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Date : 20070416

Dossier : A-330-06

Référence : 2007 CAF 151

 

CORAM :      LE JUGE DÉCARY

                        LE JUGE NOËL

                        LE JUGE SEXTON

 

ENTRE :

SA MAJESTÉ LA REINE

appelante

et

INTERIOR SAVINGS CREDIT UNION

intimée

 

 

 

Audience tenue à Vancouver (Colombie-Britannique), le 8 mars 2007.

Jugement rendu à Ottawa (Ontario), le 16 avril 2007.

 

MOTIFS DU JUGEMENT :                                                                                      LE JUGE NOËL

Y ONT SOUSCRIT :                                                                                           LE JUGE DÉCARY

LE JUGE SEXTON

 


Date : 20070416

Dossier : A-330-06

Référence : 2007 CAF 151

 

CORAM :      LE JUGE DÉCARY

                        LE JUGE NOËL       

                        LE JUGE SEXTON

 

ENTRE :

SA MAJESTÉ LA REINE

appelante

et

INTERIOR SAVINGS CREDIT UNION

intimée

 

 

MOTIFS DU JUGEMENT

 

LE JUGE NOËL

[1]               Il s’agit d’un appel interjeté à l’égard de l’ordonnance interlocutoire rendue par le juge Little de la Cour canadienne de l’impôt, qui a rejeté la requête présentée par la Couronne en vue d’obtenir l’annulation de l’appel de la société Interior Savings Credit Union (la société Interior) ([2006] 4 CTC 2440, 2006 DTC 3351), appel qui visait une cotisation établie à l’égard de cette dernière pour son année d’imposition 2004.

[2]               Dans son avis d’appel, la société Interior ne conteste pas le montant de sa cotisation pour l’année en cause, mais plutôt le rajustement indiqué pour l’un de ses comptes courants (soit le montant imposable à taux réduit ou « MITR »).

 

[3]               Avant de déposer sa réponse, la Couronne a demandé à la Cour canadienne de l’impôt d’annuler l’avis d’appel au motif que le droit de la société Interior d’interjeter appel en vertu du paragraphe 169(1) de la Loi de l’impôt sur le revenu (la Loi) s’appliquait uniquement aux contestations visant le montant de la cotisation d’impôt pour l’année. Étant donné que la société Interior n’avait pas contesté ce montant, il n’y avait aucun motif d’appel.

 

[4]               Subsidiairement, la Couronne voulait obtenir la prorogation du délai imparti pour le dépôt de sa réponse à l’avis d’appel. Au moment du dépôt de la requête de la Couronne, le délai applicable au dépôt de la réponse de la Couronne avait été prorogé par consentement et n’était pas encore expiré.

 

DÉCISION DU JUGE DE LA COUR DE L’IMPÔT

[5]               Concernant la requête en annulation de la Couronne, le juge Little a d’abord fait remarquer que selon la « règle générale », on ne peut pas en appeler d’une cotisation portant qu’aucun impôt n’est payable (paragraphes 25 et 26 des motifs) :

En vertu du paragraphe 152(4) de la Loi, le ministre peut soit établir une « cotisation » à l’égard du contribuable, soit lui « donner avis par écrit qu’aucun impôt n’est payable ». Cet avis est souvent appelé une « cotisation portant qu’aucun impôt n’est payable ».

 

Le paragraphe 169(1) de la Loi permet à un contribuable d’interjeter appel d’une « cotisation ». Une cotisation portant qu’aucun impôt n’est payable n’est pas une « cotisation ». Donc, la règle générale est que le contribuable ne peut pas interjeter appel d’une cotisation portant qu’aucun impôt n’est payable.

 

[6]               Cependant, la cotisation dont il était saisi ne portait pas qu’aucun impôt n’était payable et, même si le montant de la cotisation n’était pas contesté par la société Interior, le juge Little a statué que le calcul du MITR pouvait faire l’objet d’un appel. Pour en arriver à cette conclusion, il s’est fondé sur la décision de la Cour de l’impôt dans Imperial Oil Limited et Inco Limited c. La Reine, 2003 DTC 179 (Imperial Oil), confirmée par la Cour d’appel (R. c. Compagnie pétrolière Impériale Ltée et Inco Ltée, 2003 DTC 5485) (aux paragraphes 27-34 des motifs).

