Décisions de la Cour d'appel fédérale

Informations sur la décision

Contenu de la décision

Date : 20070430

Dossier : A-66-07

Référence : 2007 CAF 173

 

CORAM :      LE JUGE NOËL

                        LE JUGE SEXTON

                        LE JUGE MALONE

 

 

ENTRE :

G.D. SEARLE & CO. et PFIZER CANADA INC.

appelantes

et

NOVOPHARM LIMITED et LE MINISTRE DE LA SANTÉ

intimés

 

 

 

Audience tenue à Toronto (Ontario), les 23 et 24 avril 2007

Jugement rendu à Ottawa (Ontario), le 30 avril 2007

 

MOTIFS DU JUGEMENT :                                                                         LE JUGE MALONE

Y ONT SOUSCRIT :                                                                                             LE JUGE NOËL

LE JUGE SEXTON


 

Date : 20070430

Dossier : A-66-07

Référence : 2007 CAF 173

 

CORAM :      LE JUGE NOËL

                        LE JUGE SEXTON

                        LE JUGE MALONE

 

 

ENTRE :

G.D. SEARLE & CO. et PFIZER CANADA INC

appelantes

et

NOVOPHARM LIMITED et LE MINISTRE DE LA SANTÉ

intimés

 

 

MOTIFS DU JUGEMENT

 

LE JUGE MALONE

I.  Introduction

[1]               Les appelantes, G.D. Searle and Co. et Pfizer Canada, Inc. (collectivement Searle), interjettent appel d’une décision rendue par la Cour fédérale du Canada le 24 janvier 2007 et publiée à 2007 CF 81. Elles avaient demandé à la Cour de rendre une ordonnance interdisant au ministre de la Santé (le ministre) de délivrer un avis de conformité à Novopharm Limited (Novopharm). Si cet avis de conformité lui avait été délivré, Novopharm aurait été autorisée à vendre au Canada, avant l’expiration du brevet canadien no 2,177,576 de Searle (le brevet 576), des capsules de 100 mg et de 200 mg contenant un médicament appelé celecoxib.

 

[2]               Le brevet 576 est intitulé « Benzènesulfonamides de pyrazolyle substitués destinés au traitement des inflammations » et John J. Talley ainsi que certaines autres personnes y sont nommés à titre d’inventeurs. Le brevet divulgue et revendique le composé celecoxib et ses utilisations, dont le traitement des inflammations et des troubles apparentés comme l’arthrite et les douleurs. Le brevet a pour objectif de fournir un moyen de traiter les inflammations tout en atténuant les effets gastriques indésirables.

 

II. Contraintes de temps à l’égard de la délivrance par la cour des motifs du jugement et jugement

[3]               Le dossier d’appel compte plus de 10 300 pages, réunies dans 34 recueils. Le jugement du juge de première instance a 56 pages, dont les motifs résultant d’une audience ayant duré quatre jours.

 

[4]               Au cours de l’audience de deux jours qui a eu lieu, dans le présent appel, les 22 et 23 avril, l’avocat de Searle a informé la Cour de la possibilité que le Bureau des médicaments brevetés et de la liaison de Santé Canada (BMBL) décide dans peu de temps de retirer du registre des brevets un autre brevet se rapportant au celecoxib. Si ce brevet était rayé de la liste, le ministre pourrait ensuite délivrer un avis de conformité à Novopharm en vue de la fabrication et de la vente du médicament celecoxib au Canada, ce qui rendrait sans objet la mesure de redressement demandée par les appelantes. Le 24 avril 2007, l’avocat des appelantes a indiqué à la Cour que la suppression du brevet de la liste pourrait être effectuée dès le 1er mai 2007.

 

[5]               Les présents motifs sont prononcés aujourd’hui pour tenir compte de ce délai et doivent être interprétés en fonction de ces contraintes de temps.

