procureur général) c. Turgeon, [1999] A.C.F. no 1861 (QL), Canada (Procureur général) c. Wasylska, [2004] A.C.F. no 977 (QL) et Canada (Procureur général) c. Marion, [2002] A.C.F. no 711 (QL). Sa revue de la jurisprudence l’a amené à conclure que l’alcoolisme ne peut excuser les actes et les omissions d’un prestataire lorsqu’ils constituent une inconduite. Il a donc conclu, à la page 5 de ses motifs, que le demandeur avait perdu son emploi en raison de son inconduite; il s’est expliqué en ces termes :

Je conclus que le conseil a rendu une décision entachée d’une erreur de fait et de droit. Les éléments de preuve ont permis d’établir clairement que le prestataire a perdu son emploi en raison de son inconduite découlant de son absentéisme chronique et de son défaut de respecter les conditions de l’entente qu’il avait conclue avec son employeur.

 

 

[9]               Avant d’examiner la jurisprudence et les observations du demandeur, je citerai le paragraphe 30(1) de la Loi sur l’assurance‑emploi, 1996, ch. 23 (la « Loi »), sur lequel la Commission a fondé sa décision :

(1) Le prestataire est exclu du bénéfice des prestations s’il perd un emploi en raison de son inconduite ou s’il quitte volontairement un emploi sans justification, à moins, selon le cas :

a) que, depuis qu’il a perdu ou quitté cet emploi, il ait exercé un emploi assurable pendant le nombre d’heures requis, au titre de l’article 7 ou 7.1, pour recevoir des prestations de chômage;

(1) A claimant is disqualified from receiving any benefits if the claimant lost any employment because of his misconduct or voluntarily left any employment without just cause, unless

(a) the claimant has, since losing or leaving the employment, been employed in insurable employment for the number of hours required by section 7 or 7.1 to qualify to receive benefits; or

b) qu’il ne soit inadmissible, à l’égard de cet emploi, pour l’une des raisons prévues aux articles 31 à 33.

 

[Non souligné dans l’original.]

 

(b) the claimant is disentitled under sections 31 to 33 in relation to the employment.

 

[Emphasis added]

 

 

[10]           La Cour a porté une attention considérable au terme « inconduite ». Il suffit de se reporter aux décisions qu’elle a rendues dans les affaires suivantes : Canada (P.G.) c. Tucker, [1986] A.C.F. no 203 (C.A.F.) (QL), Canada (P.G.) c. Brissette, [1993] A.C.F. no 1371 (C.A.F.) (QL) et Canada (P.G.) c. Secours, [1995] A.C.F. no 210 (C.A.F.) (QL).

 

[11]           Dans l’arrêt Tucker, précité, le juge MacGuigan a expliqué le sens du mot « inconduite » au paragraphe 15 :

[…] il correspond parfaitement, à mon sens, à notre droit, dans la mesure où il indique que, pour constituer de l’inconduite, l’acte reproché doit avoir été volontaire ou du moins procéder d’une telle insouciance ou négligence que l’on pourrait dire que l’employé a volontairement décidé de ne pas tenir compte des répercussions que ses actes auraient sur son rendement.

 

 

[12]           Dans l’arrêt Brissette, précité, la Cour a examiné là aussi le sens du terme « inconduite ». Aux paragraphes 10 et 12 de ses motifs, le juge Létourneau s’est exprimé en ces termes :

10.           Au surplus, nous n’avons aucune hésitation à conclure que le geste qui constitue une infraction ou un acte criminel et débouche sur une condamnation en vertu du Code criminel est une inconduite au sens du paragraphe 28(1) de la Loi. L’inconduite dont il est fait mention à cet article peut s’extérioriser par une violation de la loi, d’un règlement ou d’une règle de déontologie et faire en sorte qu’une condition essentielle à l’emploi cesse d’être satisfaite et entraîne le congédiement. Il peut s’agir d’une condition morale ou matérielle explicite ou implicite.

 

[…]

 

12.           Ceci dit, le fait qu’un geste puisse constituer une inconduite sous le paragraphe 28(1) ne veut pas dire cependant qu’il en résulte nécessairement une exclusion du droit aux prestations d’assurance‑chômage. Il faut tout d’abord une relation causale entre l’inconduite et le congédiement. Il ne suffit pas, pour que l’exclusion joue, que l’inconduite ne serve que de simple excuse ou prétexte pour le renvoi (voir Raphaël Fuller, CUB‑4503, 4 février, 1977, juge Mahoney). Il faut qu’elle cause la perte d’emploi et qu’elle en soit une cause opérante. Il n’est pas nécessaire pour les fins du présent litige de déterminer si elle doit être la seule cause opérante du renvoi.

