Décisions de la Cour d'appel fédérale

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Date : 20070404

Dossiers : A-547-05

A-548-05

 

Référence : 2007 CAF 136

 

CORAM :      LA JUGE DESJARDINS

                        LE JUGE DÉCARY

                        LE JUGE NADON

 

A-547-05

ENTRE :

SA MAJESTÉ LA REINE

Appelante

et

ADELA GILBERT

Intimée

 

 

 

A-548-05

 

ENTRE :

 

SA MAJESTÉ LA REINE

Appelante

et

PIERRE GILBERT

Intimé

 

 

Audience tenue à Montréal (Québec), le 21 février 2007.

Jugement rendu à Ottawa (Ontario), le 4 avril 2007.

 

 

MOTIFS DU JUGEMENT :                                                                               LE JUGE NADON

Y A (ONT) SOUSCRIT :                                                                         LA JUGE DESJARDINS

                                                                                                                         LE JUGE DÉCARY

 

 


Date : 20070404

Dossiers : A-547-05

A-548-05

 

Référence : 2007 CAF 136

CORAM :      LA JUGE DESJARDINS

                        LE JUGE DÉCARY

                        LE JUGE NADON

 

A-547-05

ENTRE :

SA MAJESTÉ LA REINE

Appelante

et

ADELA GILBERT

Intimée

 

 

A-548-05

 

ENTRE :

 

SA MAJESTÉ LA REINE

Appelante

et

PIERRE GILBERT

Intimé

 

 

 

MOTIFS DU JUGEMENT

LE JUGE NADON

 

[1]               Il s’agit d’un appel de la décision de la juge Lamarre Proulx de la Cour canadienne de l’impôt en date du 17 octobre 2005 dans les dossiers 2002-3402(IT)G et 2002-3401(IT)G qui accueillait l’appel d’Adela et Pierre Gilbert (« les intimés ») à l’encontre de la cotisation établie à leur égard par le ministre du Revenu national (le « ministre » ou l’ « appelante ») en vertu de l’article 160 de la Loi de l’impôt sur le revenu, L.R.C. 1985, ch.1 (5e suppl.) (« la Loi »)

 

[2]               L’appelante demande à la Cour de modifier la décision de la Cour canadienne de l’impôt en ordonnant que la juste valeur marchande des dividendes corresponde au montant réel du dividende reçu par chacun des intimés.  L’appelante demande également que soit rejeté avec dépens l’appel incident interjeté par les intimés.

 

[3]               Pour leur part, les intimés demandent à la Cour de modifier la décision de la Cour canadienne de l’impôt et de décider que le versement de dividendes ne constitue pas un transfert sans contrepartie au sens de l’article 160(1) a) de la Loi.

 

Exposé des faits

[4]               Les intimés étaient les seuls actionnaires de la société Sécovac Inc. (« la société ») et responsables de l’administration et du contrôle de la société.  Incorporée en 1996, la société exerçait dans le domaine de la conception et de la vente de séchoirs à bois.

 

[5]               Pour les années d’imposition 1999 et 2000, la société a versé des dividendes à chacun des intimés totalisant 55 000 $.  Au moment où les dividendes ont été versés, la société avait une dette fiscale envers le ministre du Revenu national de 136 338,04 $.

 

[6]               Le 6 juin 2002, le ministre cotisait chacun des intimés, en vertu de l’article 160 de la Loi, pour un montant de 55 000 $.

 

[7]               Les intimés ont porté la décision du ministre en appel devant la Cour canadienne de l’impôt et le 17 octobre 2005, la juge Lamarre Proulx accueillait en partie l’appel (Gilbert c. Canada [2005] A.C.I. no 570).   Elle concluait en premier lieu que le paiement d’un dividende à un actionnaire constituait un transfert sans contrepartie au sens de l’article 160(1) de la Loi.  En deuxième lieu, elle concluait que la juste valeur marchande des dividendes versés aux intimés était le montant transféré moins l’impôt payable par le bénéficiaire relativement au dividende reçu.

 

[8]               Le 15 novembre 2007, l’appelante déposait un avis d’appel devant cette Cour s’attaquant à la deuxième conclusion de la Cour canadienne de l’impôt.  Par avis d’appel incident, les intimés s’en prennent à la première conclusion du juge.

 

Questions en litige

[9]               Deux questions sont donc soulevées par l’appel et l’appel incident.  La première est celle de déterminer si le paiement de dividendes aux intimés par la société constitue un transfert de biens sans contrepartie au sens du sous-alinéa160(1)a) de la Loi. Si la première question trouve une réponse affirmative, se pose la deuxième question qui concerne la juste valeur marchande des dividendes versés aux intimés.

