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Date : 20070518

Dossier : A-599-06

Référence : 2007 CAF 194

 

CORAM :      LA JUGE DESJARDINS

                        LE JUGE NOËL

                        LE JUGE NADON

 

ENTRE :

MARITIMA DE ECOLOGIA, S.A. de C.V.

appelante

et

LES PROPRIÉTAIRES ET TOUTES LES AUTRES PERSONNES AYANT UN DROIT SUR LE NAVIRE MAERSK DEFENDER ÉGALEMENT CONNU SOUS LE NOM DE VOYAGER SEA, I.S. ATLANTIC CORPORATION INC.,

I.S. PACIFIC CORPORATION INC. et

SECUNDA MARINE SERVICES LTD.

intimés

 

 

Audience tenue à Montréal (Québec), le 17 avril 2007

Jugement rendu à Ottawa (Ontario), le 18 mai 2007

 

MOTIFS DU JUGEMENT :                                                                            LE JUGE NADON

Y ONT SOUSCRIT :                                                                              LA JUGE DESJARDINS

                                                                                                                                LE JUGE NOËL

 

 


 

 

Date : 20070518

Dossier : A-599-06

Référence : 2007 CAF 194

 

CORAM :      LA JUGE DESJARDINS

                        LE JUGE NOËL

                        LE JUGE NADON

 

ENTRE :

MARITIMA DE ECOLOGIA, S.A. de C.V.

appelante

et

LES PROPRIÉTAIRES ET TOUTES LES AUTRES PERSONNES AYANT UN DROIT SUR LE NAVIRE MAERSK DEFENDER ÉGALEMENT CONNU SOUS LE NOM DE VOYAGER SEA, I.S. ATLANTIC CORPORATION INC.,

I.S. PACIFIC CORPORATION INC. et

SECUNDA MARINE SERVICES LTD.

intimés

 

 

 

MOTIFS DU JUGEMENT

LE JUGE NADON

[1]               Nous sommes saisis d’un appel et d’un appel reconventionnel visant la décision du 22 décembre 2006 par laquelle le juge Shore de la Cour fédérale a radié les éléments in rem (ou réels) de deux déclarations présentées par l’appelante et en a suspendu les éléments in personam (ou personnels).

 

[2]               Pour les motifs qui vont suivre, je conclus que l’appel devrait être rejeté et que l’appel reconventionnel devrait être accueilli.

 

Les faits

[3]               L’appelante est une société mexicaine qui conçoit, met au point et offre au secteur mexicain de la prospection et de la production de pétrole en mer des navires spécialisés connus sous le nom de « navires d’essais de puits » ou de « navires écologiques » et destinés, notamment, à limiter les atteintes à l’environnement.

 

[4]               L’un des clients de l’appelante est Pemex Exploracion y Produccion (Pemex), une société pétrolière mexicaine propriété de l’État. Avant les événements qui ont donné lieu à la présente instance, l’appelante avait fourni à Pemex deux navires d’essais de puits, soit le TOISA PISCES et le BOURBON OPALE, en exécution de ses obligations contractuelles. Le TOISA PISCES était pris à fret de Sealion Shipping Ltd. de Farnham, en Angleterre, et le BOURBON OPALE de Bourbon Offshore Norway, de Fosnavaj, en Norvège. Avant de les remettre à Pemex, l’appelante a modifié en profondeur les deux navires de manière à les adapter aux besoins particuliers de son client.

 

[5]               À la fin de 2005, Pemex a fait part à l’appelante de son désir d’obtenir l’utilisation d’un troisième « navire d’essais des puits ». Dans cette perspective, l’appelante a engagé des discussions avec l’intimée Secunda Marine Services Ltd. (Secunda), de Dartmouth, en Nouvelle-Écosse, en vue de trouver un navire qui pourrait convenir à Pemex.

 

[6]               Le 10 mars 2006, Secunda a informé l’appelante qu’elle avait conclu un contrat exécutoire, en vertu duquel Secunda ou une société contrôlée par elle acquerrait le navire danois Maersk Defender et le mettrait à sa disposition pour une période de 1 826 jours. Secunda a en outre informé l’appelante que le navire aurait pour nouveau nom celui de Voyager Sea.

 

[7]               Au cours de leurs discussions, Secunda et l’appelante ont convenu qu’une fois acheté, le MAERSK DEFENDER serait modifié en fonction des exigences de PEMEX. Elles ont convenu tout particulièrement que les nouveaux propriétaires dépenseraient la somme d’environ 40 M$ pour convertir le navire et qu’une fois le travail terminé, le navire serait remis à l’appelante au Mexique entre le 18 juin et le 18 août 2007.