 

[7]               Le juge Little a ensuite déclaré que, de toute manière, la règle applicable à la cotisation portant qu’aucun impôt n’est payable avait, au fil des ans, été modifiée par la jurisprudence de sorte qu’on peut désormais faire appel d’une telle cotisation (paragraphe 35 des motifs). Après avoir souligné qu’il était crucial pour la société Interior de connaître son MITR aussitôt que possible (paragraphe 36 des motifs), le juge Little a rejeté la requête de la Couronne avec dépens, sans égard à l’issue de l’instance (paragraphe 35-37 des motifs).

 

[8]               En dernier lieu, le juge Little a accueilli la requête subsidiaire présentée par la Couronne et a prorogé le délai imparti pour le dépôt de sa réponse. Du même coup, il a rendu, en vertu du paragraphe 44(2) des Règles de la Cour canadienne de l’impôt (procédure générale) DORS/90-688 (les Règles de la Cour de l’impôt) une ordonnance portant que les allégations de fait énoncées dans l’avis d’appel étaient réputées vraies (paragraphes 38-42 des motifs).

 

PRÉTENDUES ERREURS DANS LA DÉCISION FAISANT L’OBJET DE L’APPEL

[9]               Au soutien de l’appel, la Couronne prétend que le juge Little a fait une interprétation erronée de la jurisprudence et a ignoré celle ayant force obligatoire en statuant que la société Interior pouvait maintenir son appel malgré le fait qu’elle ne contestait pas le montant de la cotisation d’impôt établie pour l’année. Le droit d’interjeter appel est une création de la Loi et rien dans celle-ci n’autorise la société Interior à contester le calcul qu’a fait le ministre de l’ensemble des MITR pour une année donnée si ce calcul n’a pas d’incidence sur le montant de la cotisation d’impôt.

 

[10]           Quoi qu’il en soit, le juge Little ne pouvait ordonner que les faits allégués dans l’avis d’appel de la société Interior soient réputés vrais tout en prorogeant le délai dont disposait la Couronne pour déposer sa réponse. Par conséquent, la Couronne demande l’annulation de ce volet de l’ordonnance du juge Little, advenant le rejet de son argument principal.

 

ANALYSE ET DÉCISION

[11]           Le litige potentiel entourant la question du MITR de la société Interior découle de la fusion de deux coopératives de crédit survenue en 2002 sous le régime des lois de la Colombie-Britannique et dont la société Interior est l’entité résultante. Le paragraphe 87(1) de la Loi prévoit qu’en cas de fusion de deux coopératives de crédit, le MITR de la coopérative de crédit issue de la fusion est établi par l’addition des MITR des deux coopératives de crédit qui ont fusionné. Il n’est pas nécessaire d’entrer dans les détails du calcul du MITR; il suffit simplement de souligner qu’il est dans l’intérêt d’une coopérative de crédit d’avoir le MITR le plus bas possible, puisqu’il s’agit d’un plafond qui entraîne un taux d’imposition moins élevé.

 

[12]           Dans l’affaire qui nous occupe, la société Interior soutient que la fusion qui a eu lieu en 2002 ne constituait pas une fusion au sens du paragraphe 87(1). Par conséquent, lorsqu’elle a produit sa déclaration d’impôt pour l’année de la fusion, la société Interior, au lieu d’additionner les MITR des deux coopératives de crédit fusionnées, a supposé que son MITR était égal à 0 et a continué de calculer l’ensemble des MITR sur cette base (en apportant les rajustements annuels appropriés) pour ses années d’imposition 2003 et 2004.

 

[13]           Pour chacune de ces années, les avis de cotisation délivrés par le ministre du Revenu national indiquait dans leur partie inférieure, sous la rubrique « Explication », que le ministre avait calculé le MITR de la société Interior en additionnant les MITR des deux coopératives de crédit fusionnées. On pouvait y lire que le MITR pour l’année de la fusion avait été établi à 54 348 490 $, montant dont les avis de cotisation délivrés pour les années d’imposition 2003 et 2004 de la société Interior continuaient de tenir compte, avec les rajustements annuels appropriés.

