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Date : 20070301

Dossier : A-563-05

Référence : 2007 CAF 87

 

CORAM :      LE JUGE LÉTOURNEAU

                        LE JUGE EVANS

                        LE JUGE PELLETIER

 

ENTRE :

LE MINISTRE DE LA JUSTICE

appelant

et

SHELDON BLANK

intimé

 

 

 

Audience tenue à Winnipeg (Manitoba), le 26 février 2007

Jugement rendu à l’audience à Winnipeg (Manitoba), le 1er mars 2007

 

MOTIFS DU JUGEMENT :                                                                              LE JUGE EVANS

Y ONT SOUSCRIT :                                                                            LE JUGE LÉTOURNEAU

LE JUGE PELLETIER

 


Date : 20070301

Dossier : A-563-05

Référence : 2007 CAF 87

 

CORAM :      LE JUGE LÉTOURNEAU

                        LE JUGE EVANS

                        LE JUGE PELLETIER

 

ENTRE :

LE MINISTRE DE LA JUSTICE

appelant

et

SHELDON BLANK

intimé

 

 

MOTIFS DU JUGEMENT

 

LE JUGE EVANS

[1]               Il s’agit d’un appel du ministre de la Justice à l’encontre d’une décision d’un juge de la Cour fédérale concernant l’étendue de l’obligation du ministre de divulguer des portions de documents contenant des communications assujetties au privilège accordé aux avis juridiques. Le ministre avait refusé de communiquer ces documents en réponse à une demande de Sheldon Blank en vertu de la Loi sur l’accès à l’information, L.R.C. 1985, ch. A-1 (la Loi). La décision du juge est publiée à Blank c. Canada (Ministre de la Justice), 2005 CF 1551.

 

[2]               L’article 23 de la Loi autorise le responsable d’une institution fédérale de refuser la communication de documents contenant des renseignements protégés par le secret professionnel qui lie un avocat à son client. Toutefois, à l’instar d’autres exemptions de l’obligation générale prévue dans la Loi de communiquer des documents détenus par le gouvernement, un document exempté de la communication en vertu de l’article 23 est assujetti à l’article 25. Cette disposition impose l’obligation de prélever les parties de documents qui ne contiennent pas les renseignements à l’égard desquels une exemption est revendiquée et qui peuvent être raisonnablement prélevés, sans qu’il y ait communication des renseignements exemptés.

 

[3]               La question à trancher dans le présent appel est celle de savoir si le juge a erré en droit lorsqu’il a statué que l’obligation légale du ministre de prélever des renseignements s’applique non seulement à ce qu’on a appelé « des renseignements généraux de nature descriptive » dans une communication privilégiée, mais également au corps même de la communication. Il n’y a maintenant que trois documents dans cette catégorie qui demeurent en litige dans le présent appel.

 

[4]               Selon le ministre, le juge qui a entendu la demande est allé trop loin. Le ministre s’appuie sur de récentes décisions de la Cour suprême du Canada confirmant l’importance fondamentale, pour l’administration de la justice, du secret professionnel qui lie un avocat et son client en ce qui a trait aux communications portant sur des avis juridiques, y compris celles au sein du gouvernement, et la nature quasi absolue du privilège qui les protège.

 

[5]               Pour sa part, M. Blank insiste sur l’importance du droit légal des personnes d’avoir accès aux renseignements que détient le gouvernement, un droit qui est essentiel pour assurer l’imputabilité et l’intégrité du gouvernement. En conséquence, selon lui, les exceptions légales à l’obligation générale de communication devraient être interprétées de façon restreinte, plus particulièrement lorsque le législateur a expressément exigé le prélèvement de renseignements lorsqu’il était raisonnable de le faire. Il appuie également sa position en se reportant à de récentes décisions de la Cour suprême du Canada sur la communication, en vertu de la Loi, de documents à l’égard desquels le secret professionnel est revendiqué.

 

[6]               À mon avis, le juge qui a entendu la demande a mal compris la portée de l’obligation de prélever des renseignements établie par la Cour à une étape antérieure de la saga de litiges entre les parties actuelles : Blank c. Canada (Ministre de l’Environnement), 2001 CAF 374, 281 N.R. 388 (l’arrêt Blank de 2001). J’accueillerais l’appel du ministre à l’égard des trois documents en litige.

