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Date : 20070419

Dossier : A‑510‑05

Référence : 2007 CAF 153

 

CORAM :      LA JUGE SHARLOW

                        LE JUGE MALONE

                        LE JUGE RYER

 

ENTRE :

ABBOTT LABORATORIES et

ABBOTT LABORATORIES LIMITED

appelantes

et

LE MINISTRE DE LA SANTÉ et

APOTEX INC.

intimés

 

 

 

Audience tenue à Ottawa (Ontario), le 7 mars 2007

Jugement rendu à Ottawa (Ontario), le 19 avril 2007

 

MOTIFS DU JUGEMENT :                                                                       LA JUGE SHARLOW

Y ONT SOUSCRIT :                                                                                      LE JUGE MALONE

                                                                                                                                LE JUGE RYER


Date : 20070419

Dossier : A‑510‑05

Référence : 2007 CAF 153

 

CORAM :      LA JUGE SHARLOW

                        LE JUGE MALONE

                        LE JUGE RYER

 

ENTRE :

ABBOTT LABORATORIES et

ABBOTT LABORATORIES LIMITED

appelantes

et

LE MINISTRE DE LA SANTÉ et

APOTEX INC.

intimés

 

 

MOTIFS DU JUGEMENT

LA JUGE SHARLOW

[1]               Le présent appel est interjeté d’un jugement de la Cour fédérale (2005 CF 1332) rejetant la demande par laquelle Abbott Laboratories et Abbott Laboratories Limited (collectivement Abbott) ont sollicité, en vertu du Règlement sur les médicaments brevetés (avis de conformité), DORS/93‑133 (le Règlement), une ordonnance interdisant au ministre de la Santé de délivrer à Apotex Inc. un avis de conformité pour des comprimés de 250 et de 500 mg d’apo‑clarithromycine avant l’expiration du brevet canadien 2,261,732 (le brevet 732) en 2017.

[2]               Apotex sollicite la délivrance d’un avis de conformité pour l’apo‑clarithromycine en vertu d’une présentation abrégée de drogue nouvelle citant comme produit médicamenteux de comparaison le Biaxin, fabriqué et vendu par Abbott depuis 1993. La substance médicamenteuse de ces deux produits s’appelle « clarithromycine de forme II ». La liste des brevets tenue par le ministre comprend, en ce qui concerne le Biaxin, le brevet 732.

[3]               À titre d’argument préalable, Apotex a fait valoir que le présent appel est devenu théorique en raison d’une autre décision de la Cour fédérale, soit Abbott Laboratories c. Canada (Ministre de la Santé), 2006 CF 1558. Dans cette autre affaire, un juge a rejeté la demande par laquelle Abbott a sollicité une ordonnance interdisant au ministre de délivrer un avis de conformité à Apotex pour des comprimés de 250 et 500 mg d’apo‑clarithromycine avant l’expiration de divers brevets, dont le brevet 732. Abbott a interjeté appel de cette décision (dossier A‑59‑07), sans toutefois contester la justesse de la décision en ce qui concerne le brevet 732. C’est pour cela qu’Abbott a reconnu que l’appel qu’elle interjette en l’espèce est maintenant théorique.

[4]               Abbott a cependant soutenu que, malgré son caractère théorique, le présent appel devrait néanmoins être entendu en raison d’une partie de la décision portée en appel fondée sur l’arrêt Hoffmann‑La Roche & Co. Ltd. c. Commissioner of Patents, [1955] R.C.S. 414. Abbott a fait valoir que la Cour fédérale a mal appliqué dans cette affaire le principe dégagé dans l’arrêt Hoffmann et que ce principe est invoqué dans le cadre d’autres affaires sur lesquelles la Cour fédérale va bientôt devoir se prononcer. Étant donné les ressemblances frappantes entre la présente espèce et les autres affaires qui nous ont été citées, la Cour a permis la poursuite de l’appel, mais sur cet unique point seulement.

[5]               L’avis d’appel déposé en l’espèce conteste en outre la justesse du jugement en ce qui concerne les questions de l’utilité et de la prédiction valable. Ces questions n’ont pas été entendues. Pour que soit infirmé le jugement dont il est interjeté appel en l’espèce, il aurait fallu qu’Abbott obtienne gain de cause tant sur ces questions que sur celle du principe dégagé dans l’arrêt Hoffman. Le jugement en cause est par conséquent confirmé.

