ENTRE :
LE MINISTRE DE LA SÉCURITÉ PUBLIQUE
ET DE LA PROTECTION CIVILE (CANADA)
et
intimée
Audience tenue à Toronto (Ontario), le 21 mars 2007.
Jugement rendu à Ottawa (Ontario), le 5 avril 2007.
MOTIFS DU JUGEMENT : LE JUGE DÉCARY
Y ONT SOUSCRIT : LE JUGE SEXTON
LE JUGE EVANS
Dossier : A-313-06
Référence : 2007 CAF 141
CORAM : LE JUGE DÉCARY
LE JUGE SEXTON
LE JUGE EVANS
ENTRE :
LE MINISTRE DE LA SÉCURITÉ PUBLIQUE
ET DE LA PROTECTION CIVILE (CANADA)
appelant
et
THANH THI NHU PHAM
intimée
MOTIFS DU JUGEMENT
[1] Le présent appel soulève des questions relatives aux pouvoirs et devoirs du ministre de la Sécurité publique et de la Protection civile (le ministre) sous le régime de la Loi sur le recyclage des produits de la criminalité et le financement des activités terroristes (L.C. 2000, ch.17) (la Loi).
Faits
[2] Les faits sont simples. Le 14 avril 2005, des agents des douanes canadiennes découvrent une somme d’argent non déclarée totalisant 181 600 dollars américains dans une voiture conduite par une certaine Mme Nguyen. Les agents saisissent les espèces, car ils soupçonnent qu’elles sont des produits de la criminalité selon les dispositions des paragraphes 18(1) et 18(2) de la Loi.
[3] Les agents délivrent un reçu à Mme Nguyen par lequel on l’informe qu’elle ou le propriétaire légitime des espèces a droit, dans les 90 jours, [traduction] « de déposer une demande de révision de cette mesure d’exécution et de demander une décision du ministre du Revenu national » (C.A., p. 45). Ce droit de demander une décision au ministre est reconnu à l’article 25 de la Loi. (Bien que le reçu fasse référence au ministre du Revenu national, le véritable ministre en cause est le ministre de la Sécurité publique et de la Protection civile. La correction a été apportée à un certain moment. Cette question n’est pas en cause.)
[4] Le 11 juillet 2005, l’avocat de Mme Pham, l’intimée, écrit au ministre pour lui déclarer que sa cliente est la propriétaire légitime des espèces et que celle-ci demande, en application de l’article 25 de la Loi, à ce qu’il y ait révision de la saisie et décision du ministre.
[5] Le 19 juillet 2005, l’Agence des services frontaliers du Canada (l’Agence) accuse réception de la lettre de l’avocat de l’intimée en date du 11 juillet 2005. La lettre explique que la révision ministérielle sera effectuée par la Direction des recours de l’Agence, [traduction] « qui a le mandat d’effectuer une révision complète et impartiale de la mesure d’exécution » (C.A., p. 49). On dit aussi dans la lettre qu’un certain M. Sears a été désigné à titre d’arbitre au dossier, et qu’une lettre suivra dans les 45 jours : elle [traduction] « comprendra une explication complète des motifs de la mesure d’exécution et déclenchera la procédure de révision ». La lettre ajoute que [traduction] « sur réception de la présente, vous aurez amplement l'occasion de fournir des renseignements supplémentaires concernant votre cause ». Une « fiche de renseignements » est jointe à la lettre : elle comprend une « foire aux questions » portant sur « la procédure d’appel applicable à une mesure d’exécution » (C.A., p. 51).
[6] Le 22 juillet 2005, l’Agence donne une réponse élaborée à la lettre du 11 juillet de cette même année. La lettre est ainsi rédigée :
[TRADUCTION] Malheureusement, votre correspondance ne nous permet pas de vous accepter comme partie principale dans la demande de décision ministérielle. Pour être accepté comme partie principale, vous devez prouver que vous êtes le propriétaire légitime de la somme saisie. Comme il est très difficile de prouver la propriété d’espèces, vous voudrez sans doute déposer une revendication de tiers.
Si les espèces ou effets ont été saisis à titre de confiscation en vertu du paragraphe 18(1) de la Loi sur le recyclage des produits de la criminalité et le financement des activités terroristes, toute personne, autre que le saisi, qui revendique sur les espèces ou effets un droit de propriété peut, dans les 90 jours qui suivent la saisie, requérir par avis écrit le tribunal de rendre l’ordonnance visée à l’article 33 de la Loi.