 

[14]           En 2004, la société Interior s’est opposée pour la première fois au calcul que le ministre avait effectué de son MITR, et ce, même si ce calcul n’avait, comme pour les deux années précédentes, aucune incidence sur le montant de la cotisation d’impôt. L’unique argument de la  société Interior était que le calcul du MITR indiqué sur son avis de cotisation était incorrect et qu’elle avait le droit d’en obtenir la révision immédiatement et non dans une année d’imposition pour laquelle le MITR aurait une incidence sur le montant de l’impôt à payer.

 

[15]           En toute déférence, j’estime que le juge de la Cour de l’impôt a commis une erreur en rejetant la requête en annulation de la Couronne. Conformément aux attributions que lui confère le paragraphe 152(1) de la Loi, le ministre « fixe l’impôt pour l’année, ainsi que les intérêts et les pénalités éventuels payables ». Le droit du contribuable de s’opposer à une cotisation (paragraphe 165(1)) et de faire appel devant la Cour canadienne de l’impôt (paragraphe 169(1)) ne peut être exercé que « pour faire annuler ou modifier la cotisation ». Il s’ensuit qu’à moins de contester l’impôt, les intérêts et les pénalités fixés pour l’année, le contribuable ne peut faire appel et il n’existe en fait aucun recours que la Cour de l’impôt puisse consentir (Chagnon c. Norman, (1989) 16 RCS 661, à la page 662).

 

[16]           Dans ses motifs, le juge de la Cour de l’impôt signale à juste titre que la cotisation qu’il avait devant lui ne portait pas qu’aucun impôt n’était payable.  Toutefois, il ajoute que, malgré ce fait, il allait permettre le maintien de l’appel. L’expression « cotisation portant qu’aucun impôt n’est payable » ne figure nulle part dans la Loi. Lorsque le ministre traite le dossier d’une personne qui ne doit pas d’impôt, la Loi l’autorise à faire parvenir à cette dernière un avis portant « qu’aucun impôt n’est payable » (paragraphe 152(4)).

 

[17]           Néanmoins, l’expression « cotisation portant qu’aucun impôt n’est payable » (ou cotisation « néant ») est souvent employée dans la jurisprudence pour désigner une cotisation dont on ne peut faire appel. Il existe deux raisons pour lesquelles ce type de cotisation ne peut faire l’objet d’un appel. Premièrement, l’appel doit viser une cotisation et la cotisation aux termes de laquelle aucun impôt n’est payable n’est pas une cotisation (voir l’arrêt Okalta Oils Limited c. MNR, 55 DTC 1176 (CSC), à la page 1178 : [traduction] « Aux termes de ces dispositions, il n’y a pas de cotisation si aucun impôt n’a été réclamé »). Deuxièmement, il n’existe aucun droit d’en appeler d’une cotisation portant qu’aucun impôt n’est payable puisque [traduction]  “[t]oute opposition autre que celle qui se rapporte au montant réclamé [au titre des impôts] est dépourvue de l’objet dont découle le droit d’appel … » (Okalta Oils, précité, à la page 1178).

 

[18]           Ces deux volets de la règle sont présentés de manière succincte par la juge Lamarre‑Proulx dans Faucher c. Canada, 94 DTC 1575, à la page 1579 :

En conclusion, il n’y a pas de droit d’appel d’une cotisation d’un montant néant, ni d’une cotisation dont on ne demande pas la réduction […]

 

[19]           C’est le second volet de la règle qui s’applique aux cas, comme l’espèce, où une cotisation d’impôt est établie mais où le montant de l’impôt n’est pas contesté dans l’avis d’appel. La décision rendue par le juge Rip (tel était alors son titre) dans Les Soudures Chagnon Ltée c. M.R.N., 90 DTC 1203, à la page 1205, et la jurisprudence à laquelle il renvoie illustrent l’application de ce volet de la règle :