 

[8]               Aux termes d’un protocole d’entente daté de mars 2006, les propriétaires du Maersk Defender, A.P. Moller-Maersk A/S, ont convenu de vendre leur navire à Secunda et à l’intimée I.S. Atlantic Corporation Inc. (Atlantic).

 

[9]               Le 5 juillet 2006, l’appelante a conclu un contrat de charte-partie, selon le modèle Supplytime de la BIMCO (la charte-partie), avec Atlantic, en vertu duquel celle-ci a notamment convenu de remettre le navire à l’appelante au Mexique, entre le 18 juin et le 18 août 2007, et elle s’est engagée à le faire. Il est expressément stipulé à la clause 46 de la charte-partie que l’appelante a sous-loué le navire à Pemex en vertu du contrat n° 418236908 et qu’Atlantic a consenti au sous-frètement en conformité avec la clause 17 de la charte-partie.

 

[10]           Au début de novembre 2006, Atlantic a obtenu des renseignements qui l’ont conduite à craindre que les autorités mexicaines ne délivrent pas de permis de navigation de plus de deux ans pour leur navire battant pavillon étranger. Atlantic a donc informé l’appelante que cela entraînait l’impossibilité d’exécution de la charte-partie et qu’en tout état de cause, elle était dispensée d’exécution pour motif de force majeure.

 

[11]           Cela étant, Atlantic n’a pas fait l’acquisition du Maersk Defender en décembre 2006 comme elle s’était engagée à le faire. Le 12 décembre 2006, le navire a été acheté par l’intimée I.S. Pacific Corporation (Pacific), qui lui a donné le nouveau nom d’Emerald Sea et l’a donné à fret à Helix Energy Solutions Group Inc. (Helix).

 

[12]           Le 1er décembre 2006, l’appelante a invoqué la clause d’arbitrage à Londres de la charte-partie (la clause 31), elle a donné avis à Atlantic de sa décision de soumettre le différend pour arbitrage à Londres et elle a désigné, comme prescrit par la clause d’arbitrage, un arbitre de Londres. En particulier, l’appelante a demandé à Atlantic de désigner un arbitre dans les 14 jours, faute de quoi son propre arbitre serait désigné à titre d’arbitre unique.

 

[13]           Le 4 décembre 2006, à la seule fin d’obtenir des ordonnances conservatoires provisoires et une garantie relativement à l’arbitrage à Londres, l’appelante a engagé devant la Cour fédérale (dossier T-2142-06) une action contre les propriétaires et toutes les autres personnes ayant un droit sur le navire MAERSK DEFENDER, également connu sous le nom de VOYAGEUR SEA, de même que contre  Atlantic et Secunda.

 

[14]           Le 12 décembre 2006, l’appelante a engagé devant la Cour fédérale une seconde action (dossier T-2185-06), identique à la première, hormis l’ajout de l’intimée Pacific à titre de défenderesse. Comme c’était le cas pour la première action, on n’a introduit la seconde qu’en vue d’obtenir des ordonnances conservatoires provisoires et une garantie relativement à l’arbitrage à Londres.

 

[15]           Je signale à cet égard que le 4 décembre 2006, la date de l’introduction de la première action devant la Cour fédérale, le Maersk Defender n’avait pas encore été vendu à Pacific. Il semble aussi qu’au moment de l’introduction de la seconde action, le 12 décembre 2006, l’appelante n’était pas au courant de la vente du navire à Pacific. En conséquence, l’appelante demandait dans le cadre des deux actions, respectivement aux paragraphes 14 et 15 de ses déclarations, des ordonnances exigeant l’exécution intégrale de la charte-partie et la remise du navire à Atlantic au plus tard le 10 décembre 2006. L’appelante demandait également des ordonnances enjoignant aux intimés de ne pas entraver, empêcher ou contrecarrer la passation du titre et la remise de la possession du navire par A.P. Moller-Maersk A/S à Atlantic.

 

[16]           Le navire a été saisi à Vancouver le 12 décembre 2006, dans le cadre de l’action T‑2185‑06. Au moment de la saisie, le navire était la propriété de Pacific, qui l’avait acquis plus tôt dans la journée de A.P. Moller-Maersk A/S.

 

[17]           Le 14 décembre 2006, les intimés ont, dans le cadre des deux actions, déposé des requêtes par lesquelles ils demandaient les ordonnances suivantes :

·                    Pacific demandait la radiation des éléments in rem des déclarations et la mainlevée de la saisie de son navire;

·                    Pacific demandait de plus la radiation des éléments in personam de la déclaration déposée dans le cadre de l’action T-2185-06;

·                    Secunda demandait que soient radiés les éléments in personam des deux déclarations;

·                    Atlantic demandait également la radiation des éléments in personam des deux déclarations et, subsidiairement, la suspension des actions dans l’attente de l’arbitrage à Londres.