 

Analyse

[10]           Avant d’examiner la décision du juge, je reproduis immédiatement l’article 160(1) de la Loi :

160. (1) Lorsqu'une personne a, depuis le 1er mai 1951, transféré des biens, directement ou indirectement, au moyen d'une fiducie ou de toute autre façon à l'une des personnes suivantes:

a) son époux ou conjoint de fait ou une personne devenue depuis son époux ou conjoint de fait;

b) une personne qui était âgée de moins de 18 ans;

c) une personne avec laquelle elle avait un lien de dépendance,

les règles suivantes s'appliquent:

d) le bénéficiaire et l'auteur du transfert sont solidairement responsables du paiement d'une partie de l'impôt de l'auteur du transfert en vertu de la présente partie pour chaque année d'imposition égale à l'excédent de l'impôt pour l'année sur ce que cet impôt aurait été sans l'application des articles 74.1 à 75.1 de la présente loi et de l'article 74 de la Loi de l'impôt sur le revenu, chapitre 148 des Statuts révisés du Canada de 1952, à l'égard de tout revenu tiré des biens ainsi transférés ou des biens y substitués ou à l'égard de tout gain tiré de la disposition de tels biens;

e) le bénéficiaire et l'auteur du transfert sont solidairement responsables du paiement en vertu de la présente loi d'un montant égal au moins élevé des montants suivants:

i) l'excédent éventuel de la juste valeur marchande des biens au moment du transfert sur la juste valeur marchande à ce moment de la contrepartie donnée pour le bien,

ii) le total des montants dont chacun représente un montant que l'auteur du transfert doit payer en vertu de la présente loi au cours de l'année d'imposition dans laquelle les biens ont été transférés ou d'une année d'imposition antérieure ou pour une de ces années;

aucune disposition du présent paragraphe n'est toutefois réputée limiter la responsabilité de l'auteur du transfert en vertu de quelque autre disposition de la présente loi.

 

160. (1) Where a person has, on or after May 1, 1951, transferred property, either directly or indirectly, by means of a trust or by any other means whatever, to

(a) the person's spouse or common-law partner or a person who has since become the person's spouse or common- law partner,

(b) a person who was under 18 years of age, or

(c) a person with whom the person was not dealing at arm's length,

the following rules apply:

(d) the transferee and transferor are jointly and severally liable to pay a part of the transferor's tax under this Part for each taxation year equal to the amount by which the tax for the year is greater than it would have been if it were not for the operation of sections 74.1 to 75.1 of this Act and section 74 of the Income Tax Act, chapter 148 of the Revised Statutes of Canada, 1952, in respect of any income from, or gain from the disposition of, the property so transferred or property substituted therefor, and

(e) the transferee and transferor are jointly and severally liable to pay under this Act an amount equal to the lesser of

(i) the amount, if any, by which the fair market value of the property at the time it was transferred exceeds the fair market value at that time of the consideration given for the property, and

(ii) the total of all amounts each of which is an amount that the transferor is liable to pay under this Act in or in respect of the taxation year in which the property was transferred or any preceding taxation year,

but nothing in this subsection shall be deemed to limit the liability of the transferor under any other provision of this Act.

 

 

[11]           En ce qui a trait à la première question, la juge Lamarre Proulx a conclu que les dividendes versés aux intimés constituaient un transfert sans contrepartie au sens de l’article 160(1)a) de la Loi. Aux paragraphes 30 à 32 de ses motifs, elle s’exprimait comme suit:

[30] Selon ma compréhension du droit corporatif, c’est au moment de la liquidation d’une société que les sociétés que les actionnaires se partagent le reliquat des biens de la société.  L’émission d’un dividende est de nature différente.  Je ne puis accepter la proposition que la réception d’un dividende cause l’appauvrissement corrélatif de l’actionnaire bénéficiaire.  Je ne crois pas que ce soit le cas en droit corporatif et ce ne l’est sûrement pas en droit fiscal.  En droit fiscal, une personne qui reçoit un dividende doit l’inclure dans le calcul du revenu.  En ce qui concerne la société qui l’émet il s’agit d’une diminution de ses bénéfices non repartis et une diminution de ses avoirs.

 

[31] Donc il y a appauvrissement de la société émettrice et enrichissement du bénéficiaire comme dans tout transfert de biens sujet à l’article 160 de la Loi

 

[32] En ce qui concerne la possibilité d’une contrepartie à donner pour l’émission d’un dividende, je suis d’avis que la Cour suprême du Canada dans Neuman (supra) a clairement exprimé qu’il n’y en avait pas.