 

[13]           Finalement, dans l’arrêt Secours, précité, M. le juge Létourneau, s’exprimant là encore au nom de la Cour, a fait les observations suivantes au paragraphe 2 de ses motifs :

2.             Le juge‑arbitre, R.J. Marin, a commis deux erreurs. En premier lieu, il a conclu à l’absence, de la part de l’intimée, de toute intention coupable, partant à l’absence de toute intention frauduleuse. Pour qu’il y ait inconduite au sens de la loi, il n’est pas nécessaire que le comportement en cause résulte d’une intention coupable. Il suffit que l’acte répréhensible ou l’omission reproché à l’intéressée soit « délibéré » , c’est‑à‑dire, conscient, voulu ou intentionnel. En l’espèce, l’intimée savait, comme on l’en avait déjà avertie, qu’elle ne pouvait pas modifier à la main sa carte de pointage. Elle l’a fait, cependant, consciemment et délibérément.

 

 

[14]           Il y a donc inconduite lorsque la conduite du prestataire est délibérée, c’est‑à‑dire que les actes qui ont mené au congédiement sont conscients, voulus ou intentionnels. Autrement dit, il y a inconduite lorsque le prestataire savait ou aurait dû savoir que sa conduite était de nature à entraver l’exécution de ses obligations envers son employeur et que, de ce fait, il était réellement possible qu’il soit congédié.

 

[15]           Voyons maintenant les conclusions du demandeur. Ce dernier soutient que le juge‑arbitre a commis une erreur en n’interprétant pas la Loi d’une manière conforme à la LCDP. Plus précisément, il dit que, pour décider si l’inconduite était la cause de son congédiement ou non, le juge‑arbitre était tenu de prendre en considération le fait que, aux termes de l’article 25 de la LCDP, la dépendance à l’alcool est une « déficience » : refuser d’employer ou de continuer d’employer un individu constitue un acte discriminatoire s’il est fondé sur un motif de distinction illicite, c’est‑à‑dire la dépendance à l’alcool (une déficience), et qu’aux termes de la LCDP l’employeur est tenu de prendre en compte la déficience de l’employé.

 

[16]           En l’espèce, le demandeur prétend qu’étant donné qu’il est manifeste que son absentéisme est imputable à sa dépendance à l’alcool, il ne peut donc pas s’agir d’une inconduite car l’élément du « caractère délibéré » n’est pas présent. À cette thèse le demandeur ajoute que, pour décider si l’élément du « caractère délibéré » est présent ou pas, il est nécessaire de tenir compte du fait que son employeur n’a pris aucune mesure en sa faveur, c’est‑à‑dire qu’il n’a pas offert de services de counselling, d’accès à des programmes ou une modification de son horaire de travail.

 

[17]           Le demandeur dit donc que le juge‑arbitre a commis une erreur en annulant la décision du conseil. Je ne suis pas d’accord. Selon moi, la conclusion du juge‑arbitre n’est pas entachée d’erreur susceptible de contrôle. Plus précisément, je conclus que le juge‑arbitre n’a pas commis d’erreur lorsqu’il a conclu que la question de savoir si l’alcoolisme est une « déficience » au sens de la LCDP et celle de savoir si l’employeur aurait dû prendre des mesures pour aider le demandeur n’étaient pas pertinentes.

 

[18]           Il n’y a aucun doute en l’espèce que le demandeur a été congédié parce qu’il avait été absent ou en retard au travail à maintes reprises. La question qui se pose est donc la suivante : au vu de toutes les circonstances, l’inconduite a‑t‑elle été la cause de son congédiement? Dans l’affirmative, la demande de contrôle judiciaire doit être rejetée.

 

[19]           Selon les éléments de preuve administrés devant le conseil, l’employeur a averti le demandeur de nombreuses fois au sujet de son absentéisme depuis plus d’un an et, en particulier, à trois ou quatre reprises au cours du mois précédant son congédiement. Malgré l’avertissement sévère qu’il avait reçu de son employeur le 30 octobre 2001, le demandeur ne s’est pas présenté au travail le 5 novembre 2001, et il a informé son employeur, vers 7 h 20, qu’il ne viendrait pas au travail ce jour‑là.