 

La décision en première instance

[18]           Les requêtes ont été instruites le 21 décembre 2006 et, le lendemain, le juge Shore a rendu l’ordonnance qui fait l’objet du présent appel.

 

[19]           En ce qui concerne les actions in rem, premièrement, le juge a conclu que la Cour fédérale n’avait pas compétence in rem à l’égard du navire parce que les conditions prévues au paragraphe 43(3) de la Loi sur les Cours fédérales (la Loi) n’étaient pas remplies. S’appuyant en outre sur la décision Paramount Enterprises International, Inc. c. An Xin Jiang (Le), 2000 A.C.F. n° 2066 (C.A.F.) (QL), la juge a conclu qu’il n’avait pas été satisfait aux prescriptions du paragraphe 43(2) de la Loi et que, par conséquent, le navire n’était pas « en cause dans l’action » au sens de cette disposition. Ayant tiré ces conclusions, le juge a radié les deux actions réelles et ordonné la mainlevée de la saisie du navire.

 

[20]           Deuxièmement, s’appuyant sur l’article 50 de la Loi et sur la clause d’arbitrage à Londres, le juge a ordonné la suspension des procédures in personam dans le cadre des deux actions.

 

[21]           L’appelante conteste l’ordonnance du juge tant à l’égard des procédures in rem qu’à l’égard des procédures in personam. Les appelantes reconventionnelles, les intimées Secunda et Pacific, ne contestent que les éléments in personam de l’ordonnance du juge. Secunda demande que soit ordonnée la radiation des deux actions et Pacific demande que soit ordonnée la radiation de l’action T-2185-06 de l’appelante.

 

[22]           Je dois ajouter que, peu avant l’audience, les parties nous ont informés que l’appelante avait accepté le refus d’exécution de la charte-partie par Atlantic. En conséquence, l’appelante continue de réclamer des dommages-intérêts à Atlantic, qui est visée par la procédure d’arbitrage à Londres, mais ne demande plus l’exécution intégrale de la charte-partie.

 

Les actions in rem

[23]           Je commencerai par les actions in rem, que le juge a radiées parce qu’il estimait que les conditions des paragraphes 43(2) et 43(3) de la Loi n’avaient pas été remplies. Les dispositions de ces paragraphes ainsi que du paragraphe 43(1) de la Loi étant d’intérêt pour trancher le présent appel, ils sont reproduits ci-après :

43. (1) Sous réserve du paragraphe (4), la Cour fédérale peut, aux termes de l’article 22, avoir compétence en matière personnelle dans tous les cas.

 

43. (1) Subject to subsection (4), the jurisdiction conferred on the Federal Court by section 22 may in all cases be exercised in personam.

 

     (2) Sous réserve du paragraphe (3), elle peut, aux termes de l’article 22, avoir compétence en matière réelle dans toute action portant sur un navire, un aéronef ou d’autres biens, ou sur le produit de leur vente consigné au tribunal.

 

     (2) Subject to subsection (3), the jurisdiction conferred on the Federal Court by section 22 may be exercised in rem against the ship, aircraft or other property that is the subject of the action, or against any proceeds from its sale that have been paid into court.

 

     (3) Malgré le paragraphe (2), elle ne peut exercer la compétence en matière réelle prévue à l’article 22, dans le cas des demandes visées aux alinéas 22(2) e), f), g), h), i), k), m), n), p) ou r), que si, au moment où l’action est intentée, le véritable propriétaire du navire, de l’aéronef ou des autres biens en cause est le même qu’au moment du fait générateur.

 

[Non souligné dans l’original.]

      (3) Despite subsection (2), the jurisdiction conferred on the Federal Court by section 22 shall not be exercised in rem with respect to a claim mentioned in paragraph 22(2)

(e), (f), (g), (h), (i), (k), (m), (n),

(p) or (r) unless, at the time of the commencement of the action, the ship, aircraft or other property that is the subject of the action is beneficially owned by the person who was the beneficial owner at the time when the cause of action arose.

 

[Emphasis added]

 

[24]           Sont également pertinents le paragraphe 22(1) et l’alinéa 22(2)i) de la Loi, que voici :

22. (1) La Cour fédérale a compétence concurrente, en première instance, dans les cas — opposant notamment des administrés — où une demande de réparation ou un recours est présenté en vertu du droit maritime canadien ou d’une loi fédérale concernant la navigation ou la marine marchande, sauf attribution expresse contraire de cette compétence.

