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Date : 20070531

Dossier : A-457-05

Référence : 2007 CAF 209

 

CORAM :      LE JUGE LINDEN

                        LE JUGE NADON

                        LE JUGE SEXTON

 

ENTRE :

PFIZER CANADA INC., WARNER-LAMBERT COMPANY LLC

et PARKE, DAVIS & COMPANY LLC

 

appelantes

et

LE MINISTRE DE LA SANTÉ

et APOTEX INC.

 

intimés

 

 

 

Audience tenue à Toronto (Ontario), les 27 et 28 septembre 2006

Jugement rendu à Ottawa (Ontario), le 31 mai 2007

 

MOTIFS DU JUGEMENT :                                                                            LE JUGE NADON

Y ONT SOUSCRIT :                                                                                      LE JUGE LINDEN

                                                                                                                         LE JUGE SEXTON

 

 


Date : 20070531

Dossier : A-457-05

Référence : 2007 CAF 209

 

CORAM :      LE JUGE LINDEN

                        LE JUGE NADON

                        LE JUGE SEXTON

 

ENTRE :

PFIZER CANADA INC., WARNER-LAMBERT COMPANY LLC

et PARKE, DAVIS & COMPANY LLC

 

appelantes

et

LE MINISTRE DE LA SANTÉ

et APOTEX INC.

 

intimés

 

 

MOTIFS DU JUGEMENT

LE JUGE NADON

[1]               Nous sommes une fois de plus, et certainement pas pour la dernière fois, appelés à trancher un différend fondé sur le Règlement sur les médicaments brevetés (avis de conformité), DORS/93-133, 12 mars 1993 (le Règlement), entre un breveté et un concurrent qui fabrique des médicaments génériques.

 

[2]               Plus précisément, l’affaire dont nous sommes saisis découle d’une demande produite par les appelantes (Pfizer) en vertu de l’article 6 du Règlement en vue de l’obtention d’une ordonnance interdisant au ministre de la Santé (le ministre) de délivrer un avis de conformité (un AC) à l’intimée Apotex à l’égard de son médicament apo-quinapril avant l’expiration des brevets canadiens 1,341,330 (le brevet 330) et 1,331,615 (le brevet 615).

 

[3]               La demande de Pfizer a été entendue par la juge Heneghan de la Cour fédérale, qui l’a rejetée le 28 septembre 2005 (2005 CF 1205). Par le présent appel, Pfizer cherche à obtenir une ordonnance annulant la décision de la Cour fédérale et interdisant au ministre de délivrer un AC à Apotex avant l’expiration des brevets 330 et 615.

 

[4]               Pour bien comprendre les questions soulevées par le présent appel, le résumé des faits qui suit est utile.

 

LES FAITS

[5]               Comme on pouvait s’y attendre, le brevet 330, brevet de genre pour un nouveau groupe de composés, dont le quinapril, et le brevet 615, brevet d’espèce pour le chlorhydrate de quinapril sous diverses formes solides, sont au cœur du présent appel.

 

[6]               Le chlorhydrate de quinapril est un inhibiteur de l’enzyme de conversion de l’angiotensine (ECA). Comme il inhibe la transformation de l’angiotensine I en angiotensine II (la forme qui contribue à élever la pression artérielle), le chlorhydrate de quinapril est utile pour traiter l’hypertension artérielle et l’insuffisance cardiaque congestive et pour prévenir l’insuffisance rénale. Pfizer commercialise des comprimés de chlorhydrate de quinapril sous le nom commercial Accupril.

 

[7]               La demande du brevet 330, intitulé « Dérivés acyl substitués d’acides 1,2,3,4- tétrahydroisoquinoline-3-carboxyliques », a été déposée au Bureau canadien des brevets le 30 septembre 1981, avec date de priorité fixée au 3 octobre 1980. En raison d’une procédure en cas de conflit introduite à l’égard du brevet 330 et d’un brevet allemand détenu par Hoechst Aktiengessellschaft (Hoechst), le brevet n’a été délivré que le 1er janvier 2002, à la suite d’un jugement sur consentement rendu le 22 décembre 1999 qui a fait droit aux revendications du brevet pour le Canada. Le brevet a été délivré à Parke, Davis & Company LLC. Le brevet 330 est un brevet de genre qui revendique un nouveau groupe ou une nouvelle famille de composés chimiques, dont le quinapril et d’autres inhibiteurs de l’ECA. Tous les composés revendiqués possèdent une structure commune consistant en une tête THIQ et une queue énalapril.

 

[8]               Le 23 juin 1992, le cessionnaire, Warner-Lambert Company LLC, a présenté une demande pour le brevet 615, intitulé « Dérivés acyl substitués d’acides 1,2,3,4,-tétrahydroisoquinoline-3-carboxyliques », à titre de demande complémentaire découlant du brevet 330. Le brevet 615 délivré le 23 août 1994, revendique une sous-classe étroite des composés revendiqués dans le brevet 330, notamment le sel chlorhydrate de quinapril.

 

[9]               Le 18 juillet 2003, conformément au paragraphe 5(3) du Règlement, Apotex a déposé et signifié un avis d’allégation portant que le brevet 615 ne sera pas contrefait par la fabrication et la commercialisation de son médicament apo-quinapril sous forme de comprimés, aux motifs que ses comprimés ne comprendraient aucun des composés que couvre le brevet 615 et que ces composés ne seraient pas fabriqués, construits ou utilisés dans la fabrication de ses comprimés. En conséquence, Apotex déclare que les revendications du brevet 615 ne seraient pas contrefaites.

 

[10]           Le 24 juillet 2003, Apotex a déposé un second avis d’allégation portant que le brevet 330 n’est pas valide pour plusieurs motifs : l’absence d’utilité, l’absence d’une prédiction valable, l’antériorité, l’évidence, des revendications trop larges et le double brevet.

 

[11]           Le 5 septembre 2003, Pfizer a déposé sa demande en vue d’obtenir une ordonnance d’interdiction devant la Cour fédérale, affirmant que les allégations d’absence de contrefaçon ou d’invalidité d’Apotex ne sont pas fondées.

 

[12]           Lorsqu’elle a rejeté la demande, la juge a conclu que les revendications du brevet 330 avaient une portée plus large que l’invention divulguée et, par conséquent, que les allégations d’invalidité d’Apotex étaient justifiées. Elle a en outre conclu que comme rien ne prouvait que le médicament d’Apotex contenait du chlorhydrate de quinapril, Pfizer ne s’était pas acquittée du fardeau de prouver que l’allégation de non-contrefaçon à l’égard du brevet 615 n’était pas fondée.

 

LA DÉCISION DE LA COUR FÉDÉRALE

A.        Le fardeau de la preuve

[13]           La juge Heneghan a d’abord examiné le fardeau de la preuve applicable dans des procédures fondées sur le Règlement. Bien que Pfizer ait reconnu qu’elle avait la charge ultime de prouver qu’il n’y pas eu contrefaçon, elle a soutenu, en ce qui concerne les allégations d’invalidité, qu’elle avait le droit de se prévaloir de l’article 45 de l’ancienne Loi sur les brevets qui créait une présomption de validité des brevets. En conséquence, Pfizer a fait valoir que le fardeau de la preuve incombait à la partie qui contestait la validité du brevet.

 

[14]           La juge Heneghan a rejeté l’argument de Pfizer. Même si elle estimait qu’Apotex avait l’obligation de mettre « en jeu » les allégations d’invalidité, le fardeau ultime de la preuve incombait à Pfizer.

 

B.        Invalidité du brevet 330

            a)         Interprétation des revendications en litige :

[15]           Pour évaluer l’allégation d’invalidité d’Apotex, la juge Heneghan a d’abord interprété les revendications 3 et 5 du brevet 330 qui étaient contestées. Pfizer a fait valoir qu’une interprétation téléologique des revendications amènerait à conclure que l’invention divulguée dans le brevet 330 concernait l’inhibition de l’ECA. Apotex a soutenu pour sa part que l’invention englobait seulement les composés utiles pour soulager l’hypertension et non un groupe plus large d’inhibiteurs de l’ECA, dont certains n’avaient pas suffisamment d’activité inhibitrice pour être utiles dans le traitement de l’hypertension.

[16]           La juge Heneghan a accepté les prétentions d’Apotex et a conclu que le but de l’invention divulguée aux revendications 3 et 5 du brevet 330 était l’utilisation des composés décrits comme étant des ingrédients actifs en médecine pour le traitement de l’hypertension, et non simplement l’inhibition de l’activité de l’ECA.

 

b) Invalidité du brevet 330 :

[17]           La juge Heneghan a examiné ensuite chacune des raisons précises invoquées par Apotex pour alléguer l’invalidité du brevet 330. Seule une allégation a été retenue. La juge Heneghan a conclu que les revendications 3 et 5 du brevet 330 avaient une portée excessive et, partant, que l’allégation d’invalidité d’Apotex était justifiée.

 

[18]           La juge Heneghan a d’abord examiné l’argument selon lequel le brevet 330 n’avait pas d’utilité. Même si elle n’était pas convaincue que l’utilité de l’invention divulguée dans le brevet avait été démontrée à la date de la demande de brevet, elle a conclu que les inventeurs avaient alors été en mesure de prédire de façon satisfaisante l’utilité des composés revendiqués. L’argument d’inutilité a donc été rejeté.

 

[19]           Ensuite, la juge Heneghan s’est demandée si l’invention était invalide pour cause d’antériorité. Apotex a allégué que le brevet de Hoechst, qui a été à l’origine d’une procédure en cas de conflit mettant en cause le brevet 330, créait une antériorité. La date pertinente pour l’évaluation de l’antériorité sous le régime de la Loi sur les brevets antérieure à 1989 était deux années avant la date de dépôt du brevet en litige (ancienne Loi sur les brevets, par. 27(1)). Comme aucune preuve n’indiquait que le brevet de Hoechst avait été délivré le 30 septembre 1979 ou avant à cette date, elle a conclu qu’Apotex n’avait pas apporté une preuve suffisante pour « faire jouer » l’argument de l’antériorité.

 

[20]           Troisièmement, la juge Heneghan a examiné la question de savoir si le brevet était invalide pour cause d’évidence, laquelle est évaluée à la date de l’invention. Elle a reconnu que la date de l’invention était la date de priorité du 3 octobre 1980. À son avis, la preuve démontrait qu’à cette date, les personnes versées dans l’art n’auraient pas considéré la découverte du chlorhydrate de quinapril comme évidente.

 

[21]           Quatrièmement, la juge Heneghan s’est demandée si les revendications 3 et 5 du brevet 330 avaient une portée plus large que l’invention ou la divulgation. Apotex a fait valoir que la divulgation limitait l’invention aux stéréo-isomères ayant une configuration particulière (appelée « configuration S »), mais que les revendications 3 et 5 incluaient tous les stéréo-isomères et avaient donc une portée excessive. La juge Heneghan a accepté l’argument d’Apotex. Comme elle a interprété que les revendications 3 et 5 incluaient les composés utiles pour traiter l’hypertension et que la preuve d’expert montrait que la configuration S était la configuration optimale pour obtenir un degré élevé d’inhibition de l’ECA permettant la réductions de l’hypertension, elle a conclu que les revendications visant l’ensemble des stéréo-isomères avaient une portée excessive.

 

[22]           Enfin, la juge Heneghan a examiné la question de savoir si le brevet 330 était invalide en raison d’un double brevet relatif à une évidence étant donné qu’il n’était pas manifestement distinct du brevet 615. La juge Heneghan a rejeté cette allégation en raison du fait que le brevet 615 n’avait pas été visé par la procédure en cas de conflit dont le brevet 330 a fait l’objet.

 

C.        L’absence de contrefaçon du brevet 615

a)         Caractère suffisant de l’avis d’allégation :

[23]           Pfizer a soutenu que l’allégation de non-contrefaçon contenue dans l’avis d’allégation d’Apotex daté du 18 juillet 2003 n’était suffisante parce qu’elle ne décrivait pas de façon suffisante les fondements sur lesquels reposait l’allégation. L’avis d’allégation n’indiquait pas que les comprimés d’ACCUPRIL contenaient du magnésium de quinapril et Pfizer a par conséquent fait valoir qu’Apotex ne pouvait pas s’appuyer sur cette allégation dans la présente demande.

 

[24]           La juge Heneghan a conclu que, le 18 juillet 2003, l’avis d’allégation respectait partiellement le critère juridique relatif au caractère suffisant. Apotex n’avait besoin que de soulever la question de non-contrefaçon des revendications relatives au médicament, le chlorhydrate de quinapril, et elle était justifiée de ne pas divulguer certaines informations jusqu’au prononcé d’une ordonnance de confidentialité. La juge Heneghan a toutefois conclu que l’avis d’allégation était insuffisant dans la mesure où si Apotex alléguait que l’ACCUPRIL contenait du magnésium de quinapril, elle aurait dû le mentionner. Malgré tout, la juge Heneghan n’a pas estimé que cette lacune était fatale et a donc procédé à l’examen du bien-fondé de l’allégation de non-contrefaçon d’Apotex.

 

 

b)         Non-contrefaçon du brevet 615 :

[25]           Le médicament d’Apotex, l’Apo-Quinapril, serait, allègue-t-on, constitué d’une substance appelée le magnésium de quinapril. Elle a reconnu utiliser une forme solvatée de chlorhydrate de quinapril appelée chlorhydrate de quinapril solvaté par l’acétone (« CQSA ») pour fabriquer le magnésium de quinapril.

 

[26]           Devant la Cour fédérale, Pfizer a fait valoir que, si on l’interprète correctement, la revendication 1 du brevet 615 englobe tant la forme solvatée que la forme non solvatée du chlorhydrate de quinapril. Par conséquent, comme Apotex utilise la forme solvatée du chlorhydrate de quinapril, c.-à-d. le CQSA, pour fabriquer l’APO-QUINARIL, elle contrefait le brevet 615. Pfizer a également soutenu qu’Apotex n’avait pas établi selon la prépondérance des probabilités qu’il n’y avait que du magnésium de quinapril dans son produit pharmaceutique, et pas de chlorhydrate de quinapril.

 

[27]           Apotex a en revanche fait valoir que le médicament contenu dans les comprimés de Pfizer est le magnésium de quinapril, et non le chlorhydrate de quinapril et, par conséquent, que le brevet 615 n’est pas pertinent parce qu’il ne revendique pas le magnésium de quinapril. Subsidiairement, Apotex a soutenu que le brevet 615 ne vise pas le CQSA qu’elle utilise dans la production du magnésium de quinapril et que le brevet n’est donc pas contrefait.

 

[28]           La juge Heneghan a conclu que les appelantes ne s’étaient pas acquittées de leur fardeau de démontrer que le produit d’Apotex contrefaisait le brevet 615. Elle a fondé sa décision sur le fait que bien que les appelantes eussent reçu un échantillon du produit APO-QUINARIL d’Apotex, elles avaient choisi de ne pas le tester pour déterminer sa composition. Voici ce que la juge a dit au paragraphe 155 de ses motifs :

[155]       À mon avis, l’incapacité de garantir le succès d’une méthode choisie pour effectuer des tests n’est pas une réponse au fardeau des demanderesses relativement à l’allégation de non-contrefaçon. Le brevet 615 revendique le chlorhydrate de quinapril comme étant le médicament. La présence de cette substance dans le produit d’Apotex signifierait qu’il y a contrefaçon. Une façon de confirmer cette présence est d’effectuer des tests et selon la preuve des demanderesses, aucun test n’a été effectué. Dans ces circonstances, je conclus que les demanderesses n’ont pas réussi à démontrer que l’allégation de non-contrefaçon n’est pas fondée.