 

III. Contexte factuel

L’instance

[6]               Le 3 mai 2005, Novopharm a déposé une présentation abrégée de drogue nouvelle dans laquelle elle a demandé l’autorisation de fabriquer et de vendre des capsules de 100 mg et de 200 mg contenant du celecoxib. Elle a déposé un avis d’allégation dans lequel elle a allégué que le brevet 576 était invalide pour cause d’abandon, d’évidence, d’absence d’utilité et d’insuffisance. En réponse, Searle a intenté la présente instance par voie d’un avis de demande déposé en vertu du Règlement sur les médicaments brevetés (avis de conformité), DORS/93-133 (le Règlement), afin d’obtenir une ordonnance d’interdiction.

 

[7]               Les questions que le juge de première instance a été appelé à trancher sont les suivantes :

1.     L’allégation de Novopharm selon laquelle Searle a abandonné sa demande à l’égard du brevet 576 est‑elle fondée?

 

2.   Les allégations de Novopharm selon lesquelles l’une ou l’autre des revendications 4 et 8 du brevet 576, ou les deux, sont invalides pourraient‑elles être fondées pour cause d’évidence, d’absence d’utilité et d’insuffisance?

 

[8]               Pour obtenir gain de cause, Searle devait convaincre le juge de première instance qu’aucune des allégations de Novopharm n’était fondée.

 

Contexte à l’égard du brevet 576

[9]               En 1991 ou avant, Searle a embauché des équipes de scientifiques auxquelles elle a confié la tâche d’étudier l’usage potentiel de composés anti-inflammatoires qui inhiberaient sélectivement les effets de ce que l’on appelle maintenant la COX II, la théorie étant que ce composé réduit au minimum les effets secondaires gastro‑intestinaux causés par d’autres composés anti‑inflammatoires. Mme Seibert, qui travaillait pour Searle, dirigeait l’équipe chargée des questions biologiques qui collaborait avec d’autres scientifiques au projet sur la COX II. M. Peter Isakson, qui travaillait lui aussi pour Searle, était le chef d’équipe et dirigeait à ce titre l’équipe de biologistes et l’équipe de chimistes (collectivement, les chercheurs de Searle).

 

[10]           Avant octobre 1993, l’équipe de Mme Seibert travaillait sur le celecoxib et d’autres composés, dont un connu sous le nom de SC‑58125. Elle a étudié différents constituants de la structure de ces composés afin de comprendre la relation entre leur structure et leur activité. En juin 1994, l’équipe de Mme Seibert avait établi que le composé SC‑58125 traitait l’inflammation tout en réduisant les effets gastriques indésirables. Ce composé est l’un des composés visés par le brevet américain 5,134,142, dont il est question à la page 2 du brevet 576.

 

[11]           Tous les inventeurs travaillaient pour Searle à titre de chercheurs, et la cession de leurs droits à l’égard du brevet 576 en faveur de Searle est confirmée par les cessions individuelles qui ont été signées entre le mois de mai et le mois de juillet 1996. La contrepartie, selon ces cessions, est de 10 $.

 

[12]           Lors d’une conférence internationale sur les prostaglandines et les composés connexes qui a eu lieu en juin 1994 (la conférence de juin 1994), Mme Seibert a révélé que le composé SC‑58125 traitait l’inflammation sans avoir d’effets toxiques sur l’estomac. De plus, en août 1994, Mme Seibert a soumis un article portant sur ce composé pour publication dans une revue scientifique dotée d’un comité de lecture (l’article de Mme Siebert). L’auteur révélait dans son article que le composé SC‑58125 traitait l’inflammation sans entraîner d’effets gastriques indésirables. L’article a été publié en décembre 1994.

 

[13]           Le commissaire a le pouvoir de faire examiner une demande de brevet par des examinateurs embauchés par le Bureau des brevets. Dans la présente affaire, un examinateur a effectivement été nommé à l’étape de la poursuite pour examiner la demande de brevet 576. Initialement, il a rejeté la demande de brevet 576 de Searle au motif que l’invention revendiquée était évidente à la date de la demande pour cause d’antériorité. En conséquence, le 21 octobre 1998, l’examinateur a demandé à Searle de répondre à une question qu’il se posait concernant le respect de l’alinéa 28.3a) de la Loi. Searle a répondu à cette demande et déclaré que les composés qu’elle revendiquait avaient des effets sélectifs à l’égard de la COX II et que cette caractéristique ne pouvait pas être dérivée d’une réalisation antérieure et n’y était pas suggérée.