En interjetant appel de sa cotisation établie pour l'année 1981, l'appelante demande que son revenu et, par conséquent, ses impôts, soient augmentés. La procédure d'appel prévue par la Loi vise cependant à accorder un allégement fiscal aux contribuables. La Cour ne peut considérer un appel interjeté à l'encontre d'une cotisation d'impôt que si le contribuable demande une réduction d'impôt pour l'année en cause: No. 526 c. M.R.N. 58 D.T.C. 497, Neil L. Boyko et al. c. M.R.N., 84 D.T.C. 1233, à la p. 1237, Steven Cooper c. M.R.N., 87 D.T.C. 194, à la p. 205, et Paul Cohen c. M.R.N., 88 D.T.C. 1404, à la p. 1406. Pour cette raison, l'appel interjeté à l'encontre d'une cotisation d'impôt établie pour l'année 1981 sera rejeté. 

 

[20]           Au fil des ans, le législateur a créé des exceptions à la règle énoncée dans l’arrêt Okalta Oil. Par exemple, la Loi (alinéa 152(1)a)) précise que le ministre doit déterminer, par voie de cotisation, le montant du remboursement éventuel auquel le contribuable a droit pour une année d’imposition donnée et prévoit que les dispositions portant sur les oppositions et les appels s’appliquent, avec les adaptations nécessaires, aux montants déterminés (paragraphe 152(1.2)). De la même façon, en cas de divergence au sujet du montant de certaines pertes subies par un contribuable, le ministre peut être tenu de déterminer le montant de la perte (paragraphe 152(1.1)) et, dans un tel cas, la procédure prévue pour les oppositions et les appels s’applique.

 

[21]           Cependant, aucune exception de ce genre n’a été créée relativement au calcul du MITR d’un contribuable. Il n’existe donc en l’espèce aucune obligation légale incombant au ministre de déterminer le MITR de la société Interior pour 2004 (ou pour les deux années précédentes) ni aucun droit d’appel afférent. L’avis du ministre a été communiqué à la société Interior par souci de commodité. Le fait que le MITR figurait dans l’avis de cotisation ne signifie pas qu’il en faisait partie.

 

[22]           La présente situation est très semblable à celle décrite dans l’arrêt Ruffolo c. La Reine, 2000 DTC 6357 (CAF), l’appelant soutenant que le « solde impayé » faisait partie de la cotisation et liait le ministre parce qu’il figurait dans l’avis de cotisation. Par suite d’une erreur, un solde de zéro avait été indiqué. Le juge Rothstein (alors juge d’appel), rédigeant les motifs au nom de la Cour, avait répondu à l’argument en ces termes (au paragraphe 5) :

Aux termes du paragraphe 152(1) de la Loi, le ministre est chargé de fixer « l’impôt pour l’année, ainsi que les intérêts et les pénalités éventuels payables […] ». Le calcul du « solde impayé » est une des conséquences de la cotisation, pas un des éléments de l’impôt, de l’intérêt et des pénalités payables. Il est inclus dans l’avis de cotisation par souci de commodité, mais ne fait pas partie de la cotisation. Le fait que la case « solde impayé » porte la mention « néant » ne lie pas le ministre.

 

 

Le même raisonnement s’applique au MITR en l’espèce.

 

[23]           Le juge Little s’appuie sur la décision Imperial Oil pour affirmer que « toute cotisation peut être portée en appel » (paragraphes 27-34 des motifs). Ses motifs laissent entendre que cette décision énonce un nouveau principe qui ouvre la voie à la tentative de la société Interior de contester le MITR malgré l’absence de toute opposition visant le montant de la cotisation d’impôt.

 

[24]           Dans l’affaire Imperial Oil, la Couronne cherchait à obtenir la radiation de l’avis d’appel au motif qu’il ne pouvait en être appelé d’une cotisation initiale ou administrative. Elle a fait valoir que le  législateur n’avait pas eu l’intention de soumettre à la procédure d’appel ce genre de cotisations parce qu’elles étaient habituellement le reflet de la déclaration produite par le contribuable. N’ayant trouvé aucun fondement législatif permettant de soustraire de telles cotisations à la procédure d’appel, le juge en chef Bowman a rejeté l’argument de la Couronne et la Cour d’appel a partagé cet avis. Rien dans la décision Imperial Oil ne laisse entendre que le droit d’appel prévu au paragraphe 169(1) peut être utilisé pour contester autre chose que le montant de l’impôt, des intérêts ou des pénalités qui a été établi.