 

[20]           La preuve révèle aussi que le demandeur avait un problème de consommation d’alcool depuis 1996 au moins, et que son employeur était au courant du problème. Le demandeur a déclaré devant le conseil qu’après avoir consulté un médecin en juillet 2001, il s’est inscrit à un programme des Alcooliques anonymes offert par Anishnawbe Health, programme qu’il a cessé de fréquenter en octobre 2001, avant d’être congédié.

 

[21]           À mon avis, le conseil a commis deux erreurs. La première, en concluant que la conduite du demandeur n’était pas flagrante au point de justifier son congédiement. Dans l’arrêt Canada (P.G.) c. Marion, [2002] A.C.F. 711 (QL), au paragraphe 3, le juge d’appel Létourneau a fait remarquer en termes non équivoques que le conseil n’était pas habilité à déterminer si « la sévérité de la sanction imposée par l’employeur était justifiée ou non ou si le comportement de l’employé constituait un motif valable de congédiement ». À son avis, le conseil n’était saisi que d’une seule question, celle de savoir s’il y a eu inconduite de la part du prestataire.

 

[22]           Deuxièmement, je conclus qu’en statuant que le demandeur n’avait pas perdu son emploi en raison de son inconduite, le conseil a omis de prendre en considération l’ensemble des faits pertinents. Cela est dû, selon moi, au fait que le conseil a conclu que l’absentéisme du demandeur était imputable à sa dépendance à l’alcool - une « déficience » au sens de la LCDP - et que, de ce fait, l’élément du « caractère délibéré » n’était pas présent.

 

[23]           Loin de moi l’idée de dire que le problème d’alcoolisme du demandeur était une question sans pertinence. Je suis toutefois d’avis qu’au regard de la question en litige dont le conseil était saisi, la question de savoir si ce problème constituait une « déficience » ou non au sens de la LCDP n’était pas pertinente. Cela vaut aussi pour le devoir d’accommodement que les dispositions de la LCDP imposent à l’employeur. Même si les mesures que prend ou aurait dû prendre l’employeur concernant le problème d’alcoolisme de l’employé peuvent être pertinentes pour décider s’il y a eu inconduite ou non, le fait que l’employeur a omis de s’acquitter de son obligation de prendre des mesures d’accommodement en faveur de son employé, conformément aux dispositions de la LCDP, ne constitue pas, selon moi, une question pertinente.

 

[24]           Par conséquent, pour décider si le prestataire a perdu son emploi en raison de son inconduite ou non, il incombait au conseil de prendre en considération l’ensemble des circonstances pertinentes ayant conduit à son congédiement. Cependant, avant d’examiner ces circonstances, je vais citer une série de décisions que la présente Cour a rendues et qui sont tout à fait pertinentes quant à l’affaire qui nous occupe ici.

 

[25]           Je commencerai par la décision que la Cour d’appel a rendue dans l’affaire Canada (P.G.) c. Turgeon, [1999] A.C.F. no 1861 (QL), où le juge Décary, s’exprimant au nom d’une Cour unanime, a conclu que le juge‑arbitre avait commis une erreur en refusant d’annuler une décision par laquelle le conseil avait conclu que le prestataire n’avait pas perdu son emploi pour inconduite parce que la cause véritable de son congédiement était l’alcoolisme. En concluant que le juge‑arbitre aurait dû intervenir, le juge Décary a clairement indiqué que, même en supposant que l’on puisse invoquer l’alcoolisme pour excuser l’employé de son inconduite, le simple fait de son existence n’est pas suffisant en soi. Il a ensuite ajouté que le conseil, au vu de la preuve dont il disposait, n’aurait pu arriver à une telle conclusion.