 

[14]           Le brevet 576 a fait l’objet d’une demande au Canada le 14 novembre 1994 et a été délivré à Searle le 26 octobre 1999. À moins qu’il ne soit par ailleurs jugé invalide, le brevet expirera le 14 novembre 2014. La demande de brevet 576 revendiquait une priorité à l’égard de deux demandes de brevet antérieurement déposées aux États‑Unis, soit le 30 novembre 1993 et le 6 avril 1994 (les demandes de priorité).

 

IV. Décision en première instance

[15]           Le juge de première instance a conclu que les allégations de Novopharm concernant l’utilité et la suffisance n’étaient pas fondées. Toutefois, il a conclu également que l’allégation d’invalidité était fondée pour cause d’abandon et d’évidence. C’est sur ce fondement que la demande a été rejetée.

 

[16]           Sur la question de l’évidence, le juge de première instance a statué que la date de la revendication, aux fins de l’évaluation du caractère évident, était la date de dépôt au Canada, soit le 14 novembre 1994. Il a conclu également que la conférence de juin 1994 se rapportant au composé SC-58125 équivalait à la communication d’une réalisation antérieure. Cette communication, a‑t‑il indiqué, rendait le celecoxib évident à la date du dépôt au Canada à titre de composé anti‑inflammatoire aux effets secondaires réduits (voir les motifs du jugement au par. 95). Il a en outre déterminé que la conférence de juin 1994 ne constituait pas une communication qui tombait clairement dans le délai de grâce prescrit à l’alinéa 28.3a) de la Loi sur les brevets, L.R.C. 1985, ch. P-4 (Loi), dont voici le texte :

28.3 L’objet que définit la revendication d’une demande de brevet ne doit pas, à la date de la revendication, être évident pour une personne versée dans l’art ou la science dont relève l’objet, eu égard à toute communication :

 

a) qui a été faite, plus d’un an avant la date de dépôt de la demande, par le demandeur ou un tiers ayant obtenu de lui l’information à cet égard de façon directe ou autrement, de manière telle qu’elle est devenue accessible au public au Canada ou ailleurs [Je souligné.]

 

28.3 The subject-matter defined by a claim in an application for a patent in Canada must be subject-matter that would not have been obvious on the claim date to a person skilled in the art or science to which it pertains, having regard to

 

(a) information disclosed more than one year before the filing date by the applicant, or by a person who obtained knowledge, directly or indirectly, from the applicant in such a manner that the information became available to the public in Canada or elsewhere [Emphasis added]

 

[17]           Étant donné qu’une personne versée dans l’art serait « suffisamment certaine du résultat de l’opération », le juge de première instance a conclu que le critère de l’évidence était rempli vu la communication qu’avait faite Mme Seibert en juin 1994.

 

[18]           Sur la question de l’abandon, le juge de première instance a statué qu’au moment de répondre à la demande du Bureau des brevets dans le cadre de la poursuite visant le brevet 576 le 21 octobre 1998, Searle devait aviser le Bureau des brevets de la communication faite par Mme Seibert lors de la conférence de juin 1994 à savoir que Searle avait conclu que le composé SC-58125 était sélectif à l’égard de la COX II et qu’elle en avait informé le public avant le dépôt au Canada de la demande relative au brevet 576. Le juge a conclu que l’omission par Searle d’informer le Bureau des brevets de cette communication constituait de la mauvaise foi (voir les motifs du jugement aux par. 75 et 77).

 

[19]           Pour conclure que la demande de Searle relative au brevet 576 avait été abandonnée et, en bout de ligne, qu’elle était invalide, le juge de première instance s’est fondé sur l’alinéa 73(1)a) de la Loi. Cet alinéa prévoit qu’une demande de brevet est considérée comme abandonnée si le demandeur omet de répondre de bonne foi à toute demande de l’examinateur dans le cadre de l’examen d’un brevet.

 

[20]           Enfin, sur les questions d’absence d’utilité et de suffisance, le juge de première instance a statué que Searle avait réussi à démontré que les allégations de Novopharm n’étaient pas fondées.