 

[25]           Le juge Little affirme également que, de toute manière, la société Interior pouvait maintenir son appel même en présence d’une cotisation portant qu’aucun impôt n’est payable. Pour étayer cette affirmation, il se réfère aux décisions Corriveau c. La Reine, 2006 DTC 2583 et Joshi c. Canada, 2003 DTC 1550 (Joshi no 1) ainsi qu’à la jurisprudence à laquelle ces décisions renvoient. Selon le juge Little, ces décisions rompent avec la règle établie selon laquelle on ne peut en appeler d’une cotisation « néant ».

 

[26]           Dans la décision Corriveau, le juge McArthur devait se prononcer au sujet d’une cotisation « néant ». Il déclare dans ses motifs : « Il existe certaines exceptions où la Cour peut se prononcer sur une cotisation qui porte qu’aucun impôt n’est payable. » Dans une note de bas de page, il renvoie aux décisions rendues par la Cour de l’impôt dans Martens c. MNR, 88 DTC 1382, Aallcann Wood Suppliers Inc. c. Canada, 94 DTC 1475 et Joshi no 1. Toutefois,  le juge McArthur conclut que ces exceptions (dont il ne fait pas l’analyse) ne s’appliquent pas à l’affaire dont il est saisi (Corriveau, au paragraphe 11).

 

[27]           Dans la décision Joshi no 1, le juge Hershfield a refusé d’annuler un avis d’appel concernant une cotisation « néant » dans le cadre d’une demande interlocutoire. Ses motifs indiquent qu’il ne considère pas sa décision comme définitive et que la question devra être tranchée au moment de l’instruction de l’affaire. Il semble que l’affaire Joshi no 1 ne se soit jamais rendue à l’instruction. Du moins, il n’y a pas de trace d’une décision sur le fond dans le cahier de la jurisprudence et de la doctrine soumis par les parties et j’ai été moi-même incapable de trouver une décision publiée.

 

[28]           Toutefois, dans Joshi c. La Reine, 2005 DTC 22 (Joshi no 2), une affaire mettant apparemment en cause l’époux de l’appelante dans Joshi no 1, la Cour de l’impôt (en la personne du juge O’Connor) a en effet statué qu’une cotisation « néant » pouvait faire l’objet d’un appel. Les cinq décisions qui suivent y étaient citées à l’appui de cette opinion : Joshi no 1, Martens, précitée, Aallcann Wood Suppliers, précitée, Liampat Holdings Ltd. c. Canada, [1995] A.C.F. no 1621 et  Bruner c. Canada, 2003 A.C.F. no 144 (CAF). Nous avons vu précédemment que la décision Joshi no 1 ne peut être invoquée pour affirmer qu’une cotisation « néant » peut faire l’objet d’un appel. En toute déférence, j’estime que le même constat s’applique aux autres décisions sur lesquelles s’appuie le juge O’Connor.

 

[29]           Dans la décision Martens, la Cour de l’impôt a refusé d’annuler une cotisation « néant » au motif que l’objet de l’appel faisait partie d’une exception prévue par la Loi à la règle habituelle. Le juge Rip (tel était alors son titre) expliquait que même si aucun impôt n’était réclamé dans la cotisation, celle-ci indiquait un montant que le ministre avait l’obligation de déterminer et à l’égard duquel un droit d’appel spécial avait été créé. Après avoir cité le texte des dispositions pertinentes, il déclarait ce qui suit (à la page 1384) :

 

Le paragraphe 127.1(1) prévoit de quelle façon le contribuable est réputé avoir payé une somme, au titre de son impôt, égale à son crédit d’impôt à l’investissement remboursable pour l’année. Le Ministre, conformément à l’alinéa 152(1)b), détermine le montant d’impôt réputé avoir été versé pour l’année.

