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Date : 20070514

Dossier : A-237-06

Référence : 2007 CAF 185

 

CORAM :      LE JUGE NADON

                        LA JUGE SHARLOW

                        LE JUGE PELLETIER

 

ENTRE :

CCLI (1994) INC.

appelante

et

SA MAJESTÉ LA REINE

intimée

 

 

 

Audience tenue à Vancouver (Colombie-Britannique), le 29 mars 2007

Jugement rendu à Ottawa (Ontario), le 14 mai 2007

 

MOTIFS DU JUGEMENT :                                                                             LA JUGE SHARLOW

Y ONT SOUSCRIT :                                                                                            LE JUGE NADON

                                                                                                                         LE JUGE PELLETIER

 


Date : 20070514

Dossier : A-237-06

Référence : 2007 CAF 185

 

CORAM :      LE JUGE NADON

                        LA JUGE SHARLOW

                        LE JUGE PELLETIER

 

ENTRE :

CCLI (1994) INC.

appelante

et

SA MAJESTÉ LA REINE

intimée

 

 

MOTIFS DU JUGEMENT

LA JUGE SHARLOW

[1]               Il s’agit d’un appel interjeté par CCLI (1994) Inc. contre un jugement de la Cour canadienne de l’impôt (2006 CCI 240) rejetant les appels en matière d’impôt sur le revenu concernant les cotisations pour les années 1989, 1990 et 1993, ainsi que les déterminations des pertes pour les années 1991 et 1992. Une des questions en litige est de savoir si les profits et les pertes sur change réalisés sur de l’argent emprunté pour financer les opérations de crédit-bail de matériel de CCLI doivent être considérés comme un revenu ou comme du capital aux fins de l’impôt sur le revenu. L’autre question en litige est de savoir si, dans les circonstances de l’espèce, la Loi de l’impôt sur le revenu (la LIR), L.R.C. 1985, ch. 1 (5e suppl.), exige que CCLI déduise pour l’année 1989 une plus grande partie de sa perte autre qu’une perte en capital subie en 1991 qu’elle ne l’a fait.

Les profits et pertes sur change

[2]               Au cours des années visées par l’appel, CCLI était une filiale à cent pour cent de Citibank Canada, une banque à charte canadienne. Citibank Canada est assujettie à la Loi sur les banques, L.C. 1991, ch. 46. Avant 1992, la Loi sur les banques interdisait à Citibank Canada d’offrir du financement à ses clients au moyen d’opérations de crédit-bail. Citibank Canada pouvait toutefois détenir une société filiale offrant ce type de financement dans la mesure où les crédits-bails respectaient les conditions établies dans le Règlement sur le crédit-bail financier, DORS/82-705.

[3]               En 1992, la Loi sur les banques a été modifiée pour supprimer l’interdiction concernant les opérations de financement par crédit-bail. Citibank Canada pouvait alors offrir ce type de financement pour son propre compte. En 1994, des procédures visant à fusionner CCLI et Citibank Canada ont été entamées.

[4]               Au cours des années visées par l’appel, CCLI a conclu plusieurs opérations de crédit-bail comprenant notamment l’achat d’aéronefs ou d’autorails qui ont ensuite été loués à des sociétés exploitantes pour des périodes de dix ans ou plus. Pour chacune de ces opérations, CCLI a emprunté de Citibank Canada l’argent dont elle avait besoin pour faire l’achat du matériel. Les prêts étaient faits en dollars américains ou autres monnaies étrangères, selon la monnaie dans laquelle les opérations étaient conclues. (Les détails des opérations sont énoncés dans les motifs du jugement visé par l’appel et il n’y a pas lieu de les répéter ici.) Les crédits-bails respectaient les conditions du Règlement sur le crédit-bail financier.

[5]               Aux fins des états financiers, CCLI a présenté de façon conforme et appropriée les résultats financiers liés à ses locations à bail, en considérant celles-ci comme étant des « crédits-bails » (ou des « contrats de location-financement », comme on les appelle parfois). Aux fins de la comptabilité commerciale, une location à bail est qualifiée de crédit-bail ou de contrat de location-exploitation selon une évaluation pratique des attributs de propriété du bien loué. Si presque tous les risques et avantages liés à la propriété du bien loué reviennent au preneur, la location à bail est qualifiée de crédit-bail. De façon générale, une location à bail qui respecte les conditions du Règlement sur le crédit-bail financier sera qualifiée de crédit-bail selon les principes de comptabilité commerciale.