 

V. Cadre législatif

[21]           Pour en faciliter la consultation, les dispositions législatives qui sont pertinentes dans le présent appel sont reproduites ci‑dessous :

2.  Sauf disposition contraire, les définitions qui suivent s’appliquent à la présente loi.

 

« demandeur » Sont assimilés à un demandeur un inventeur et les représentants légaux d’un demandeur ou d’un inventeur.

 

« représentants légaux » Sont assimilés aux représentants légaux les héritiers, exécuteurs testamentaires, administrateurs, gardiens, curateurs, tuteurs, ayants droit, ainsi que toutes autres personnes réclamant par l’intermédiaire ou à la faveur de demandeurs et de titulaires de brevets.

 

28.1 (1)  La date de la revendication d’une demande de brevet est la date de dépôt de celle-ci, sauf si :

 

a)  la demande est déposée, selon le cas :

[…]

(ii)  par une personne qui a antérieurement déposé de façon régulière, dans un autre pays ou pour un autre pays, ou dont l’agent, le représentant légal ou le prédécesseur en droit l’a fait, une demande de brevet divulguant l’objet que définit la revendication, dans le cas où ce pays protège les droits de cette personne par traité ou convention, relatif aux brevets, auquel le Canada est partie, et accorde par traité, convention ou loi une protection similaire aux citoyens du Canada. [Je souligne.]

 

 

 

 

28.3(a)  – supra au par. 13.

 

 

73. (1)  La demande de brevet est considérée comme abandonnée si le demandeur omet, selon le cas :

 

a)  de répondre de bonne foi, dans le cadre d’un examen, à toute demande de l’examinateur, dans les six mois suivant cette demande ou dans le délai plus court déterminé par le commissaire;

 

2.  In this Act, except as otherwise provided,

 

 

“applicant” includes an inventor and the legal representatives of an applicant or inventor;

 

 

“legal representatives” includes heirs, executors, administrators, guardians, curators, tutors, assigns and all other persons claiming through or under applicants for patents and patentees of inventions;

 

 

 

 

 

28.1(1)  The date of a claim in an application for a patent in Canada (the “pending application”) is the filing date of the application, unless,

 

(a)  the pending application is filed by

(ii)  a person who is entitled to protection under the terms of any treaty or convention relating to patents to which Canada is a party and who has, or whose agent, legal representative or predecessor in title has, previously regularly filed in or for any other country that by treaty, convention or law affords similar protection to citizens of Canada an application for a patent disclosing the subject-matter defined by the claim [Emphasis added].

 

 

 

 

 

28.3(a)  supra at para. 13.

 

 

73 (1)  An application for a patent in Canada shall be deemed to be abandoned if the applicant does not

               

(a)  reply in good faith to any requisition made by an examiner in connection with an examination, within six months after the requisition is made or within any shorter period established by the Commissioner;

 

[22]           La présente demande de brevet et le brevet 576 doivent être régis par la Loi, qui incorpore les dispositions postérieures au 1er octobre 1989 ainsi que les dispositions postérieures au 1er octobre 1996.

 

VI. Analyse

1.  Date de la revendication

[23]           Pour trancher le présent appel, il faut d’abord déterminer si le juge de première instance a décidé à juste titre que la date de la revendication du brevet 576 était le 14 novembre 1994, soit la date de dépôt. Au paragraphe 48, il a dit :

Les choses se compliquent encore du fait que la demande du brevet 576 a été déposée au Canada en vertu du Traité de coopération en matière de brevets (le PCT). Ce traité stipule qu’il est possible, en déposant une seule demande auprès d’un « office récepteur » compétent de l’un des pays signataires, d’obtenir une date de dépôt valable pour tous ces pays, ou un nombre déterminé d’entre eux, à condition que l’auteur de la demande entre en « phase nationale » dans les pays en question dans le délai prescrit. En l’occurrence, la demande dite « internationale » a été déposée auprès d’un office récepteur des États‑Unis le 14 novembre 1994 et est entrée en phase nationale au Canada le 28 mai 1996 (dossier de la demanderesse, volume 3, page 613). Cependant, en vertu du PCT, cette demande est réputée avoir été déposée auprès du Bureau canadien des brevets en date d’effet du 14 novembre 1994.