Je joins à la présente une fiche de renseignements qui peut vous être utile. J’aimerais attirer votre attention sur le délai alloué pour présenter votre demande à la Cour. La saisie a eu lieu le 14 avril 2005 et, à ce titre, vous devez présenter votre demande auprès de la Cour supérieure de justice de la province d’Ontario au plus tard le 14 juillet 2005.
[. . .]
Pour ce qui est de votre demande à titre de partie principale, le dossier restera en suspens pour un délai supplémentaire de 30 jours pour vous permettre de fournir des documents étayant votre propriété des espèces. Dans le cas où la preuve requise ne serait pas produite, votre dossier à titre de partie principale ─ qui a été ouvert ─ sera clos sur le plan administratif (C.A., p. 52 et 53).
Je note que l’échéance du 14 juillet 2005 applicable à une revendication à titre de tiers, par application de l’article 32 de la Loi, était déjà passée au moment où l’Agence a envoyé la lettre à l’intimée.
[7] Le 19 août 2005, l’avocat de l’intimée, en réponse à la lettre du 22 juillet 2005, déclare qu’il s’[traduction] « emploie encore à obtenir la preuve établissant la propriété de la somme saisie », la difficulté actuelle étant que sa cliente est au Vietnam et qu’elle vient tout juste de donner naissance à un enfant. Il demande une prorogation de délai de 14 jours (C.A., p. 56).
[8] Le 22 août 2005, l’avocat de l’intimée envoie une copie d’un affidavit signé à Toronto par Mme Nguyen. Dans cet affidavit, celle-ci déclare simplement : [traduction] « Thanh Thi Nhu PHAM est la propriétaire légitime de la somme qui a été saisie entre mes mains [...] et je n’ai aucun droit de propriété, quel qu’il soit, sur ladite somme » (C.A., p. 60).
[9] Le 31 août 2005, l’avocat de l’intimée envoie l’affidavit original de Mme Nguyen de même qu’un affidavit signé au Vietnam par Mme Pham. Dans ce dernier affidavit, Mme Pham déclare simplement qu’elle est [traduction] « la propriétaire légitime de la somme qui a été saisie entre les mains de Chung My Huong NGUYEN » et que, à sa connaissance, [traduction] « nulle autre personne ou entité ne revendique la propriété de ladite somme » (C.A., p. 66). La lettre ajoute :
[traduction] Nous vous informons que la présente se rapporte à une demande que ma cliente a déposée, en tant que partie principale, en application de l’article 25 de la Loi sur le recyclage des produits de la criminalité et le financement des activités terroristes, une disposition qui confère au propriétaire d’une somme saisie, autre que la personne entre les mains de laquelle la somme a en fait été saisie, un droit de demande.
Vous avez maintenant devant vous un affidavit établi sous serment par ladite partie, qui atteste son droit de propriété, ainsi qu’un affidavit établi sous serment par la partie entre les mains de qui la somme a été saisie, qui lui aussi confirme ce droit de propriété. En l’absence de toute preuve contraire, je crois que c’est là une preuve concluante du droit de propriété.
Par ailleurs, nulle autre personne ou entité n’a revendiqué un droit sur la somme qui a été saisie, et le délai dans lequel une telle prétention pourrait être avancée est depuis longtemps expiré.
Sans doute serait-il loisible au ministre de contester votre compétence en produisant une preuve de nature à contredire le droit de propriété revendiqué par ma cliente, mais aucune contestation du genre n’a encore été élevée. Par conséquent, dans ces conditions, ma cliente a justifié d’une apparence de droit de propriété qui suffit à vous investir du pouvoir de donner suite à sa demande.
[10] Le 30 septembre 2005, l’arbitre, dans une lettre envoyée à l’avocat de l’intimée, clôt le dossier en ces termes :
[traduction] Malheureusement, pour répondre à vos observations et affirmations, votre lettre ne peut être acceptée comme demande de décision ministérielle présentée par une partie principale. La preuve que vous avez fournie sous la forme d’affidavits ne suffit pas à prouver que votre cliente est la propriétaire légitime de la somme concernée. Nous voudrions une preuve indiquant l’origine de la somme, sous la forme de retraits bancaires, etc. Par ailleurs, nous voudrions aussi une preuve attestant l’origine légitime de la somme.