 

[26]           Dans l’arrêt Canada (A.G.) c. Wasylka, [2004] A.C.F no 977 (QL), le juge Létourneau a statué que le juge‑arbitre avait commis une erreur lorsqu’il a conclu que l’absence du travail du prestataire n’était pas délibérée car elle était imputable à une dépendance envers la drogue. Voici ce qu’il a écrit aux paragraphes 4 et 5 de ses motifs :

[4]           Le juge‑arbitre a commis une erreur de droit lorsqu’il a conclu que l’absence du défendeur au travail n’était pas intentionnelle parce que celui‑ci était atteint de toxicomanie. Même si le défendeur était attiré par les drogues ou ne pouvait pas s’empêcher de les consommer, il n’en reste pas moins qu’une telle consommation était volontaire dans le sens où le défendeur était conscient des gestes qu’il posait, des effets de la consommation et des conséquences qui pouvaient ou qui allaient s’ensuivre. Il a déclaré qu’il [TRADUCTION] « ne pouvait pas se concentrer sur les choses qui comptaient » lorsqu’il consommait la drogue : voir le dossier du demandeur, page 51. La gravité et la portée des gestes que le défendeur a posés ce jour‑là, c’est‑à‑dire l’usage de drogues illicites, étaient telles qu’il aurait normalement pu prévoir qu’elles étaient susceptibles de provoquer son congédiement : voir Canada (Procureur général) c. Langlois, [1996] A.C.F. no 241.

 

[5]           Reconnaître aux employés qui ont été congédiés parce qu’ils ont abusé de substances qui affaiblissent les facultés, comme l’alcool et les drogues, le droit de toucher des prestations régulières d’assurance‑emploi équivaudrait à modifier de façon fondamentale la nature et les principes de la Loi et du régime d’assurance‑emploi. L’article 21 de la Loi sur l’assurance‑emploi et l’article 40 du Règlement sur l’assurance‑emploi traitent déjà des prestations versées en cas de maladie, et le défendeur a touché de telles prestations.

 

 

[27]           Dans Canada (P.G.) c. Richard, [2005] A.C.F. no 1750 (QL), le prestataire, à l’instar du demandeur en l’espèce, avait perdu son emploi en raison de ses absences répétées du travail, lesquelles étaient attribuables à son problème d’alcoolisme. Lorsqu’il a conclu que le prestataire avait perdu son emploi en raison de son inconduite, le juge Létourneau s’est expliqué en ces termes aux paragraphes 4 à 6 :

[4]           Le défendeur a ignoré les nombreux avertissements reçus. Selon la preuve au dossier (voir par exemple l’avis de suspension du 21 février 2002, dossier du demandeur, pièce no. 6‑1, page 24), il a refusé plus d’une fois l’aide que l’employeur tentait de lui apporter par l’entremise de son programme d’aide aux employés.

 

[5]           Dans ces circonstances, le défendeur ne pouvait pas ne pas savoir que les manquements à ses obligations résultant de son contrat de travail étaient d’une portée telle qu’il était normalement prévisible qu’ils seraient susceptibles de provoquer son congédiement : voir les arrêts Procureur général du Canada c. Langlois et Procureur général du Canada c. Edward [1996] A.C.S. no. 241, au paragraphe 4.

 

[6]           En l’espèce, la perte d’emploi du défendeur résulte de son inconduite et il n’appartient pas à la collectivité d’en subir les conséquences par le truchement de prestations d’assurance‑chômage qui lui seraient versées, tel qu’il le demande.

 

 

[28]           Enfin, dans Canada (P.G.) c. Pearson, [2006] A.C.F. 818, une affaire où les faits étaient fort similaires à ceux dont il était question dans l’arrêt Richard, précité, et à ceux de la présente espèce, la Cour a statué une fois de plus que le problème d’alcoolisme du prestataire ne lui permettait pas d’échapper à la conclusion que son congédiement était dû à une inconduite.

 

[29]           Il me suffit de citer qu’une seule autre décision. Dans la décision Casey c. Canada (A.‑E.C.), [2001] A.C.F. no 1854 (QL), le prestataire interjetait appel d’une décision d’un juge‑arbitre qui avait annulé une décision par laquelle le conseil avait conclu qu’il n’avait pas été congédié en raison de son inconduite. Plus précisément, le conseil avait conclu que la conduite du prestataire n’était pas délibérée car cette dernière était imputable à son problème d’alcoolisme.

 

[30]           Lorsqu’il a confirmé la décision du juge‑arbitre, le juge d’appel Malone a conclu que le conseil disposait d’éléments de preuve à partir desquels il était possible de conclure raisonnablement au caractère délibéré de l’inconduite admise du demandeur. En tirant cette conclusion, le juge Malone a fait allusion au fait que le prestataire avait produit en preuve devant le conseil un rapport d’expert afin de démontrer que son inconduite n’était pas délibérée. Après avoir constaté que le rapport d’expert comportait des renseignements généraux sur l’effet de l’alcoolisme mais sans formuler d’opinion catégorique à propos du prestataire, le juge Malone a statué que le rapport « ne permettait pas de conclure que son inconduite n’était pas délibérée » (paragraphe 3 de ses motifs).