 

[24]           La demande relative au brevet 576 revendiquait une priorité à l’égard de deux demandes de brevet américaines déposées antérieurement (supra, par. 14). Sur la question de l’évidence, le juge de première instance a statué que Searle ne pouvait se fonder que sur la date de dépôt au Canada, soit le 14 novembre 1994, et qu’aucune date antérieure ne pouvait être invoquée, puisque les demandes de priorité ne décrivent pas et ne révèlent pas la même invention que les revendications 4 ou 8 du brevet 576.

 

[25]           Compte tenu du dossier dans la présente affaire, je suis convaincu que le juge de première instance n’a commis aucune erreur en ce qui a trait à cette décision.

 

2.  Évidence et abandon

[26]           Conformément à l’alinéa 28.3a), précité au paragraphe 16, les demandeurs de brevet jouissent d’un délai de grâce d’un an dans lequel ils peuvent communiquer des informations au public avant de déposer une demande de brevet au Canada. L’un des objectifs de cette disposition est de permettre aux demandeurs de brevet d’annoncer leur réussite en communiquant leurs inventions avant de déposer une demande. Searle a tenté de profiter de cette disposition sur le délai de grâce par la voie du comportement de certains de ses employés en 1994 (précité au par. 12).

 

[27]           Le juge de première instance a tiré plusieurs conclusions relativement à la question de savoir si Searle était le demandeur à la date de la revendication, soit le 14 novembre 1994 (voir ses motifs du jugement aux par. 49, 57(4), 57(5), 57(6), 57(10) et 58(2)). Plus particulièrement, il a dit à aux par. 49 et 58(2) :

… Searle est en l’occurrence le demandeur de brevet en tant que cessionnaire de Talley et coll., les inventeurs dénommés dans le brevet, et à aucun autre titre.

 

[…]

 

Les connaissances acquises par le groupe de Mme Seibert relativement à l’activité du SC‑58125, notamment en ce qui concerne l’inflammation et l’absence de toxicité gastrique, ont été acquises par le groupe lui‑même, non pas par Talley et coll. La divulgation en juin 1994 ne concernait donc pas de l’information provenant des inventeurs nommés, Talley et coll. Le fait que Searle soit le « demandeur » du brevet 576 ne signifie pas qu’il peut prétendre à la propriété commune de l’information de Mme Seibert, vu que selon l’article 2 de la Loi sur les brevets, le terme de « demandeur » ne peut être qu’un représentant légal des inventeurs nommés, Talley et coll.;

 

[28]           Il est clair que le juge de première instance a conclu que Searle était le demandeur en raison seulement des cessions effectuées en 1996. Sur le fondement de cette conclusion, il a statué que Searle n’était pas le demandeur à la date de la revendication (le 14 novembre 1994) et qu’elle ne pouvait donc tirer profit du délai de grâce d’un an prévu à l’alinéa 28.3a) de la Loi.

 

[29]           Les conséquences de cette conclusion sont cruciales, car les autres questions en litige sur lesquelles le juge de première instance se penche ensuite dépendent de sa conclusion selon laquelle Searle n’était pas le demandeur du brevet le 14 novembre 1994. Ses deux conclusions d’évidence et d’abandon sont tributaires de cette conclusion ainsi qu’il est expliqué dans les paragraphes qui suivent.

 

[30]           Premièrement, la communication faite par Mme Seibert à la conférence de juin 1994 et dans son article a rendu l’invention évidente et, comme Searle n’était pas le demandeur, cette communication n’était pas visée par le délai de grâce.

 

[31]           Deuxièmement, en omettant, en réponse à la demande de l’examinateur se rapportant à l’évidence en octobre 1996, de révéler que cette information avait été communiquée, Searle a fait preuve de mauvaise foi et a induit l’examinateur en erreur, en violation de l’alinéa 73(1)a) de la Loi. En conséquence, l’examinateur a conclu que le brevet 576 était considéré comme abandonné et, par conséquent, invalide.