 

 

[29]           La juge Heneghan a ensuite conclu qu’il n’était pas nécessaire qu’elle décide comme le prétendait Apotex, si ACCUPRIL contenait du chrlorhydrate de quinapril parce que, selon elle, l’avis d’allégation était insuffisant à cet égard.

 

LES QUESTIONS EN LITIGE

[30]           En ce qui a trait au brevet 615, la question est de savoir si la juge a commis une erreur lorsqu’elle a conclu que Pfizer n’a pas démontré que l’allégation de non-contrefaçon d’Apotex n’était pas fondée. Pour ce qui est du brevet 330, la question est de savoir si la juge a commis une erreur lorsqu’elle a statué que les revendications du brevet 330 avaient une portée plus large que l’invention divulguée. Si la juge a commis une erreur à cet égard, la question sera donc de savoir si la demande de Pfizer devrait être accueillie sur le fondement des allégations d’absence d’utilité, d’absence de fondement valable pour faire des prédictions, d’antériorité, d’évidence et de double brevet qu’Apotex a formulées.

 

LA LÉGISLATION PERTINENTE

[31]           Les dispositions du Règlement AC qui suivent sont d’intérêt pour trancher le présent appel.

 

2. Les définitions qui suivent s’appliquent au présent règlement.

 

« avis de conformité » Avis délivré au titre de l’article C.08.004 du Règlement sur les aliments et drogues. ( notice of compliance ) 

 

« expiré » Se dit du brevet qui est expiré, qui est périmé ou qui a pris fin par l’effet d’une loi. ( expire ) 

 

« liste de brevets » Liste de brevets soumise aux termes de l’article 4. ( patent list ) 

 

« médicament » Substance destinée à servir ou pouvant servir au diagnostic, au traitement, à l’atténuation ou à la prévention d’une maladie, d’un désordre, d’un état physique anormal, ou de leurs symptômes. ( medicine ) 

 

« ministre » Le ministre de la Santé nationale et du Bien-être social. ( Minister ) 

 

«  première personne » La personne visée au paragraphe 4(1). ( first person) 

 

« registre » Le registre tenu par le ministre conformément à l’article 3. (register ) 

 

« revendication pour le médicament en soi » S’entend notamment d’une revendication, dans le brevet, pour le médicament en soi préparé ou produit selon les modes du procédé de fabrication décrits en détail et revendiqués ou selon leurs équivalents chimiques manifestes. ( claim for the medicine itself ) 

 

« revendication pour l’utilisation du médicament » Revendication pour l’utilisation du médicament aux fins du diagnostic, du traitement, de l’atténuation ou de la prévention d’une maladie, d’un désordre, d’un état physique anormal, ou de leurs symptômes. ( claim for the use of the medicine ) 

 

« seconde personne » Selon le cas, la personne visée aux paragraphes 5(1) ou (1.1). ( second person ) 

 

« tribunal » La Cour fédérale du Canada ou tout autre cour supérieure compétente. ( court ) 

 

 

5 (1) Lorsqu'une personne dépose ou a déposé une demande d'avis de conformité pour une drogue et la compare, ou fait référence, à une autre drogue pour en démontrer la bioéquivalence d'après les caractéristiques pharmaceutiques et, le cas échéant, les caractéristiques en matière de biodisponibilité, cette autre drogue ayant été commercialisée au Canada aux termes d'un avis de conformité délivré à la première personne et à l'égard de laquelle une liste de brevets a été soumise, elle doit inclure dans la demande, à l'égard de chaque brevet inscrit au registre qui se rapporte à cette autre drogue :

a) soit une déclaration portant qu'elle accepte que l'avis de conformité ne sera pas délivré avant l'expiration du brevet;

b) soit une allégation portant que, selon le cas :

(i) la déclaration faite par la première personne aux termes de l'alinéa 4(2)c) est fausse,

(ii) le brevet est expiré,

(iii) le brevet n'est pas valide,

(iv) aucune revendication pour le médicament en soi ni aucune revendication pour l'utilisation du médicament ne seraient contrefaites advenant l'utilisation, la fabrication, la construction ou la vente par elle de la drogue faisant l'objet de la demande d'avis de conformité.

 

     (1.1) Sous réserve du paragraphe (1.2), lorsque le paragraphe (1) ne s'applique pas, la personne qui dépose ou a déposé une demande d'avis de conformité pour une drogue contenant un médicament que l'on trouve dans une autre drogue qui a été commercialisée au Canada par suite de la délivrance d'un avis de conformité à la première personne et à l'égard de laquelle une liste de brevets a été soumise doit inclure dans la demande, à l'égard de chaque brevet inscrit au registre visant cette autre drogue contenant ce médicament, lorsque celle-ci présente la même voie d'administration et une forme posologique et une concentration comparables :

a) soit une déclaration portant qu'elle accepte que l'avis de conformité ne soit pas délivré avant l'expiration du brevet;

b) soit une allégation portant que, selon le cas :

(i) la déclaration faite par la première personne aux termes de l'alinéa 4(2)c) est fausse,

(ii) le brevet est expiré,

(iii) le brevet n'est pas valide,

(iv) aucune revendication pour le médicament en soi ni aucune revendication pour l'utilisation du médicament ne seraient contrefaites advenant l'utilisation, la fabrication, la construction ou la vente par elle de la drogue faisant l'objet de la demande d'avis de conformité.

 

 

     (3) Lorsqu'une personne fait une allégation visée aux alinéas (1)b) ou (1.1)b) ou au paragraphe (2), elle doit :

a) fournir un énoncé détaillé du droit et des faits sur lesquels elle se fonde;

b) si l'allégation est faite aux termes de l'un des sous-alinéas (1)b)(i) à (iii) ou (1.1)b)(i) à (iii), signifier un avis de l'allégation à la première personne;

 

 

c) si l'allégation est faite aux termes des sous-alinéas (1)b)(iv) ou (1.1)b)(iv) :

(i) signifier à la première personne un avis de l'allégation relative à la demande déposée selon les paragraphes (1) ou (1.1), au moment où elle dépose la demande ou par la suite,

(ii) insérer dans l'avis d'allégation une description de la forme posologique, de la concentration et de la voie d'administration de la drogue visée par la demande;

d) signifier au ministre une preuve de la signification effectuée conformément aux alinéas b) ou c).

 

 

6. (1) La première personne peut, au plus tard quarante-cinq jours après avoir reçu signification d’un avis d’allégation aux termes de l’alinéa 5(3)a), demander au tribunal de rendre une ordonnance interdisant au ministre de délivrer l’avis de conformité avant l’expiration du brevet en cause.

 

     (2) Le tribunal rend une ordonnance en vertu du paragraphe (1) à l’égard du brevet visé par une ou plusieurs allégations si elle conclut qu’aucune des allégations n’est fondée.

 

2. In these Regulations,

 

"claim for the medicine itself" includes a claim in the patent for the medicine itself when prepared or produced by the methods or processes of manufacture particularly described and claimed or by their obvious chemical equivalents;

 

"claim for the use of the medicine" means a claim for the use of the medicine for the diagnosis, treatment, mitigation or prevention of a disease, disorder or abnormal physical state, or the symptoms thereof;

 

"court" means the Federal Court of Canada or any other superior court of competent jurisdiction;

 

"expire" means, in relation to a patent, expire, lapse or terminate by operation of law;

 

"first person" means the person referred to in subsection 4(1);

 

"medicine" means a substance intended or capable of being used for the diagnosis, treatment, mitigation or prevention of a disease, disorder or abnormal physical state, or the symptoms thereof;

 

"Minister" means the Minister of National Health and Welfare;

 

"notice of compliance" means a notice issued under section C.08.004 of the Food and Drug Regulations;

 

"patent list" means a list of all patents that is submitted pursuant to section 4;

 

"register" means the register maintained by the Minister under section 3.

 

"second person" means the person referred to in subsection 5(1) or (1.1), as the case may be.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

5. (1) Where a person files or has filed a submission for a notice of compliance in respect of a drug and compares that drug with, or makes reference to, another drug for the purpose of demonstrating bioequivalence on the basis of pharmaceutical and, where applicable, bioavailability characteristics and that other drug has been marketed in Canada pursuant to a notice of compliance issued to a first person and in respect of which a patent list has been submitted, the person shall, in the submission, with respect to each patent on the register in respect of the other drug,

(a) state that the person accepts that the notice of compliance will not issue until the patent expires; or

(b) allege that

(i) the statement made by the first person pursuant to paragraph 4(2)(c) is false,

(ii) the patent has expired,

(iii) the patent is not valid, or

(iv) no claim for the medicine itself and no claim for the use of the medicine would be infringed by the making, constructing, using or selling by that person of the drug for which the submission for the notice of compliance is filed.

 

 

 

 

     (1.1) Subject to subsection (1.2), where subsection (1) does not apply and where a person files or has filed a submission for a notice of compliance in respect of a drug that contains a medicine found in another drug that has been marketed in Canada pursuant to a notice of compliance issued to a first person and in respect of which a patent list has been submitted, the person shall, in the submission, with respect to each patent included on the register in respect of the other drug containing the medicine, where the drug has the same route of administration and a comparable strength and dosage form,

 

 

(a) state that the person accepts that the notice of compliance will not issue until the patent expires; or

 

(b) allege that

 

(i) the statement made by the first person pursuant to paragraph 4(2)(c) is false,

(ii) the patent has expired,

(iii) the patent is not valid, or

(iv) no claim for the medicine itself and no claim for the use of the medicine would be infringed by the making, constructing, using or selling by that person of the drug for which the submission for the notice of compliance is filed.

 

 

 

     (3) Where a person makes an allegation pursuant to paragraph (1)(b) or (1.1)(b) or subsection (2), the person shall

(a) provide a detailed statement of the legal and factual basis for the allegation;

(b) if the allegation is made under any of subparagraphs (1)(b)(i) to (iii) or (1.1)(b)(i) to (iii), serve a notice of the allegation on the first person;

(c) if the allegation is made under subparagraph (1)(b)(iv) or (1.1)(b)(iv),

(i) serve on the first person a notice of the allegation relating to the submission filed under subsection (1) or (1.1) at the time that the person files the submission or at any time thereafter, and

 

(ii) include in the notice of allegation a description of the dosage form, strength and route of administration of the drug in respect of which the submission has been filed; and

(d) serve proof of service of the information referred to in paragraph (b) or (c) on the Minister.

 

 

6. (1) A first person may, within 45 days after being served with a notice of an allegation pursuant to paragraph 5(3)(b) or (c), apply to a court for an order prohibiting the Minister from issuing a notice of compliance until after the expiration of a patent that is the subject of the allegation.

 

 

     (2) The court shall make an order pursuant to subsection (1) in respect of a patent that is the subject of one or more allegations if it finds that none of those allegations is justified.

 

 

[32]           Comme le brevet 330 a été déposé avant le 1er octobre 1989, il est visé par les dispositions de la Loi sur les brevets, L.R.C. 1985, ch. P-4, qui étaient ainsi rédigées juste avant cette date.

27. (1) Sous réserve des autres dispositions du présent article, l’auteur de toute invention ou le représentant légal de l’auteur d’une invention peut, sur présentation au commissaire d’une pétition exposant les faits, appelée dans la présente loi le « dépôt de la demande », et en se conformant à toutes les autres prescriptions de la présente loi, obtenir un brevet qui lui accorde l’exclusive propriété d’une invention qui n’était pas :

a) connue ou utilisée par une autre personne avant que lui-même l’ait faite;

b) décrite dans un brevet ou dans une publication imprimée au Canada ou dans tout autre pays plus de deux ans avant la présentation de la pétition ci-après mentionnée;

c) en usage public ou en vente au Canada plus de deux ans avant le dépôt de sa demande au Canada.

 

 

 

 

 

 

 

 

45.  Tout brevet accordé en vertu de la présente loi est délivré sous la signature du commissaire et le sceau du Bureau des brevets. Le brevet porte à sa face la date à laquelle il a été accordé et délivré, et il est par la suite, sauf preuve contraire, valide et acquis au titulaire et à ses représentants légaux pour la période y mentionnée.

 

 

 

61.  (1) Aucun brevet ou aucune revendication dans un brevet ne peut être déclaré invalide ou nul pour la raison que l’invention qui y est décrite était déjà connue ou exploitée par une autre personne avant d’être faite par l’inventeur qui en a demandé le brevet, à moins qu’il ne soit établi que, selon le cas :

a) cette autre personne avait, avant la date de la demande du brevet, divulgué ou exploité l’invention de telle manière qu’elle était devenue accessible au public;

b) cette autre personne avait, avant la délivrance du brevet, fait une demande pour obtenir au Canada un brevet qui aurait dû donner lieu à des procédures en cas de conflit;

c) cette autre personne avait à quelque époque fait au Canada une demande ayant, en vertu de l’article 28, la même force et le même effet que si elle avait été enregistrée au Canada avant la délivrance du brevet et pour laquelle des procédures en cas de conflit auraient dû être régulièrement prises si elle avait été ainsi enregistrée.

 

     (2)  Nonobstant l’article 41, une demande de brevet pour une invention à l’égard de laquelle un brevet a déjà été délivré en vertu de la présente loi est rejetée, à moins que le demandeur n’intente, dans un délai fixé par le commissaire, une action pour écarter le brevet antérieur en tant qu’il couvre l’invention en question. Si pareille action est ainsi commencée et diligemment poursuivie, la demande n’est pas réputée avoir été abandonnée, à moins que le demandeur ne néglige de poursuivre sa demande dans un délai raisonnable après que l’action a été finalement réglée.

 

     (3)  Si la demande a été déposée dans le cours de l’année qui suit la date du dépôt de la demande du brevet antérieur, le paragraphe (1) ne s’applique pas à la détermination des droits respectifs des parties à cette action.

 

27. (1) Subject to this section, any inventor or legal representative of an inventor of an invention that was

 

 

 

 

 

 

 

 

 

(a) not known or used by any other person before he invented it,

 

(b) not described in any patent or in any publication printed in Canada or in any other country more than two years before presentation of the petition hereunder mentioned, and

(c) not in public use or on sale in Canada more than two years prior to his application in Canada,

 

may, on presentation to the Commissioner of a petition setting out the facts, in this Act termed the filing of the application, and on compliance with all other requirements of this Act, obtain a patent granting to him an exclusive property in the invention.

 

45. Every patent granted under this Act shall be issued under the signature of the Commissioner and the seal of the Patent Office, shall bear on its face the date on which it is granted and issued and shall thereafter, in the absence of evidence to the contrary, be valid and avail the grantee and his legal representatives for the term mentioned therein.