 

 

 

[12]           À mon avis, la juge Lamarre-Proulx n’a commis aucune erreur en rejetant l’argument des intimés à  l’effet qu'un dividende leur a été versé à titre d’actionnaires de la société moyennant une contrepartie, puisqu’elle n’a fait que suivre les enseignements de notre Cour et de la Cour suprême.

 

[13]           Plus particulièrement, la juge Lamarre Proulx s’est référée à l’affaire Newman c. M.R.N, [1998] 1 R.C.S. 770, à la page 791, où la Cour suprême du Canada, citant avec approbation les motifs dissidents du juge LaForest dans McClurg c. Canada, (1990) 3 R.C.S. 1020), a clairement confirmé qu’aucune contrepartie ne peut-être donnée pour le versement d’un dividende :

… le versement d'un dividende résulte de la propriété du capital-actions d'une société. Selon un principe fondamental du droit des sociétés, un dividende est le rapport du capital qui se rattache à une action et ne dépend d'aucune façon de la conduite d'un actionnaire donné. » 

 

 

[14]           Cette conclusion entérine celle à laquelle en est venu le juge Rip de la Cour canadienne de l’impôt dans Algoa Trust c. Canada, [1993] 1 C.T.C. 2294,  page 2303, décision dont l’appel était rejeté par notre Cour le 4 février 1998 (dossier de la Cour A-201-93):

Lorsqu'une personne souscrit des actions d'une corporation, elle paie théoriquement l'acquisition d'une part de propriété de la corporation et reçoit des actions d'une catégorie du capital-actions de la corporation. L'actionnaire verse une contrepartie pour les actions elles-mêmes et non pour ce qu'elles peuvent rapporter.  Le fait d'être propriétaire d'actions confère à l'actionnaire certains droits: le droit de voter en tant qu'actionnaire, le droit de participer au partage du capital en cas de liquidation de la corporation et le droit de recevoir des dividendes (cette énumération ne prétend pas être exhaustive.)  Lorsque l'actionnaire reçoit un dividende, ce n'est pas en raison d'une contrepartie quelconque qu'il a donnée à la corporation ni du fait que la corporation est tenue de payer pour l'investissement.  Quand un actionnaire achète des actions, il n'achète pas un droit à un revenu.  Un actionnaire reçoit un dividende uniquement parce que le droit de recevoir un dividende est inhérent à la possession d'actions. 

 

[Je souligne]

 

 

 

[15]           En ce qui concerne la question de savoir si le paiement d’un dividende constitue un transfert de biens au sens de l’article 160 de la Loi, la juge Sharlow dans Addison & Leyen Ltd. c. Canada [2006] A.C.F. no 489 aux paragraphes 57 à 60, affirmait que les dividendes pouvaient faire l’objet de l’article 160 :

[57] … Il est possible d'imaginer qu'une société, surtout si elle a peu d'actionnaires, ait recours au paiement de dividendes pour se départir de certains actifs afin d'éviter de payer de l'impôt, mais dans la plupart des cas, le paiement de dividendes est une transaction commerciale ordinaire. Les dividendes constituent aussi un revenu imposable pour le bénéficiaire (sauf pour certains bénéficiaires qui sont des sociétés) …

 

[60] Ainsi, la décision rendue en 1993 par la Cour de l'impôt dans Algoa Trust fait autorité en ce qui a trait à la proposition selon laquelle l'article 160 peut s'appliquer aux dividendes.

 

[Je souligne]

 

 

[16]           Malgré sa plaidoirie fort habile, Me Ryan, procureur des intimés, n’a su me convaincre que ces derniers avaient donné une contrepartie pour les dividendes que leur avait versés la société.  En outre, il n’a su me convaincre qu’il y avait lieu de réexaminer la conclusion du juge Rip selon laquelle un actionnaire recevant un dividende ne fournissait aucune contrepartie.

 

[17]           Je passe maintenant à la deuxième question. Selon le sous-alinéa 160(1)e)i) de la Loi, le bénéficiaire et l’auteur d’un transfert sont solidairement responsables du paiement d’une dette fiscale pour un montant égal à « l’excédent éventuel de la juste valeur marchande des biens au moment du transfert sur la juste valeur marchande à ce moment de la contrepartie donnée pour le bien ».

 

[18]           Dans Nash c. Canada, 2005 CAF 386, notre Cour retenait la définition de la « juste valeur marchande » élaborée par le juge Cattanach de la Cour fédérale dans Succession Henderson et Bank of New York c. M.R.N (1973), 73 D.T.C. 5471, à la page 5476 (confirmé par cette Cour dans [1975] A.C.F. no 1973),  à savoir:

le prix le plus élevé que le propriétaire d'un bien peut raisonnablement s'attendre à en tirer s'il le vend de façon normale et dans le cours ordinaire des affaires, le marché n'étant pas soumis à des pressions inhabituelles et étant constitué d'acheteurs disposés à acheter et des vendeurs disposés à vendre, qui n'ont entre eux aucun lien de dépendance et qui ne sont en aucune façon obligés d'acheter ou de vendre.  J'ajouterais que cette définition comprend un marché libre de toutes restrictions, où le prix est établi par le jeu de la loi de l'offre et de la demande entre des acheteurs et des vendeurs avertis et désireux d'acheter et de vendre.