 

[32]           Il convient de se demander comment la question de savoir si Searle était le « demandeur » s’est posée, alors qu’elle n’a pas été soulevée dans l’avis d’allégation (voir le dossier d’appel, vol. 9, p. 2451) ni plaidée devant le juge de première instance. Les avocats des deux parties ont admis leur étonnement devant la conclusion du juge de première instance sur ce point crucial.

 

[33]           L’avis d’allégation énonce les questions à trancher dans l’instance engagée en vertu du Règlement. En outre, le fait pour un juge de décider une affaire sur le fondement d’une question qui n’est pas soulevée par les parties soulève une question d’équité procédurale (voir AB Hassle c. Canada (Ministre de la Santé nationale et du Bien-être social) (2000), 7 C.P.R. (4th) 272 (C.A.F.), par. 16 à 21; Règlement, au par. 5(1) et à l’al. 5(3)a); Pfizer Canada Inc. c. Canada (Ministre de la Santé) (2006), 46 C.P.R. (4th) 281 (C.A.F.), au par. 32). L’avocat de Searle a fait valoir à juste titre que, si la question avait été soulevée devant le juge de première instance, il aurait été possible de produire une preuve et de présenter des observations en conséquence.

 

[34]           À mon sens, si on applique la norme de la décision correcte, le juge de première instance en procédant ainsi qu’il l’a fait, a privé Searle de la garantie d’équité procédurale, commettant ainsi une erreur de droit (voir McConnell c. Canada (Commission des droits de la personne), 2005 CAF 389, au par. 7). En outre, on ne peut dire que le dossier appuie la décision selon laquelle Searle n’est pas le demandeur au sens de l’article 2 de la Loi. Certes, les ententes de cession n’ont été signées qu’entre le mois de mai et le mois de juillet 1996, mais cela n’établit pas que Searle n’était pas propriétaire de l’invention au moment de la découverte. Manifestement, la personne qui est titulaire des droits sur l’invention peut être un demandeur. À mon avis, le juge de première instance a commis une erreur lorsqu’il a limité le sens de la définition de demandeur dans ce dossier à celui de « représentant légal des inventeurs nommés, Talley et coll. » (voir le passage des motifs du jugement reproduit au paragraphe 27 des présents motifs).

 

[35]           À l’audience, l’avocat de Searle a souligné de nombreux documents clés qui renvoient tous à Searle en tant que demandeur à compter du 14 novembre 1994. Voici certains de ces documents clés :

§         La demande de brevet canadien 576 désigne Searle à titre de demandeur pour tous les États désignés qui sont signataires du Traité de coopération en matière de brevets, à l’exception des États‑Unis. Les inventeurs, Talley et coll., sont nommés également à titre de demandeurs, mais inversement, uniquement pour les États‑Unis. Cette demande a été déposée le 14 novembre 1994.

§         Une notification d’élection a été remplie par le Bureau international et envoyée au Bureau des brevets le 10 juillet 1995, et elle mentionne Searle à titre de demandeur.

§         Le rapport d’examen préliminaire international signé le 30 janvier 1996 désigne Searle à titre de demandeur.

§         Un avis concernant les documents transmis a été signé par le Bureau international et envoyé au Bureau des brevets le 31 janvier 1996, et il indique que le demandeur est Searle.

 

[36]           Outre cette preuve factuelle, l’avocat de Searle invoque une décision rendue par le juge Muldoon dans l’affaire Comstock Canada c. Elected Ltd. (1991), 45 F.T.R. 241 (C.F.). Dans cette affaire, il fallait déterminer si un dessin industriel qui avait été créé par un employé dans le cadre de l’exploitation de sa propre entreprise était le produit de son employeur, car l’employé n’avait pas été engagé pour inventer ce dessin industriel en particulier. Au paragraphe 72, le juge Muldoon a conclu :

Quant aux inventions d’employés, le principe général a été établi dans l’arrêt Bloxam v. Elsge, (1825) 1 Car. & P. 558, à la p. 564, (1827) 6 B & C 169, où lord Tenterdon a décidé que, si un préposé, pendant qu’il était au service de son maître, a fait une invention, celle-ci appartient au préposé, non au maître; mais si le maître embauche une personne qui a certaines capacités dans le but exprès qu’elle fasse des inventions, celles-ci appartiennent au maître et ce dernier peut se faire délivrer un brevet à cet égard. [Je souligne.]