 

[31]           À mon avis, vu les principes énoncés par la Cour d’appel dans les arrêts Turgeon, Richard, Wasylka, Pearson et Casey, précités, la conclusion tirée par le juge‑arbitre, à savoir que le demandeur avait perdu son emploi en raison de son inconduite, est manifestement justifiée. Même si l’employeur a averti plusieurs fois le demandeur pendant au moins un an avant de le congédier et, plus particulièrement, à quatre reprises au cours du mois précédant le congédiement, et qu’il l’a averti le 30 octobre 2001 que le fait de ne pas se présenter au travail à l’heure, sans préavis approprié, entraînerait son congédiement, le demandeur ne s’est quand même pas présenté au travail le 5 novembre 2001.

 

[32]           On ne peut contester, selon moi, que l’employé qui ne se présente pas plusieurs fois au travail manque gravement à son contrat d’emploi, a fortiori s’il a été averti par son employeur que son comportement aboutirait à son congédiement. Au vu de la preuve dont disposait le conseil, il est impossible de conclure que la conduite du demandeur n’était pas délibérée.

 

[33]           Le fait que le demandeur avait un problème d’alcoolisme ne plaide pas en sa faveur. Pour citer les propos du juge d’appel Létourneau, au paragraphe 4 des motifs qu’il a rendus dans l’affaire Wasylka, précitée, la consommation d’alcool par le demandeur « … était volontaire dans le sens où [il] était conscient des gestes qu’il posait, des effets de la consommation et les conséquences qui pouvaient ou qui allaient s’ensuivre ».

 

[34]           Je signale que dans l’arrêt Turgeon, précité, et l’arrêt Casey, précité, tant le juge d’appel Décary que le juge d’appel Malone se sont dits d’avis que la preuve produite ne suffisait pas à confirmer la prétention du prestataire selon laquelle il n’y avait pas eu d’inconduite de sa part en raison de son alcoolisme. En l’espèce, il n’y a aucune opinion médicale, aucune preuve de la part d’Anishnawbe Health ou une quelque autre preuve qui, à mon sens, pourrait tendre à confirmer que la conduite du demandeur n’était pas délibérée.

 

[35]           La preuve administrée devant le conseil au sujet du problème d’alcoolisme du demandeur est très mince et, selon moi, insuffisante pour confirmer la thèse de celui‑ci. Tout ce que l’on sait au sujet de son problème découle du témoignage qu’il a rendu devant le conseil : il a dit qu’il avait un problème d’alcoolisme depuis 1996, qu’en juillet 2001 son problème avait progressivement empiré et que, sur l’avis d’un médecin, il s’était inscrit à un programme offert par Anishnawbe Health. Quand son avocat lui a demandé s’il estimait qu’il avait un problème d’alcoolisme, le demandeur a répondu que oui. On lui a ensuite demandé s’il avait le sentiment d’être incapable de maîtriser son alcoolisme, et il a répondu que oui. Ce témoignage figure à la page 19 des notes sténographiques de la déposition qu’il a faite devant le conseil le 5 septembre 2002 (page 84, dossier du demandeur). Les questions et les réponses exactes sont les suivantes :

[TRADUCTION]

Q.            … Avez‑vous l’impression d’avoir un problème d’alcoolisme?

 

R.            Oui.

 

Q.            Et avez‑vous le sentiment d’être incapable de maîtriser ce problème?

 

R.            Oui.

 

 

[36]           Voilà la preuve que le demandeur a administrée au sujet de son problème d’alcoolisme dans son intégralité. Je ne vois pas comment cette preuve pourrait tendre à confirmer sa thèse selon laquelle sa conduite n’était pas délibérée. Je n’ai pas besoin de me pencher sur la question de savoir si l’on aurait pu tirer, dans telle ou telle situation, une conclusion différente, en supposant que l’on ait produit des éléments de preuve suffisants quant à l’incapacité du prestataire de prendre une décision délibérée, lesquels éléments comprendraient probablement une preuve médicale. À l’évidence, en l’espèce, la preuve produite ne peut tendre à confirmer que la conduite du demandeur n’était pas délibérée.