 

Si le contribuable n’est pas d’accord avec la détermination du Ministre en ce qui concerne le montant d’impôt réputé avoir été versé, il a le droit de s’opposer à la détermination et d’en appeler de celle-ci : le paragraphe 152(1.2) accorde au contribuable le droit d’appliquer les dispositions des sections I et J de la Loi, lesquelles accordent notamment le droit de s’opposer à une cotisation d’impôt et de faire appel d’une telle cotisation, ou d’une détermination, autre qu’une détermination faite en vertu du paragraphe 152(1.1). Les montants qui doivent être déterminés par le Ministre comprennent la somme de l’impôt qui est réputée en vertu du paragraphe 127(1.1) avoir été payée au titre de son impôt prévu par la Partie I de la Loi pour l’année.

 

En l’espèce, le Ministre a déterminé que le montant du crédit d’impôt à l’investissement remboursable en 1984 était de 2 366,24 $ et l’appelant désire en appeler de cette détermination.

 

En vertu des dispositions du paragraphe 152(1.2) l’appelant a le droit de s’opposer à la détermination du Ministre en signifiant un avis d’opposition de la façon prévue à l’article 165 et, s’il n’est pas satisfait de la décision du Ministre à l’égard de l’opposition, il peut déposer un avis d’appel de la façon prévue à l’article 169. C’est ce que l’appelant a fait. Il n’a pas besoin d’attendre une année d’imposition future pour contester la détermination.

 

[Non souligné dans l’original.]

 

[30]           La décision Aallcann Wood Suppliers, rendue par le juge Bowman (tel était alors son titre), pose le principe selon lequel le contribuable serait autorisé, si le calcul que fait le ministre d’une perte en vertu du paragraphe 152(1.1) de la Loi n’a pas un caractère exécutoire, à contester ce calcul pour une année donnée dans une autre année où le montant de la perte a une incidence sur l’impôt réclamé. Le raisonnement de la Cour est exposé dans les passages qui suivent (aux pages 1475-76) :

 

La position que le ministre a adoptée dans la réponse initiale à l’avis d’appel et selon laquelle le calcul qu’il fait d’une perte pour une année d’imposition particulière est immuable à moins qu’une détermination de la perte ne soit faite en vertu du paragraphe 152(1.1) est toutefois erronée. Il est vrai que la Cour ne peut procéder à une détermination de la perte en vertu du paragraphe 152(1.1). Cette fonction incombe au ministre. Si une telle détermination est faite, elle est réputée être valide et exécutoire, mais elle peut être contestée par la voie d’un avis d’opposition ou d’un appel et, si elle est confirmée en appel, sa validité est reconnue. Le paragraphe 152(1.1) a pour objet de permettre à un contribuable de demander au ministre une détermination d’une perte déclarée pour une année donnée, détermination dont il peut appeler à la Cour. Une des raisons sous-jacentes à l’adoption du paragraphe 152(1.1) est qu’on ne peut appeler d’une cotisation portant qu’aucun impôt n’est payable. En l’absence d’une détermination exécutoire faite en vertu du paragraphe 152(1.1), un contribuable peut contester le calcul du ministre concernant une perte relative à une année particulière dans un appel portant sur une autre année lorsque le montant du revenu imposable du contribuable est influencé par le montant de la perte pouvant être reportée prospectivement en vertu de l’article 111. En contestant la cotisation portant sur une année pour laquelle de l’impôt est payable au motif que le ministre a incorrectement calculé le montant d’une perte relative à une année antérieure ou subséquente qui peut être déduite en vertu de l’article 111 dans le calcul du revenu imposable du contribuable pour l’année en question dans l’appel, le contribuable demande à la Cour de faire précisément ce que prévoient les dispositions de la Loi de l’impôt sur le revenu en matière d’appel : déterminer l’exactitude d’une cotisation d’impôt en examinant la justesse d’un ou de plusieurs de ses éléments constituants, soit en l’espèce le montant de la perte d’une autre année pouvant être déduite. La Cour n’a pas à déterminer la perte en vertu du paragraphe 152(1.1) ni à entendre un appel concernant une cotisation portant qu’aucun impôt n’est payable. Elle doit simplement établir l’exactitude de la cotisation portant sur l’année en question dans l’appel dont elle est saisie.