Les faits

[6]               Le brevet 732 comporte 21 revendications. Les 15 premières (les revendications 1 à 15) visent les méthodes de préparation de la clarithromycine de forme II. Auparavant, la clarithromycine de forme II était fabriquée en portant à une certaine température la clarithromycine de forme I. Le procédé de fabrication divulgué dans le brevet 732 est entièrement différent puisqu’il s’agit de soumettre la clarithromycine de forme I aux effets de divers solvants, la clarithromycine de forme II pouvant alors être extraite de la substance ainsi obtenue.

[7]               Les revendications 16 à 21 du brevet 732 visent la clarithromycine de forme II fabriquée à l’aide d’un des procédés énoncés dans les revendications 1 à 15. Nul ne conteste que ces revendications relèvent du Règlement, ce qui n’est pas le cas des revendications 1 à 15. Dans le cadre d’une action intentée en vertu du Règlement, il n’y a pas lieu d’examiner les revendications d’un brevet qui ne relèvent pas du Règlement.

[8]               Lorsque Apotex a déposé sa présentation abrégée de drogue nouvelle, en citant le Biaxin comme produit de comparaison, il lui fallait, en vertu de l’article 5 du Règlement, évoquer dans un avis d’allégation les revendications 16 à 21, car elle n’aurait autrement pas pu obtenir pour son produit un avis de conformité avant l’expiration du brevet 732. Apotex a signifié un avis d’allégation dans lequel elle affirmait, arguments à l’appui, que les revendications 16 à 21 étaient invalides. Estimant que ces allégations d’invalidité n’étaient pas fondées, Abbott a répondu par une demande visant à obtenir une ordonnance interdisant au ministre de délivrer un avis de conformité à Apotex. Cette demande a été rejetée, d’où le présent appel.

La présomption de validité

[9]               Il ne fait désormais plus aucun doute qu’il incombe au requérant qui sollicite une ordonnance d’interdiction en vertu du Règlement de démontrer le bien‑fondé de sa demande. Abbott estime que, dans la présente affaire, le juge n’a pas correctement appliqué ce principe, compte tenu de la présomption de validité prévue au paragraphe 43(2) de la Loi sur les brevets, L.R.C. 1985, ch. P‑4, dont voici le texte :

43. (2) Une fois délivré, le brevet est, sauf preuve contraire, valide et acquis au breveté ou à ses représentants légaux pour la période mentionnée aux articles 44 ou 45.

43. (2) After the patent is issued, it shall, in the absence of any evidence to the contrary, be valid and avail the patentee and the legal representatives of the patentee for the term mentioned in section 44 or 45, whichever is applicable.

 

[10]           Je considère que le juge n’a pas commis l’erreur qu’on lui reproche. La formulation de la présomption prévue au paragraphe 43(2) est plutôt faible (Apotex Inc. c. Wellcome Foundation Limited, [2002] 4 R.C.S. 153, le juge Binnie, au paragraphe 43). Cette présomption n’est donc pas concluante pour une demande d’interdiction présentée en vertu du Règlement si, comme c’est le cas en l’espèce, le dossier contient la moindre preuve susceptible, si elle est admise, de réfuter la présomption en question (voir Rubbermaid (Canada) Ltd. c. Tucker Plastic Products Ltd. (1972), 8 C.P.R. (2d) 6 (C.F. 1re inst.), à la page 14, et Bayer Inc. c. Canada (Ministre de la Santé nationale et du Bien‑être social) (2000), 6 C.P.R. (4th) 285, au paragraphe 9).

L’allégation d’invalidité fondée sur l’arrêt Hoffmann

[11]           Le seul motif d’invalidité qu’il y a lieu d’examiner en l’espèce est l’allégation voulant que les revendications 16 à 21 soient invalides parce qu’elles visent une substance connue. Cette allégation repose sur l’arrêt Hoffmann, précité.

[12]           Il s’agissait, dans l’arrêt Hoffmann, d’une demande de brevet revendiquant un nouveau procédé de fabrication d’une substance déjà connue, l’aldéhyde, ainsi que l’aldéhyde fabriqué au moyen de ce procédé. Le commissaire aux brevets a admis la revendication du nouveau procédé de fabrication de l’aldéhyde, mais non la revendication visant l’aldéhyde fabriqué au moyen de ce procédé. L’inventeur a interjeté appel sans succès devant la Cour de l’Échiquier, Hoffmann‑La Roche Ltd. c. Canada (Commissioner of Patents), [1954] R.C.É. 52, puis il s’est pourvu en Cour suprême du Canada où il a encore été débouté.