 

 

61. (1) No patent or claim in a patent shall be declared invalid or void on the ground that before the invention therein defined was made by the inventor by whom the patent was applied for, it had already been known or used by some other person, unless it is established that,

(a) that other person had, before the date of the application for the patent, disclosed or used the invention in such a manner that it had become available to the public;

(b) that other person had, before the issue of the patent, made an application for patent in Canada on which conflict proceedings should have been directed; or

 

(c) that other person had at any time made an application in Canada which, by virtue of section 28, had the same force and effect as if it had been filed in Canada before the issue of the patent and on which conflict proceedings should properly have been directed had it been so filed.

 

 

     (2) Notwithstanding section 41, an application for a patent for an invention for which a patent has already issued under this Act shall be rejected unless the applicant, within a time to be fixed by the Commissioner, commences an action to set aside the prior patent, so far as it covers the invention in question, but if that action is commenced and diligently prosecuted, the application shall not be deemed to have been abandoned unless the applicant fails to proceed on it within a reasonable time after the action has been finally disposed of.

 

 

 

     (3) Where the application was filed within one year from the date of the filing of the application for the prior patent, the provisions of subsection (1) do not apply to the determination of the respective rights of the parties to the action.

 

 

[33]           La Loi sur les brevets actuellement en vigueur prévoit les dispositions transitoires suivantes :

78.2 (1) Sous réserve du paragraphe (3), la présente loi dans sa version du 30 septembre 1989, à l’exception de l’article 46, s’applique aux affaires survenant, le 1er octobre 1989 ou par la suite, relativement aux brevets délivrés avant le 1er octobre 1989. Ces affaires sont également régies par les articles 38.1 et 45.

 

(2) Sous réserve du paragraphe (3), la présente loi dans sa version du 30 septembre 1989, à l’exception de l’article 46, s’applique aux affaires survenant, le 1er octobre 1989 ou par la suite, relativement aux brevets délivrés ce jour ou par la suite au titre de demandes déposées avant le 1er octobre 1989. Ces affaires sont également régies par les articles 38.1, 45, 46 et 48.1 à 48.5.

 

(3) Les dispositions visées aux paragraphes (1) et (2) s’appliquent compte tenu des modifications apportées à la présente loi sauf celles de ces modifications entrées en vigueur le 1er octobre 1989 et le 1er octobre 1996.

 

78.2 (1) Subject to subsection (3), any matter arising on or after October 1, 1989 in respect of a patent issued before that date shall be dealt with and disposed of in accordance with sections 38.1 and 45 and with the provisions of this Act, other than section 46, as they read immediately before October 1, 1989.

 

 

(2) Subject to subsection (3), any matter arising on or after October 1, 1989 in respect of a patent issued on or after that date on the basis of an application filed before that date shall be dealt with and disposed of in accordance with sections 38.1, 45, 46 and 48.1 to 48.5 and with the provisions of this Act, other than section 46, as they read immediately before October 1, 1989.

 

(3) The provisions of this Act that apply as provided in subsections (1) and (2) shall be read subject to any amendments to this Act, other than the amendments that came into force on October 1, 1989 or October 1, 1996.

 

 

ANALYSE

A.        Le brevet ‘615

[34]           Je commence par le brevet 615 à l’égard duquel Pfizer fait valoir qu’en omettant d’interpréter la revendication 1, la juge n’a pas tenu compte de son principal argument, à savoir qu’en fabriquant et en utilisant le CQSA, Apotex contrefera la revendication 1 du brevet. Plus particulièrement, Pfizer déclare qu’en omettant d’interpréter la revendication 1, la juge n’a pas examiné la question de savoir si les formes solvatées du chrlorhydrate de quinapril étaient visées par le brevet.

 

[35]           Il est indéniable que la juge n’a pas essayé d’interpréter la revendication 1 étant donné qu’elle s’est uniquement fondée sur le fait que Pfizer n’avait pas testé le produit d’Apotex pour trancher la question de l’absence de contrefaçon. Il est maintenant bien établi que l’interprétation d’un brevet doit précéder la décision portant sur la contrefaçon (voir Whirlpool Corp. c. Camco Inc., [2000] 2 R.C.S. 1067, et Free World Trust c. Electrosanté Inc., [2000] 2 R.C.S. 1024). Il incombait donc à la juge d’interpréter la revendication 1 à l’aide de la preuve d’expert dont elle disposait et de séparer les éléments non essentiels du brevet des éléments essentiels. Ainsi, en omettant d’interpréter la revendication 1, la juge a commis une erreur de droit et il appartient par conséquent, à la Cour de trancher la question une nouvelle fois.

 

[36]           Avant de se consacrer à cette tâche, il serait utile d’examiner brièvement les principes régissant l’interprétation des brevets que la Cour suprême a clarifiés dans ses récents arrêts Whirlpool et Free World, précités.

 

[37]           Dans ces arrêts, la Cour suprême a adopté la méthode de l’interprétation téléologique des brevets et rejeté la méthode « grammaticale » ou « d’analyse terminologique méticuleuse » qui prévalait avant cela. Pour parvenir à cette conclusion, la Cour suprême a entériné la description de l’« interprétation téléologique » que Lord Diplock a donnée aux pages 242 et 243 de ses motifs qui ont fait l’unanimité à la Chambre des lords dans l’arrêt Catnic Components Ltd. c. Hill and Smith Ltd., [1982] R.P.C. 183, où il a fait les remarques suivantes :

[traduction] Vos Seigneuries, le mémoire descriptif d’un brevet est une déclaration unilatérale du breveté, faite dans ses propres mots et s’adressant à ceux qui sont susceptibles d’avoir un intérêt concret dans l’objet de son invention (c’est‑à‑dire qui sont « versés dans l’art »), par laquelle il les informe de ce qu’il prétend être les caractéristiques essentielles du nouveau produit ou du nouveau procédé pour lequel les lettres patentes lui confèrent un monopole. Ce sont seulement les nouvelles caractéristiques qu’il prétend essentielles qui constituent ce qu’on appelle l’« essence » de la revendication. Le mémoire descriptif d’un brevet doit recevoir une interprétation téléologique plutôt que l’interprétation purement littérale découlant du genre d’analyse terminologique méticuleuse que les avocats sont trop souvent tentés de faire en raison de leur formation. La question qui se pose dans chaque cas est la suivante : les personnes ayant une connaissance et une expérience pratiques du genre de travail auquel l’invention est destinée à servir comprendraient‑elles que le breveté voulait que l’interprétation stricte d’une expression ou d’un mot descriptifs particuliers figurant dans une revendication constitue une condition essentielle de l’invention, de manière à ce que toute variante soit exclue du monopole revendiqué même s’il se peut qu’elle n’ait aucun effet important sur la façon dont l’invention fonctionne.

 

 

[38]           Dans les motifs unanimes de la Cour suprême dans l’arrêt Whirlpool, précité, le juge Binnie a fait observer que même si l’« interprétation téléologique » a été appliquée à l’interprétation des revendications par l’arrêt Catnic, précité, elle est compatible avec ce que le juge Dickson (plus tard juge en chef) avait affirmé dans l’arrêt Consolboard Inc. c. MacMillan Bloedel (Saskatchewan) Ltd., [1981] 1 R.C.S. 504, aux pages 520 et 521 :

Il faut considérer l’ensemble de la divulgation et des revendications pour déterminer la nature de l’invention et son mode de fonctionnement, (Noranda Mines Limited c. Minerals Separation North American Corporation), [1950] R.C.S. 36), sans être ni indulgent ni dur, mais plutôt en cherchant une interprétation qui soit raisonnable et équitable à la fois pour le titulaire du brevet et pour le public. Ce n’est pas le moment d’être trop rusé ou formaliste en matière d’oppositions soit au titre ou au mémoire descriptif puisque, comme le dit le juge en chef Duff, au nom de la Cour, dans l’arrêt Western Electric Company, Incorporated, et Northern Electric Company c. Baldwin International Radio of Canada, [1934] R.C.S. 570, à la p. 574 : [traduction] « quand le texte du mémoire descriptif, interprété de façon raisonnable, peut se lire de façon à accorder à l’inventeur l’exclusivité de ce qu’il a inventé de bonne foi, la Cour, en règle générale, cherche à mettre cette interprétation à effet ».

 

 

[39]           Les principes énoncés par la Cour suprême dans les arrêts Whirlpool et Free World, précités peuvent être résumés comme suit :

  • La tâche de la Cour consiste à interpréter les revendications du brevet avec l’aide de témoins experts (Whirlpool, paragraphes 43, 45 et 57).
  • L’interprétation des revendications ne doit pas être une interprétation axée sur des résultats et doit être effectuée par la Cour avant l’examen de la question de la contrefaçon (Whirlpool, paragraphes 43 et 49a)).
  • Les revendications doivent être interprétées à la date de publication du brevet (Whirlpool, paragraphe 42; Free World, paragraphe 54).
  • Lorsqu’elle interprète les revendications du brevet, la Cour doit déterminer de manière objective ce qu’un lecteur versé dans l’art aurait compris de ce que l’inventeur voulait dire (Whirlpool, paragraphe 48; Free World, paragraphe 44).
  • La revendication du brevet doit être interprétée par la Cour dans le contexte du reste du mémoire descriptif. Toutefois, j’ajouterais à cela que le renvoi au reste du mémoire descriptif ne peut être utilisé pour élargir la portée du monopole du breveté décrit dans la revendication (Whirlpool, paragraphes 48, 49f) et 52).
  • Les témoins experts ont pour rôle d’aider la Cour a comprendre l’invention et son contexte, de même que le sens des termes employés dans le brevet. Il va sans dire que c’est à la Cour que revient la tâche d’interpréter les revendications et non aux experts (Whirlpool, paragraphes 45 et 57).
  • Lorsqu’elle interprète les revendications, la Cour doit garder à l’esprit que le brevet s’adresse à des « personnes douées d’habiletés moyennes dans l’art », c.-à-d. des personnes hypothétiques possédant des connaissances et des habiletés moyennes de l’art dont l’invention relève et un esprit désireux de comprendre le mémoire descriptif qui leur est adressé (Whirlpool, paragraphes 53, 70, 71 et 74).
  • La « divulgation » contenue dans le brevet doit fournir une description de l’invention de façon assez complète et précise pour qu’une personne versée dans l’art puisse construire ou exploiter l’invention après la fin du monopole (Whirlpool, paragraphe 42). L’interprétation des revendications qui en découlent doit accorder un traitement équitable « à la fois au breveté et au public » (Free World, paragraphe 50). L’interprétation de la revendication peut par conséquent accroître ou restreindre la revendication. Le juge Binnie a ainsi déclaré dans l’arrêt Free World, paragraphe 51 :

51.   L’interprétation des revendications avec le concours d’un destinataire versé dans l’art donne au breveté l’assurance que certains termes et concepts seront considérés par le tribunal à la lumière du témoignage d’un expert concernant leur sens technique. Les mots choisis par l’inventeur seront interprétés selon le sens que l’inventeur est présumé avoir voulu leur donner et d’une manière qui est favorable à l’accomplissement de l’objet, exprès ou tacite, des revendications. Cependant, l’inventeur qui s’exprime mal ou qui crée par ailleurs une restriction inutile ou complexe ne peut s’en prendre qu’à lui‑même. Le public doit pouvoir s’en remettre aux termes employés à condition qu’ils soient interprétés de manière équitable et éclairée.

 

 

a)         Revendication 1 du brevet 615

[40]           Les parties s’accordent pour dire que la seule revendication du brevet 615 dont il devrait être question dans le présent appel est la revendication 1. Elle est rédigée comme suit :

[TRADUCTION]

1.      Dérivé acylé de l’acide 1,2,3,4-tétrahydroisoquinone-3-carboxylique sous la forme de l’isomère (S,S,S) dont la formule générale est la suivante :

où R2 est un atome d’hydrogène ou un radical méthyle ou éthyle, sous l’une des formes de sel acide suivantes : le chlorhydrate hydraté; le chlorhydrate; et le chlorhydrate semi-hydraté.

 

 

[41]           Bien que le terme « quinapril » ne figure pas dans la revendication 1, il est communément reconnu qu’une personne versée dans l’art comprendrait que la revendication décrit le quinapril dans l’une des formes suivantes de sel acide : le chlorhydrate hydraté, le chlorhydrate et le chlorhydrate semi‑hydraté.

 

[42]           La seule question que soulève l’avis d’allégation d’Apotex est celle de savoir si les comprimés d’APO‑QUINAPRIL comprennent un des composés revendiqués dans le brevet 615 ou si de tels composés seront fabriqués, formulés ou utilisés dans la fabrication des comprimés d’APO‑QUINAPRIL. Plus particulièrement, la question est de savoir si Apotex contrefera la revendication 1 du brevet en fabriquant et en utilisant le CQSA, une forme « solvatée » du chlorhydrate de quinapril.

 

[43]           La réponse à cette question dépend entièrement de l’interprétation de la revendication 1. Plus précisément, la question de savoir si la fabrication, l’utilisation ou la formulation du CQSA par Apotex contrefait le brevet dépend de la signification des mots « le chlorhydrate » dans la revendication 1.

 

[44]           Pfizer soutient qu’une interprétation téléologique de la revendication 1 mène à la conclusion que le CQSA est visé par la revendication. Selon son argumentation, une personne versée dans l’art comprendrait qu’on pourrait remplacer la forme solvatée du chlorhydrate de quinapril sans nuire au fonctionnement de l’invention.

[45]           Apotex n’est pas d’accord avec l’argument de Pfizer selon lequel le CQSA est visé par la revendication 1 du brevet 615. À son avis, le seul solvate visé par la revendication est l’eau. Apotex fait également valoir que même si le brevet 615 vise le CQSA, le Règlement AC n’interdit la délivrance d’un AC que si les composés dans la forme posologique finale du médicament contrefont les revendications du brevet. Selon Apotex, les intermédiaires utilisés dans la production de la forme posologique finale ne sont pas visés par le sous-alinéa 5(1)b)(iv) du Règlement. Enfin, Apotex soutient que même si les intermédiaires tombent sous le coup du Règlement, l’appelante doit quand même démontrer que le CQSA entre dans la définition de « médicament » donnée dans le Règlement parce que le sous-alinéa 6(1)b)(iv) indique que les seules revendications pertinentes dans une procédure d’interdiction sont celles qui ont trait à un « médicament ». Selon l’argumentation d’Apotex, l’appelante n’a pas présenté une telle preuve.

 

[46]           Afin de bien comprendre ces arguments, il sera utile de présenter un bref aperçu des notions chimiques en jeu.

 

[47]           Les molécules existent à l’état solide sous deux formes, cristalline (motif régulier qui se répète et forme un réseau) ou amorphe (molécules qui ne présentent aucun motif perceptible). Une forme cristalline de chlorhydrate de quinapril a la structure d’un réseau cristallin composé de molécules de quinapril et de molécules de chlorhydrate.