[6]               Dans un crédit-bail, le bailleur a l’avantage financier d’un apport continu de revenu de la part de l’utilisateur du bien loué et assume le risque du défaut financier du preneur, mais ce risque est atténué par le fait que le bailleur détient le titre en common law sur le bien loué. Comme cela équivaut à un prêt garanti, l’opération est présentée de la même façon qu’un prêt garanti dans les états financiers du bailleur (voir, par exemple, la section 3065.09 du Manuel de l’Institut canadien des comptables agréés, cité au paragraphe 8 des motifs du jugement du juge de la Cour de l’impôt). Plus particulièrement, le bien du bailleur est décrit comme un prêt en cours, et une partie des montants reçus par le bailleur est traitée comme de l’intérêt et l’autre partie est traitée comme un remboursement de capital. Par contre, les états financiers du bailleur ayant conclu un contrat de location-exploitation refléteront le fait que le bailleur est le propriétaire du bien loué et que celui-ci reçoit un revenu sous forme de loyer et supporte les dépenses d’un propriétaire de biens, y compris le coût du matériel, lequel est amorti sur le nombre d’années de durée de vie utile estimative de ce bien.

[7]               Comme nous l’avons vu, CCLI a considéré ses locations à bail de matériel comme des crédits-bails lorsqu’elle a préparé ses états financiers à des fins commerciales. Cependant, lorsqu’elle a produit ses déclarations de revenus, elle a systématiquement demandé une déduction pour amortissement sur l’équipement loué, comme elle était autorisée à le faire.

[8]               Aux fins des états financiers et de l’impôt sur le revenu, CCLI a inclus dans son revenu des profits et pertes sur change comptabilisés mais non réalisés relativement à ses emprunts à Citibank Canada. Elle a ainsi déclaré des profits sur change pour les années 1988 et 1991 et des pertes sur change pour les années 1992 à 1994. La Couronne est d’avis que tous les profits et pertes sur change de CCLI auraient dû être considérés comme des gains et des pertes en capital et auraient dû être déclarés au moment de leur réalisation. Par conséquent, une nouvelle cotisation a été établie pour CCLI pour les années 1989, 1990 et 1993, et les pertes de l’entreprise pour les années 1991 et 1992 ont été déterminées de nouveau. L’appel de CCLI devant la Cour canadienne de l’impôt n’a pas été accueilli. Elle interjette maintenant appel devant la Cour.

[9]               Le traitement fiscal du revenu diffère du traitement fiscal du capital à bien des égards. Une de ces différences est le moment où il faut tenir compte des profits ou des pertes. Aux fins de l’impôt sur le revenu, la plupart des revenus et des dépenses d’une entreprise doivent être déclarés selon la méthode de la comptabilité d’exercice, tandis que les gains et les pertes en capital sont déclarés lorsqu’ils sont réalisés. D’une façon générale, cela signifie que les revenus sont inclus dans le revenu de l’année où ils deviennent des montants à recevoir et que les dépenses sont déduites l’année où elles deviennent payables. Toutefois, aux fins de l’impôt sur le revenu, les gains et les pertes en capital sont déclarés l’année au cours de laquelle le gain ou la perte se produit.

[10]           Il existe aussi une différence en ce qui a trait au taux d’inclusion. Aux fins de l’impôt sur le revenu, les gains et pertes en capital ne sont que partiellement reflétés dans le revenu. Le montant d’un gain ou d’une perte en capital inclus dans le revenu varie selon le taux d’inclusion des gains en capital de l’année en cours. Par exemple si, pour une année donnée, le taux d’inclusion est de 50 % (de 1972 à 1987), seulement 50 % d’un gain en capital sera inclus dans le revenu et seulement 50 % d’une perte en capital sera déductible. (Le taux d’inclusion des gains en capital a été augmenté à 66 2/3 % pour les années 1988 et 1989 et à 75 % pour les années 1990 à 1999, puis il a diminué à 50 % en 2000.)

[11]           Il existe enfin une différence dans la façon dont les pertes peuvent être déduites aux fins de l’impôt sur le revenu. Une perte dans un compte de revenus peut être déduite de tous les autres revenus de l’année. La partie déductible d’une perte en capital ne peut être déduite que de la partie imposable des gains en capital pour cette année. Si, pour une année donnée, un contribuable affiche des pertes dans un compte de revenus excédant les revenus pour cette année, l’excédent (qu’on appelle une « perte autre qu’une perte en capital ») peut être reporté rétrospectivement de trois ans et prospectivement de sept ans, pour être déduit dans le calcul du revenu imposable de ces autres années (une modification apportée en 2006 augmente la période de report prospectif à 20 ans). Si, pour une année donnée, un contribuable affiche des pertes en capital déductibles excédant les gains en capital imposables, l’excédent peut être reporté rétrospectivement de trois ans et prospectivement pour une période illimitée, puis être déduit des gains en capital imposables de ces autres années.