 

22. (1) The Federal Court has concurrent original jurisdiction, between subject and subject as well as otherwise, in all cases in which a claim for relief is made or a remedy is sought under or by virtue of Canadian maritime law or any other law of Canada relating to any matter coming within the class of subject of navigation and shipping, except to the extent that jurisdiction has been otherwise specially assigned.

 

     (2) Il demeure entendu que, sans préjudice de la portée générale du paragraphe (1), elle a compétence dans les cas suivants :

[…]

 

     (2) Without limiting the generality of subsection (1), for greater certainty, the Federal Court has jurisdiction with respect to all of the following:

 

(i) une demande fondée sur une convention relative au transport de marchandises à bord d’un navire, à l’usage ou au louage d’un navire, notamment par charte-partie;

 

[Non souligné dans l’original.]

(i) any claim arising out of any agreement relating to the carriage of goods in or on a ship or to the use or hire of a ship whether by charter party or otherwise;

 

                              [Emphasis added]

 

[25]           Pour ce qui est du paragraphe 43(2) de la Loi, il ne fait aucun doute que le juge a commis une erreur de droit. Lorsque celui‑ci a rendu son ordonnance, la Cour suprême du Canada n’avait pas encore rendu l’arrêt Phoenix Bulk Carriers Ltd. c. M/V Swift Fortune, [2007] CSC 13, qui infirmait l’arrêt Paramount, précité, de la Cour d’appel fédérale. Se fondant sur Paramount, le juge a conclu qu’en l’espèce le navire n’était pas « en cause dans l’action ». Or dans Phoenix, précité, la Cour suprême a rejeté l’interprétation étroite que la Cour d’appel avait donnée dans Paramount au mot « portant » (« the subject of the action ») au paragraphe 43(2) de la Loi, privilégiant une interprétation plus large, que j’ai formulée dans les termes suivants au paragraphe 47 de l’arrêt de la Cour d’appel fédérale Kremikovtzi Trade c. Phoenix Bulk Carriers Limited et al., 2006 CAF 1 :

[47]     Je suis donc d’avis que le paragraphe 43(2) ne requiert pas un lien matériel entre la cargaison et le navire pour donner naissance à des droits in rem. Le paragraphe 43(2) dit plutôt que le facteur déterminant est le caractère unique du bien, de telle sorte que le champ du recours in rem ne soit pas indûment élargi. Autrement dit, le recours in rem doit se rapporter au bien précis envisagé dans le contrat en cause. Dans la mesure où la cargaison peut être clairement localisée comme le bien envisagé dans le contrat, dont Phoenix allègue la rupture dans sa déclaration (et dont Paramount avait allégué la rupture dans l’affaire Paramount), alors l’« action port[e] sur » la cargaison saisie. Je dois souligner qu’il n’est pas contesté dans le présent appel que la cargaison saisie est celle envisagée dans le contrat en cause.

 

[Non souligné dans l’original.]

 

 

[26]           En fonction des faits dont nous sommes saisis, on peut uniquement conclure que l’action « porte » bien sur le Maersk Defender. Une telle conclusion ne clôt toutefois pas le débat, quant à savoir si la compétence conférée à la Cour fédérale par l’article 22 de la Loi pourrait être exercée in rem à l’égard du navire. Cela m’amène maintenant à examiner le paragraphe 43(3).

 

[27]           Pour cette partie de l’analyse, je commencerai par signaler que la procédure d’arbitrage à Londres découle d’un différend entre l’appelante et Atlantic, qu’aucune autre partie n’est concernée par cette procédure et que l’appelante, dans le cadre de l’instance engagée au Canada, ne demande aucune mesure de redressement à l’encontre des intimés hormis les mesures que j’ai mentionnées au paragraphe 15 des présents motifs, soit celles ayant trait à l’exécution intégrale de la charte-partie. Or comme je l’ai dit, l’appelante ne demande plus désormais de telles mesures de redressement du fait qu’elle a accepté le refus d’exécution de la charte-partie par Atlantic.

 

[28]           Je souligne également que le 12 décembre 2006, lorsqu’il a été saisi, le navire appartenait non pas à Atlantic mais plutôt à Pacific. Avant le 12 décembre 2006, et en tout état de cause entre le 1er et le 12 décembre 2006, le navire appartenait à A.P. Moller-Maersk A/S.

 

[29]           Ce qu’il faut se demander, c’est si l’appelante avait dans ces circonstances le droit d’engager une action in rem à l’égard du navire et de demander sa saisie. J’estime que l’appelante ne disposait pas d’un tel droit.