 

[7]               L’article 25 de la Loi n’exige pas le prélèvement de renseignements d’un document faisant partie d’une communication protégée par le secret professionnel qui lie un avocat et son client. Lorsqu’il examine la question de savoir si une communication a été refusée à tort, un juge ne devrait pas aborder un document contenant une communication protégée par le secret professionnel liant un avocat et son client en se demandant si la divulgation de parties de la communication causerait un préjudice. Une telle approche minerait la confiance d’un client selon laquelle les communications faites aux fins de solliciter ou de donner un avis juridique ne sont pas assujetties à la communication sans le consentement du client et le dissuaderait de faire preuve de la franchise nécessaire dans un tel contexte.

 

[8]               M. Blank a interjeté un appel incident. Selon son argument principal, le juge a omis d’inclure dans la liste de documents dont la communication était exigée certains documents que l’avocat du ministre lui avait déjà communiqués. Après avoir pris connaissance des documents, l’avocat du ministre a convenu de certains de ceux‑ci avec M. Blank. Dans cette mesure, j’accueillerais l’appel incident de M. Blank.

 

[9]               De plus, M. Blank a soutenu que le ministre avait renoncé au secret professionnel reconnu à l’article 23 à l’égard de deux autres documents. Dans un affidavit, M. Blank a déclaré que, même s’il n’avait pas une copie des documents en question, les documents 98 et 99 (ou les pages 2651-2652 du dossier d’appel confidentiel), l’avocat du ministre les lui avait montrés et il avait pris des notes détaillées de leur contenu. L’avocat a déclaré qu’il ne se souvenait pas avoir montré ces documents à M. Blank.

 

[10]           Une comparaison des notes de M. Blank et des documents en question montre que les notes contiennent des renseignements détaillés et des expressions qui ne pourraient provenir que d’une consultation des documents eux-mêmes. Je conclus que M. Blank a en effet vu les documents et, à la lumière de l’incapacité de l’avocat du ministre de contredire l’affidavit de M. Blank, je conclus que ces documents devraient être communiqués.

 

[11]           Je reproduis ci-dessous les articles de la Loi qui intéressent le plus le présent appel.

23. Le responsable d’une institution fédérale peut refuser la communication de documents contenant des renseignements protégés par le secret professionnel qui lie un avocat à son client.

 

25. Le responsable d’une institution fédérale, dans les cas où il pourrait, vu la nature des renseignements contenus dans le document demandé, s’autoriser de la présente loi pour refuser la communication du document, est cependant tenu, nonobstant les autres dispositions de la présente loi, d’en communiquer les parties dépourvues des renseignements en cause, à condition que le prélèvement de ces parties ne pose pas de problèmes sérieux.

 

 

23. The head of a government institution may refuse to disclose any record requested under this Act that contains information that is subject to solicitor-client privilege.

 

25. Notwithstanding any other provision of this Act, where a request is made to a government institution for access to a record that the head of the institution is authorized to refuse to disclose under this Act by reason of information or other material contained in the record, the head of the institution shall disclose any part of the record that does not contain, and can reasonably be severed from any part that contains, any such information or material.

[12]           D’emblée, j’aimerais souligner deux points concernant l’application de ces dispositions au présent appel. Premièrement, le juge qui a entendu la demande a considéré (au paragraphe 15) que les documents en question faisaient à juste titre l’objet du secret professionnel en vertu de l’article 23, comme l’avait décidé antérieurement un autre juge de la Cour fédérale : Blank c. Canada (Ministère de la Justice), 2003 CFPI 462. Ils ne contiennent pas d’éléments étrangers à l’affaire, tels que des conseils en matière de politique ou des sujets personnels.

 

[13]           Deuxièmement, il est bien établi que l’article 25 s’applique aux documents visés par l’article 23 : voir, à titre d’exemple, Blank c. Canada (Ministre de la Justice), 2004 CAF 287, [2005] 1 A.C.F. 403, au paragraphe 66 (l’arrêt Blank de 2004). Toutefois, l’article 25 doit être appliqué aux communications assujetties au secret professionnel d’une manière qui reconnaît la pleine mesure de la protection. L’intention du législateur n’est pas d’exiger le prélèvement de renseignements qui font partie d’une communication privilégiée en exigeant, par exemple, la communication de renseignements qui révéleraient le sujet précis de la communication ou les hypothèses actuelles de l’avis juridique donné ou sollicité.