 

[48]           À cause de sa forme, le réseau cristallin de la molécule solide est percé de « trous ». Lorsque ces trous contiennent du liquide, les cristaux sont appelés « solvates ». Lorsque le liquide est de l’eau, le solvate est d’un type spécial appelé « hydrate ». Lorsque le liquide est un solvant organique (autre que l’eau), il est soit appelé « solvate » ou est associé au nom du solvant, par exemple « solvaté par l’acétone ». Le chlorhydrate de quinapril solvaté par l’acétone (CQSA) est donc une forme de chlorhydrate de quinapril dont le réseau cristallin contient de l’acétone.

 

[49]           Lorsqu’un hydrate contient deux molécules d’eau pour chaque molécule de cristal, il est appelé un « déshydrate ». Lorsqu’un hydrate renferme une molécule d’eau pour deux molécules de cristal, il s’agit alors d’un « hémihydrate ». Le terme « monohydrate » peut être utilisé lorsque l’hydrate contient une molécule d’eau pour chaque molécule de cristal, mais on peut également utiliser le terme « hydrate » pour décrire cette structure. 

 

[50]           La revendication 1 du brevet 615 porte sur le quinapril sous plusieurs formes de sel acide, notamment le chlorhydrate hydraté, le chlorhydrate et le chlorhydrate semi-hydraté. La revendication ne dit pas expressément si les « solvates » sont inclus lorsqu’on utilise les mots « le chlorhydrate ». C’est la question précise à laquelle il faut répondre en interprétant la revendication 1. Toutefois, avant de passer à l’interprétation de la revendication, il convient de dire quelques mots concernant le CQSA.

 

[51]           Le procédé employé par Apotex pour fabriquer son APO‑QUINAPRIL comprend un certain nombre d’étapes, dont deux présentent un intérêt en l’espèce : premièrement, la fabrication de la substance médicamenteuse (ou de l’ingrédient pharmaceutique actif) et, deuxièmement, la fabrication du produit pharmaceutique (la formulation de l’ingrédient pharmaceutique actif en comprimés). Plus particulièrement, la substance médicamenteuse d’Apotex est le CQSA qui est mélangé avec des excipients (ingrédients inactifs) et transformé à l’aide d’une presse en comprimés d’APO‑QUINAPRIL. La présentation abrégée de drogue nouvelle (PADN) d’Apotex révèle que dans la fabrication des comprimés d’APO‑QUINAPRIL, le CQSA est converti en magnésium de quinapril, qu’Apotex appelle « chlorhydrate de quinapril stabilisé » ou « quinapril à 88 % ». Dans sa monographie de produit proposé, Apotex indique que l’ingrédient actif dans ses comprimés d’APO‑QUINAPRIL est le chlorhydrate de quinapril.

 

[52]           Je vais maintenant passer à l’interprétation de la revendication 1 du brevet 615.

 

[53]           Je commence par l’affirmation selon laquelle la revendication doit être interprétée « en fonction de l’objet » pour déterminer l’intention de l’inventeur. Bien qu’il soit clair qu’on devrait donner effet au libellé de la revendication, il faut se rapporter à l’ensemble du mémoire descriptif afin de fournir le contexte nécessaire à une compréhension appropriée des mots employés par l’inventeur.

 

[54]           À cette première observation s’ajoutera une seconde, à savoir que la Cour doit déterminer, avec l’aide d’une personne versée dans l’art, les éléments de la revendication que l’inventeur jugerait essentiels pour son invention. Comme corollaire de cette observation, il faut garder en mémoire que les éléments non essentiels sont ceux qui peuvent être substitués sans que cela ait un effet important sur la structure ou le fonctionnement de l’invention.

 

[55]           Gardant à l’esprit ces principes, je me penche maintenant sur la preuve d’expert sur laquelle tant Pfizer qu’Apotex se sont appuyées dans leurs observations.

 

[56]           À l’appui de l’interprétation de la revendication 1 qu’elle propose, Pfizer a présenté le témoignage de M. Gerald S. Brenner, chimiste organicien et expert en formulation industrielle qui a œuvré toute sa vie dans le domaine pharmaceutique. Entre 1961 et 1994, M. Brenner a travaillé pour les Merck Research Laboratories au New Jersey et en Pennsylvanie. Quand il a pris sa retraite, il était directeur principal de la recherche et du développement pharmaceutiques et chef du département de recherche pharmaceutique, et était responsable de la chimie pharmaceutique, de la chimie biopharmaceutique et du développement des formulations. Tout particulièrement, M. Brenner a été l’une des personnes chez Merck qui travaillait à la formulation de l’« énolapril », un inhibiteur de l’enzyme de conversion de l’angiotensine, c’est-à-dire un « inhibiteur de l’ECA ».

 

[57]           Comme il le déclare dans son affidavit daté du 14 janvier 2004, M. Brenner a été invité par Pfizer à donner son opinion concernant, entre autres, les allégations d’Apotex selon lesquelles aucun des composés du brevet 615 n’est utilisé dans la fabrication de ses comprimés d’APO‑QUINAPRIL. Dans sa réponse, M. Brenner a indiqué que les allégations d’Apotex sont « incorrectes ». À son avis, le renvoi au chlorhydrate de quinapril dans la revendication 1 inclut le CQSA, le composé utilisé par Apotex pour la fabrication des comprimés d’APO‑QUINAPRIL. Les raisons invoquées par M. Brenner pour en arriver à cette conclusion sont les suivantes.

 

[58]           Après avoir examiné les aspects chimiques en cause, M. Brenner s’est penché sur la PADN d’Apotex, ce qui l’a amené à formuler les remarques suivantes :

   (i)              Apotex a soumis une PADN concernant ses comprimés d’APO‑QUINAPRIL;

  (ii)              Apotex a fait valoir devant le ministre de la Santé que la « substance médicamenteuse » dans son PADN était le CQSA;

(iii)              Le chlorhydrate de quinapril stabilisé ou le quinapril à 88 % était son produit pharmaceutique.

 

[59]           Il a ensuite examiné la formulation d’APO-QUINAPRIL d’Apotex qui, selon lui, consistait en l’ajout d’hydroxyde de magnésium au CQSA dans un milieu constitué d’éthanol et d’eau; ce mélange, après brassage et évaporation, laissait un mélange solide de magnésium de quinapril et de chlorure de magnésium qu’Apotex a nommé quinapril à 88 %, ou chlorhydrate de quinapril stabilisé; le quinapril à 88 % était broyé pour former une poudre et mélangé à sec avec des excipients, puis moulé en comprimé; puis le comprimé a été enrobé d’une pellicule brune pour former l’APO-QUINAPRIL.

 

[60]           Compte tenu de ce qui précède, M. Brenner a déclaré qu’en utilisant le CQSA pour fabriquer l’APO-QUINAPRIL, Apotex utilisait la forme de sel acide du chlorhydrate de quinapril qui était visée par la revendication 1 du brevet. Cette conclusion découlait de sa compréhension de la revendication 1, qu’il a examinée à la lumière du mémoire descriptif.

 

[61]           Selon M. Brenner, la revendication 1 du brevet, telle que comprise par une personne versée dans l’art, inclut non seulement toutes les formes non hydratées du chlorhydrate de quinapril (amorphes et cristallines), mais aussi toutes les formes solvatées dans un solvant organique pharmaceutiquement acceptable.

 

[62]           Plus particulièrement, M. Brenner indique qu’en tentant de déterminer la signification du terme « chlorhydrate », il ne faisait aucun doute, selon lui, que l’inventeur avait en tête, à tout le moins, le chlorhydrate de quinapril anhydre, et non pas un hydrate ou, en d’autres termes, pas une forme cristalline contenant des molécules d’eau. Il en était convaincu parce que l’inventeur a utilisé les mots « chlorhydrate hydraté » et « chlorhydrate semi-hydraté ».

 

[63]           Toutefois, l’utilisation du terme « chlorhydrate » ne révèle pas d’emblée quelles formes étaient censées être visées. De l’avis de M. Brenner, le terme peut peut-être inclure un cristal de chlorhydrate non solvaté, un chlorhydrate cristallisé dans un solvant organique ou un chlorhydrate amorphe.

 

[64]           Lorsqu’il a tenté de préciser le sens exact du terme « chlorhydrate », M. Brenner a souligné que l’inventeur n’avait pas expressément exclu les formes non solvatées de chlorhydrate de quinapril. À cause de l’emploi des mots « chlorhydrate hydraté » et « chlorhydrate semi-hydraté », l’inventeur ne comptait pas inclure les composés de « chlorhydrate » solvatés par l’eau.

 

[65]           À première vue, cependant, la revendication 1 du brevet ne manifestait pas, selon lui, une intention de la part de l’inventeur d’exclure les solvates. Il s’est donc penché sur la divulgation du brevet afin de comprendre si l’inventeur avait l’intention d’inclure les formes solvatées, anhydres de chlorhydrate de quinapril. M. Brenner a ainsi pris note de la partie suivante du mémoire descriptif :

 

[TRADUCTION] Les composées de l’invention peuvent exister sous une forme anhydre de même que sous une forme solvatée, y compris des formes hydratées. En général, les formes hydratées et les formes solvatées par des solvants pharmaceutiquement acceptables sont équivalentes, pour les besoins de l’invention, aux formes anhydres ou non solvatées.

 

 

[66]           Ce passage l’a incité à formuler les remarques suivantes : premièrement, l’inventeur ne comptait pas exclure les formes non solvatées de chlorhydrate de quinapril et, deuxièmement, il comptait inclure les formes solvatées. À cet égard, M. Brenner a fait remarquer que l’inventeur a clairement dit dans la divulgation que cette invention peut exister sous une forme anhydre, de même que sous des formes solvatées, y compris des formes hydratées. Il a ajouté que l’inventeur a également clairement mentionné que les formes hydratées et les formes solvatées sont équivalentes aux formes anhydres et non solvatées.

 

[67]           Tout cela a amené M. Brenner à tirer la conclusion suivante, que l’on retrouve au paragraphe 25 de son affidavit en date du 14 janvier 2004 :

[TRADUCTION] Je suis d’avis que lorsque le breveté/inventeur a utilisé le terme « chlorhydrate » dans la revendication 1, il voulait inclure le chlorhydrate de quinapril sous ses formes solvatées par un solvant organique, non hydratées et amorphes.

 

[Non souligné dans l’original.]

 

 

[68]           En concluant de la sorte, M. Brenner s’est appuyé sur l’analyse qu’il a faite du brevet canadien 1,291,999 (le « brevet 999 »), qui montre que les inventeurs ont utilisé le terme « chlorhydrate » dans une revendication [revendication 1 du brevet 1999] qui englobait expressément le chlorhydrate de quinapril acétonitrile, c.-à-d. le chlorhydrate de quinapril solvaté par l’acétonitrile.

 

[69]           En réponse au témoignage de M. Brenner, Apotex a produit le témoignage de MM. Robert S. Langer et Robert A. McClelland, qui ne sont ni l’un ni l’autre d’accord avec la conclusion tirée par M. Brenner. À leur avis, la revendication 1 du brevet 615 ne peut être interprétée comme incluant une forme solvatée de chlorhydrate de quinapril. 

 

[70]           Je commence par le témoignage de M. Langer. Il a obtenu son doctorat en génie chimique du Massachusetts Institute of Technology (M.I.T.) en 1974 et il est actuellement professeur de génie chimique et biomédical au M.I.T.

 

[71]           D’après M. Langer, le terme « chlorhydrate » n’englobe pas les formes des composés revendiqués solvatées par des solvants organiques. Plus précisément, il croit qu’une personne versée dans l’art qui lirait la revendication 1 du brevet 615 n’estimerait pas que cette revendication inclut toutes les formes non pécisées du chlorhydrate de quinapril contenant des solvates organiques, car une telle personne se serait attendue à ce que les inventeurs dressent la liste de ces formes précises solvatées par un solvant organique qu’ils comptaient inclure dans la revendication 1. L’essence du raisonnement de M. Langer se trouve au paragraphe 25 de son affidavit du 12 mai 2004, que je reproduis :

 

 

[TRADUCTION] 25.            Ainsi, à mon avis, la revendication 1 du brevet 615 précise les trois formes particulières suivantes de sels de chlorhydrate des composés appartenant à la classe revendiquée qui inclut le quinapril : (i) le chlorhydrate hydraté, (ii) le chlorhydrate et (iii) le chlorhydrate semi-hydraté. D’après ma compréhension du brevet 615, je considère que les termes identifiés dans (i) à (iii) ci-dessus représentent et englobent les substances suivantes :

(i)  Chlorhydrate hydraté : Selon moi, ce terme, tel qu’il est employé dans la revendication 1 du brevet 615, englobe le monohydrate et les formes partiellement hydratées des composés revendiqués, tels que ceux décrits dans les exemples 1 à 3 du brevet 615. Comme je l’ai décrit ci-dessus, les composés décrits dans les exemples 1 à 3 du brevet 615 ont tous été désignés comme étant des formes de « chlorhydrate hydraté ». Je suis également d’avis que ce terme n’englobe pas les formes des composés revendiqués solvatées par des solvants organiques.

(ii)  Chlorhydrate semi-hydraté : D’après moi, ce terme englobe les formes semi‑hydratées (une molécule d’eau pour deux équivalents de composé médicamenteux) des composés revendiqués, comme le composé décrit à l’exemple 4 du brevet 615. Comme je l’ai décrit ci-dessus, le composé présenté à l’exemple 4 du brevet 615 a été désigné comme étant une forme de « chlorhydrate semi-hydraté », c.-à-d. C23H26N2O5●HCI●1/2H2O. Je crois également que ce terme n’englobe pas les formes solvatées par un solvant organique du composé revendiqué.

(iii)  Chlorhydrate : À mon avis, ce terme englobe les formes anhydres et non solvatées des composés revendiqués telles que celles décrites aux exemples 5, 6 et 9 du brevet 615, toutes désignées comme étant des formes de « chlorhydrate »; aucune de ces formes n’a été décrite comme étant soit une forme hydratée soit une forme solvatée par un solvant organique. Je pense donc que ces termes n’englobent pas les formes des composés revendiqués solvatées par un solvant organique.

 

[72]           Il ajoute que l’utilisation du mot « le » au lieu de « un » pour décrire les expressions « chlorhydrate hydraté », « chlorhydrate » et « chlorhydrate semi-hydraté » indique à la personne versée dans l’art que des composés individuels précis étaient revendiqués et non pas une classe générale de composés, par exemple toutes les formes solvatées par un solvant organique pharmaceutiquement acceptables du chlorhydrate de quinapril.

 

[73]           En outre, M. Langer conteste la déclaration suivante de M. Brenner au paragraphe 24 de son affidavit en date du 14 janvier 2004 concernant une partie de la divulgation :

[TRADUCTION] Le breveté indique aussi expressément que l’invention peut exister sous une forme anhydre, de même que sous des formes solvatées, notamment hydratées. De plus, il mentionne que les formes hydratées et les formes solvatées sont équivalentes aux formes anhydres et non solvatées.

 

 

[74]           M. Langer déclare tout d’abord que suivant la façon dont il conçoit l’interprétation d’un brevet, une invention est divulguée dans la revendication d’un brevet et non dans la divulgation. Il affirme ensuite que la divulgation peut être utilisée [TRADUCTION] « comme référence pour la définition des termes dans la revendication du brevet ». Cela l’amène à conclure que la revendication 1 divulgue uniquement une forme anhydre et non solvatée précise, soit le chlorhydrate, et deux formes hydratées distinctes et précises, le chlorhydrate hydraté et le chlorhydrate semi-hydraté.