 

[37]           Dans le présent dossier, il est clair que Mme Seibert ainsi que son équipe avaient été engagées par Searle pour déterminer l’activité biologique de divers composés, dont le SC‑58125 et le celecoxib. Mme Seibert a été engagée pour effectuer des recherches particulièrement en vue de vérifier l’usage potentiel des composés anti‑inflammatoires qui réduiraient au minimum les effets secondaires gastro‑intestinaux. En conséquence, le celecoxib et d’autres composés ont été remis à Mme Seibert et à son équipe par les inventeurs nommés afin qu’elles effectuent des tests biologiques.

 

[38]           Au cours de son contre‑interrogatoire, Mme Seibert a indiqué que les chercheurs de Searle avaient travaillé en collaboration avec l’entreprise et qu’il s’agissait du processus suivi par l’entreprise :

[traduction]

Q. D’accord. Mais je crois que j’essayais de demander qui ou comment vous avez décidé ou qui a décidé, regardez, ce -- les résultats que vous avez maintenant obtenus dans le cadre de cette expérience en particulier ou de cette série d’expériences mènent à quelque chose qui pourrait mériter que l’on s’y attarde pour déterminer si c’est brevetable ou non. Est-ce que c’était un chef d’équipe, M. Isakson, ou --

 

R. Vous savez, je crois qu’il a probablement contribué à ces discussions, mais c’était véritablement en partenariat avec les scientifiques, disons, les chimistes qui travaillaient à l’identification de nouveaux composés --

 

Q. Hum, hum.

R. – avec des membres de notre service juridique, de notre service des brevets --

 

Q. Bien. D’accord.

 

R. – qui, dans les faits, assistaient même souvent aux réunions de l’équipe et connaissaient bien les données.

 

[…]

Q. D’accord. Et décidaient qui seraient les inventeurs d’une invention donnée, parce qu’il peut y en avoir plus d’un --

 

R. Hum, hum.

 

Q. – c’était fait avec les avocats en droit des brevets aussi?

 

R. Oui. […] je crois comprendre que les inventeurs potentiels et les avocats en droit des brevets […] prenaient ces décisions.

 

Q. Alors, au sein de Searle, dans les années 90, y avait‑il des mesures incitatives ou d’autres moyens d’encourager les gens, j’imagine, non seulement à faire leur travail et à faire leurs recherches, mais aussi à être inventifs, à essayer de l’être -- de créer de nouvelles inventions? Existait‑il de telles mesures incitatives au sein de Searle?

 

R. J’ignore ce que vous voulez dire par mesures incitatives. Je veux dire --

 

Q. Pour encourager.


R. Nous étions -- oui, nous étions certainement encouragés, vous savez, à penser à la manière dont nous pouvions appliquer notre science, à l’identification dans la découverte de nouveaux médicaments ou de nouveaux usages. Je veux dire c’est là notre travail [non souligné dans l’original] (voir le dossier d’appel, vol. 8, aux p. 2039 et 2040).

 

[39]           Toute la preuve documentaire versée au dossier montre que Searle est le demandeur. En outre, il ressort du témoignage de Mme Seibert que cette dernière a été engagée par Searle pour faire partie d’une équipe de biologistes chargés d’effectuer des recherches en vue de vérifier l’usage potentiel de composés anti-inflammatoires qui réduiraient au minimum la toxicité gastro‑intestinale. Par conséquent, il est clair que les chercheurs de Searle ont été engagés pour inventer et que tout produit qu’ils inventaient appartenait à Searle dès le départ.

 

[40]           À mon avis, les cessions effectuées par les employés en 1996 ont simplement confirmé le droit préexistant de Searle sur l’invention et elles ont été faites en conformité avec la procédure du Bureau des brevets selon laquelle il faut avoir une preuve au dossier relativement à la question de savoir qui est propriétaire du brevet avant son octroi. Le fait que les cessions ont été effectuées pour une contrepartie symbolique appuie ce point de vue.

 

[41]           En résumé, il n’était pas loisible au juge de première instance de statuer que Searle n’était pas le demandeur à la date de la revendication, tant du point de vue de l’équité procédurale que compte tenu du dossier dont il disposait.

