LE JUGE SEXTON
ENTRE :
LABORATOIRES ABBOTT LIMITÉE
(demanderesses)
et
LE MINISTRE DE LA SANTÉ et
PHARMASCIENCE INC.
intimés
(défendeurs)
Audience tenue à Toronto (Ontario), le 15 février 2007
Jugement rendu à l'audience à Toronto (Ontario), le 15 février 2007
MOTIFS DU JUGEMENT DE LA COUR : LE JUGE EVANS
Date : 20070216
Dossier : A‑83‑06
Référence : 2007 CAF 73
CORAM : LE JUGE LÉTOURNEAU
LE JUGE SEXTON
LE JUGE EVANS
ENTRE :
ABBOTT LABORATORIES et
LABORATOIRES ABBOTT LIMITÉE
appelantes
(demanderesses)
et
LE MINISTRE DE LA SANTÉ et
PHARMASCIENCE INC.
intimés
(défendeurs)
MOTIFS DU JUGEMENT DE LA COUR
(Prononcés à l'audience à Toronto (Ontario), le 15 février 2007)
[1] Il s'agit d'un appel interjeté par Abbott Laboratories et Laboratoires Abbott Limitée (Abbott) contre la décision par laquelle un juge de la Cour fédérale a rejeté la demande en interdiction formée par Abbott sous le régime du Règlement sur les médicaments brevetés (avis de conformité), DORS/93‑133 (le Règlement). L'ordonnance demandée devait interdire au ministre de la Santé de délivrer un avis de conformité (AC) à Pharmascience Inc. à l'égard de sa drogue contenant la forme cristalline II de la molécule clarithromycine.
[2] La clarithromycine est polymorphe, c'est‑à‑dire qu'on peut la produire sous diverses formes cristallines dotées de propriétés différentes. Abbott détient le brevet canadien no 2 277 274 (le brevet 274) sur l'invention de la forme 0 de la clarithromycine. Ce brevet est inscrit au registre à l'égard de la drogue BIAXINMD d'Abbott, un antibiotique utilisé pour traiter les infections qui contient la forme II de la clarithromycine. C'est là le produit auquel Pharmascience a comparé sa drogue, qui contient aussi la forme II de la clarithromycine, lorsqu'elle a communiqué au ministre sa présentation abrégée de drogue nouvelle pour obtenir un AC.
[3] Le juge des demandes a conclu que Pharmascience avait eu raison de déclarer dans son avis d'allégation (AA) que son produit à base de clarithromycine ne contreferait pas le brevet 274 d'Abbott au motif que, dans son état fini, ce produit ne contient que la forme II de la clarithromycine. Le fait que la forme 0, revendiquée par le brevet, soit produite à une étape intermédiaire de la fabrication du produit de Pharmascience ne faisait pas entrer celui‑ci dans le champ d'application de l'alinéa 5(1)b) du Règlement. La décision du juge, en date du 2 février 2006, est publiée sous l'intitulé Abbott Laboratories c. Canada (Ministre de la Santé), 2006 CF 120, [2006] 4 R.C.F. 41.
[4] Le 18 mai 2006, notre Cour a rendu l'arrêt Abbott Laboratories c. Canada (Ministre de la Santé), 2006 CAF 782, 350 N.R. 242 (Ratiopharm), qui concernait aussi le brevet 274, ainsi qu'une drogue de comparaison d'Abbott baptisée Biaxin Bid et une drogue « d'imitation » contenant la forme II de la clarithromycine, produite par le fabricant de génériques Ratiopharm. Écrivant au nom de la Cour, la juge Sharlow a conclu que la production de la forme 0 de la clarithromycine à une étape intermédiaire de la fabrication entrait dans le champ d'application du sous-alinéa 5(1)b)(iv) du Règlement, même si seule la forme II se trouvait dans le produit fini de Ratiopharm.
[5] L'avocate de Pharmascience soutient dans la présente espèce que celle‑ci doit être distinguée de Ratiopharm, étant donné que de nombreuses revendications du brevet 274, en particulier la revendication 1, portent sur [TRADUCTION] « un antibiotique cristallin baptisé forme 0 solvatée […] ». Si on l'interprète bien, explique‑t‑elle, le brevet se limite à des revendications de la forme II de la clarithromycine produite pour usage comme antibiotique et ne comporte pas de revendication [TRADUCTION] « autonome » de la forme II de la clarithromycine en soi, considérée indépendamment de son usage. Par conséquent, fait valoir l'avocate, le produit de Pharmascience ne contrefait pas le brevet 274, puisque sa forme 0 n'est qu'une substance intermédiaire et n'est pas utilisée, ni destinée à être utilisée, comme antibiotique.