[13]           À l’époque, comme c’est encore le cas, un brevet ne pouvait être délivré qu’à l’égard d’une « invention » répondant à la définition suivante :

[...] « invention » Toute réalisation, tout procédé, toute machine, fabrication ou composition de matières, ainsi que tout perfectionnement de l’un d’eux, présentant le caractère de la nouveauté et de l’utilité.

... “invention” means any new and useful art, process, machine, manufacture or composition of matter, or any new and useful improvement in any art, process, machine, manufacture or composition of matter.

 

[14]           L’appel interjeté par l’inventeur a été rejeté parce que l’aldéhyde n’avait rien de nouveau, quel que soit le procédé par lequel il était obtenu, et le degré de nouveauté qu’exige la délivrance d’un brevet ne peut être atteint en associant une substance déjà connue à un nouveau procédé de fabrication. L’inventeur avait droit à un brevet pour ce qu’il avait effectivement inventé, c’est‑à‑dire le nouveau procédé de fabrication, mais uniquement pour cela. Cette protection était assurée car toute personne produisant de l’aldéhyde au Canada au moyen du nouveau procédé, ou important au Canada de l’aldéhyde obtenu au moyen du nouveau procédé, contreferait inévitablement la revendication du procédé.

[15]           Aucun précédent ne met en doute la justesse du principe dégagé dans l’arrêt Hoffmann. D’après ce que j’ai compris, Abbott n’a pas fait valoir que l’arrêt Hoffmann ne fait plus autorité.

[16]           Abbott affirme plutôt que le principe dégagé dans l’arrêt Hoffmann n’aurait pas dû être appliqué en l’espèce en raison des différences qui existent au niveau des faits. Selon Abbott, contrairement à l’aldéhyde, la clarithromycine de forme II n’était pas « connue » à la date pertinente. Les parties semblent avoir immédiatement admis que la date à retenir à cet égard est le 29 juillet 1996.

[17]           On ne voit pas très bien, ni dans l’arrêt Hoffmann ni dans la jurisprudence ultérieure, comment déterminer, pour appliquer le principe dégagé dans l’arrêt Hoffmann, si une substance est « connue » à une époque donnée. Dans la présente affaire, lors des plaidoiries, on a retenu l’hypothèse voulant qu’une substance est « connue » lorsqu’une hypothétique revendication visant son invention pourrait être rejetée pour cause d’antériorité ou d’absence de nouveauté. Je me suis fondée sur la même hypothèse même s’il convient, me semble‑t‑il, de ne pas exclure la possibilité qu’une substance puisse être « connue » même lorsque la revendication de son invention pourrait être rejetée pour d’autres motifs.

[18]           En l’espèce, le juge a conclu qu’à l’époque pertinente, la clarithromycine de forme II était connue. Cette conclusion est confirmée par divers éléments de preuve démontrant que l’élaboration, au moyen de solvants, d’une forme cristalline de clarithromycine était connue avant le 29 juillet 1996. Il n’y a pas lieu ici de reprendre la liste des antériorités citées. Il suffit de dire que le juge a compris que le témoignage de M. Myerson, témoin d’Abbott, confirmait qu’un article écrit par Yoshiaki Watanabe et d’autres chercheurs, et publié en 1993 dans le Journal of Antibiotics, décrit essentiellement le même procédé que l’exemple 10 cité dans l’exposé du brevet 732, qui permettrait d’obtenir la clarithromycine de forme II.

[19]           Abbott fait remarquer que l’article de Watanabe ne précise pas que le résultat du procédé exposé est la clarithromycine de forme II. Rien n’indique non plus que l’un ou l’autre des témoins d’Apotex ait tenté d’appliquer la méthode exposée dans l’article de Watanabe afin de vérifier si elle permettrait effectivement d’obtenir la clarithromycine de forme II. Cela étant, le juge aurait pu tirer à cet égard une conclusion défavorable à Apotex.