 

[30]           Il est clairement prévu au paragraphe 43(2) de la Loi que, sous réserve du paragraphe 43(3), la Cour fédérale peut avoir compétence en matière réelle dans toute action « portant » sur un navire. Le paragraphe (3) prévoit toutefois qu’à l’égard de certaines demandes, soit pour nos fins les demandes visées à l’alinéa 22(2)i), la compétence en matière réelle ne peut être exercée que si, au moment où l’action est intentée, « le véritable propriétaire du navire […] en cause est le même qu’au moment du fait générateur ». Avant que la Cour fédérale puisse exercer sa compétence in rem, en d’autres termes, il est nécessaire de démontrer que le véritable propriétaire du navire lorsque l’action est intentée était également propriétaire véritable du navire au moment du fait générateur.

 

[31]           Le juge étant d’avis que la date du fait générateur était le 1er décembre 2006, il lui était facile de conclure que les conditions du paragraphe 43(3) n’avaient pas été remplies puisque le propriétaire véritable du navire au moment du fait générateur n’en était pas le propriétaire véritable lorsque l’action a été intentée. Selon moi, le juge n’a pas commis d’erreur en tirant une telle conclusion. Je suis convaincu, d’après les faits dont nous sommes saisis, que le fait générateur est bel et bien survenu le 1er décembre 2006.

 

[32]           Quoi qu’il en soit, le fait que le véritable propriétaire du navire ait pu être le même aux deux dates pertinentes ne suffit pas en soi pour conférer une compétence in rem à la Cour fédérale. Il est clair en droit que cette compétence ne peut être exercée à l’égard d’un navire que si le propriétaire est tenu d’exécuter in personam une obligation. En d’autres termes, à moins que ne soit engagée la responsabilité du propriétaire, la compétence in personam de la Cour fédérale visée à l’article 22 et au paragraphe 43(1) de la Loi ne peut être exercée in rem à l’égard du navire.

 

[33]           C’est le principe qu’a énoncé le juge Collier dans Westcan Stevedoring Ltd. c. Armar (Le), [1973] C.F. 132 (C.F. 1re inst.), qui a alors précisé qu’il n’était pas permis à la Cour d’exercer sa compétence in rem en vertu du paragraphe 43(2) à l’égard d’un navire si n’était aucunement engagée la responsabilité personnelle de son propriétaire à l’égard de la partie demanderesse. De l’avis du juge, c’était la responsabilité in personam du propriétaire qui permettait à la Cour d’exercer sa compétence in rem à l’égard du navire.

 

[34]           Ce point de vue a de nouveau récemment été exprimé par la Cour d’appel fédérale dans Feoso Oil Limited c. Le navire « Sarla » (1995), 184 N.R. 307. La question en litige dans l’affaire Feoso Oil, précitée, était de savoir si les propriétaires du navire en cause avaient droit, par jugement sommaire, de faire rejeter l’action in rem intentée par le fournisseur de mazout lourd impayé. Les propriétaires du navire ont soutenu qu’en l’absence de tout lien contractuel entre eux et le fournisseur, la compétence in rem de la Cour ne pouvait être exercée à l’égard du navire.

 

[35]           En concluant qu’il existait une « question sérieuse » de fait qui ne pouvait être tranchée qu’à l’issue d’une instruction et en rejetant ainsi la requête en jugement sommaire des propriétaires du navire, la Cour d’appel a clairement établi comme principe que sa compétence énoncée à l’alinéa 22(2)m) de la Loi, soit sa compétence quant à « une demande relative à des marchandises, matériels ou services fournis à un navire pour son fonctionnement ou son entretien, notamment en ce qui concerne l’acconage et le gabarrage », ne pouvait être exercée in rem que si les propriétaires du navire étaient tenus d’exécuter une obligation. Aux paragraphes 10 et 11 des motifs de la Cour, le juge Stone a expliqué le principe comme suit :

[10]         Bien que la question à trancher en appel touche la validité de l’ordonnance, il est important de comprendre les principes du droit de l’amirauté à appliquer pour trancher l’instance en définitive et en apprécier le bien-fondé. Selon l’appelante, le mazout lourd en cause a été fourni au navire défendeur à la suite d’une demande faite par les propriétaires ou en leur nom et, par conséquent, l’appelante a le droit de procéder par voie d’action in rem. La Cour tire sa compétence relative à une demande de cette nature de l’alinéa 22(2)m) de la Loi sur la Cour fédérale dont le libellé est le suivant :

 

(m) une demande relative à des marchandises, matériels ou services fournis à un navire pour son fonctionnement ou son entretien, notamment en ce qui concerne l’acconage et le gabarrage;

Les marchandises et services visés dans cet alinéa sont parfois décrits comme des choses de « première nécessité », ou « necessaries », en anglais, terme qui figurait dans les anciennes lois du Royaume-Uni. Par application des paragraphes 43(2) et (3) de la Loi, la compétence conférée à la Cour par l’alinéa 22(2)m) ne doit être exercée, en matière réelle, :

… que si, au moment où l’action est intentée, le véritable propriétaire du navire, de l’aéronef ou des autres biens en cause est le même qu’au moment du fait générateur.