 

[42]           Il s’ensuit donc qu’à titre de demandeur, Searle peut tirer profit du délai de grâce prévu à l’alinéa 28.3a) de la Loi et que toute communication faite par Mme Seibert en juin 1994 ou dans son article est exemptée de tout examen de l’évidence.

 

[43]           Puisque j’ai décidé que Searle était le demandeur, toute communication d’information effectuée dans un délai d’un an de la date de la revendication ne constitue pas une réalisation antérieure susceptible de rendre le brevet 576 évident. Il s’ensuit que les révélations de Mme Seibert à la conférence de juin 1994 et dans son article n’avaient pas à être communiquées à l’examinateur. Pour cette raison, il n’y a pas eu abandon.

 

3. Absence d’utilité

[44]           À titre subsidiaire, Novopharm fait valoir que, si la Cour reconnaît que le juge de première instance a commis une erreur en décidant que les allégations d’invalidité de Novopharm pour cause d’évidence et d’abandon étaient fondées, la Cour devrait conclure que le juge de première instance a également commis une erreur en concluant que l’allégation d’invalidité pour cause d’absence d’utilité n’était pas fondée.

 

[45]           Dès que la Cour reconnaît que le juge de première instance n’a commis aucune erreur en déterminant que la date de dépôt au Canada est la date pertinente aux fins de la détermination de l’utilité, l’argument de Novopharm sur l’absence d’utilité ne vaut plus. Puisque j’ai déjà accepté la conclusion du juge de première instance selon laquelle la date de dépôt au Canada est la date pertinente à tous les égards, il n’est pas nécessaire d’examiner la question de l’absence d’utilité. Le juge de première instance a conclu à l’utilité au 14 novembre 1994; il s’agit d’une conclusion de fait que Novopharm ne conteste pas et n’allègue pas dans son avis d’allégation.

 

VII. Conclusion

[46]           L’appel devrait être accueilli, la décision du juge de première instance devrait être infirmée et, étant donné l’ordonnance que le juge de première instance aurait dû rendre, une ordonnance interdisant au ministre de délivrer à Novopharm un avis de conformité concernant la fabrication, l’utilisation et (ou) la vente de capsules de celecoxib avant l’expiration du brevet 576 devrait être rendue.

 

[47]           Les appelantes devraient obtenir leurs dépens dans l’appel. Elles devraient également obtenir leurs dépens devant la Cour fédérale, mais dans la mesure seulement où ceux‑ci se rapportent au brevet 576.

 

« B. Malone »

Juge

 

 

« Je souscris aux présents motifs,

          Marc Noël, juge »

 

« Je souscris aux présents motifs,

         J. Edgar Sexton, juge »

 

Traduction certifiée conforme

Suzanne Bolduc, LL.B.

 


 

COUR D’APPEL FÉDÉRALE

                                                                                                                  

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

DOSSIER :                                                                            A-66-07

 

INTITULÉ :                                                                           G.D. Searle & Co. et Pfizer Canada Inc.

                                                                                                c.

                                                                                                Novopharm Limited et le ministre de la Santé

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                                                     Toronto (Ontario)

 

DATE DE L’AUDIENCE :                                                   les 23 et 24 avril 2007

 

MOTIFS DU JUGEMENT :                                                LE JUGE MALONE

 

Y ONT SOUSCRIT :                                                             LE JUGE NOËL

                                                                                                LE JUGE SEXTON

 

DATE DES MOTIFS :                                                          LE 30 avril 2007

 

 

COMPARUTIONS :

 

John B. Laskin

Kamleh J. Nicola

 

POUR LES APPELANTES

 

John F. Rook, c.r.

Dino P. Clarizio

POUR L’INTIMÉE

NOVOPHARM LIMITED

 

 

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Torys LLP

Toronto (Ontario)

 

POUR LES APPELANTES

 

Bennett Jones LLP

Toronto (Ontario)

POUR L’INTIMÉE

NOVOPHARM LIMITED

 

 

 Vous allez être redirigé vers la version la plus récente de la loi, qui peut ne pas être la version considérée au moment où le jugement a été rendu.