 

[14]           Une grande partie de la toile de fond ayant donné lieu à la bataille que se livrent M. Blank et le ministre concernant la communication de documents a été expliquée de façon très compétente dans des décisions antérieures de la Cour fédérale et de la Cour. Qu’il suffise de dire que depuis 1997 M. Blank a tenté d’obtenir la communication du dossier du ministre concernant la poursuite infructueuse intentée contre M. Blank et sa société pour des infractions ayant trait à la pollution et à la présentation de rapports en vertu de la Loi sur les pêches, L.R.C. 1985, ch. F‑14, et du Règlement sur les effluents des fabriques de pâtes et papiers, DORS/92-269.

 

[15]           En conséquence des tentatives persistantes de M. Blank visant à obtenir la communication d’autres renseignements, le ministre a, petit à petit, communiqué des documents supplémentaires au fil des ans. M. Blank a présenté ses demandes d’accès dans le cadre d’une action en dommages‑intérêts qu’il a intentée contre le ministère public à la suite des efforts de celui-ci pour le poursuivre. Dans sa déclaration, M. Blank allègue, entre autres choses, la conspiration, la fraude et la poursuite malveillante.

 

[16]           Quant aux antécédents judiciaires du présent appel, la décision du juge qui a entendu la demande a été rendue à la suite d’un renvoi par la Cour à la Cour fédérale pour qu’elle décide si des parties des documents demandés en vertu de la Loi avaient été prélevées en conformité avec l’article 25 : l’arrêt Blank de 2004, au paragraphe 67. S’exprimant au nom de la Cour sur les renseignements qui pouvaient être prélevés, le juge Létourneau a déclaré ce qui suit (au paragraphe 66) :

Par conséquent, des renseignements généraux de nature descriptive, notamment la description du document, le nom, le titre et l’adresse de la personne visée par la communication, les conclusions de la communication et la signature peuvent être prélevés et communiqués. Cette Cour a répondu, dans Blank, au paragraphe 23, que ce type de renseignement permettait au demandeur « de savoir qu’il y a eu une communication entre certaines personnes à une certaine date sur un certain sujet, mais rien de plus ».

 

 

[17]           Ces mots ont été tirés, en partie, des motifs de la juge Sharlow dans l’arrêt Blank de 2001, qui portait sur des revendications de secret professionnel à l’égard d’avis juridiques et sur l’obligation de prélever des renseignements dans le contexte de la Loi. Les paragraphes pertinents des motifs de la juge Sharlow sont les suivants :

[20] L’avocat de l’appelant a signalé que ce ne sont pas toutes les communications entre avocat et client qui sont confidentielles et que, précisément dans le cas des avocats engagés par le gouvernement, les avis recherchés ou donnés peuvent parfois avoir trait à des questions de politique plutôt que de droit. Bien que cela soit théoriquement vrai, en l’espèce, je n’ai pu identifier d’avis recherchés ou donnés qui ne pouvaient pas à proprement parler être qualifiés d’avis juridiques.

 

[21] Pour la totalité des documents en cause en l’espèce qui constituent des communications entre avocat et client, le juge pouvait à juste titre faire droit au privilège invoqué pour la totalité du document. Il l’a fait dans la plupart des cas, alors que dans d’autres cas, il a exigé qu’une partie du document soit communiquée.

 

[22] Les cas dans lesquels une communication partielle a été ordonnée se classent en deux catégories. Dans la première catégorie, on a ordonné la communication de certains énoncés qui étaient purement factuels. Il est possible de prétendre qu’on n’aurait pas dû ordonner la communication de ces énoncés de faits parce que dans chacun des cas ils sont inextricablement liés à la question juridique discutée et qu’ils auraient dû être traités comme faisant partie d’une communication confidentielle. Dans cette mesure, il se peut qu’il y ait eu une trop grande communication de certains documents confidentiels. Toutefois, comme le ministre n’a pas déposé d’appel incident, l’ordonnance du juge ne sera pas modifiée sur ce point.