Je voudrais également préciser que vous devrez déposer une revendication de tiers afin que soient protégés les intérêts de votre cliente.
Dans la lettre que je vous adressais le 22 juillet 2005, je portais à votre attention le délai imparti pour le dépôt de votre demande devant la Cour.
Au vu de ce qui précède, puisque la preuve requise attestant que votre cliente est la propriétaire de la somme en cause n’a pas été produite, le dossier de la partie principale sera classé sur le plan administratif (C.A., p. 70).
[11] L’intimée a ensuite présenté une demande d’ordonnance de mandamus pour obliger l’appelant à rendre une décision dans un délai raisonnable fixé par la Cour. De l’avis de celle-ci, l’appelant devait, en droit, rendre la décision demandée par l’intimée, par application de l’article 25 de la Loi, mais il a plutôt refusé de traiter la demande, et il a clos l’affaire sur le plan administratif.
[12] Le 14 juin 2006, un juge de la Cour fédérale (le juge) a prononcé une ordonnance de mandamus forçant l’appelant à « rendre une décision » (2006 CF 759). Voici certains extraits des motifs du jugement :
[29] L’article 25 n’oblige pas le ministre à se demander si celui qui demande une décision est véritablement un « propriétaire légitime ». Aucune disposition ne concerne la preuve à produire pour étayer une revendication de « propriété légitime ». Il n’est pas donné à entendre dans cette disposition, ni aucune autre disposition de la Loi, que, en répondant à une telle demande, le ministre s’est de quelque manière prononcé sur la propriété légitime ou qu’il a acquiescé à une revendication de propriété légitime.
[30] Il n’était pas fautif pour le ministre d’obliger la demanderesse ou son avocat à fournir une preuve attestant qu’elle était la « propriétaire légitime », par exemple un affidavit, voire une simple déclaration signée en ce sens. Toutefois, à ce stade, il était tout à fait déraisonnable pour le ministre de vouloir entreprendre une enquête en la matière. Il était encore plus fautif, et contraire à toute notion d’équité procédurale, pour les représentants du ministre de requérir d’autres preuves, jamais exigées auparavant, dans la lettre même où ils affirmaient que, à défaut de telles preuves, le dossier était clos. C’était là une position tyrannique à l’extrême. Encore une fois, au stade de l’article 25, le ministre devrait tout au plus se satisfaire d’une simple déclaration signée ou d’un affidavit indiquant que son auteur est le propriétaire légitime.
[31] Les articles 25 et 27 obligent simplement le ministre, à la demande de quiconque prétend être le propriétaire légitime, à accomplir une chose, c’est-à-dire à décider s’il y a eu contravention au paragraphe 12(1). Il y a clairement obligation pour lui d’agir, c’est une obligation publique précise, aucun pouvoir discrétionnaire n’est conféré, et la preuve montre ici qu’il y a eu clairement réclamation, suivie d’un refus. Les conditions de la délivrance d’un mandamus sont réunies.
Législation pertinente
(N.B. De nombreuses modifications ont été apportées à la Loi par L.C. 2006, ch. 12. Elles sont entrées en vigueur le 10 février 2007, et ne s’appliquent pas au présent appel.)
[13] Les dispositions législatives applicables en l’espèce, qui étaient en vigueur au moment pertinent, étaient les suivantes :
Le dispositif de la Loi
[14] Les dispositions de la Loi qui traitent de la procédure de révision et d’appel sont parmi les plus complexes et obscures que j’aie vues dans le cadre de la législation fédérale. Elles ont été régulièrement critiquées ─ et à juste titre ─ par les juges de la Cour fédérale. Elles ont été récemment modifiées pour répondre à certaines de ces critiques. Comme nous le verrons, des modifications supplémentaires pourraient encore être nécessaires.
[15] Selon ma lecture de ces dispositions, il y a deux types de procédures disponibles lorsque des espèces ont été saisies en vertu du paragraphe 18(1) : une demande de la partie principale et une revendication à titre de tiers.
[16] La demande de la partie principale est décrite aux articles 25 à 31. Elle est présentée au ministre et, par la suite, à la Cour fédérale. C’est la personne entre les mains de qui ont été saisies des espèces ou leur « propriétaire légitime » qui la présente. L’objet de la procédure est de faire en sorte que le ministre ou la Cour fédérale détermine si le paragraphe 12(1) a été enfreint. S’il est conclu qu’il y a contravention, le ministre décidera s’il y a restitution ou non des espèces, avec ou sans le paiement d’une pénalité, s’il y a restitution de tout ou d’une partie de la pénalité versée ou, sous réserve de toute ordonnance rendue en application des articles 33 ou 34, s’il y a confirmation de la confiscation des espèces.