 

[11]         Il ressort clairement de ces dispositions que le droit de connaître d’une demande visée à l’alinéa 22(2)m) par voie d’action in rem [Note : Il en va de même à l’égard d’une demande visée au paragraphe 22(2)i)] existe uniquement si, au moment où l’action est intentée, le navire appartient véritablement à la personne qui en était le véritable propriétaire au moment où la cause d’action a pris naissance. (Voir Mount Royal/Walsh Inc. c. Jensen Star (Le)., [1990] 1 C.F. 199 (C.A.). Une autre subtilité doit être prise en compte. Il est bien établi que le fait que le véritable propriétaire n’ait pas changé depuis la fourniture des choses de première nécessité ne suffit pas en soi pour que le créancier bénéficie d’un droit réel en vertu de la loi. La jurisprudence est unanime quant au fait que le créancier acquiert le droit d’intenter une action in rem contre le navire uniquement si ses propriétaires ont contracté une dette pour la fourniture de choses de première nécessité. Ainsi, dans l’affaire The Tolla, [1921] P. 22 (Adm.), la partie demanderesse a fait valoir une réclamation relative à des choses de première nécessité par voie d’action in rem pour les dépenses engagées à la demande du capitaine au moment où le navire faisait l’objet d’un affrètement à temps. À la page 24, le juge Hill a énoncé le principe applicable:

[traduction] Le navire ne peut faire l’objet d’un recours in rem, à moins que ses propriétaires ne soient tenus d’exécuter une obligation.

(Voir également, par exemple, Westcan Stevedoring Ltd. c. Le Armar, [1973] C.F. 1232 (1re inst.) et la décision Jensen Star, précitée). […] En l’espèce, à moins de circonstances exceptionnelles, le principe énoncé ci-dessus s’applique de sorte que l’appelante ne pouvait faire valoir une action in rem en l’absence de preuve établissant que le mazout lourd a été fourni au navire défendeur à la demande des propriétaires ou d’une personne agissant en leur nom et capable de les lier.

 

[Non souligné dans l’original.]

 

 

[36]           En me fondant sur ces décisions, il me faut conclure qu’en l’espèce la Cour fédérale ne pouvait exercer sa compétence in rem à l’égard du navire. La seule demande soumise par l’appelante était celle qui l’était également dans le cadre de la procédure d’arbitrage engagée à Londres à l’encontre d’Atlantic et relativement à laquelle l’appelante a institué une action pour obtenir de la Cour fédérale des mesures conservatoires provisoires. Tel que je l’ai déjà clairement indiqué, Atlantic n’est pas et n’a jamais été propriétaire du MAERSK DEFENDER. Par conséquent, quelle que soit la validité de la demande de l’appelante contre Atlantic, le MAERSK DEFENDER ne peut être saisi relativement à cette demande. Pendant toute la période pertinente, en l’espèce, les propriétaires du navire étaient A.P. Moller-Maersk A/S et l’intimée Pacific. L’appelante n’a introduit aucune procédure, ni demandé aucun redressement contre ces parties. J’estime par conséquent que, d’après les faits dont nous sommes saisis, aucun fondement quelconque ne permettrait à la Cour d’exercer sa compétence in rem à l’égard du navire.

 

[37]           Même en supposant que le fait générateur a eu lieu le 12 décembre 2006, soit la date à laquelle l’appelante a institué sa deuxième action et fait saisir le navire, cette dernière ne peut toujours pas avoir gain de cause puisqu’elle n’a fait valoir aucune demande ni sollicité aucune mesure de redressement contre Pacific. Par conséquent, le juge n’a commis aucune erreur lorsqu’il a radié l’élément in rem des déclarations et a ordonné la mainlevée de la saisie du navire.

 

Les actions in personam

[38]           Je vais maintenant me pencher sur les actions in personam dont le juge a ordonné la suspension dans l’attente de l’arbitrage à Londres. Je commencerai par reproduire les articles 8 et 9 du Code d’arbitrage commercial (le Code), qui constitue une annexe de la Loi sur l’arbitrage commercial, L.R.C. 1985, ch. 17 (2e supp., annexe) :

 

ARTICLE 8

Convention d’arbitrage et actions intentées quant au fond devant un tribunal

 

1. Le tribunal saisi d’un différend sur une question faisant l’objet d’une convention d’arbitrage renverra les parties à l’arbitrage si l’une d’entre elles le demande au plus tard lorsqu’elle soumet ses premières conclusions quant au fond du différend, à moins qu’il ne constate que la convention est caduque, inopérante ou non susceptible d’être exécutée.