 

[23] Dans la deuxième catégorie, on retrouve des lettres et des notes de service dont la partie visée par l’ordonnance porte sur ce que je caractériserais de renseignements d’identification générale : la description du document (par exemple, l’en-tête de la « note de service » et l’identification du dossier interne), le nom, le titre et l’adresse de la personne à qui était adressée la communication, l’objet, le préambule et la conclusion généralement sans grande importance et la signature. Les communications partielles dans cette catégorie permettent aux appelants de savoir qu’il y a eu une communication entre certaines personnes à une certaine date sur un certain sujet, mais rien de plus.

 

[24] Il peut y avoir des cas où des renseignements d’identification générale de cette nature pourraient être visés par le secret professionnel. Toutefois, le ministre n’a fourni aucun élément de preuve à partir duquel je pourrais conclure que tel est le cas. À strictement parler, par conséquent, le juge aurait pu et aurait dû ordonner la communication des renseignements d’identification générale pour chaque lettre ou note de service contenant une communication confidentielle. En pratique, toutefois, les renseignements d’identification les plus importants se trouvent déjà dans la liste des détails fournis. Modifier l’ordonnance du juge pour exiger une plus grande communication des renseignements d’identification n’est pas nécessaire à cette étape et je refuserais de le faire.

[Non souligné dans l’original.]

 

[18]           Je ferais trois observations à propos de la portée de l’obligation de prélever des renseignements telle qu’elle est définie dans les paragraphes qui précèdent. Premièrement, la juge Sharlow indique au paragraphe 22 que le juge dont la décision faisait l’objet de l’appel dans cette affaire pouvait avoir commis une erreur en prélevant des énoncés de faits des communications faisant l’objet du secret professionnel « parce que dans chacun des cas ils [étaient] inextricablement liés à la question juridique discutée et qu’ils auraient dû être traités comme faisant partie d’une communication confidentielle. »

 

[19]           Elle n’avait pas à trancher cette question puisque le ministre n’avait pas logé d’appel incident. Néanmoins, je déduis de ce passage que la juge Sharlow était d’avis que l’article 25 n’autoriserait pas le prélèvement d’éléments factuels qui font « partie d’une communication confidentielle ».

 

[20]           Deuxièmement, ayant énuméré comme « renseignements d’identification générale » (au paragraphe 23) les genres d’éléments qui pouvaient être communiqués, la juge Sharlow a indiqué (au paragraphe 24) qu’il pouvait y avoir des cas où ils pouvaient être visés par le secret professionnel et, vraisemblablement, non susceptibles d’être prélevés. À titre d’exemple, un en‑tête peut révéler le sujet même de la communication confidentielle.

 

[21]           Troisièmement, la juge Sharlow a inclus dans sa liste de « renseignements d’identification générale » (au paragraphe 23), « le préambule et la conclusion généralement sans grande importance. » Je ne vois pas très bien ce que cela signifie. L’expression « sans grande importance » pourrait être interprétée comme exigeant l’examen du corps d’une communication confidentielle afin de décider si la communication de phrases particulières causerait un préjudice.

 

[22]           Toutefois, à mon avis, une lecture de l’analyse de la juge Sharlow dans son ensemble (y compris sa déclaration au paragraphe 20 selon laquelle des conseils en matière de politique donnés par un avocat dans une lettre donnant également un avis juridique peuvent ne pas être assujettis au secret professionnel) indique que, selon elle, le critère approprié est la question de savoir si les renseignements font partie de la communication confidentielle. Si c’est le cas, l’article 25 n’exige pas alors qu’ils soient prélevés du reste de la communication confidentielle.

 

[23]           Ce genre d’approche large à l’égard de l’étendue du secret professionnel en matière « d’avis » est compatible avec les décisions rendues après l’arrêt Blank de 2001. Plus particulièrement, dans l’arrêt Pritchard c. Ontario (Commission des droits de la personne), 2004 CSC 31, [2004] 1 R.C.S. 809, la cour a statué que le privilège avocat-client s’appliquait aux communications entre un organisme gouvernemental client et un avocat salarié de l’État qui recherche ou donne des avis juridiques. S’exprimant au nom de la cour, le juge Major a indiqué (au paragraphe 17) que le secret professionnel de l’avocat « est fondamental pour le système de justice canadien » et « est jalousement protégé et ne doit être levé que dans les circonstances les plus exceptionnelles, notamment en cas de risque véritable qu’une déclaration de culpabilité soit prononcée à tort. »

 

[24]           Dans le même ordre d’idées, le juge Rothstein, s’exprimant au nom de la cour dans l’arrêt Goodis c. Ontario (Ministère des Services correctionnels), 2006 CSC 31, [2006] 2 R.C.S. 32, une affaire portant sur l’accès à l’information, a déclaré (au paragraphe 15) que « [l]e juge doit donc appliquer le critère de l’"absolue nécessité" lorsqu’il statue sur une demande de divulgation » de communications assujetties au secret professionnel.