[17] La revendication à titre de tiers est décrite aux articles 32 à 35. Elle est présentée devant la Cour supérieure de la province où la saisie a eu lieu. Elle est déposée par une personne qui revendique sur les espèces un droit en qualité de propriétaire. Cette personne devra convaincre la Cour supérieure qu’elle a acquis son droit de bonne foi avant la contravention, qu’elle est innocente de toute complicité ou collusion relativement à la contravention, et qu’elle a pris des précautions suffisantes concernant toute personne admise à la possession des espèces saisies pour que celles-ci soient déclarées conformément au paragraphe 12(1). Si elle y parvient, elle est en droit d’obtenir une ordonnance disposant que la saisie ne porte pas atteinte à son droit et précisant la nature et l’étendue de celui-ci au moment de la contravention. L’effet combiné de l’alinéa 29(1)c) et de l’article 35 fera en sorte qu’on lui restituera ensuite la partie des espèces saisies qui correspond à son droit dans celles-ci.
La procédure relative à la partie principale
[18] Selon le droit en vigueur au moment du présent appel, bien que la procédure relative à la partie principale ne vise expressément qu’une contravention au paragraphe 12(1), soit une omission de déclarer, cette procédure visait aussi implicitement et nécessairement la saisie et la confiscation en vertu de l’article 18, y compris le paiement d’une pénalité.
[19] L’alinéa 18(3)a) accorde expressément au saisi « le droit de révision et d’appel établi aux articles 25 et 30 ». J’ouvre ici une parenthèse pour signaler l’emploi du mot « et » entre les « articles 25 et 30 ». Il n’y a qu’une procédure de révision, soit la demande de décision présentée au ministre en application de l’article 25. Il n’y a qu’une seule procédure d’appel, soit l’appel à la Cour fédérale par voie d’action suivant l’article 30.
[20] L’article 24 énonce expressément que « la confiscation d’espèces … saisi[e]s en vertu de la présente partie … n’est susceptible de révision … que dans la mesure et selon les modalités prévues aux articles 25 à 30 ». Le mot utilisé ici entre les articles 25 et 30 n’est pas « et », comme à l’alinéa 18(3)a), mais « à », qui indique clairement que l’examen de la confiscation fait aussi partie de la procédure continue énoncée aux articles 25 à 30. La demande de la partie principale est le seul recours disponible sous le régime de la Loi pour contester « la confiscation d’espèces ... saisi[e]s », selon les termes mêmes de l’article 24.
[21] Le paragraphe 30(1) accorde à la personne, qui a présenté une demande de décision au Ministre par application de l’article 25, le droit d’en appeler par voie d’action devant la Cour fédérale. Il était soutenable, dans ce contexte législatif, que la procédure relative à la partie principale visait en réalité une seule décision, soit la décision du ministre portant sur l’existence ou non d’une contravention au regard du paragraphe 12(1), décision qui s’accompagnait, si le ministre concluait qu’il y avait contravention, d’une déclaration sur la validité de la saisie et d’une révision de la pénalité imposée. Cette interprétation a en effet été présentée à la Cour fédérale. La Cour l’a finalement rejetée et a conclu qu’il y avait deux décisions distinctes, la décision fondée sur l’article 27 et celle fondée sur l’article 29 (voir Dokaj c. Canada (Ministre du Revenu national), 2005 CF 1437; Tourki c. Canada (Ministre de la Sécurité publique et de la Protection civile ), 2006 CF 50; et Sellathurai c. Canada (Ministre de la Sécurité publique et de la Protection civile), 2007 CF 208).
[22] Quelle que soit la valeur de cette interprétation qui, à ma connaissance, n’a jamais été étudiée par la Cour d’appel fédérale, le législateur a joué sûr en introduisant, en 2006, une série de modifications qui ont mis fin à cette controverse.