[12]           Il n’est pas nécessaire de revoir en détail de quelle façon ces différences ont modifié la situation fiscale de CCLI lorsque la nouvelle cotisation a été établie à l’égard de ses déclarations de revenus afin de traiter ses profits et ses pertes sur change comme du capital au lieu de revenus. Il suffit de dire que CCLI avait le droit de contester ces modifications et, si elle n’était pas satisfaite de l’issue de la contestation, d’interjeter appel devant la Cour canadienne de l’impôt.

[13]           Aux fins de l’impôt sur le revenu, la qualification d’un profit ou d’une perte sur change de revenu ou de capital dépend de la nature de la transaction à laquelle se rapporte ce profit ou cette perte. En l’espèce, les transactions sont les prêts accordés à CCLI par Citibank Canada. La question est de savoir si ces prêts constituent pour CCLI des opérations en capital ou des opérations visant à gagner un revenu.

[14]           Selon la Couronne, les prêts de Citibank Canada sont des opérations en capital pour CCLI, car l’argent emprunté a été utilisé pour faire l’achat de matériel qui constituait des immobilisations. CCLI avait le droit de déduire le coût du matériel pendant un certain nombre d’années à titre de déductions pour amortissement conformément à la partie XI du Règlement de l’impôt sur le revenu, C.R.C. ch. 945, et c’est ce qu’elle a fait. Un bien pour lequel on demande une déduction pour amortissement est visé par la définition d’« immobilisation » du paragraphe 248(1) de la LIR (voir également la définition d’« immobilisation » à l’article 54 et la définition de « bien amortissable » au paragraphe 13(21) de la LIR). Le juge de la Cour de l’impôt a partagé l’avis de la Couronne.

[15]           CCLI allègue que les prêts de Citibank Canada sont des opérations visant à gagner un revenu car CCLI exerce des activités de financement, qui consistent à faire l’achat de matériel pour le louer à bail à ses clients en vertu de crédits-bails. CCLI allègue qu’en commerce, un crédit-bail est exactement la même chose qu’un prêt garanti, et que le traitement fiscal du prêt devrait donc être le même que si l’argent emprunté était utilisé pour financer un prêt d’argent accordé par une institution financière.

[16]           L’argument de CCLI se fonde sur l’arrêt Gifford c. Canada, [2004] 1 R.C.S. 411. La question en litige dans cette affaire était de savoir si un conseiller financier avait droit à une déduction pour le coût lié à l’achat d’une liste de clients et pour les intérêts payés sur l’argent emprunté pour faire cet achat. Puisqu’il avait engagé ces dépenses en vue de tirer un revenu de son emploi et non d’une entreprise ou d’un bien, leur déductibilité dépendait de l’alinéa 8(1)f) de la LIR. Cette disposition interdisait toute déduction pour un « paiement au titre du capital » (sous réserve de certaines exceptions qui ne s’appliquaient pas). S’exprimant au nom de la Cour, le juge Major a conclu que la liste de clients constituait une immobilisation pour le conseiller financier et que, par conséquent, l’achat de cette liste constituait un paiement au titre du capital, tout comme l’intérêt payé sur l’argent emprunté pour faire cet achat.

[17]           CCLI invoque certaines affirmations du juge Major quant à la question de savoir si, en droit, le paiement d’intérêts constitue toujours une dépense en capital et, si ce n’est pas le cas, quel critère doit être appliqué pour décider si, dans une affaire donnée, l’intérêt payé constitue une dépense en capital. Le juge Major n’a trouvé aucun élément dans la jurisprudence pour appuyer l’affirmation générale selon laquelle le paiement d’intérêts constitue toujours une dépense en capital. Il a conclu que les intérêts payés sur de l’argent emprunté constituaient une dépense en capital si l’emprunt était ajouté au capital financier de l’emprunteur, mais pas s’il faisait partie du fonds de commerce de l’emprunteur, comme cela peut se produire lorsque l’emprunt est obtenu auprès d’un prêteur, par exemple une banque ou une institution financière similaire. Dans l’affaire dont il était saisi, l’argent emprunté avait été utilisé pour payer la liste de clients, ce qui constituait une immobilisation, indiquant ainsi que l’emprunt augmentait le capital financier du contribuable. En conséquence, les intérêts payés sur l’emprunt constituaient des dépenses en capital.