 

[Non souligné dans l’original.]

L’année faisant l’objet du litige n’en était pas une où avait été établie une cotisation portant qu’aucun impôt n’est payable puisque, comme cela est indiqué, le contribuable contestait « la cotisation portant sur une année pour laquelle de l’impôt [était] payable ». Le juge Bowman note simplement qu’il convenait de mettre en cause tous les éléments pertinents quant à la détermination du montant de la cotisation d’impôt pour l’année visée, y compris le montant de la perte calculée par le ministre lors d’une autre année.

 

[31]           Dans l’affaire Liampat Holdings Ltd., l’avocat du contribuable s’est fondé sur la décision Aallcann Wood Suppliers pour faire valoir qu’il était permis d’en appeler d’une cotisation « néant ». La Cour fédérale (le juge Cullen) a jugé que l’avocat avait mal interprété la décision Aallcann Wood Suppliers (au paragraphe 8) :

Selon moi, il ressort de l’affaire Aallcann que la Cour a compétence pour statuer sur une année ayant fait l’objet d’une cotisation « néant » lorsque les calculs effectués pour en arriver à cette cotisation influent réellement sur une autre année d’imposition; cela ne donne pas compétence à la Cour pour statuer directement sur une cotisation « néant ».

 

[Non souligné dans l’original.]

 

 

Cet énoncé de la règle exposée dans la décision Aallcann Wood Suppliers est exact.

 

[32]           Enfin, dans la décision Joshi no 2, le juge O’Connor note que la décision récemment rendue par cette Cour dans Bruner, précité, (au paragraphe 9) « […] semble avoir élargi la portée des cas dans lesquels la Cour peut examiner une année d’imposition visée par une cotisation néant ». Toutefois, l’arrêt Bruner met en application la règle selon laquelle il est impossible d’en appeler d’une cotisation portant qu’aucun impôt n’est payable ou d’une cotisation visant des montants qui ne sont pas contestés. Le texte du dispositif des motifs est le suivant (au paragraphe 3) :

En conséquence, un contribuable n’a pas le droit de contester une cotisation lorsque le fait pour lui d’obtenir gain de cause en appel soit ne changerait rien à l’impôt qu’il doit payer, […] soit augmenterait le montant de l’impôt qu’il doit payer. Lorsque le contribuable a soutenu qu’aucun montant n’était contesté, le juge de la Cour de l’impôt aurait dû appliquer la jurisprudence relative aux cotisations néant et annuler l’avis d’appel.

 

[33]           Par conséquent, il n’existe pas de jurisprudence étayant le principe avancé dans les décisions Corriveau et Joshi no 2 ainsi que la décision visée par le présent appel, à savoir qu’il peut être interjeté appel d’une cotisation portant qu’aucun impôt n’est payable.

 

[34]           Il peut être constaté, à la lecture de la décision contestée, que le juge Little était désireux de procurer à la société Interior une réponse certaine et rapide au sujet du calcul de son MITR. Il ne fait pas de doute qu’une telle préoccupation est légitime. Parallèlement, il importe de saisir que la question du MITR ne peut se concrétiser que dans une année où le calcul du MITR a une incidence sur le montant de l’impôt à payer. Jusqu’à ce que cela survienne, nul n’est lié par les montants établis. De toute évidence, le juge Little était d’avis que la Cour de l’impôt devait être en mesure d’offrir une certitude dans l’intérim. Or, cette question est du seul ressort du législateur.

 

[35]           Pour appliquer la règle établie, le juge Little aurait dû, au moment où il prenait note du fait que la société Interior ne remettait pas en cause le montant de la cotisation, accueillir la requête de la Couronne et annuler l’avis d’appel de la société Interior.