[23] Une nouvelle disposition, l’article 24.1, a été insérée : elle instaure un mécanisme visant à aborder les aspects de la procédure relatifs à la saisie et à la pénalité. L’article 24 a été modifié de façon à prescrire que la saisie d’espèces puisse seulement être révisée « dans la mesure et selon les modalités prévues aux articles 24.1 et 25 ». Le paragraphe 30(1) a été modifié de façon à remplacer « [l]a personne qui a présenté une demande par application de l’article 25 » par « [l]a personne qui a demandé que soit rendue une décision en vertu de l’article 27 … ». En d’autres mots, une nouvelle procédure a été ajoutée : elle touche la saisie et la pénalité et est indépendante de la procédure établie aux articles 25 à 30. Il a aussi été précisé qu’il y avait deux décisions rendues ─ et non pas une seule ─ dans le cadre de la procédure relative à la partie principale, dont l’une (la décision fondée sur l’article 27) peut être portée en appel par voie d’action à la Cour fédérale, et l’autre (la décision fondée sur l’article 29) est susceptible d’appel par le biais d’une demande traditionnelle de contrôle judiciaire suivant l’article 18.1 de la Loi sur les Cours fédérales. Je ne ferai aucun commentaire sur les nouvelles dispositions si ce n’est pour dire qu’elles n’ont peut-être pas résolu tous les problèmes engendrés par la législation originale.
[24] Pour revenir à la question particulière en jeu dans le présent appel, le ministre ─ apparemment non convaincu qu’il y avait deux décisions distinctes et non une seule dans le cadre de la procédure relative à la partie principale ─ soutient maintenant qu’il y a une troisième décision distincte, et donc qu’il existe un pouvoir d’enquête additionnel. Cette troisième décision serait la décision fondée sur l’article 25. Selon cet argument, le ministre, avant d’entreprendre la révision demandée, doit être convaincu par le biais d’une enquête approfondie que le requérant est le « propriétaire légitime » des espèces.
[25] À mon humble avis, par cette proposition, le ministre confond les conclusions préliminaires, qui doivent être faites au début de la procédure, avec les décisions qui sont rendues à la fin de la procédure et qui portent sur le fond de l’affaire. Les conclusions préliminaires peuvent bien entendu être contestées à titre de « décisions » susceptibles de contrôle judiciaire à la Cour fédérale, mais elles ne doivent pas être mises sur le même pied que les véritables décisions rendues une fois la procédure commencée. Je note, à cet égard, que le mot « décide » est utilisé à la fois aux articles 27 et 29. L’article 25 étant une invitation à demander une décision, il n’est guère logique de mettre la « décision » d’entreprendre cette enquête sur le même pied que la décision ou les décisions rendues ultimement après l’enquête.
[26] Pressé de questions par la Cour à l’audience, l’avocat du ministre a reconnu que la Loi prévoyait une seule enquête, qui était régie par l’article 26. Il a aussi reconnu que, en réalité, cette enquête et la preuve recueillie dans le cadre de celle-ci étaient le seul fondement des décisions rendues en vertu des articles 27 et 29.
[27] Adopter la proposition du ministre signifierait qu’une disposition (l’article 25) ─ visant à ouvrir la porte à une procédure de révision à la demande du propriétaire légitime ─ pourrait être utilisée pour bloquer, dès le départ, un requérant en prenant motif d’une situation (c’est-à-dire qu’il n’est pas le propriétaire légitime) que la procédure de révision visait à établir. Puisqu’il n’y a pas de doute, à mon avis, que la demande fondée sur l’article 25 (à tout le moins dans le cadre du contexte législatif d’alors) a mené à une enquête quant à la saisie, et donc que les motifs de cette saisie qui pourraient se résumer ─ et se résumaient dans la présente affaire ─ à un soupçon que les espèces étaient des produits de la criminalité (voir paragraphe 18(2) de la Loi), exiger d’un requérant qu’il prouve dès le départ qu’il est le propriétaire légitime serait comme disqualifier un coureur avant même que la course ne commence pour un test de dopage effectué après la course.
[28] Une bonne illustration du type de preuve devant être produite dans le cadre d’une enquête menée à la suite d’une demande présentée selon l’article 25 peut être trouvée dans la décision Sellathurai (précitée). À toutes fins utiles, la personne doit prouver la propriété légitime des espèces si elle veut éviter les conséquences énoncées à l’article 29.
[29] Par comparaison, la personne qui revendique sur les espèces un droit en qualité de propriétaire a droit ─ dans le cadre de la procédure relative aux tiers énoncée aux articles 32 à 35 ─ à une audience en bonne et due forme devant un juge d’une cour supérieure qui déterminera, entre autres, si la personne a acquis le droit de bonne foi avant la contravention. L’avocat du ministre a reconnu à l’audience qu’un propriétaire légitime pourrait présenter soit une demande à titre de partie principale ou une revendication à titre de tiers.