 

ARTICLE 8

Arbitration Agreement and

Substantive Claim before Court

 

 

(1) A court before which an action is brought in a matter which is the subject of an arbitration agreement shall, if a party so requests not later than when submitting his first statement on the substance of the dispute, refer the parties to arbitration unless it finds that the agreement is null and void, inoperative or incapable of being performed.

 

2. Lorsque le tribunal est saisi d’une action visée au paragraphe 1 du présent article, la procédure arbitrale peut néanmoins être engagée ou poursuivie et une sentence peut être rendue en attendant que le tribunal ait statué.

 

(2) Where an action referred to in paragraph (1) of this article has been brought, arbitral proceedings may nevertheless be commenced or continued, and an award may be made, while the issue is pending before the court.

 

 

 

ARTICLE 9

Convention d’arbitrage et mesures provisoires prises par un tribunal

 

La demande par une partie à un tribunal, avant ou pendant la procédure arbitrale, de mesures provisoires ou conservatoires et l’octroi de telles mesures par un tribunal ne sont pas incompatibles avec une convention d’arbitrage.

 

ARTICLE 9

Arbitration Agreement and

Interim Measures by Court

 

It is not incompatible with an arbitration agreement for a party to request, before or during arbitral proceedings, from a court an interim measure of protection and for a court to grant such measure.

 

[39]           Se fondant sur l’article 9 du Code, l’appelante soutient que le juge de première instance a commis une erreur en suspendant les actions in personam, puisque cela l’empêchera d’obtenir des mesures conservatoires provisoires dans l’attente de l’arbitrage à Londres.

 

[40]           Les intimés soutiennent pour leur part que le juge n’a commis aucune erreur en suspendant les deux actions, puisqu’il était tenu de le faire en vertu de l’article 8 du Code. Les intimées Secunda et Pacific, qui ont interjeté l’appel reconventionnel, affirment en outre que l’appelante n’a pas droit, en faisant valoir l’article 9 du Code, à des mesures provisoires au soutien d’un arbitrage étranger à l’encontre d’entités qui ne sont pas parties à cet arbitrage et qui ne font l’objet d’aucune demande de redressement. Secunda et Pacific ajoutent que le juge aurait dû non pas suspendre les actions engagées contre elles, mais plutôt les rejeter au motif qu’elles ne révèlent aucun fait générateur.

 

[41]           Secunda et Pacific affirment, plus particulièrement, que l’appelante n’a intenté aucune action contre elles puisque les actions engagées devant la Cour fédérale avaient pour seul but de protéger les droits de l’appelante à l’encontre d’Atlantic. Au paragraphe 82 de leur mémoire des faits et du droit, les appelantes reconventionnelles affirment ce qui suit :

[traduction]

82.     L’appelante n’a intenté aucune action devant la Cour fédérale, hormis les actions T‑2142‑06 et T‑2185‑06, qui l’ont uniquement été au soutien de l’arbitrage à Londres. Ni Secunda ni Pacific ne sont même parties à l’arbitrage à Londres, et l’appelante n’a pas demandé dans le cadre de celui-ci que soit tranchée une question les concernant ni demandé non plus le moindre redressement à leur encontre. En d’autres termes, l’appelante n’a demandé aucune décision sur le bien-fondé d’allégations à l’encontre de Secunda ou de Pacific, ni auprès de la Cour ni dans le cadre de l’arbitrage à Londres. Il est donc très évident qu’il n’existe aucun fait générateur opposable à Secunda ou à Pacific et que les demandes doivent être radiées.

 

 

[42]           L’appelante rétorque à ces affirmations qu’il est possible de faire valoir à l’encontre de Secunda et de Pacific des demandes in personam qui soient valides en droit. Plus particulièrement, les arguments de l’appelante sont que le navire a été transféré irrégulièrement à Pacific et que le transfert avait pour objet d’esquiver l’obligation d’exécuter la charte-partie (se reporter au paragraphe 10 de l’action T‑2185‑06). Selon l’appelante, lorsqu’on prend en compte, outre cette allégation, la demande de dommages-intérêts figurant à l’alinéa 1d) de ses déclarations, de même que le fait que Secunda ait garanti l’exécution des obligations d’Atlantic, il est manifeste qu’elle a fait valoir suffisamment de faits pour étayer l’existence d’un fait générateur.