[18]           Je ne considère pas que l’arrêt Gifford appuie l’affirmation que le fait de qualifier les locations à bail de crédits-bails, ou les activités de CCLI d’« activités de financement », établit de façon irréfutable que l’emprunt accordé à CCLI par Citibank Canada fait partie du fonds de commerce du prêteur. Il me semble que même si les activités de CCLI peuvent être décrites comme étant des activités de financement, il serait aussi juste de les décrire comme étant des activités de location à bail de matériel.

[19]           CCLI a utilisé l’argent emprunté à Citibank Canada pour acheter du matériel qui a ensuite été loué à ses clients pour des périodes relativement longues. Aux fins de la comptabilité commerciale, ces locations à bail sont traitées comme des crédits-bails parce qu’elles comportent des risques commerciaux équivalant à ceux des prêts garantis, mais, compte tenu des faits particuliers en l’espèce, cela n’est pas suffisant pour justifier qu’on traite ces crédits‑bails comme s’il s’agissait de prêts aux fins de l’impôt sur le revenu. Comme l’a fait remarquer à juste titre le juge de la Cour de l’impôt, chacun des prêts accordés à CCLI visait l’achat de matériel précis et, dans chaque cas, le matériel acheté faisait l’objet de demandes de déductions pour amortissement, de sorte qu’il est visé par la définition d’« immobilisation » de la LIR. À mon avis, on est aussi obligé de conclure que chaque acquisition de matériel constituait une opération en capital et chaque prêt contracté pour financer l’achat de cet équipement constituait également une opération en capital.

[20]           J’estime que le juge de la Cour de l’impôt a eu raison de conclure que les profits et pertes sur change de CCLI inhérents aux prêts de Citibank Canada constituaient des gains et des pertes en capital. Il devient donc nécessaire d’étudier l’autre question de l’appel, qui porte sur la demande faite par CCLI en 1993 en vue d’obtenir la déduction d’une partie de sa perte autre qu’une perte en capital subie en 1991.

[21]           Je remarque incidemment qu’une question n’a pas fait l’objet de discussion en l’espèce, soit celle de savoir si CCLI aurait pu établir son revenu aux fins de l’impôt sur le revenu de la même façon que son revenu aux fins des états financiers, en ne demandant aucune déduction pour amortissement. À mon avis, reste entière la question de savoir si le revenu de CCLI, tel qu’il est établi aux fins des états financiers, aurait donné une image assez fidèle aux fins de l’impôt sur le revenu et respecté toutes les dispositions de la LIR et les principes juridiques établis (voir Canderel Ltd. c. Canada, [1998] 1 R.C.S. 147, paragraphe 53).

CCLI a-t-elle droit en 1993 à la déduction d’une partie de sa perte autre qu’une perte en capital subie en 1991?

[22]           Si le ministre avait raison concernant la question de la monnaie étrangère, l’établissement consécutif du revenu et des pertes de CCLI pour les années visées par l’appel est considéré comme étant juste, sauf pour une dernière question concernant l’année 1993. En résumé, la perte de CCLI autre qu’une perte en capital subie en 1991 a été établie définitivement à 25 824 050 $. CCLI a demandé de déduire, en 1993, 19 984 499 $ de sa perte subie en 1991, mais le ministre ne l’a pas autorisé. Le droit à cette déduction était l’une des questions en litige dans l’appel de CCLI devant la Cour de l’impôt concernant l’année 1993. Le juge de la Cour de l’impôt a souscrit à l’avis du ministre.

[23]           Pour comprendre cette question, il est nécessaire d’examiner l’alinéa 111(1)a) de la LIR, lequel est rédigé comme suit :

111. (1) Pour le calcul du revenu imposable d’un contribuable pour une année d’imposition, peuvent être déduites les sommes appropriées suivantes:

111. (1) For the purpose of computing the taxable income of a taxpayer for a taxation year, there may be deducted such portion as the taxpayer may claim of the taxpayer’s

a) ses pertes autres que des pertes en capital subies au cours des 7 années d’imposition précédentes et des 3 années d’imposition qui suivent l’année.

(a) non-capital losses for the 7 taxation years immediately preceding and the 3 taxation years immediately following the year.

 

[24]           L’expression « perte autre qu’une perte en capital » est définie au paragraphe 111(8) de la LIR au moyen d’une formule complexe. Aux fins des présentes, une perte autre qu’une perte en capital est synonyme d’une perte commerciale.