[30] Il n’y a pas de doute que le ministre, lorsqu’il reçoit une demande de décision par une personne qui revendique la propriété légitime des espèces, doit être convaincu que la personne est bel et bien celle qu’elle prétend être. Mais dans le contexte de la procédure relative à la partie principale énoncée dans la Loi, le fardeau qui incombe au requérant à ce stade embryonnaire ne peut être que minimal. Comme l’a noté le juge au paragraphe 29 de ses motifs, aucune disposition ne concerne la preuve à produire pour étayer une revendication de « propriété légitime » et, en effet, aucun mécanisme visant à recueillir une preuve substantielle n’est établi. Par contre, une disposition concerne la production de moyens de preuve après la présentation d’une demande de décision et après la réception d’un rapport par le président relativement aux circonstances de la saisie : voir article 26. De plus, une personne formulant une revendication ─ à titre de personne entre les mains de qui ont été saisies des espèces ─ peut présenter une demande de décision sans prouver d’où l’argent tire son origine et ce, même si elle en est aussi la propriétaire.
[31] En définitive, je conviens avec le juge qu’il n’était pas fautif de la part du ministre d’exiger que Mme Pham fournisse certains éléments de preuve indiquant qu’elle était la propriétaire légitime. À ce stade, toutefois, le ministre a commis une erreur de droit en tentant d’ouvrir une sorte d’enquête probatoire relativement à cette revendication.
[32] Deux affidavits ont été produits, lesquels constituaient une preuve prima facie que Mme Pham est la propriétaire légitime. Il ne me revient pas d’émettre des hypothèses au sujet de la preuve ultimement nécessaire pour convaincre le ministre qu’il n’y avait pas de contravention à l’obligation de déclarer, et que la saisie et la pénalité devraient être révisées. Encore une fois, comme l’a noté le juge, il n’est pas donné à entendre dans l’article 25, ni dans aucune autre disposition de la Loi, que, en répondant à une demande et en menant une enquête, le ministre s’est de ce fait prononcé sur la propriété légitime ou qu’il a acquiescé à une telle revendication.
[33] Cependant, contrairement à la Cour fédérale, je ne crois pas qu’une ordonnance de mandamus soit appropriée dans les circonstances. La procédure a été enclenchée, mais on y a mis fin prématurément pour des motifs dits administratifs. J’annulerais plutôt la décision du ministre de fermer le dossier et lui renverrais l’affaire pour qu’il poursuive l’enquête, la prochaine étape correspondant à ce qui est prévu à l’article 26 de la Loi.
Dispositif
[34] J’accueillerais l’appel, mais seulement afin de substituer l’ordonnance suivante à celle de mandamus : la demande est accueillie, la décision de fermer le dossier est annulée, et l’affaire est renvoyée au ministre pour que l’enquête se poursuive, l’étape suivante correspondant à ce qui est prévu à l’article 26 de la Loi sur le recyclage des produits de la criminalité et le financement des activités terroristes.
[35] J’adjugerais les dépens à l’intimée dans le cadre de l’appel.
« Je souscris aux présents motifs.
J. Edgar Sexton, juge »
« Je souscris aux présents motifs.
John M. Evans, juge »
Traduction certifiée conforme
Évelyne Côté, LL.B., dipl. trad.
COUR D’APPEL FÉDÉRALE
AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER
DOSSIER : A-313-06
INTITULÉ : LE MINISTRE DE LA SÉCURITÉ
PUBLIQUE ET DE LA PROTECTION
CIVILE et THANH THI NHU PHAM
LIEU DE L’AUDIENCE : Toronto (Ontario)
DATE DE L’AUDIENCE : le 21 mars 2007
MOTIFS DU JUGEMENT : LE JUGE DÉCARY
Y ONT SOUSCRIT : LE JUGE SEXTON
DATE DES MOTIFS : le 5 avril 2007
COMPARUTIONS :
Richard Casanova |
POUR L’APPELANT
|
POUR L’INTIMÉE
|
AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :
Sous-procureur général du Canada
Steven Tress Toronto (Ontario)
|
POUR L’APPELANT
POUR L’INTIMÉE
|