 

 

[19]           En outre, dans Hewett c. Canada, [1997] A.C.F. no 1541 (QL), notre Cour concluait que la juste valeur marchande d’un bien devait être évaluée entre les mains de l’auteur du transfert et que la valeur d’un bien transféré devait être la même dans le patrimoine de l’auteur du transfert que dans celui du bénéficiaire.

 

[20]           En l’instance, le bien transféré est un dividende d’un montant de 55 000 $ reçu par chacun des intimés.  En appliquant la définition de la juste valeur marchande acceptée par notre Cour dans l’affaire Nash, précitée, j’en viens à la conclusion que la juste valeur marchande versée au bénéficiaire du transfert pour les fins de l’article 160 est de 55 000 $ pour chacun des intimés.

 

[21]           C’est donc ce montant qui doit-être cotisé, soit le montant que le ministre aurait pu saisir entre les mains de la société si le transfert n’avait pas eu lieu. Il me semble que cette conclusion est la seule possible compte tenu du fait que l’évaluation de la valeur marchande doit se faire en considérant que le bien se trouve toujours entre les mains de l’auteur du transfert, soit la Société. Cette conclusion est conforme à l'article 160 de la Loi dont le but est d’empêcher un contribuable de transférer ses biens afin de contourner la cotisation d’impôts non payés par le Ministre.

 

[22]           En outre, je suis satisfait que les conséquences fiscales pour les intimés résultant du transfert ne sont nullement pertinentes quant à la détermination de la juste valeur marchande.

 

[23]           Par conséquent, à mon avis, la juge Lamarre Proulx a commis une erreur en décidant que la juste valeur marchande d’un dividende est le montant du dividende diminué de l’impôt à payer sur ce dividende.

 

Conclusion

[24]           J’accueillerais l’appel avec dépens, je rejetterais l’appel incident avec dépens et j’annulerais la décision de la Cour canadienne de l’impôt.  Rendant la décision qui aurait dû être rendue, je rejetterais l’appel déposé par les intimés à l’encontre de la cotisation établie par le ministre, le tout, avec dépens.

 

« M. Nadon »

j.c.a.

 

« Je souscris à ces motifs.

            Alice Desjardins j.c.a. »

 

« Je souscris à ces motifs.

            Robert Décary j.c.a. »

 


COUR D’APPEL FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

DOSSIER :                                                                            A-547-05

 

INTITULÉ :                                                                           Sa Majesté la Reine c. Adela Gilbert

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                                                     Montréal, Québec

 

DATE DE L’AUDIENCE :                                                   Le 21 février 2007

 

MOTIFS DU JUGEMENT :                                                Le juge Nadon

 

Y ONT SOUSCRIT :                                                             La juge Desjardins

                                                                                                Le juge Décary

 

DATE DES MOTIFS :                                                          Le 4 avril 2007

 

 

COMPARUTIONS :

 

Jane Meagher

Marie-Aimée Cantin

 

POUR L’APPELANTE

 

Paul Ryan

POUR L’INTIMÉE

 

 

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

John H. Simms, c.r.

Sous-procureur général du Canada

 

POUR L’APPELANTE

 

Ravinsky, Ryan Avocats

Montréal, Québec

POUR L’INTIMÉE

 


COUR D’APPEL FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

DOSSIER :                                                                            A-548-05

 

INTITULÉ :                                                                           Sa Majesté la Reine c. Pierre Gilbert

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                                                     Montréal, Québec

 

DATE DE L’AUDIENCE :                                                   Le 21 février 2007

 

MOTIFS DU JUGEMENT :                                                Le juge Nadon

 

Y ONT SOUSCRIT :                                                             La juge Desjardins

                                                                                                Le juge Décary

 

DATE DES MOTIFS :                                                          Le 4 avril 2007

 

 

COMPARUTIONS :

 

Jane Meagher

Marie-Aimée Cantin

 

POUR L’APPELANTE

 

Paul Ryan

POUR L’INTIMÉ

 

 

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

John H. Simms, c.r.

Sous-procureur général du Canada

 

POUR L’APPELANTE

 

Ravinsky, Ryan Avocats

Montréal, Québec

POUR L’INTIMÉ

 

 

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