[25]           Pour les années 1987 et 1988, CCLI a eu des pertes autres que des pertes en capital de 19 895 182 $ et de 31 636 822 $ respectivement. Ces montants n’ont pas changé. Ils ont été déduits en 1989 conformément à l’alinéa 111(1)a), ce qui a donné lieu à un revenu imposable de 29 259 177 $ en 1989.

[26]           Lorsqu’elle a présenté ses déclarations de revenu pour les années 1991 et 1992, CCLI a initialement déclaré de nouvelles pertes autres que des pertes en capital et a demandé qu’elles soient déduites en 1989. Cette demande a donné lieu à une nouvelle cotisation en date du 4 mai 1995, réduisant à néant le revenu imposable de CCLI pour l’année 1989, calculé comme suit :

Revenu net pour l’année 1989 (non modifié)

 

80 891 181 $

Moins : perte de l’année 1987 reportée prospectivement (non modifiée)

19 895 182 $

 

Moins : perte de 1988 reportée prospectivement (non modifiée)

31 636 822 $

 

 

 

51 532 004 $

 

 

29 359 177 $

Moins : perte de 1991 reportée rétrospectivement

5 839 551 $

 

Moins : perte de 1992 reportée rétrospectivement

23 519 626 $

 

 

 

29 359 177 $

Revenu imposable pour l’année 1989

 

NÉANT      

 

[27]           En 1997, le ministre avait adopté sa position actuelle selon laquelle les profits et pertes sur change de CCLI auraient dû être déclarés comme étant des gains et des pertes en capital. Il était évident que cela entraînerait des modifications aux pertes autres que des pertes en capital de CCLI subies en 1991 et 1992.

[28]           En 1997, les montants révisés des pertes autres que des pertes en capital de CCLI subies en 1991 et 1992 ont été établis par le ministre à 21 481 249 $ et 7 085 367 $ respectivement. Ces montants ont fait l’objet de déterminations des pertes conformément au paragraphe 152(1.1) de la LIR. Tout contribuable a le droit de contester une détermination des pertes effectuée en vertu du paragraphe 152(1.1) et d’interjeter appel de cette détermination comme pour une cotisation. CCLI a contesté ces déterminations des pertes.

[29]           Entre-temps, le 11 juin 1997, le ministre a établi une nouvelle cotisation pour CCLI pour l’année 1989 et a modifié les déductions pour pertes autres que des pertes en capital subies en 1991 et 1992, ce qui a donné lieu à un revenu imposable pour l’année 1989 calculé comme suit :

Revenu net pour l’année 1989 (non modifié)

 

80 891 181 $

Moins : perte de 1987 reportée prospectivement (non modifiée)

19 895 182 $

 

Moins : perte de 1988 reportée prospectivement (non modifiée)

31 636 822 $

 

 

 

51 532 004 $

 

 

29 359 177 $

Moins : perte de 1991 révisée, reportée rétrospectivement

21 481 249 $

 

Moins : perte de 1992 révisée, reportée rétrospectivement

7 085 367 $

 

 

28 566 616 $

28 566 616 $

Revenu imposable révisé pour l’année 1989

 

792 561 $      

 

[30]           CCLI a contesté cette nouvelle cotisation parce qu’elle avait été faite en dehors du délai prescrit (voir le paragraphe 152(4) de la LIR). Le ministre a étudié cette contestation et a reconnu que la nouvelle cotisation avait été établie hors délai.

[31]           La contestation concernant l’année 1989 était à l’étude en même temps que les contestations concernant les déterminations des pertes subies en 1991 et 1992. La principale question en litige relativement aux années 1991 et 1992 était la qualification des profits et des pertes sur change de CCLI.

[32]           Les contestations concernant les années 1991 et 1992 ont entre autres donné lieu à une nouvelle détermination des pertes autres que des pertes en capital de CCLI pour ces années afin de tenir compte de plusieurs modifications, lesquelles ne sont pas pertinentes en l’espèce. Les montants révisés des pertes autres que des pertes en capital subies en 1991 et 1992, soit 25 824 050 $ et 8 122 335 $ respectivement, ont fait l’objet d’avis de déterminations des pertes le 19 avril 2002. Ces déterminations des pertes ont été portées en appel devant la Cour de l’impôt.