 

[75]           Le deuxième expert qui a témoigné pour Apotex, M. McLelland, est professeur au département de chimie de l’Université de Toronto. Il possède une expertise particulière dans le domaine de la chimie organique physique, notamment en ce qui concerne les intermédiaires réactifs générés dans la substitution nucléophile et les réactions d’addition, de même que dans le domaine de la chimie biomédicale et médicinale. En 1970, il a remporté le Prix Syntex de la Société canadienne de chimie pour sa contribution à la chimie médicinale grâce à ses recherches sur les mécanismes de réaction biochimique et organochimique. Depuis 1974, il est membre de la Société royale du Canada.

 

[76]           Selon M. McLelland, le CQSA n’est pas visé par la revendication 1. À son avis, la personne versée dans l’art comprendrait que la revendication 1 renvoie à des formes solides différentes de chlorhydrate de quinapril. Il pense en particulier que « le chlorhydrate » renvoie à des formes solides différentes du chlorhydrate de quinapril seulement, c.-à-.d. sans eau ni autre solvant.

 

[77]           L’utilisation du mot « le » avec le mot « chlorhydrate » renforce son opinion, vu qu’il n’y a qu’un seul chlorhydrate dans « le chlorhydrate », c.-à-d. le sel d’addition acide HCL non solvaté. Si les inventeurs voulaient faire référence aux formes solvatées, ils auraient, selon M. McLelland utilisé les mots « un chlorhydrate » ou « les chlorhydrates». En outre, si les inventeurs voulaient, en utilisant les mots « le chlorhydrate », inclure les formes solvatées, ils n’auraient pas jugé nécessaire d’utiliser les mots « le chlorhydrate hydraté » et « le chlorhydrate semi-hydraté », car ces formes auraient été incluses dans les mots « les chlorhydrates ». De plus, M. McLelland trouve une corroboration dans le fait que ni la revendication 1 ni aucune autre des revendications du brevet 615 ne renvoie à des formes solvatées autres que l’hydrate et l’hémihydrate.

 

[78]           Quant à l’opinion de M. Brenner concernant la revendication 1 du brevet 999, M. McLelland a déclaré ce qui suit aux paragraphes 61 à 63 inclusivement de son affidavit :

[TRADUCTION]

61.     Au paragraphe B26 (avec renvoi aux paragraphes B39 et B40), M. Brenner fait référence au brevet 999. À son avis, l’absence d’un renvoi à un solvant dans cette revendication indique que le terme « chlorhydrate » utilisé par les inventeurs dans une revendication a une signification large dans le brevet 615. J’ai deux commentaires à formuler.

 

62.     Le premier est que la revendication 1 du brevet 999 est non équivoque. Je l’affirme vu que cette revendication établit les espaces et les intensités dans un diffractogramme. Seule une forme cristalline particulière présentera un tel diagramme, et il n’est pas nécessaire d’indiquer la présence d’un solvant. 

 

63.     Mon deuxième commentaire est le même que celui fait au paragraphe 43. Si M. Brenner a raison, le chlorhydrate de quinapril revendiqué dans la revendication 1 du brevet 999 est également revendiqué dans la revendication 1 du brevet 615.

 

 

[79]           Dans un autre affidavit souscrit le 10 septembre 2004, M. Brenner a répondu aux affidavits de MM. Langer et McLelland. Tout d’abord, en ce qui concerne l’affidavit de M. McLelland, il a rappelé une partie de sa première opinion selon laquelle les inventeurs du brevet 615 avaient utilisé le mot « chlorhydrate » dans la revendication 1 du brevet 999, c.-à-.d. dans une revendication qui englobait clairement le chlorhydrate de quinapril acétonitrile, et l’absence dans cette revendication d’un renvoi à un solvant particulier confirmait le sens large du mot chlorhydrate » dans la revendication 1 du brevet 615.

 

[80]           Il souligne à juste titre que M. McLelland a contesté ce point de vue lorsqu’il a déclaré, au paragraphe 62 de son affidavit, que la revendication 1 du brevet 999 était non ambiguë du fait qu’elle [traduction] « [… ] établit les espaces et les intensités dans un diffractogramme. Seule une forme cristalline particulière présentera un tel diagramme, et il n’est pas nécessaire d’indiquer la présence d’un solvant. »

 

[81]           M. Brenner n’est pas d’accord avec le point de vue de M. McLelland concernant le brevet 999. Plus particulièrement, il s’appuie sur le fait que dans certains solvates cristallins, le solvant peut quitter le réseau cristallin sans que le diffractogramme ne soit modifié. Il est ainsi possible d’avoir deux matières distinctes qui présentent le même diffractogramme, [traduction] « […] une qui contient un solvant et l’autre qui ne contient pas de solvant » (paragraphe 16 de son affidavit).

 

[82]           Cela amène M. Brenner à affirmer que rien ne vient appuyer l’opinion de M. McLelland suivant laquelle le mot « chlorhydrate » devrait avoir un sens étroit, c.-à-d. renvoyer uniquement à une matière précise. M. Brenner réitère ainsi son point de vue, décrit au paragraphe 26 de son affidavit précédent, que les inventeurs du brevet 999 doivent avoir voulu que le mot « chlorhydrate » dans la revendication 1 du brevet inclue le chlorhydrate solvaté par l’acétonitrile.

 

[83]           M. Brenner se penche ensuite sur l’affidavit de M. Langer et exprime l’avis que tant M. Langer que M. McLelland ont interprété la revendication 1 du brevet 615 d’un point de vue différent de celui d’une personne douée d’habiletés moyennes dans l’art. Selon lui, leur interprétation ne cadre pas avec la façon dont une telle personne comprendrait la revendication 1 du brevet 615.

 

[84]           J’ai jonglé longtemps avec ces opinions contradictoires données par des scientifiques de renom, mais pour les motifs qui suivent, je conclus que l’opinion la plus raisonnable est celle de M. Brenner.

 

[85]           Lorsqu’on examine la preuve de témoins experts, c.-à-d. de « personnes douées d’habiletés moyennes dans l’art », il importe de rappeler que, dans les arrêts Whirlpool et Free World, précités, la Cour suprême du Canada a dit clairement qu’un brevet devait être lu avec un esprit ouvert – c.‑à‑d. un esprit qui n’essaie pas de trouver une façon de contourner l’invention de l’inventeur, mais qui est désireux de comprendre l’invention – et qu’en faisant cet exercice, le lecteur versé dans l’art devait examiner la revendication dans son contexte – c.-à-d. les mots utilisés dans la revendication devaient être lus dans le contexte du mémoire descriptif. Dans l’arrêt Free World, précité, au paragraphe 44, le juge Binnie a adopté la définition du « travailleur versé dans l’art » donné par le Dr Fox, que l’on retrouve à la page 184 du Canadian Law and Practice Relating to Letters Patent for Inventions, 4e éd., Toronto, Carswell, 1969 :

[TRADUCTION] un être fictif ayant des compétences et des connaissances usuelles dans l’art dont relève l’invention et un esprit désireux de comprendre la description qui lui est destinée. Cette notion de la personne fictive a parfois été assimilée à celle de l’« homme raisonnable » retenue en matière de négligence. On suppose que cette personne va tenter de réussir, et non rechercher les difficultés ou viser l’échec.

 

 

[86]           Compte tenu de ces principes, j’aimerais maintenant expliquer pourquoi je crois que l’interprétation de la revendication 1 donnée par M. Brenner est la bonne. Pour commencer, le point de désaccord entre les experts concerne la signification du mot « chlorhydrate » employé dans la revendication 1 du brevet 615. Plus particulièrement, la question est de savoir si le « chlorhydrate » inclut seulement les formes « non solvatées » de chlorhydrate de quinapril ou s’il inclut également les formes « solvatées ».

 

[87]           Comme il ressort clairement de mon examen des opinions des experts, M. Brenner a attaché beaucoup d’importance à cette partie du mémoire descriptif où les inventeurs ont indiqué que, pour les besoins de l’invention, tant les formes hydratées que les formes solvatées par des solvants pharmaceutiquement acceptables étaient équivalentes aux formes non solvatées. M. Langer ne partage pas l’avis de M. Brenner selon lequel le lecteur versé dans l’art peut examiner le mémoire descriptif afin de bien comprendre la revendication en question. Il dit d’abord au paragraphe 21 de son affidavit qu’il a été informé que [traduction] « [s]i un terme est utilisé de façon claire et non ambiguë dans la revendication, le terme devrait alors être défini uniquement sur la base de son usage dans la revendication elle-même » et que « si la définition d’un terme ne peut être établie de façon claire et non ambiguë à partir d’une revendication, on devrait consulter la divulgation pour confirmer la définition du terme ». Il déclare ensuite ce qui suit au paragraphe 33 de son affidavit :

 

 

[TRADUCTION] 33.     Malgré cela [c.-à-d. que l’utilisation du mot « le » pour décrire le chlorhydrate indique à une personne versée dans l’art que des composés individuels précis sont revendiqués et non une classe générale de composés], M. Brenner déclare également au paragraphe 24 de son affidavit du 14 janvier concernant le passage ci-dessus tiré de la page 4 du brevet 615 que :

Le breveté indique aussi expressément que l’invention peut exister sous une forme anhydre, de même que sous des formes solvatées, notamment hydratées. De plus, il mentionne que les formes hydratées et les formes solvatées sont équivalentes aux formes anhydres et non solvatées.

 

Je suis encore une fois en désaccord avec M. Brenner à cet égard. À mon avis, l’invention est expressément divulguée dans les revendications du brevet, pas dans la divulgation (à noter que les revendications font souvent l’objet d’une révision après la présentation initiale d’une demande de brevet). Selon ce que je comprends également, la divulgation peut être utilisée comme référence pour la définition des termes dans les revendications du brevet. …

 

 

[88]           Ainsi, selon M. Langer, M. Brenner a eu tort d’interpréter la revendication 1 du brevet 615 à la lumière du mémoire descriptif parce que la revendication 1 est claire et non ambiguë. Il n’est donc pas approprié d’examiner le mémoire descriptif. À mon avis, le point de vue de M. Langer est incorrect. Dans l’arrêt Whirlpool, précité, aux paragraphes 49e) et 52, le juge Binnie a indiqué clairement que les revendications devaient être interprétées à la lumière de l’ensemble du mémoire descriptif afin de permettre au lecteur de bien comprendre la revendication en litige, mais en gardant à l’esprit que le mémoire descriptif ne pouvait être utilisé par le breveté pour élargir la portée de son monopole. Dans son opinion, le juge Binnie a fait référence aux remarques de William L. Hayhurst se trouvant à la page 190 de The Art of Claiming and Reading a Claim, J.F. Anderson, éd., Patent Law of Canada, Scarborough (Ontario), Carswell, 1994, 177, suivant lesquelles il est souvent peu sûr de conclure qu’un terme dans une revendication était simple et non ambigu sans avoir soigneusement examiné le mémoire descriptif.

 

[89]           Conformément à son opinion concernant la divulgation, M. Langer n’en tient pas compte lorsqu’il tente d’expliquer la signification du mot « chlorhydrate ». Je trouve cela particulièrement préoccupant étant donné que les inventeurs déclarent clairement que le chlorhydrate de quinapril peut exister sous des formes solvatées et non solvatées et qu’en général, les formes tant hydratées que solvatées dans des solvants pharmaceutiquement acceptables [traduction] « sont équivalentes aux formes anhydres ou non solvatées pour les besoins de l’invention ». Ainsi, je ne peux que conclure que M. Langer n’a pas lu la revendication avec un esprit ouvert, un esprit désireux de réussir et non d’échouer. Par conséquent, bien que je ne rejette pas complètement l’opinion de M. Langer, je ne lui accorde pas beaucoup de poids.

 

[90]           De toute façon, M. Langer, tout comme M. McLelland, a accordé une importance considérable au fait que le mot « chlorhydrate » était précédé de l’article « le ». À leur avis, cela indiquait clairement que les inventeurs ne voulaient pas revendiquer une classe générale de composés, par exemple toutes les formes de chlorhydrate de quinapril solvatées par des solvants organiques pharmaceutiquement acceptables, mais plutôt des composés individuels précis. Sinon, selon M. McLelland, les inventeurs auraient utilisé les mots « un chlorhydrate » ou « les chlorhydrates ». En outre, si le terme « le chlorhydrate » était censé inclure les formes solvatées, il n’était pas nécessaire, d’après lui, d’utiliser les mots « le chlorhydrate hydraté » et « le chlorhydrate semi‑hydratré » car ces composés auraient été inclus dans « le chlorhydrate ».

 

[91]           Après un examen minutieux des témoignages de MM. Langer et McLelland, je suis convaincu qu’ils n’ont pas abordé la revendication 1 avec un esprit ouvert, un esprit désireux de réussir et non d’échouer. En ce qui concerne M. Langer, j’ai déjà mentionné, au paragraphe 86 des présents motifs, qu’il a délibérément omis de tenir compte de la divulgation. Pour ce qui est de M. McLelland, j’en arrive à la même conclusion parce que je ne crois pas qu’il a sérieusement examiné la divulgation à la page 4 du brevet. Selon moi, bien qu’il ait pris note acte du document, il n’en a en fait pas tenu compte pour interpréter la revendication.

 

[92]           Par contre, je suis convaincu que M. Brenner a lu la revendication 1 avec un esprit ouvert, car il ne pouvait faire autrement qu’accorder une grande attention à la divulgation qui révèle que, pour les inventeurs, les solvates et les hydrates sont équivalents aux formes anhydres non solvatées de chlorhydrate de quinapril. M. Brenner a lu la revendication 1 dans cette optique et a conclu qu’en utilisant le mot « chlorhydrate », les inventeurs voulaient inclure le chlorhydrate de quinapril sous ses formes solvatées par un solvant organique, non hydratées et amorphes.

 

[93]           Je suis convaincu que l’interprétation de la revendication 1 à la lumière de la divulgation est la bonne interprétation. Je conclus donc que les mots « le chlorhydrate » dans la revendication 1 du brevet 615 incluent les formes solvatées de chlorhydrate de quinapril. Ainsi, le CQSA est visé par la revendication 1 du brevet. 

 

[94]           J’ajouterais que, de toute façon, suivant une interprétation téléologique de la revendication 1, l’étendue de la solvatation ou de l’hydratation n’est pas un élément essentiel de l’invention. Cette conclusion me semble inévitable, étant donné que les inventeurs ont déclaré clairement que les formes hydratées et les formes solvatées par des solvants pharmaceutiquement acceptables étaient équivalentes aux formes anhydres ou non solvatées.

 

[95]           En concluant que l’interprétation de la revendication 1 par M. Brenner est la bonne, je suis conforté par le fait que l’opinion de MM. Langer et McLelland mène à la conclusion que le brevet 615 enseigne au lecteur comment éviter de contrefaire la revendication 1 de ce brevet, c.-à-d. en fabriquant une forme solvatée de chlorhydrate de quinapril. On ne peut prétendre que cette opinion cherche à concrétiser l’intention de l’inventeur, ni que c’est une interprétation émanant d’un esprit désireux de comprendre et de réussir.