[20]           Cela dit, le juge avait également été saisi de l’exposé du brevet, selon lequel la méthode décrite à l’exemple 10 permet d’obtenir la clarithromycine de forme II. Or, rien n’indique en l’espèce que la description donnée à l’exemple 10 est erronée. Le juge pouvait donc conclure que l’emploi d’un procédé analogue à celui décrit dans l’article de Watanabe aurait également permis d’obtenir la clarithromycine de forme II. Compte tenu des éléments de preuve présentés au juge, je ne peux pas conclure qu’il a commis une erreur manifeste et dominante en tenant pour vraie la description donnée à l’exemple 10 de l’exposé du brevet et en en tirant les conséquences logiques.

[21]           La conclusion à laquelle est parvenu le juge est également étayée par les éléments de preuve concernant la production de clarithromycine de forme II par chauffage, une technique qui était connue avant 1996. La clarithromycine de forme II peut être obtenue, au moyen de cette technique, en chauffant la clarithromycine de forme I à plus de 135 oC. Nul ne conteste que chauffée dans ces conditions‑là, la clarithromycine de forme I se transforme en clarithromycine de forme II après avoir atteint la température de 135 oC, même si la substance obtenue, lorsqu’elle atteint son point de fusion à 225 oC, cesse d’être de la clarithromycine de forme II .

[22]           Abbott affirme qu’une personne versée dans l’art et chauffant de la clarithromycine de forme I au moyen de la technique connue n’aurait pas su et n’aurait pas pu savoir qu’elle avait obtenu de la clarithromycine de forme II, à moins d’avoir su également qu’il fallait cesser de chauffer la substance avant qu’elle n’atteigne son point de fusion à une température de 225 oC. J’estime que, au plan du droit, le fait que la personne en question n’ait pas su cela est dénué de pertinence. Il ressort en effet d’éléments de preuve non contestés que la clarithromycine de forme II aurait été obtenue si la technique de chauffage avait été suivie. Il existait des techniques d’analyse bien connues permettant à toute personne intéressée qui aurait choisi le bon moment pour observer la chose, de déceler la présence de la substance en question.

[23]           Abbott a en outre fait valoir que la vente de clarithromycine de forme II au Canada avant 1993, sous forme de Biaxin, ne prouvait aucunement que la clarithromycine de forme II était, le 29 juillet 1996, une substance connue. Le juge de première instance ne s’étant pas fondé sur les ventes antérieures de la clarithromycine de forme II pour conclure qu’elle était une substance connue, la question n’a pas à être traitée ici.

Conclusion

[24]           Ainsi qu’il a été expliqué plus haut, l’appel doit être rejeté. N’ayant pas obtenu gain de cause sur le seul point qu’il lui était permis de plaider, Abbott devrait être condamnée aux dépens.

« K. Sharlow »

Juge

 

 

« Je souscris à ces motifs

            B. Malone, juge »

 

« Je souscris à ces motifs

            C. Michael Ryer, juge »

 

 

 

 

Traduction certifiée conforme

Suzanne Bolduc, LL.B.


COUR D’APPEL FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

DOSSIER :                                                    A-510-05

 

APPEL INTERJETÉ D’UNE ORDONNANCE DE LA COUR FÉDÉRALE EN DATE DU 28 SEPTEMBRE 2005, T‑1133‑02

 

INTITULÉ :                                                   ABBOTT LABORATORIES et ABBOTT LABORATORIES LIMITED

                                                                        c.

                                                                        LE MINISTRE DE LA SANTÉ et APOTEX INC.

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                             OTTAWA, ONTARIO

 

DATE DE L’AUDIENCE :                           LE 7 MARS 2007

 

MOTIFS DU JUGEMENT :                        LA JUGE SHARLOW

 

Y ONT SOUSCRIT :                                     LE JUGE MALONE

                                                                        LE JUGE RYER

 

DATE DES MOTIFS :                                  LE 19 AVRIL 2007

 

 

COMPARUTIONS :

 

Andrew J. Reddon

Steven G. Mason

 

POUR LES APPELANTES

Andrew Brodkin

 

POUR L’INTIMÉE

APOTEX INC.

 

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

McCarthy Tétrault LLP

Toronto (Ontario)

 

POUR LES APPELANTES

 

John H. Sims, c.r.

Sous‑procureur général du Canada

Ottawa (Ontario)

 

Goodmans LLP

Toronto (Ontario)

POUR L’INTIMÉ

LE MINISTRE DE LA SANTÉ

 

 

POUR L’INTIMÉE

APOTEX INC.

 

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