 

[37]           Une dernière remarque. En ce qui concerne son argument quant à l’applicabilité de la LCDP, le demandeur s’est fondé dans une large mesure sur une décision de la Cour suprême du Canada : Tranchemontagne c. Ontario (Directeur du Programme ontarien de soutien aux personnes handicapées), 2006 CSC 14, 21 avril 2006. À mon avis, cette décision ne lui est d’aucune utilité.

 

[38]           La question qui était en litige devant la Cour suprême dans l’arrêt Tranchemontagne, précité, était la suivante : le Tribunal de l’aide sociale (le « TAS ») de l’Ontario était‑il compétent pour examiner le Code des droits de la personne (le « Code ») en rendant une décision en vertu de la Loi de 1997 sur le Programme ontarien de soutien aux personnes handicapées, L.O. 1997, ch. 25, ann. B (la « Loi sur le Programme de soutien »)? La Cour suprême du Canada a répondu à cette question par l’affirmative. Étant donné que, selon le paragraphe 47(2) du Code, lorsqu’une disposition d’une loi ou d’un règlement de l’Ontario est contraire au Code, celui‑ci l’emporte, à moins que la loi ou le règlement ne disposent expressément qu’ils s’appliquent en dépit du Code, la Cour suprême a renvoyé l’affaire au TAS afin qu’il se prononce sur l’applicabilité du paragraphe 5(2) de la Loi au Programme de soutien, qui était peut‑être contraire au Code.

 

[39]           Premièrement, en l’espèce, le juge‑arbitre n’a pas exprimé l’avis qu’il était incompétent pour appliquer la LCDP. Il était plutôt d’avis qu’au vu de la question qui lui était soumise, c’est‑à‑dire si le demandeur avait perdu son emploi en raison de son inconduite, la question de savoir si le demandeur avait une déficience au sens de la LCDP ou si l’employeur s’était acquitté de son devoir d’accommodement n’était pas pertinente. J’ai déjà indiqué qu’à mon avis, le juge‑arbitre n’a pas commis d’erreur en statuant ainsi.

 

[40]           Deuxièmement, il est important de signaler que le paragraphe 47(2) du Code de l’Ontario prévoit expressément que lorsqu’une disposition d’une loi ou d’un règlement de l’Ontario est contraire au Code, celui‑ci prévaut. Je n’ai relevé aucune disposition de cette nature dans la LCDP.

 

[41]           Pour ces motifs, la demande de contrôle judiciaire sera rejetée avec dépens.

 

 

« M. Nadon »

Juge

 

 

« Je souscris aux présents motifs

            J. Edgar Sexton, juge »

 

« Je souscris aux présents motifs

            K. Sharlow, juge »

 

 

 

Traduction certifiée conforme

François Brunet, LL.B., B.C.L.

 


COUR D’APPEL FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

 

DOSSIER :                                                          A‑85‑06

 

INTITULÉ :                                                         DAVID MISHIBINIJIMA c. P.G.C.

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                                   Toronto (Ontario)

 

DATE DE L’AUDIENCE :                                 Le 11 janvier 2007

 

MOTIFS DU JUGEMENT :                              Le juge Nadon

 

Y ONT SOUSCRIT :                                           Le juge Sexton

                                                                              La juge Sharlow

 

DATE DES MOTIFS :                                        Le 8 février 2007

 

 

 

COMPARUTIONS :

 

Brian Eyolfson

Amy Britton‑Cox

 

POUR LE DEMANDEUR

 

Sharon McGovern

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

 

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Aboriginal Legal Services of Toronto

Toronto (Ontario)

 

POUR LE DEMANDEUR

 

John H. Sims, c.r.

Sous‑procureur général du Canada

POUR LE DÉFENDEUR

 

 


 

Date : 20070208

Dossier : A‑85‑06

 

Ottawa (Ontario), le 8 février 2007

 

CORAM :      LE JUGE NADON

                        LE JUGE SEXTON

                        LA JUGE SHARLOW

 

ENTRE :

DAVID MISHIBINIJIMA

demandeur

et

LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

défendeur

 

 

 

JUGEMENT

 

            La demande de contrôle judiciaire est rejetée avec dépens.

 

 

« M. Nadon »

Juge

 

 

Traduction certifiée conforme

François Brunet, LL.B., B.C.L.

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