[6] Nous ne souscrivons pas à ce raisonnement. Cette question a été examinée par le juge des demandes, qui, aidé de témoins experts, a conclu que la personne versée dans l'art déduirait de l'emploi du terme [TRADUCTION] « antibiotique » dans les revendications du brevet 274 que ces revendications portent sur une substance à activité antibactérienne, indépendamment de l'usage auquel elle est destinée. L'avocate de Pharmascience a admis que la forme 0 pouvait être ingérée et serait efficace comme antibiotique. On ne nous a pas convaincus que le juge des demandes se soit déchargé sur des experts de sa responsabilité d'interpréter le brevet ou que, étant donné la preuve dont il disposait, il ait commis une erreur manifeste et dominante dans sa conclusion.
[7] Nous ne pensons pas non plus que le juge ait commis une erreur en statuant que le brevet 274 porte une revendication « pour le médicament en soi » aux fins d'application du sous‑alinéa 5(1)b)(iv) du Règlement, selon la définition donnée à son paragraphe 2(1) avant les modifications récentes du Règlement par DORS/2006‑242. Le juge des demandes disposait d'éléments de preuve largement suffisants pour étayer sa conclusion que la clarithromycine et ses formes sont « le médicament en soi ».
[8] Enfin, nous avons décidé de ne pas tenir compte d'un moyen que l'avocate de Pharmascience a fait valoir pour la première fois à l'audience de l'appel, selon lequel l'arrêt AstraZeneca Canada Inc. c. Canada (Ministre de la Santé), 2006 CSC 49, rendu par la Cour suprême du Canada le 3 novembre 2006, infirmerait implicitement Ratiopharm.
[9] Cette question n'a pas été soulevée dans l'AA ni devant le juge des demandes (l'arrêt AstraZeneca n'ayant été rendu qu'après). Il n'en a pas été non plus fait mention dans l'exposé des faits et du droit de Pharmascience, qui aurait pu être complété dans ce sens. En fait, bien que l'arrêt AstraZeneca ait été rendu trois mois avant le présent appel, l'avocate de Pharmascience n'a d'aucune façon avisé l'avocat d'Abbott de son intention d'invoquer cet argument à l'audience. Cela étant, il serait injuste pour Abbott, et pour notre Cour, que nous devions trancher cette question au fond. Nous nous contenterons de faire observer que, après avoir rendu l'arrêt AstraZeneca, la Cour suprême a refusé à la partie déboutée l'autorisation de se pourvoir contre l'arrêt Ratiopharm (dossier de la Cour no 31578, 8 février 2007).
[10] Pour ces motifs, l'appel sera accueilli, avec dépens devant notre Cour et devant la Cour fédérale, la décision de la Cour fédérale sera annulée, et sera prononcée une ordonnance interdisant au ministre de délivrer un avis de conformité à Pharmascience pour sa clarithromycine en comprimés de 250 mg avant l'expiration du brevet 274.
Traduction certifiée conforme
Christiane Bélanger, LL.L.
COUR D'APPEL FÉDÉRALE
AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER
DOSSIER : A-83-06
(APPEL D'UNE ORDONNANCE DE MONSIEUR LE JUGE HARRINGTON DE LA COUR FÉDÉRALE, EN DATE DU 2 FÉVRIER 2006, T‑433‑04 ET T‑835‑04)
INTITULÉ : ABBOTT LABORATORIES
et LABORATOIRES ABBOTT LIMITÉE
c.
LE MINISTRE DE LA SANTÉ et
PHARMASCIENCE INC.
LIEU DE L'AUDIENCE : TORONTO (ONTARIO)
DATE DE L'AUDIENCE : LE 15 FÉVRIER 2007
MOTIFS DE L'ORDONNANCE : LE JUGE EVANS
DATE DES MOTIFS : LE 16 FÉVRIER 2007
COMPARUTIONS :
Steven G. Mason
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POUR LES APPELANTES |
Paula Bremner
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POUR L'INTIMÉE PHARMASCIENCE INC. |
AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :
Avocats Toronto (Ontario)
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POUR LES APPELANTES
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Avocats Toronto (Ontario)
John H. Sims, c.r. Sous-procureur général du Canada
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POUR L'INTIMÉE PHARMASCIENCE INC.
POUR L'INTIMÉ LE MINISTRE DE LA SANTÉ |