 

[96]           Apotex soutient que même si le CQSA est visé par la revendication 1, elle a néanmoins le droit d’obtenir un avis de conformité parce que le Règlement AC n’interdit au ministre de délivrer un avis de conformité que si les composés de la forme posologique finale contrefont les revendications du brevet. Apotex déclare que les intermédiaires utilisés dans la production de la forme posologique finale, comme le CQSA, ne sont pas visés par le sous-alinéa 5(1)b)(iv) du Règlement AC, que je reproduis une fois de plus par souci de commodité.

5 (1) Lorsqu'une personne dépose ou a déposé une demande d'avis de conformité pour une drogue et la compare, ou fait référence, à une autre drogue pour en démontrer la bioéquivalence d'après les caractéristiques pharmaceutiques et, le cas échéant, les caractéristiques en matière de biodisponibilité, cette autre drogue ayant été commercialisée au Canada aux termes d'un avis de conformité délivré à la première personne et à l'égard de laquelle une liste de brevets a été soumise, elle doit inclure dans la demande, à l'égard de chaque brevet inscrit au registre qui se rapporte à cette autre drogue :

b) soit une allégation portant que, selon le cas :

(iv) aucune revendication pour le médicament en soi ni aucune revendication pour l'utilisation du médicament ne seraient contrefaites advenant l'utilisation, la fabrication, la construction ou la vente par elle de la drogue faisant l'objet de la demande d'avis de conformité.

 

5. (1) Where a person files or has filed a submission for a notice of compliance in respect of a drug and compares that drug with, or makes reference to, another drug for the purpose of demonstrating bioequivalence on the basis of pharmaceutical and, where applicable, bioavailability characteristics and that other drug has been marketed in Canada pursuant to a notice of compliance issued to a first person and in respect of which a patent list has been submitted, the person shall, in the submission, with respect to each patent on the register in respect of the other drug,

(a)    allege that: …

(iv) no claim for the medicine itself and no claim for the use of the medicine would be infringed by the making, constructing, using or selling by that person of the drug for which the submission for the notice of compliance is filed.

 

 

[97]           À l’appui de sa prétention, Apotex invoque deux décisions de la Cour fédérale, à savoir Abbott Laboratories c. Canada (Ministre de la Santé), 2005 CF 1093, et Abbott Laboratories c. Canada (Ministre de la Santé), 2006 CF 120. Toutefois, dans l’arrêt Abbott Laboratories c. Canada (Ministre de la Santé), 2006 CAF 187, appel de la décision Abbott, précitée, la Cour, en interprétant les mots du sous-alinéa 5(1)b)(iv) du Règlement AC, a conclu que l’utilisation de la substance brevetée à une étape intermédiaire de la production de la nouvelle drogue est visée par le sous-alinéa. Au paragraphe 16 de ses motifs, la juge Sharlow a exprimé ce point de vue comme suit :

[16]     Sauf révérence, je ne puis souscrire à cette opinion du juge de première instance. Les termes « l’utilisation, la fabrication, la construction ou la vente » du sous-alinéa 5(1)b)(iv) définissent une gamme d’activités plus large que le simple fait d’inclure une substance brevetée dans la nouvelle drogue proposée. À mon sens, la signification de ces termes est assez large pour comprendre l’utilisation de la substance brevetée à une étape intermédiaire de la production de la nouvelle drogue proposée. J’arrive à cette conclusion en me fondant sur le sens ordinaire et grammatical desdits termes. L’objet ou le but du Règlement AC ne me paraît à aucun égard commander une interprétation plus étroite.

 

[Non souligné dans l’original.]

 

 

[98]           Apotex apporte un argument supplémentaire. Elle déclare que même si les intermédiaires sont visés par l’alinéa 5(1)b)(iv), il incombe néanmoins à Pfizer de démontrer que le CQSA est un « médicament » au sens de l’article 2 du Règlement AC, c.-à-d. une « substance destinée à servir ou pouvant servir au diagnostic, au traitement, à l’atténuation ou à la prévention d’une maladie, d’un désordre, d’un état physique anormal, ou de leurs symptômes ». Apotex affirme que Pfizer ne s’est pas acquittée du fardeau qui lui incombait.

 

[99]           À mon avis, l’argument d’Apotex est sans fondement étant donné que sa PADN et la monographie de produit qui l’accompagne relative à l’APO-QUINAPRIL indiquent clairement que le CQSA est le médicament d’Apotex. Plus précisément, Apotex a déclaré au ministre de la Santé que le CQSA est sa substance pharmaceutique et qu’il est utile pour le traitement de l’hypertension.

 

[100]       Je conclus par conséquent qu’en fabriquant et en utilisant le CQSA, Apotex contrefera la revendication 1 du brevet 615. Je passe maintenant au brevet 330.

B.        Le brevet 330

            a)         Revendication de portée plus large que l’invention divulguée

[101]       Pfizer fait valoir que la juge Heneghan a commis un certain nombre d’erreurs en droit lorsqu’elle a conclu que les revendications 3 et 5 du brevet 330 avaient une portée plus large que l’invention divulguée. Premièrement, Pfizer déclare que la juge a mal attribué le fardeau de la preuve. Deuxièmement, il affirme que la juge a mal interprété le critère relatif aux « revendications de portée plus large » lorsqu’elle a statué que seuls les composés optimaux doivent être inclus dans la revendication. Troisièmement, Pfizer soutient que la juge a mal interprété les revendications et/ou la divulgation du brevet lorsqu’elle a conclu que les revendications concernaient un nouvel usage (pour le traitement de l’hypertension artérielle) plutôt qu’un nouveau composé.

 

[102]       La position de la juge en qui concerne le fardeau de la preuve applicable est exposée au paragraphe 53 de ses motifs, où elle écrit :

[53]         Il incombe à Pfizer, à titre de demanderesse, de réfuter les allégations mises de l’avant par Apotex dans ses avis d’allégation des 18 et 24 juillet 2003. Comme tout autre plaignant ou demandeur, Pfizer a donc le fardeau général ultime de la preuve. Apotex, à titre de défenderesse, doit voir à ce que les allégations formulées dans ses avis d’allégation soient « mises en jeu ».

 

 

[103]       Pour tirer cette conclusion, la juge s’est fondée sur la décision Janssen-Ortho Inc. c. Novopharm (2004), 35 C.P.R. (4th) 353, où le juge Mosley a conclu que, lorsque la seconde personne présente une preuve qui ne tend pas clairement à établir son allégation d’invalidité, la présomption légale devient caduque et ne peut plus aider la première personne à établir la validité de son brevet.

 

[104]       Selon Pfizer, la façon dont il aurait fallu envisager le fardeau de la preuve est que la seconde personne doit présenter une preuve qui démontre, selon la prépondérance des probabilités, que le brevet n’est pas valide.

 

[105]       À mon avis, le critère approprié est celui qu’a énoncé la juge Sharlow dans l’arrêt Bayer Inc. c. Canada (Ministre de la Santé nationale et du Bien-être social) (2000), 6 C.P.R. (4th) 285, où elle a formulé les remarques suivantes aux paragraphes 6 et 9 :

[6]           Pour tenter de se décharger de ce fardeau, Bayer s’est appuyé sur la présomption légale de la validité de son brevet. En raison de cette présomption, on peut dire qu’Apotex, en sa qualité de partie répondant à la demande d’ordonnance de prohibition, a le fardeau de la preuve en ce sens que si Apotex n’avait produit aucun élément de preuve susceptible d’établir l’invalidité du brevet, Bayer aurait pu obtenir gain de cause sur le seul fondement de cette présomption légale.…

 

 

[9]           L’application de la présomption légale en présence d’une preuve de l’invalidité dépend de la force de cette preuve. Si celle-ci démontre selon la probabilité la plus forte que le brevet est invalide, la présomption est réfutée et n’est plus pertinente : Diversified Products Corp. c. Tye-Sil Corp. (1991), 35 C.P.R. (3d) 350 (C.A.F.), à la page 359. (Bayer aux par. 6 et 9)

 

[106]       Cette norme a été reprise par le juge Rothstein (maintenant juge à la Cour suprême), aux paragraphes 15 et 16 de l’arrêt La compagnie pharmaceutique Procter & Gamble Canada Inc. c. Canada (Ministre de la Santé), [2005] 2 R.C.F. 269 (CAF) :

[15]         […] La juge Sharlow, J.C.A. a signalé qu’à cause de cette présomption de validité, c’est au fabricant de produits génériques, en sa qualité de partie intimée à la requête pour ordonnance de prohibition, qu’il incombe de renverser la présomption.

 

[16]         À propos de la norme de preuve, elle a écrit ceci au paragraphe 9 :

 

L’application de la présomption légale en présence d’une preuve de l’invalidité dépend de la force de cette preuve. Si celle-ci démontre selon la probabilité la plus forte que le brevet est invalide, la présomption est réfutée et n’est plus pertinente...

 

Partant, il a été jugé que la norme de preuve applicable pour établir l’invalidité est celle de la prépondérance des probabilités…

 

 

[107]       Plus récemment, dans la décision Aventis Pharma c. Apotex, 2005 CF 1283 (C.F.), conf. par 2006 CAF 64 (C.A.F.), la juge MacTavish, s’appuyant sur les arrêts Bayer et Procter & Gamble, précités, a décrit le fardeau de la preuve applicable comme suit :

[77]         En sa qualité de demanderesse, Aventis a, dans la présente instance, la charge générale de démontrer qu’aucune des allégations d’Apotex n’est justifiée. En l’espèce, toutes les questions soulevées par Apotex dans son avis d’allégation se rapportent à la validité du brevet 206. À défaut d’éléments de preuve contraires, la loi présume que le brevet est valide : article 45 de l’ancienne Loi sur les brevets, et paragraphe 43(2) de la nouvelle Loi sur les brevets, L.R.C. 1985, ch. P-4.

 

[78]         Grâce à cette présomption de validité, il est donc possible à Aventis de se décharger de son fardeau initial en se contentant de prouver l’existence du brevet.

 

[79]         Le fardeau de la preuve est ensuite déplacé vers Apotex, qui doit alors établir que le brevet est invalide. La norme de preuve à laquelle Apotex est assujettie est celle de la prépondérance de la preuve (Bayer c. Canada (Ministre de la Santé nationale et du Bien-être social), [2000] A.C.F. no 464, 6 C.P.R. (4th) 285 (C.A.F.), au paragraphe 9).

 

 

[108]       En appel, la Cour a confirmé la décision de la juge MacTavish et n’a pas remis en question sa compréhension du fardeau de la preuve approprié, déclarant simplement au paragraphe 8 de ses motifs :

[8]           La jurisprudence de la Cour d’appel fédérale énonce avec clarté que le fardeau de preuve dans les instances relatives à un avis de conformité incombe au demandeur et que la preuve est appréciée selon la prépondérance des probabilités, une présomption légale de validité étant établie en faveur du titulaire du brevet en ce qui concerne les allégations d’invalidité.

 

[109]       Ainsi, la première personne au sens du Règlement a la charge générale de démontrer, selon la prépondérance des probabilités, que les allégations d’invalidité contenues dans l’avis d’allégation de la seconde personne ne sont pas fondées. Bien que la charge initiale incombe à la première personne, en raison de la présomption de validité d’un brevet énoncée à l’article 45 de la Loi antérieure à 1989, elle peut s’en acquitter simplement en prouvant l’existence du brevet. Il incombe alors à la seconde personne de présenter des éléments de preuve concernant l’invalidité et de mettre « en jeu » les allégations d’invalidité contenues dans l’avis d’allégation. Pour ce faire, la seconde personne doit présenter une preuve qui n’est pas clairement inapte à étayer ses allégations d’invalidité. En conséquence, non seulement la seconde personne doit présenter un avis d’allégation contenant un fondement factuel et juridique suffisant pour étayer ses allégations, mais elle doit également présenter une preuve d’invalidité au procès.

 

[110]       Une fois que la seconde personne a présenté une preuve suffisante, selon la prépondérance des probabilités, la première personne doit, également selon la prépondérance des probabilités, réfuter les allégations de l’avis d’allégation. Comme l’a expliqué ma collègue la juge Sharlow, dans l’arrêt Bayer, précité, au paragraphe 9 de ses motifs :

[9]           L’application de la présomption légale en présence d’une preuve de l’invalidité dépend de la force de cette preuve. Si celle-ci démontre selon la probabilité la plus forte que le brevet est invalide, la présomption est réfutée et n’est plus pertinente. …

 

 

[111]       Je ne suis pas convaincu que la juge ait mal compris le fardeau de la preuve. Elle a à bon droit renvoyé aux principes juridiques énoncés par la Cour selon lesquels le fardeau ultime ou le fardeau de persuasion général incombe à la première personne, selon la prépondérance des probabilités, une fois que la seconde personne s’est acquittée de son fardeau de présenter des éléments de preuve suffisants pour réfuter la présomption de validité.

 

[112]       Même si Pfizer avait raison de soutenir que la juge a mal compris le fardeau de la preuve applicable, je suis d’avis que la conclusion finale de la juge quant à la question de savoir si les revendications 3 et 5 avaient une portée plus excessive ne dépend pas de la façon dont elle a attribué le fardeau de la preuve.

 

[113]       Le second argument de Pfizer est que la juge a commis une erreur lorsqu’elle a appliqué le critère permettant de déterminer si les revendications 3 et 5 du brevet 330 ont une portée plus large que l’invention divulguée. Elle fait valoir que la juge a commis une erreur en omettant d’examiner la question de savoir si tous les stéréo-isomères revendiqués étaient divulgués comme étant inclus dans l’invention et qu’elle s’est plutôt concentrée, à tort, sur la question de savoir si les stéréo-isomères revendiqués étaient tous optimaux pour l’invention. Plus précisément, Pfizer soutient que tous les stéréo-isomères des composés de la famille du quinapril sont visés par l’invention, comme le prouvent les antériorités et l’appuient les avis d’expert. Selon Pfizer, la juge aurait dû se poser la question de savoir quels stéréo-isomères faisaient partie de l’invention divulguée et lesquels d’entre eux étaient revendiqués dans le brevet.

 

[114]       Apotex soutient que la juge Heneghan a tiré la bonne conclusion, en ce que la divulgation du brevet 330 enseigne clairement que la configuration S est essentielle pour obtenir une activité biologique. La conclusion de la juge figure clairement aux paragraphes 107 et 108 de ses motifs, où elle écrit :

[107]       … Comme j’ai conclu que les revendications trois (3) et cinq (5) doivent être interprétées de manière à inclure les composés utiles pour réduire l'hypertension, et compte tenu de la preuve d’expert selon laquelle la configuration S est la configuration optimale pour un degré élevé d’inhibition de l’ECA menant à la réduction de l’hypertension, je conclus que les revendications englobant tous les stéréo-isomères possibles ont une portée excessive.