[33]           Le 18 avril 2002, reconnaissant que la nouvelle cotisation de 1997 avait été établie hors délai, le ministre a établi une nouvelle cotisation pour CCLI pour l’année 1989. Dans cette nouvelle cotisation, le ministre devait également modifier les montants des déductions pour l’année 1989 concernant les pertes autres que des pertes en capital subies en 1991 et 1992 en fonction des déterminations des pertes du 19 avril 2002. Cela a donné le résultat suivant :

Revenu net pour l’année 1989 (non modifié)

 

80 891 181 $

Moins : perte de 1987 reportée prospectivement (non modifiée)

19 895 182 $

 

Moins : perte de 1988 reportée prospectivement (non modifiée)

31 636 822 $

 

 

 

51 532 004 $

 

 

29 359 177 $

Moins : perte de 1991 reportée rétrospectivement

25 824 050 $

 

Moins : perte de 1992 reportée rétrospectivement

3 535 127 $

 

 

 

29 359 177 $

Revenu imposable révisé pour l’année 1989

 

NÉANT      

 

[34]           Au même moment, le ministre a établi une nouvelle cotisation pour CCLI  pour l’année 1990 en autorisant une déduction de 4 587 208 $ pour une partie de la perte autre qu’une perte en capital subie en 1992, tel qu’elle a été définitivement établie (il n’y avait antérieurement aucune déduction pour l’année 1990 d’une partie de la perte autre qu’une perte en capital subie en 1992). CCLI ne conteste ni cet ajustement ni le montant révisé de la déduction pour l’année 1989 de la perte autre qu’une perte en capital subie en 1992, que le ministre a modifié de 23 519 626 $ à 3 535 127 $. Ces deux modifications sont avantageuses pour CCLI.

[35]           CCLI conteste par contre la modification du montant de la déduction pour l’année 1989 pour la perte autre qu’une perte en capital subie en 1991. CCLI a fait valoir devant la Cour de l’impôt et devant la Cour que le ministre n’était pas légalement habilité à augmenter la déduction pour l’année 1989 pour la perte autre qu’une perte en capital subie en 1991 à partir du montant initialement déduit en 1995, à savoir 5 839 626 $. CCLI allègue que, de sa perte autre qu’une perte en capital subie en 1991, telle qu’elle a été définitivement déterminée (25 824 050 $), seuls 5 839 626 $ avaient été déduits à juste titre en 1989, et qu’elle a le droit de déduire le reste en 1993, soit 19 984 499 $. Le juge de la Cour de l’impôt n’a pas partagé cet avis.

[36]           Les dispositions pertinentes de la LIR sont rédigées comme suit :

111. (1) Pour le calcul du revenu imposable d’un contribuable pour une année d’imposition, peuvent être déduites les sommes appropriées suivantes :

111. (1) For the purpose of computing the taxable income of a taxpayer for a taxation year, there may be deducted such portion as the taxpayer may claim of the taxpayer’s

a) ses pertes autres que des pertes en capital subies au cours des 7 années d’imposition précédentes et des 3 années d’imposition qui suivent l’année;

(a) non-capital losses for the 7 taxation years immediately preceding and the 3 taxation years immediately following the year

 

[…]

[…]

(3) Pour l’application du paragraphe (1):

(3) For the purposes of subsection 111(1),

a) une somme au titre d’une perte autre qu’une perte en capital, ... pour une année d’imposition n’est déductible ... dans le calcul du revenu imposable d’un contribuable pour une année d’imposition donnée que dans la mesure où la somme dépasse le total des montants suivants :

(a) an amount in respect of a non-capital loss ... for a taxation year is deductible ... in computing the taxable income of a taxpayer for a particular taxation year only to the extent that it exceeds the total of

(i) les sommes déduites selon le présent article, au titre de cette perte autre qu’une perte en capital … dans le calcul du revenu imposable pour les années d’imposition antérieures à l’année donnée,

(i) amounts deducted under this section in respect of that non-capital loss ... in computing taxable income for taxation years preceding the particular taxation year,

[…]

[…]

b) aucune somme n’est déductible au titre d’une perte autre qu’une perte en capital, d’une perte en capital nette, d’une perte agricole restreinte, d’une perte agricole ou d’une perte comme commanditaire pour une année d’imposition avant que :

(b) no amount is deductible in respect of a non-capital loss, net capital loss, restricted farm loss, farm loss or limited partnership loss, as the case may be, for a taxation year until

(i) dans le cas d’une perte autre qu’une perte en capital, les pertes autres que les pertes en capital déductibles,

(i) in the case of a non-capital loss, the deductible non-capital losses,

[…]

[…]

pour les années d’imposition antérieures n’aient été déduites.

for preceding taxation years have been deducted.

 

Personne n’a fait valoir de différence pertinente entre les versions anglaise et française.