 

[25]           Compte tenu de la jurisprudence qui précède et de mon examen des documents en cause, je suis d’avis que le juge qui a entendu la demande a erré en ordonnant la communication du premier paragraphe du document aux pages 2567-2568, du premier paragraphe à la page 2592 et de la première phrase à la page 2818.

 

[26]           M. Blank a soutenu que, en rejetant son appel de la décision de la Cour dans l’arrêt Blank de 2004, la Cour suprême du Canada dans Blank c. Canada (Ministre de la justice), 2006 CSC 39, [2006] 2 R.C.S. 319 (l’arrêt Blank de 2006), a indiqué qu’il fallait donner une portée plus large à la divulgation de documents confidentiels demandée en vertu de la Loi. Dans l’arrêt Blank de 2006, la question principale portait sur le privilège relatif au litige et, plus particulièrement, sur la question de savoir s’il expirait lorsque le litige donnant lieu au privilège prenait fin.

 

[27]           M. Blank s’est appuyé sur deux déclarations du juge Fish et des juges Bastarache et Charron comme étayant sa position selon laquelle, compte tenu de l’importance de l’obligation de communication en vertu de la Loi, toute partie d’une communication assujettie au privilège avocat‑client, à l’exception de l’avis juridique lui-même, devrait être divulguée à moins de porter atteinte à l’intérêt public.

 

[28]           S’exprimant pour la majorité dans l’arrêt Blank de 2006, le juge Fish a indiqué (au paragraphe 52) que le libellé de l’article 23 exprimait une faculté :

Il prévoit que le ministre peut invoquer le privilège. Ce libellé favorise la communication en encourageant le ministre à s’abstenir d’invoquer le privilège, sauf s’il estime nécessaire de le faire dans l’intérêt public. Il étaye aussi une interprétation qui favorise une communication accrue, et non une communication plus restreinte, des documents gouvernementaux.

 

À mon avis, ce paragraphe n’aide pas M. Blank dans le présent appel.

 

[29]           Premièrement, comme je l’ai déjà indiqué, l’arrêt Blank de 2006 portait sur la question de savoir si le privilège relatif au litige était visé par l’article 23 et, si c’est le cas, sur la question de savoir s’il expirait à la fin du litige auquel les documents se rapportent. Le juge Fish a pris la peine d’indiquer tout au long de ses motifs que le privilège relatif aux avis juridiques et le privilège relatif au litige sont des « concepts distincts » (au paragraphe 7), qui « reposent sur des considérations de principe différentes et entraînent des conséquences juridiques différentes » (au paragraphe 33). Le juge Fish établit un lien entre la faculté exprimée à l’article 23 et sa conclusion selon laquelle le législateur n’avait pas l’intention d’étendre la durée de vie du privilège relatif au litige. Il serait erroné d’attribuer une grande importance à ce paragraphe en ce qui a trait aux revendications de privilège relatif aux avis juridiques.

 

[30]           Deuxièmement, la faculté exprimée à l’article 23 reflète la possibilité pour un client de renoncer au privilège avocat-client ou la possibilité que cette renonciation soit faite en son nom. On peut supposer que, en invoquant le privilège avocat-client en l’espèce, il a été décidé que la renonciation ne serait pas dans l’intérêt public. Rien dans le dossier devant nous ne permet d’établir que le ministre a omis d’examiner la renonciation à ce privilège ou que son examen était entaché de mauvaise foi, comme l’allègue M. Blank, ou qu’il était autrement illégal : comparer l’arrêt Blank de 2004 aux paragraphes 61 et 62. Je ne peux trouver dans le paragraphe 52 des motifs du juge Fish une obligation légale imposée au ministre d’expliquer de façon expresse la raison pour laquelle il n’a pas renoncé au privilège.