 

[108]       Le but de l’interprétation téléologique est de donner un sens aux revendications d’un brevet. Les revendications qui dépassent la portée de l’invention ou la description contenue dans le mémoire descriptif du brevet sont invalides; voir Farbwerke Hoechst c. Commissaire aux brevets, précité. Par conséquent, j'estime que les demanderesses n’ont pas réussi à démontrer que l’allégation d'invalidité, au motif de revendications ayant une portée excessive, n’est pas fondée.

 

 

[115]       Il est maintenant établi en droit qu’un brevet qui revendique plus que ce qui a été inventé ou divulgué peut être jugé invalide en raison de sa portée plus excessive. Comme il est expliqué dans la decision Lovell Manufacturing Co. and Maxwell Ltd. c. Beatty Brothers Ltd. (1962), 41 C.P.R. 18 (C. de l’É.), à la page 66 :

L’autre attaque était que les revendications étaient trop larges parce qu’elles réclamaient plus que ce qui avait été inventé. Cela reprend le thème central que j’ai mentionné, à savoir la prétention que l’invention se limitait aux constructions particulières d’essoreuse décrites dans le mémoire descriptif et que, à moins que les revendications ne soient limitées dans leur application aux inventions de ces constructions particulières, elles étaient trop larges et partant invalides. La réponse à cette prétention est simple. Si les revendications se lisent bien en fonction de ce qui a été divulgué et illustré dans le mémoire descriptif et les dessins, comme c’est le cas, elles ne sont pas plus larges que l’invention. Les constructions particulières d’essoreuse décrites dans le mémoire descriptif sont simplement des spécimens ou des illustrations de l’invention. Les revendications les embrassent et peuvent embrasser d’autres spécimens ou illustrations similaires. On ne trouve rien dans le mémoire descriptif qui limiterait les revendications à l’une des constructions particulières d’essoreuse ou à toutes celles-ci.

 

[Non souligné dans l’original.]

 

[116]       Le critère mentionné par la juge de première instance, à savoir que l’on « …jugera qu’une revendication a une portée excessive et qu’elle est donc invalide si elle revendique une propriété ou un privilège exclusif à l’égard de quelque chose que l’inventeur n’a pas réellement inventé, ou à l’égard de quelque chose que l’inventeur n’a pas complètement divulgué dans le brevet » (paragraphe 99 des motifs), est, à mon avis, le critère approprié. Toutefois, je ne peux que conclure qu’elle n’a pas appliqué ce critère à la preuve dont elle disposait. En effet, sa décision semble se fonder uniquement sur sa conclusion selon laquelle la configuration S des composés de la famille du quinapril est plus efficace que la configuration R pour le traitement de l’hypertension.

 

[117]       À mon avis, la juge a commis les erreurs suivantes. Premièrement, elle a commis une erreur lorsqu’elle a considéré comme déterminante la question de savoir si l’invention ou des parties de l’invention étaient optimales. Une telle considération n’est pas pertinente quant à la question de savoir si les revendications ont une portée excessive. Deuxièmement, la juge a mal appliqué son interprétation des revendications à la question de savoir si celles-ci avaient une portée excessive. Troisièmement, elle n’a pas pris en considération le fait que les brevets relatifs aux composés chimiques revendiquent régulièrement tous les isomères, et sont régulièrement délivrés à l’égard de tous les stéréo-isomères. Quatrièmement, elle n’a pas examiné la preuve accablante qui démontre que tous les stéréo-isomères sont visés par l’invention et que le brevet ne revendique pas plus que ce qui a été inventé. Cinquièmement, la juge n’a pas pris en considération l’état antérieur de l’art et, en particulier, le fait que les inventeurs du captopril, de l’énalapril et du composé de Tanabe ont revendiqué et ont divulgué tous les stéréo-isomères des composés ECA visés par l’invention.

 

[118]       À mon avis, ces erreurs sont cruciales et, en conséquence, il est necessaire que la Cour interprète le brevet 330. Les revendications 3 et 5 du brevet 330 portent chacune sur des groupes de composés partageant une formule précise, mais elles n’indiquent pas la configuration stéréo appropriée de ces composés. Apotex fait valoir que les revendications portent sans équivoque sur tous les stéréo-isomères et qu’il n’y a donc pas lieu de recourir à la divulgation pour déterminer la portée des revendications. Je ne peux pas être d’accord avec cette affirmation.

 

[119]       Comme je l’ai déjà mentionné, le juge Binnie, dans l’arrêt Whirlpool, précité, a prévenu qu’il ne fallait pas conclure hâtivement que les revendications étaient sans équivoque : [traduction] « [l]es mots doivent être interprétés dans leur contexte, de sorte qu’il est risqué, dans bien des cas, de conclure que le sens d’un mot est clair et net sans avoir examiné attentivement le mémoire descriptif » (paragraphe 52).

 

[120]       Il est donc nécessaire d’examiner la divulgation dans le brevet 330 et d’évaluer la façon dont les revendications devraient être lues à la lumière de cette divulgation. Plusieurs passages du brevet 330 nous éclairent sur l’invention revendiquée. Premièrement, le résumé précise que l’invention a trait à des agents antihypertenseurs :

[TRADUCTION] Les composés de l’invention, leurs sels et les compositions pharmaceutiques qui en découlent sont utiles comme agents antihypertenseurs.

 

Ailleurs dans la divulgation on mentionne l’utilisation de l’invention pour le traitement de l’hypertension :

[TRADUCTION] Les composés de la présente invention interviennent dans la séquence rénine - > angiotensine I - > angiotensine II en inhibant l’enzyme de conversion de l’angiotensine I et en réduisant ou en éliminant la formation de la substance vasopressive, l’angiotensine II, et sont donc utiles pour atténuer ou soulager l’hypertension. Ainsi, en administrant une composition qui contient un ou une combinaison des composés de la formule I ou de leurs sels pharmaceutiquement acceptables, l’hypertension chez les mammifères qui en souffre est atténuée. [...]

 

…Les composés de l’invention peuvent être utilisés pour abaisser la pression sanguine dans des compositions comme des comprimés, des capsules ou des élixirs pour administration orale ou des solutions ou suspensions stériles pour administration parentérale. (brevet 330, par. 6, 9).

 

 

[121]       Ces passages tirés de la divulgation ont amené la juge à conclure que « … les revendications du brevet 330 qui sont ici en litige renverraient dans l’esprit d’une personne versée dans l’art à des composés utiles pour le soulagement de l’hypertension » (motifs de la juge Heneghan, par. 64). Elle n’était pas convaincue que l’invention avait pour objectif plus large d’inhiber l’ECA. À mon avis, cette conclusion est raisonnable compte tenu du passage cité ci-dessus et de la teneur générale de la divulgation. Au paragraphe 66 de ses motifs, la juge a conclu que le brevet revendiquait « tous les stéréo-isomères possibles » de la famille des composés revendiqués :

[66]         … Je suis d’accord avec Apotex pour dire que le brevet 330 revendique une famille de composés qui partagent une structure commune, c’est-à-dire avec trois centres chiraux, et qu’il en revendique tous les stéréo-isomères possibles. Je conclus que le but des inventions décrites dans les revendications 3 (trois) et cinq (5) du brevet 330 est d’utiliser les composés décrits comme l’ingrédient actif du médicament destiné à traiter l’hypertension.

 

[122]       Lorsqu’elle a interprété la divulgation, la juge Heneghan n’a fait référence qu’aux parties du brevet citées ci-dessus qui renvoient au but de l’invention, soit un traitement de l’hypertension. Sa conclusion selon laquelle tous les stéréo-isomères possibles sont revendiqués découle apparemment du fait que les revendications 3 et 5 ne sont pas limitées à des stéréo-isomères précis. Toutefois, à mon avis, il n’était pas possible pour la juge Heneghan d’interpréter les revendications 3 et 5 conformément aux enseignements de l’arrêt Whirlpool, précité, sans interpréter la portion de la divulgation que les deux parties ont identifiée comme régissant la stéréochimie de l’invention.

 

[123]       Les parties ne s’entendent pas sur la question de savoir si l’invention divulguée englobe tous les stéréo-isomères ou un ensemble limité de stéréo-isomères. En particulier, les deux parties ont présenté une preuve d’expert offrant des interprétations différentes du passage suivant de la divulgation :

[TRADUCTION] …L’acide 1,2,3,4-tétrahydroisoquinoline-3-carboxylique utilisé dans cette invention est de configuration L(S). Il a été établi que cette configuration est nécessaire pour obtenir une activité biologique; ainsi, les composés actifs de l’invention sont dérivés de l’acide 1,2,3,4-tétrahydroïsoquinoline-3-carboxylique de configuration L (-) ou DL.

 

Les isomères optiques et les diastéréo-isomères produits par la chiralité aux centres marqués d’un astérisque [c.-à-d. les trois centres chiraux] dans la formule I ainsi que les racémates et les mélanges racémiques sont visés par l’invention. La configuration S dans ces centres est préférée. (brevet 330, page 3).

 

Il est difficile de concilier les deux paragraphes. Si on les lit ensemble, on constate que le breveté revendique tous les stéréo-isomères visés par l’invention tout en reconnaissant que la configuration S à l’un des centres chiraux est nécessaire pour que l’invention soit utile.

 

[124]       S’appuyant sur les témoignages de ses deux experts, Pfizer a fait valoir, qu’un lecteur versé dans l’art aurait conclu que tous les stéréo-isomères étaient inclus dans la portée de l’invention. Pfizer a également soutenu que M. Marshall, l’expert d’Apotex dans ce domaine, a souscrit à l’avis de ses experts durant son contre-interrogatoire lorsqu’il a admis que les inventeurs avaient défini la portée de l’invention comme incluant tous les stéréo-isomères.

 

[125]       Je décrirais l’invention comme une famille de composés chimiques exerçant à divers degrés une inhibition de l’ECA et ayant différents degrés d’efficacité pour le traitement de l’hypertension. Une telle interprétation, qui est plus large que celle de la juge Heneghan, est, à mon avis, justifiée. Il ne s’agit pas d’interpréter erronément les revendications relatives au composé comme des revendications relatives à l’utilisation. Je ne crois pas que la juge de première instance ait interprété par erreur les revendications comme étant des revendications concernant l’utilisation lorsqu’elle a décrit le brevet 330 comme renvoyant à des composés « … utiles pour le soulagement de l’hypertension » (motifs de la juge Heneghan, par. 64). Il ressort de la décision de la juge qu’elle comprenait bien que les revendications englobaient les composés eux-mêmes.

 

[126]       Toutefois, compte tenu de la preuve soumise à la Cour, l’invention de Pfizer peut être décrite comme englobant tous les stéréo-isomères du quinapril. D’après l’état de la technique, tous les stéréo-isomères étaient envisagés par l’inventeur, comme l’ont démontré l’emploi d’une formule de Markish et le fait que les brevets delivrés à l’égard d’autres inhibiteurs de l’ECA revendiquaient et divulguaient tous les stéréo-isomères. Le libellé des revendications et la preuve d’expert semblent indiquer que tous les stéréo-isomères du quinapril sont revendiqués dans le brevet. En fait, la juge de première instance, dans son introduction concernant le brevet 330, écrit que « … [l]es composés ont trois centres chiraux et tous les stéréo-isomères qui partagent cette même structure, c’est-à-dire les stéréo-isomères à la fois de configurations S et R sont visés par les revendications » (motifs de la juge Heneghan, paragraphe 9).

 

[127]       À mon avis, une personne versée dans l’art lirait les deux paragraphes de la divulgation que j’ai reproduits au paragraphe 120 des présents motifs comme divulguant que l’invention inclut tous les stéréo-isomères. Le lecteur versé dans l’art serait convaincu, en particulier en raison de l’affirmation claire dans le deuxième paragraphe, que [traduction] « … tous les isomères optiques et les diastéréo-isomères et leurs mélanges sont visés par cette invention ». En conséquence, un lecteur versé dans l’art comprendrait, selon moi, que les revendications 3 et 5, bien qu’elles ne parlent pas de la configuration stéréochimique, incluent tous les stéréo-isomères. Ainsi, étant donné que l’invention englobe clairement tous les stéréo-isomères et que le brevet revendique tous les stéréo-isomères, on ne peut dire que le brevet revendique davantage que ce qui a été inventé.

 

[128]       Je conclurais par conséquent que Pfizer s’est acquittée du fardeau qui lui incombait de réfuter l’allégation selon laquelle le brevet 330 contient des revendications de portée excessive. Vu cette présente conclusion, je vais maintenant examiner les questions de l’évidence, de l’antériorité, du double brevet et d’absence d’utilité.

 

b)         L’évidence :

[129]       Apotex conteste la décision de la juge Heneghan de rejeter son allégation selon laquelle l’invention divulguée dans le brevet 330 était évidente. Apotex déclare que la juge a commis des erreurs lorsqu’elle a (i) accepté la preuve de Pfizer relative à l’évidence même si Pfizer a évalué l’état des connaissances à la mauvaise date; (ii) uniquement examiné la question de savoir si la création du chlorhydrate de quinapril était évidente au lieu d’évaluer l’évidence de tous les composés revendiqués dans le brevet 330; (iii) omis de tenir compte du fait que deux autres groupes d’inventeurs avaient inventé, de façon indépendante, l’objet du brevet 330. En toute déférence, je ne puis conclure que la décision de la juge Heneghan en ce qui a trait à l’évidence devrait être annulée.

 

[130]       Après avoir examiné le critère juridique applicable, la juge de première instance a examiné la preuve d’expert. Elle a conclu qu’à la date de priorité pertinente du 3 octobre 1980, d’autres personnes versées dans l’art n’auraient pas su comment créer, constater et documenter les avantages du composé du chlorhydrate de quinapril à titre d’agent antihypertenseur. Sur ce fondement, elle a conclu que Pfizer s’était acquittée de son fardeau de démontrer que l’allégation d’invalidité pour cause d’évidence n’était pas fondée.

 

[131]       Pfizer soutient que si la juge a commis une erreur, c’est lorsqu’elle a conclu que la date pertinente pour évaluer l’évidence était le 3 octobre 1980 (la date de dépôt de la première demande) et non le 19 juin 1980 (que Pfizer prétend être la date de la conception et de la formulation du moyen de fabrication).

 

[132]       Les deux parties ont produit des éléments de preuve à ce sujet. M. Anderson, l’expert de Pfizer, a affirmé qu’en date du 19 juin 1980, seule la tête proline aurait été évidente pour une personne possédant des habiletés moyennes dans l’art. Il ne s’est pas demandé si l’évidence aurait pu être établie en date du 3 octobre 1980. M. Marshall, expert d’Apotex, était d’avis que les revendications contestées relatives au brevet 330 visaient des composés qui étaient évidents en date du 19 juin 1980 et du 3 octobre 1980. Toutefois, il a reconnu lors de son contre-interrogatoire qu’il n’était pas apte à exprimer une opinion quant à l’évidence.