[37]           À mon avis, aux termes de l’alinéa 111(1)a), CCLI a droit à la déduction demandée, sous réserve seulement des restrictions prévues aux sous-alinéas 111(3)a)(i) et 111(3)b)(i).

[38]           J’examinerai ces deux restrictions en commençant par la deuxième. Le sous‑alinéa 111(3)b)(i) indique que CCLI ne peut déduire, pour l’année 1993, aucune partie de sa perte autre qu’une perte en capital subie en 1991 tant que l’ensemble de ses pertes autres que des pertes en capital subies en 1990 et antérieurement n’ont pas été déduites. Le ministre ne prétend pas que CCLI a des pertes autres que des pertes en capital subies en 1990 ou antérieurement à 1990 non déduites.

[39]           En vertu du sous-alinéa 111(3)a)(i), CCLI ne peut, en 1993, déduire sa perte autre qu’une perte en capital subie en 1991, dans la mesure où cette perte a été déduite avant l’année 1993. Le ministre fait valoir que le montant total des pertes autres que des pertes en capital subies en 1991 a été déduit en 1989 et qu’aucune perte ne peut être déduite en 1993. Ce n’est vrai que si le ministre peut démontrer qu’il est légalement habilité à augmenter la déduction pour l’année 1989 conformément à la nouvelle cotisation contestée concernant l’année 1989, établie le 18 avril 2002.

[40]           Le ministre ne prétend pas détenir d’autorisation légale expresse pour augmenter la déduction pour l’année 1989, mais il fait valoir que cette autorisation est implicite en vertu du régime prévu à l’article 111. Il soutient que l’article 111 devrait être interprété comme établissant un compte pour les pertes autres que des pertes en capital pouvant être déduites, que le ministre peut ajuster au besoin, jusqu’à ce qu’il y ait une détermination finale (telle qu’une détermination des pertes en vertu du paragraphe 152(1.1), comme en l’espèce). Selon cette interprétation, comme des modifications sont parfois apportées au calcul du revenu et des pertes du contribuable (qu’elles soient reflétées ou non dans la nouvelle cotisation), le ministre prend l’initiative d’attribuer et de réattribuer les pertes autres que des pertes en capital d’une année donnée sur les trois années précédant ou les sept années suivant l’année d’imposition, essentiellement selon la méthode du premier entré, premier sorti. (J’imagine que le ministre reconnaîtra que l’autorisation d’attribuer ou de réattribuer, le cas échéant, ne pourrait être exercée que si le contribuable avait d’abord choisi de déduire au moins 1 $ de ses pertes autres que des pertes en capital lors du calcul du revenu d’une autre année, quoique cette question n’ait pas été abordée dans l’argumentation.)

[41]           Un des problèmes que comporte cette interprétation est que l’article 111 ne précise rien concernant un compte pour les pertes autres que des pertes en capital. Les rédacteurs de la LIR connaissent bien le concept d’un compte pour les déductions. On peut en trouver des exemples dans les textes législatifs relatifs aux déductions pour amortissement et aux frais d’exploration au Canada. L’article 111 ne ressemble en rien à ces textes.

[42]           Cette interprétation comporte un problème plus important encore : elle ne respecte pas le choix que le législateur a offert aux contribuables à la première ligne du paragraphe 111(1). Le paragraphe 111(1) indique, selon moi, que seul le contribuable a le droit de choisir la façon dont il souhaite répartir ses pertes autres que des pertes en capital subies une année donnée au cours des trois années précédant ou des sept années suivant la cotisation, sous réserve uniquement des restrictions prévues aux sous‑alinéas 111(3)a)(i) et 111(3)b)(i). Même si un contribuable peut vouloir, dans une situation donnée, autoriser le ministre à choisir la façon dont ses pertes seront réparties, à l’exception des sous-alinéas 111(3)a(i) et 111(3)b(i), l’article 111 n’habilite pas légalement le ministre à imposer au contribuable une répartition particulière.

[43]           Le ministre fait valoir que le sous-alinéa 111(3)b(i) ne serait pas respecté en l’espèce si CCLI était autorisée à déduire en 1993 une partie de sa perte autre qu’une perte en capital subie en 1991 parce que sa perte autre qu’une perte en capital subie en 1992 a été déduite lors du calcul de son revenu imposable pour les années 1989 et 1990. Le ministre aurait très bien pu se tromper en permettant que la perte autre qu’une perte en capital subie par CCLI en 1992 soit déduite pour les années 1989 et 1990. Toutefois, dans le présent appel, CCLI n’a pas contesté le bien-fondé de ces déductions et le ministre n’est pas autorisé à le faire.