 

[36]           J’ajouterais en dernier lieu que le juge Little, après avoir rejeté la requête en annulation de la Couronne, a commis une erreur en ordonnant que les allégations de fait énoncées dans l’avis d’appel soient réputées vraies. Les paragraphes 44(1) et (2) des Règles de la Cour de l’impôt prévoient ce qui suit :

44. (1) La réponse à l’avis d’appel doit être déposée au greffe dans les 60 jours suivant la signification de l’avis d’appel, à moins que :

a) l’appelant ne consente, avant ou après l’expiration de ce délai, au dépôt de la réponse dans un délai déterminé suivant l’expiration de celui-ci;

b) la Cour ne permette, sur demande présentée avant ou après l’expiration de ce délai, le dépôt de la réponse dans un délai déterminé suivant l’expiration de celui-ci.

 

44. (2) Si la réponse n’est pas déposée dans le délai applicable prévu au paragraphe (1), les allégations de fait énoncées dans l’avis d’appel sont réputées vraies aux fins de l’appel.

 

44. (1) A reply shall be filed in the Registry within 60 days after service of the notice of appeal unless

(a) the appellant consents, before or after the expiration of the 60-day period, to the filing of that reply after the 60-day period within a specified time; or

(b) the Court allows, on application made before or after the expiration of the 60-day period, the filing of that reply after the 60-day period within a specified time.

 

44. (2) If a reply is not filed within an applicable period specified under subsection (1), the allegations of fact contained in the notice of appeal are presumed to be true for purposes of the appeal.

 

 

[37]           Comme l’a fait remarquer le juge Paris dans la décision Telus Communications (Edmonton) Inc. c. La Reine (no 2), [2003] G.S.T.C. 183-1 (aux paragraphes 5 et 6) :

L’allusion, dans le paragraphe 44(2), au « délai applicable prévu au paragraphe (1) » se rapporte à l’une des trois périodes suivantes : les 60 jours suivant la signification de l’avis d’appel, la période précisée dans le consentement de l’appelant ou la période permise par la Cour pour le dépôt de la réponse.

 

 

Cela signifie que le paragraphe 44(2) ne s’applique que si une réponse est produite en dehors de la période de 60 jours et si l’appelant ne consent pas, ou si aucune ordonnance de la Cour ne prolonge cette période. Étant donné l’ordonnance que j’ai rendue pour prolonger la période du dépôt de la réponse, le paragraphe 44(2) ne s’applique pas.

 

[38]           Je souscris à l’interprétation que fait le juge Paris du paragraphe 44(2). Puisque, en l’espèce, le juge Little a prorogé le délai dans lequel la réponse pouvait être déposée, il ne pouvait pas rendre d’ordonnance portant que les allégations de fait énoncées dans l’avis d’appel étaient réputées vraies.

 

[39]           Pour ces motifs, j’accueillerais l’appel avec dépens, j’annulerais la décision du juge Little et, eu égard à l’ordonnance qui aurait dû être rendue, j’accueillerais la requête en annulation de l’avis d’appel de la société Interior présentée par la Couronne, avec dépens.

 

« Marc Noël »

j.c.a.

« Je souscris aux présents motifs.

           Robert Décary, j.c.a.

 

« Je souscris aux présents motifs.

           J. Edgar Sexton, j.c.a.

 

 

 

Traduction certifiée conforme

Lynne Davidson-Fournier, traductrice-conseil

 

 


 

COUR D’APPEL FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

DOSSIER :                                                                            A-330-06

INTITULÉ DE LA CAUSE :                                                SA MAJESTÉ LA REINE

 c.
INTERIOR SAVINGS CREDIT UNION

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                                                     Vancouver (C.‑B.)

 

DATE DE L’AUDIENCE :                                                   le 8 mars 2007

 

MOTIFS DU JUGEMENT :                                                le juge Noël

 

Y ONT SOUSCRIT :                                                             le juge Décary

                                                                                                le juge Sexton

 

DATE DES MOTIFS :                                                          le 16 avril 2007

 

COMPARUTIONS :

 

Ron Wilhelm                                                                             POUR L’APPELANTE

Lynn Burch

 

Joel Nitikman                                                                           POUR L’INTIMÉE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

John H. Sims, c.r.

Sous‑procureur général du Canada

 

POUR L’APPELANTE

 

Fraser Milner Casgrain, LLP

Vancouver (C.‑B.)

 

POUR L’INTIMÉE

 

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