 

[133]       Selon moi, la juge de première instance n’a pas commis d’erreur susceptible de révision. Elle a pris en considération et a appliqué le critère juridique approprié selon lequel une invention est évidente si une personne ayant des habiletés moyennes dans l’art serait, à la date revendiquée pour l’invention, arrivée « directement et facilement à la solution que préconise le brevet ». Pour qu’une allégation d’invalidité pour cause d’évidence soit accueillie dans le contexte d’une procédure relative à un avis de conformité, il faut présenter des éléments de preuve suffisants pour démontrer que la gamme de composés visés par l’une ou l’autre des revendications pertinentes aurait été évidente pour une personne versée dans l’art au moment de l’invention. Bien que la juge ne mentionne que l’évidence du chlorhydrate de quinapril, les composés visés par l’invention sont, à mon avis, étroitement liés entre eux et la preuve ne semble pas fournir de motif pour conclure que les autres composés auraient été plus évidents que le chlorhydrate de quinapril.

 

[134]       Il appert que la juge de première instance a tenu compte de tous les éléments de preuve dont elle disposait. Cependant, il est clair qu’elle n’a pas accordé beaucoup de poids au témoignage de M. Marshall et, après examen de ce témoignage, je ne peux qu’être d’accord avec elle. Il y existait des éléments de preuve clairs sur lesquels la juge de première instance pouvait se fonder pour conclure que Pfizer avait réfuté l’allégation d’invalidité pour cause d’évidence. Ce constat, à mon avis, reste valide qu’on retienne le 19 juin 1980 ou le 3 octobre 1980 comme date pour évaluer l’évidence. Par conséquent, je suis d’avis que la juge n’a pas commis d’erreur manifeste ou dominante lorsqu’elle a tiré cette conclusion.

 

c)         L’antériorité :

[135]       Apotex conteste également la décision de la juge Heneghan de rejeter son allégation selon laquelle le brevet 330 se heurte à une antériorité. Dans son avis d’allégation, Apotex a fait valoir l’antériorité du brevet Hoechst, déposé au Bureau canadien des brevets avant le brevet 330, qui a donné lieu à une procédure en cas de conflit.

[136]       Après avoir examiné les observations des parties et le critère juridique applicable, la juge de première instance a conclu qu’en omettant de présenter des éléments de preuve établissant que le brevet Hoechst avait été déposé au Bureau canadien des brevets ou délivré avant la date pertinente du 30 septembre 1979, Apotex n’avait pas mis la question « en jeu ».

 

[137]       Apotex soutient que la juge de première instance a commis une erreur lorsqu’elle a appliqué le critère relatif à l’antériorité découlant d’une publication antérieure (alinéa 57(1)b) de la Loi sur les brevets antérieure à 1989) plutôt que celui de l’antériorité fondée sur une utilisation antérieure (paragraphe 27(1) de la Loi sur les brevets antérieure à 1989). Pour démontrer l’antériorité fondée sur l’utilisation antérieure, Apotex s’est fondée sur le fait que le brevet Hoechst et le brevet 330 ont fait l’objet de procédure en cas de conflit. Pfizer a répondu que la seule existence d’une procédure en cas de conflit n’est aucunement déterminante et a fait valoir que, de toutes les façons, elle avait eu gain de cause dans cette procédure.

 

[138]       Il ressort des paragraphes 85 et 86 des motifs de la juge Heneghan qu’elle a appliqué le critère de l’antériorité fondée sur une publication antérieure. À cet égard, le paragraphe 27 du mémoire des faits et du droit déposé en réponse par Pfizer, est à mon avis assez convaincant :

 

[traduction] 27.     Apotex fait valoir que la juge Heneghan a commis une erreur en ne tenant pas compte de l’alinéa 27(1)a) de la Loi sur les brevets, qui exige qu’un brevet soit « connu ou utilisé » par une autre personne avant que l’inventeur n’ait fait l’invention. Il ne s’agissait pas d’une erreur. Le paragraphe 61(1) empêche d’invalider un brevet au motif que celui-ci était « connu ou exploité », à moins qu’il soit « divulgué ou exploité … de telle manière qu’elle était devenue accessible au public » ou avait fait l’objet d’une demande pour obtenir un brevet au Canada qui « aurait dû donner lieu à des procédures en cas de conflit ». Aucune de ces conditions n’a été remplie dans en l’espèce. Il n’existe pas de preuve démontrant que la demande de brevet Hoechst était connue du public. En outre, il ne s’agit pas d’une affaire qui “aurait dû donner lieu à des procédures en cas de conflit). Au contraire, des procédures ont été intentées, ont eu lieu, et le brevet a finalement été délivré à Warner Lambert.

 

 

[139]       Même si j’acceptais que la juge a commis une erreur en appliquant un critère inapproprié, cette erreur, à mon avis, serait sans conséquence vu la faiblesse de la preuve dont disposait la juge Heneghan. Quoi qu’il en soit, il est clair qu’Apotex n’a pas présenté en preuve une copie du brevet Hoechst. La juge Heneghan n’était donc pas en mesure de confirmer la date de dépôt et de délivrance de ce brevet. Ce qui, selon moi, est fatal pour Apotex, peu importe si le critère approprié est celui de l’antériorité découlant de l’utilisation antérieure ou celui de l’antériorité fondée sur une publication antérieure.

 

[140]       Par conséquent, je ne vois rien d’erroné dans la décision de la juge selon laquelle Apotex n’a pas mis son allégation d’invalidité pour cause d’antériorité « en jeu ».

 

d)         Double brevet :

[141]       Apotex fait valoir que les brevets 330 et 615 portent sur une seule invention et ne couvrent pas des éléments brevetables distincts. Elle prétend donc que les revendications pertinentes du brevet 330 sont invalides pour cause de double brevet.

 

[142]       Apotex soutient également que la juge en pris en considération des facteurs non pertinents lorsqu’elle a examiné la question de savoir s’il y avait un double brevet relatif à une « évidence » entre les brevets 330 et 615. En présence de ce type de double brevet, le deuxième brevet sera invalide si ses revendications ne visent pas un « élément brevetable distinct » de celui visé par les revendications du brevet antérieur (Whirlpool, précité, paragraphe 66).

 

[143]       La juge de première instance a examiné la règle interdisant le double brevet relatif à une évidence suivant laquelle la question à trancher est celle de savoir si les revendications de l’un des brevets sont manifestement distinctes de celles de l’autre ou des autres brevets. Elle a estimé important le fait que les brevets 330 et 615 n’ont pas été confrontés. La juge a également souligné que c’était le commissaire aux brevets qui avait recommandé qu’une demande complémentaire soit présentée relativement au brevet 615. Sur ce fondement, elle a conclu que Pfizer s’était acquittée de son fardeau de réfuter les allégations d’invalidité pour cause de double brevet.

 

[144]       Apotex fait valoir que la juge n’aurait pas dû prendre en considération le fait que le brevet 615 n’avait pas été confronté au brevet Hoechst dans la procédure en cas de conflit. Elle soutient en outre que la juge n’aurait pas dû accepter la preuve selon laquelle le commissaire aux brevets avait recommandé qu’une demande complémentaire soit présentée relativement au brevet 615 parce que, selon elle, c’était le breveté qui avait sollicité la demande complémentaire. Enfin, Apotex fait valoir qu’elle a présenté une preuve non contredite selon laquelle les composés revendiqués dans le brevet 615 ne constituaient pas une sélection inventive inspirée du brevet 330.

 

[145]       En ce qui a trait au premier argument d’Apotex, il était raisonnable, à mon avis, que la juge Heneghan examine la question de savoir si le brevet 615 avait fait l’objet d’une procédure en cas de conflit pour déterminer s’il existait un double brevet. Ceci appuie dans une certaine mesure la conclusion selon laquelle les brevets 615 et 330 n’ont pas la même portée, du moins en ce qui concerne la portée de l’invention divulguée dans le brevet Hoechst. Je conclus également qu’il est peu probable qu’une telle preuve puisse, à elle seule, trancher la question, sauf s’il avait été démontré que l’objet du brevet Hoechst et du brevet 330 était le même, de telle manière que si le brevet 615 englobait les mêmes éléments que le brevet 330, il aurait certainement été visé par la procédure en cas de conflit.

 

[146]       Je trouve assez probant un fait qu’Apotex a mentionné dans son exposé des faits et du droit. Au paragraphe 87, en essayant d’expliquer le fondement de son affirmation selon laquelle le commissaire n’avait pas demandé la division du brevet 615, Apotex a déclaré :

 

[traduction]87.      … Le commissaire a initialement refusé de délivrer le brevet 330 en raison du double brevet par rapport au brevet 615. Le commissaire a cependant accepté l’argument de Pfizer selon lequel il n’y a pas de double brevet étant donné qu’il existait une relation espèces/genre entre les deux brevets et il a alors retiré son objection relative au double brevet.

 

 

[147]       Cela démontre, à mon avis, que le commissaire a expressément tenu compte de la possibilité du double brevet, mais il a été convaincu que ce n’était pas le cas.

 

[148]       Apotex n’a soumis aucune preuve en ce qui concerne son allégation selon laquelle c’était le breveté et non le commissaire qui avait demandé la division. La conclusion de la juge voulant que le commissaire ait demandé la division devrait donc être maintenue.

 

[149]       En fin de compte, l’application du critère du double brevet aux faits de la présente affaire est une question mixte de fait et de droit assujettie à la norme de l’erreur manifeste et dominante. La juge Heneghan n’a pas commis une telle erreur. J’estime qu’il était raisonnable de sa part de se fonder sur le fait qu’il n’y a pas eu de procédure en cas de conflit mettant en cause le brevet 615 et que le commissaire des brevets avait recommandé que le brevet 615 soit déposé en tant que demande complémentaire. Il appert qu’il s’agit de la seule preuve dont disposait la juge. Par conséquent, à mon avis, ces faits indiquent non seulement que les inventions revendiquées dans les deux brevets visaient des revendications distinctes, mais aussi que le brevet 615 était un brevet de sélection valide.

 

e)         Absence d’utilité :

[150]       Bien que la juge Heneghan ait conclu que Pfizer n’avait pas démontré l’utilité à la date de l’invention, elle a néanmoins conclu que le brevet était valide en raison de la règle de la prédiction valable.

 

[151]       Apotex fait valoir que la juge Heneghan s’est trompée lorsqu’elle a conclu que l’utilité des composés revendiqués dans le brevet 330 avait été valablement prédite à la date pertinente du 3 octobre 1980 (la date de priorité). D’après Apotex, comme il n’existait pas d’éléments de preuve établissant que l’un ou l’autre des composés revendiqués avaient été testés à cette date, la prédiction d’utilité n’était pas valable. Je ne puis accepter cet argument.

 

[152]       Pour étayer son argument selon lequel quelques tests doivent être effectués avant de conclure à la validité de l’utilité d’une invention, Apotex invoque la décision rendue par la Cour fédérale dans l’affaire Apotex c. Wellcome Foundation Ltd (1998), 145 F.T.R 161. Toutefois, en appel, la Cour suprême (dans [2002] 4 R.C.S 153) a interprété différemment la règle de la prédiction valable. À son avis, pour qu’une prédiction soit valable, « … la prédiction doit avoir un fondement factuel » (paragraphe 70). Bien que dans deux arrêts antérieurs de la Cour suprême « … les composés testés constituaient le fondement factuel », dans l’arrêt Apotex, précité, la Cour suprême a estimé que « d’autres faits peuvent suffire selon la nature de l’invention » (paragraphe 70). En conséquence, le test n’est pas une exigence absolue pour un brevet fondé sur la prédiction valable. En outre, dans une affaire comme celle dont est saisie la Cour où il existe d’abondantes données sur l’utilité de composés connexes tels que le captopril, l’énapril et le composé de Tanabe, il existait des éléments de preuve sur lesquels la juge pouvait se fonder pour conclure qu’il y avait un fondement factuel pour prédire l’utilité de l’invention divulguée dans le brevet 330.

 

[153]       En tout cas, Pfizer invoque, avec raison à mon avis, l’arrêt récent Aventis Pharma Inc c. Apotex Inc., 2006 CAF 64, où la Cour a statué que la date pertinente pour évaluer la validité d’une prédiction était la date de dépôt au Canada, soit le 30 septembre 1981 dans cette affaire. Contrairement à l’avis d’allégation d’Apotex et à la conclusion de la juge Heneghan, la date pertinente n’est pas la date de priorité qui, en l’espèce, est le 3 octobre 1980. En outre, dans son avis d’allégation daté du 24 juillet 2003, Apotex mentionne des tests de quinapril qui ont démontré que le composé baissait la pression artérielle chez les rats. Les résultats de ces test ont été reçus le 8 septembre 1980, bien avant la date du dépôt au Canada. Par conséquent, même si quelques tests étaient requis pour établir une prédiction valable, ces tests ont été effectués dans la présente affaire.

 

[154]       La question de la prédiction valable est une question mixte de fait et de droit à l’égard de laquelle des éléments de preuves ont été présentés. En particulier, M. Wasley et M. Anderson ont témoigné qu’une personne douée d’habiletés moyennes dans l’art aurait un fondement valable pour prédire que tous les composées revendiqués auraient une utilité en raison des brevets sur le captopril, de la divulgation et de l’application de l’énalapril, du brevet de Tanabe et des connaissances de l’inventeur sur certains autres composés. On ne peut pas dire que la juge a commis une erreur manifeste et dominante lorsqu’elle a tiré sa conclusion à cet égard.

 

JUGEMENT

[155]       Pour ces motifs, j’accueillerais l’appel, j’annulerais l’ordonnance de la juge Heneghan et j’interdirais au ministre de la Santé de délivrer un avis de conformité à Apotex à l’égard de l’APO‑QUINAPRIL avant l’expiration des brevets 615 et 330. J’adjugerais à l’appelante ses dépens tant en appel qu’en première instance.

 

 

« M. Nadon »

j.c.a.

 

 

 

 

 

« Je suis d’accord.

A.M. Linden, j.c.a. »

 

« Je suis d’accord.

            J. Edgar Sexton, j.c.a. »

 

 

 

 

Traduction certifiée conforme

Aude Megouo

 


COUR D’APPEL FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

DOSSIER :                                                                            A-457-05

 

INTITULÉ :                                                                           PFIZER CANADA INC. ET AL C. MINISTRE DE LA SANTÉ ET APOTEX INC.

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                                                     TORONTO (ONTARIO)

 

DATE DE L’AUDIENCE :                                                   27-28 SEPTEMBRE 2006

 

MOTIFS DU JUGEMENT :                                                LE JUGE NADON

 

Y ONT SOUSCRIT :                                                             LE JUGE LINDEN

                                                                                                LE JUGE SEXTON

 

DATE DES MOTIFS :                                                          31 MAI 2007

 

 

COMPARUTIONS :

 

Sheila Block

Andrew Shaugnessy

Andrew Bernstein

 

POUR LES APPELANTES

 

H.B. Radomski

Andrew Brodkin

Rich Tuzi

Sorelle Simmons

 

POUR L’INTIMÉE APOTEX INC.

 

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Torys s.r.l.

Toronto (Ontario)

 

POUR LES APPELANTES

 

Goodmans s.r.l.

Toronto (Ontario)

 

John H. Sims, c.r.

Sous-procureur général du Canada

POUR L’INTIMÉE APOTEX INC.

 

 

POUR L’INTIMÉ LE MINISTRE DE LA SANTÉ

 

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