[44]           Le ministre souligne que CCLI bénéficie d’un avantage injustifié, car elle pourra déduire en 1993 ses pertes autres que des pertes en capital subies en 1991 qui auraient dû être déduites en 1989 et l’auraient été n’eût été le délai de prescription légal. Il faut s’attendre à ce que le délai de prescription légal soit parfois à l’avantage des contribuables. Ce résultat est toléré afin de clore ces affaires relatives à l’impôt.

[45]           Le ministre fait valoir que si l’interprétation proposée n’est pas adoptée, il en résultera un « chaos administratif » parce qu’il s’abstiendra d’autoriser des déductions pour des pertes autres que des pertes en capital tant et aussi longtemps que ces pertes n’auront pas été déterminées de façon définitive, ce qui pourrait prendre tellement de temps que les années pour lesquelles des déductions pourraient être effectuées deviendraient prescrites. Puisque le dossier ne contient aucun élément de preuve à l’appui de cet argument, il n’existe pas de fondement factuel permettant de décider si les pratiques du ministre changeront à la suite de la présente décision et, le cas échéant, comment elles le feront et avec quelles conséquences. Les seules indications dont nous disposons concernant cette question sont la LIR elle‑même.

[46]           La période normale de nouvelle cotisation est de trois ou quatre ans à partir de la date de la première cotisation, selon le statut du contribuable (alinéas 152(3.1)a) et b) de la LIR). La période de nouvelle cotisation est automatiquement prolongée de trois ans pour l’établissement d’une nouvelle cotisation pour des pertes des années ultérieures reportées rétrospectivement (sous‑alinéa 152(4)b(i)). Il existe un délai de prescription plus long (dix ans) dans le cas d’un contribuable ayant demandé une nouvelle cotisation en vue de diminuer l’impôt payable (paragraphe 152(4.2)). Si, dans un cas donné, ces dispositions n’accordent pas au ministre suffisamment de temps, on pourrait demander aux contribuables de renoncer au délai prescrit (sous‑alinéa 152(4)a)(ii)), dans la mesure où on les met au courant du problème en temps utile. Il se peut que le ministre manque quand même de temps dans certains cas. Il appartient alors au législateur d’offrir une réparation. Cette réparation n’est pas que la Cour donne à l’article 111 une interprétation qu’il ne peut raisonnablement recevoir.

[47]           Je conclus que CCLI est autorisée à déduire, en 1993, 19 984 499 $ de sa perte autre qu’une perte en capital subie en 1991. J’accueillerais cette partie de l’appel.

Conclusion

[48]           Je rejetterais l’appel portant sur les années 1989, 1990, 1991 et 1992, j’accueillerais l’appel portant sur l’année 1993, j’annulerais la décision de la Cour canadienne de l’impôt relativement à l’année 1993 et je la remplacerais par un jugement accueillant l’appel de CCLI à l’égard de cette année et renvoyant la nouvelle cotisation pour cette année au ministre afin qu’il procède à un nouvel examen et établisse une nouvelle cotisation conformément aux présents motifs. Comme les deux parties ont eu partiellement gain de cause, elles devraient supporter leurs propres dépens.

« K. Sharlow »

Juge

 

« Je souscris aux présents motifs

            M. Nadon, juge »

 

« Je souscris aux présents motifs

            J.D. Denis Pelletier, juge »

 

 

Traduction certifiée conforme

Sandra de Azevedo, LL.B.


COUR D’APPEL FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

 

DOSSIER :                                                                            A-237-06

 

INTITULÉ :                                                                           CCLI (1994) INC c.

                                                                                                SA MAJESTÉ LA REINE

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                                                     Vancouver (Colombie‑Britannique)

 

DATE DE L’AUDIENCE :                                                   Le 29 mars 2007

 

MOTIFS DU JUGEMENT :                                                La juge Sharlow

 

Y ONT SOUSCRIT :                                                             Le juge Nadon

                                                                                                Le juge Pelletier

 

DATE DU JUGEMENT :                                                     Le 14 mai 2007

 

 

COMPARUTIONS :

 

Warren Mitchell

Douglas Mathew

 

John Shipley

Jagmohan Gill

POUR L’APPELANTE

 

 

POUR L’INTIMÉE

 

 

 

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Thorsteinssons, avocats-fiscalistes

Toronto (Ontario)

 

John H. Sims, c.r.

Sous-procureur général du Canada

POUR L’APPELANTE

 

 

POUR L’INTIMÉE

 

 

 

 

 

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