 

[43]           J’estime pour ma part bien fondées les prétentions de Secunda et de Pacific. Il ressort clairement des actes de procédure eux-mêmes que l’appelante n’a engagé aucune action contre l’une ou l’autre de ces intimées. Le paragraphe 13 des actes de procédure dans la première action et le paragraphe 14 dans la seconde sont clairs et sans aucune ambigüité à cet égard :

[traduction]

La présente action est intentée uniquement aux fins d’obtenir des ordonnances conservatoires provisoires, notamment des injonctions et une garantie en lien avec l’arbitrage à Londres.

 

[Non souligné dans l’original.]

 

 

[44]           En d’autres mots, l’appelante a intenté ces actions uniquement afin qu’une garantie soit fournie en regard de la procédure d’arbitrage à Londres engagée contre Atlantic. Elle n’a institué aucune action à l’encontre de Secunda ou de Pacific ni cherché à faire imposer des mesures de redressement à ces intimées. Ces actions ne dénotent par conséquent l’existence d’aucun fait générateur, et elles doivent donc être radiées.

 

[45]           Pour ce qui est maintenant des procédures engagées contre Atlantic, il est nécessaire de les suspendre en vertu de l’article 8 du Code, à moins qu’elles ne soient justifiées en vertu de l’article 9. L’appelante ayant accepté le refus d’exécution de la charte-partie, elle ne demande plus maintenant les mesures de redressement énoncées dans la déclaration, à savoir des injonctions provisoires et interlocutoires imposant l’exécution intégrale de la charte-partie ou interdisant aux intimés d’entraver, d’empêcher ou de contrecarrer la passation du titre et la remise de la possession du navire par A.P. Moller-Maersk A/S à Atlantic. On ne demande donc plus actuellement dans les procédures des mesures conservatoires provisoires relativement à l’arbitrage à Londres.

 

[46]           L’appelante affirme que la suspension devrait être levée parce qu’il se pourrait qu’à l’avenir elle demande d’autres injonctions ou ordonnances judiciaires, et peut-être même la saisie du navire à titre de garantie pour les dommages-intérêts demandés à Atlantic. Elle ajoute qu’elle ne peut demander une garantie provisoire que si la suspension est levée.

 

[47]           Comme je l’ai dit, on ne demande à l’heure actuelle dans les déclarations aucune mesure quelconque de redressement en regard de l’arbitrage à Londres. On ne peut donc dire que les procédures en cause sont visées par l’article 9 du Code. Par conséquent, je conclus que le juge n’a commis aucune erreur en ordonnant leur suspension. Si l’appelante devait, à une date ultérieure, disposer de motifs lui permettant, à titre de mesure provisoire, de demander une garantie relativement à l’arbitrage à Londres, elle pourrait demander à la Cour d’ordonner la levée de la suspension ou, si elle le préfère, demander une mesure précise de redressement dans le cadre d’une action distincte.

 

[48]           J’ajouterais également que rien n’empêchait ni n’empêche l’appelante d’engager une action en justice, à l’encontre à la fois de Secunda et de Pacific, pour violation de la charte-partie et ingérence délictuelle à cet égard.

 

Décision

[49]           Pour les motifs énoncés, je rejetterais donc l’appel, j’accueillerais l’appel reconventionnel et rendrais l’ordonnance qui aurait dû être rendue et je radierais les actions in personam dans la mesure où elles visent les intimées Secunda et Pacific. J’attribuerais également aux intimés leurs dépens tant en appel qu’en première instance.

 

 

« M. Nadon »

Juge

 

 

« Je souscris aux présents motifs

            Alice Desjardins, juge »

 

« Je souscris aux présents motifs

            Marc Noël, juge »

 

 

Traduction certifiée conforme

 

D. Laberge, LL.L.


COUR D’APPEL FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

DOSSIER :                                                                            A-599-06

 

INTITULÉ :                                                                           Maritima de Ecologia, S.A. de C.V. c. les propriétaires et toutes les autres personnes ayant un droit sur le navire MAERSK DEFENDER et al

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                                                     Montréal (Québec)

 

DATE DE L’AUDIENCE :                                                   LE 17 AVRIL 2007

 

MOTIFS DU JUGEMENT :                                                LE JUGE NADON

 

Y ONT SOUSCRIT :                                                             LA JUGE DESJARDINS

                                                                                                LE JUGE NOËL

 

DATE DES MOTIFS ET

DU JUGEMENT :                                                                 LE 18 MAI 2007

 

 

COMPARUTIONS :

 

Douglas G. Schmitt

POUR L’APPELANTE

 

Wylie Spicer, c.r.

Jane O’Neill

POUR LES INTIMÉS

 

 

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Alexander Holburn Deaudin & Lang LLP,

Vancouver (Colombie-Britannique)

 

POUR L’APPELANTE

 

McInnes Cooper,

Halifax (Nouvelle-Écosse)

POUR LES INTIMÉS

 

 

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