 

[31]           M. Blank a également attiré notre attention sur les motifs concourants distincts des juges Bastarache et Charron dans l’arrêt Blank de 2006 et qui ont été rendus par le juge Bastarache. Il a plus particulièrement indiqué une déclaration (au paragraphe 68) selon laquelle la Loi portait atteinte au secret professionnel de l’avocat en commandant la divulgation de certains renseignements et qu’elle devrait être interprétée de façon restrictive.

 

[32]           Cependant, cette déclaration doit être lue de concert avec la conclusion du juge Bastarache (au paragraphe 69) selon laquelle l’article 23 devrait être tenu pour inclure une exemption de l’obligation légale générale de communication à la fois pour ce qui est du privilège relatif aux avis juridiques et du privilège relatif au litige. Ainsi, la Loi ne diminue pas la protection accordée par la common law au secret professionnel de l’avocat. Je ne vois rien ici qui puisse aider M. Blank.

 

[33]           Quant à l’appel incident de M. Blank, j’ai déjà indiqué que certains documents ont été donnés à M. Blank et qu’ils devraient maintenant être ajoutés à l’annexe A du juge qui a entendu la demande comme documents exigeant d’être divulgués. De plus, je considère que l’avocat du ministre a montré à M. Blank les documents décrits dans son affidavit et que ceux-ci devraient également être inclus dans l’annexe A.

 

[34]           Toutefois, je n’accepte par l’affirmation de M. Blank selon laquelle sa connaissance de certains faits justifie le prélèvement de toute mention de ces faits de l’avis juridique. Les faits à l’égard desquels l’avis juridique est donné ou sollicité continuent de faire partie de la communication assujettie au privilège avocat-client jusqu’à la renonciation à ce privilège par une personne autorisée.

 

[35]           Puisque je ne suis pas convaincu que le juge qui a entendu la demande a commis des erreurs susceptibles de contrôle à d’autres égards, je rejetterais l’appel incident de M. Blank, sauf dans la mesure indiquée au paragraphe 33 des présents motifs.

 

[36]           Pour ces motifs, j’accueillerais l’appel du ministre en partie, dans la mesure où il se rapporte aux trois documents qui restent, et je modifierais en conséquence l’annexe B jointe à l’ordonnance du juge qui a entendu la demande. J’accueillerais l’appel incident de M. Black en partie et je modifierais l’annexe A en conséquence. Puisque les parties ont chacune partiellement obtenu gain de cause, je n’adjugerais pas de dépens.

 

 

 

« John M. Evans »

j.c.a.

« Je souscris aux présents motifs

Gilles Létourneau, j.c.a. »

 

« Je souscris aux présents motifs

            J.D. Denis Pelletier, j.c.a. »

 

 

 

 

 

Traduction certifiée conforme

Michèle Ledecq, B. trad.

 

 

 


 

COUR D’APPEL FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

DOSSIER :                                                             A-563-05

 

(APPEL D’UNE ORDONNANCE DE LA COUR FÉDÉRALE DATÉE DU 17 NOVEMBRE 2005, DOSSIER NO T-2073-00)

 

INTITULÉ :                                                           LE MINISTRE DE LA JUSTICE

                                                                                c.

                                                                                SHELDON BLANK

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                                     WINNIPEG (MANITOBA)

 

DATE DE L’AUDIENCE :                                   LE 26 FÉVRIER 2007

 

MOTIFS DU JUGEMENT :                                 LE JUGE EVANS

 

Y ONT SOUSCRIT :                                             LE JUGE LÉTOURNEAU

                                                                                LE JUGE PELLETIER

                                                                               

 

DATE DES MOTIFS :                                          LE 1er mars 2007

 

 

COMPARUTIONS :

 

Christopher Rupar

Ministère de la Justice

Ottawa (Ontario)

 

POUR L’APPELANT

 

Sheldon Blank, pour son propre compte

POUR L’INTIMÉ

 

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER:

 

John H. Sims, c.r.

Sous-procureur général du Canada

 

POUR L’APPELANT

 

Sheldon Blank, pour son propre compte

Winnipeg (Manitoba)

POUR L’INTIMÉ

 

 

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