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Date : 20070607

Dossier : A‑500‑06

Référence : 2007 CAF 217

 

CORAM :      LE JUGE NADON

                        LA JUGE SHARLOW

                        LE JUGE MALONE

 

ENTRE :

NOVOPHARM LIMITED

appelante

et

JANSSEN-ORTHO INC.

et DAIICHI PHARMACEUTICAL CO., LTD.

intimées

 

 

 

Audience tenue à Toronto (Ontario), les 13 et 14 mars 2007

Jugement rendu à Ottawa (Ontario), le 7 juin 2007

 

MOTIFS DU JUGEMENT :                                                                             LA JUGE SHARLOW

Y ONT SOUSCRIT :                                                                                            LE JUGE NADON

                                                                                                                            LE JUGE MALONE

 


 

 

Date : 20070607

Dossier : A‑500‑06

Référence : 2007 CAF 217

 

CORAM :      LE JUGE NADON

                        LA JUGE SHARLOW

                        LE JUGE MALONE

 

ENTRE :

NOVOPHARM LIMITED

appelante

et

JANSSEN-ORTHO INC.

et DAIICHI PHARMACEUTICAL CO., LTD.

intimées

 

 

 

 

MOTIFS DU JUGEMENT

LA JUGE SHARLOW

[1]               Il s'agit d'un appel interjeté par Novopharm Limited contre le jugement (2006 CF 1234) par lequel le juge Hugues de la Cour fédérale a déclaré valide la revendication 4 du brevet canadien no 1 304 080 (le brevet 080). Novopharm a admis que si la revendication 4 était valide, elle était contrefaite.

Le brevet 080

[2]               Le brevet 080 est régi par les dispositions de la Loi sur les brevets, L.R.C. 1985, ch. P‑4, qui concernent les brevets dont les demandes ont été déposées avant le 1er octobre 1989. La demande de ce brevet a été déposée au Canada le 19 juin 1986 et porte revendication de priorité sur la base de demandes déposées au Japon le 20 juin 1985, le 11 octobre 1985 et le 28 janvier 1986.

[3]               Le brevet 080 a été délivré à l'intimée Daiichi Pharmaceutical Co., Ltd. le 23 juin 1992. Daiichi est encore titulaire de ce brevet et a concédé une licence sur celui‑ci à l'autre intimée, Janssen‑Ortho Inc. Le brevet 080 expirera le 23 juin 2009, sauf s'il est déclaré invalide.

L'interprétation de la revendication 4

[4]               Chaque fois que la validité ou la contrefaçon d'un brevet est en question, il y a nécessité d'interpréter la revendication : Whirlpool Corp. c.  Camco Inc., [2000] 2 R.C.S. 1067, au paragraphe 43. La date pertinente pour l'interprétation du brevet 080 est la date de sa délivrance, soit le 23 juin 1992. Il faut comprendre le brevet comme destiné à une personne versée dans l'art dont il relève et en tenant compte des connaissances qu'une telle personne est censée posséder à la date pertinente. L'interprétation du brevet appartient à la Cour; elle doit se fonder sur l'ensemble de l'exposé de l'invention et de la revendication, lus à la lumière de témoignages d'experts concernant la signification de certains termes et les connaissances que la personne versée dans l'art est censée posséder à la date pertinente.

[5]               Novopharm n'invoque pas le caractère erroné de l'interprétation du brevet parmi ses moyens d'appel. Cependant, dans le cadre de l'un de ses arguments relatifs à l'évidence, elle affirme à un moment de son analyse que le juge Hugues, en interprétant la revendication 4 comme il le fait, y introduit à tort une condition de pureté qui ne s'y trouve ni explicitement ni implicitement. Janssen et Daiichi ont considéré cet argument comme une contestation de la justesse de l'interprétation de la revendication 4 adoptée par le juge Hugues.

[6]               La revendication 4 du brevet 080 est libellée comme suit :

[traduction] 4.   acide S(-)-9-fluoro-3-méthyl-10-(4-méthylpipérazinyl-1-yl)-7-oxo-2,3-dihydro-7H-pyrido[1,2,3- de][1,4]benzoxazine-6-carboxylique.

 

C'est là le nom chimique d'un composé qui peut être aussi désigné « lévofloxacine » ou « ofloxacine S(-) ». (Aux fins du présent appel, nous tiendrons ces deux appellations pour synonymes.)

[7]               Le juge Hugues, après avoir examiné et analysé les passages pertinents de l'exposé de l'invention et des revendications du brevet, a conclu (au paragraphe 95 de son exposé des motifs) que la revendication 4 devrait être interprétée comme suit :

L'ofloxacine S(-), différente du produit constituant le racémate, obtenue sous une forme raisonnablement pure.

 

[8]               Avant d'entreprendre l'examen des questions que soulève le présent appel relativement à l'interprétation de la revendication 4, il faut bien comprendre ce qu'est la lévofloxacine.

[9]               La lévofloxacine est l'un des deux énantiomères de l'ofloxacine. L'invention de l'ofloxacine est exposée dans le brevet canadien no 1 167 840, délivré le 22 mai 1984.

[10]           Il n'est pas contesté que la personne versée dans l'art savait bien avant 1992 que l'ofloxacine est un racémate à centre chiral unique. On peut se représenter le centre chiral d'un racémate comme un point de jonction dans la molécule, chacun des éléments joints pouvant être orienté dans l'une ou l'autre de deux directions opposées. Ces deux éléments, désignés « énantiomères », sont l'image inversée l'un de l'autre.

[11]           Un énantiomère est dit « optiquement actif » s'il fait tourner un plan de lumière polarisée. Si cette rotation se fait dans le sens des aiguilles d'une montre, l'énantiomère est dit « droit » et il est représenté par le signe + dans les formules chimiques. Si la rotation se fait dans le sens contraire des aiguilles d'une montre, on a affaire à un énantiomère « gauche », représenté par le signe – dans les formules chimiques. Dans une quantité donnée de racémate, les énantiomères gauches et droits sont en nombre égal. Le racémate ne fait pas tourner un plan de lumière polarisée parce que les rotations causées par les énantiomères gauches et droits s'annulent réciproquement.

[12]           L'extraction d'un énantiomère d'un racémate est appelée « résolution » du racémate. Chacun des deux énantiomères d'un racémate est un composé différent de celui‑ci et peut avoir des propriétés différentes, notamment des propriétés médicinales différentes. L'échantillon produit par le processus de séparation contiendra une quantité plus élevée de l'un des deux énantiomères. C'est ce qu'on appelle l'excès énantiomérique, qui constitue une mesure de la pureté de l'échantillon. Pour reprendre l'exemple que donne le juge Hugues au paragraphe 36 de son exposé des motifs, si l'échantillon contient 95 % de l'énantiomère gauche et 5 % de l'énantiomère droit, l'excès énantiomérique (la différence) est de 90 %. Dans certains cas, la résolution répétée du racémate selon une méthode déterminée peut produire des échantillons d'une pureté supérieure à chaque étape, mais la preuve n'établit pas que l'application répétée d'une technique déterminée permettra nécessairement d'atteindre le niveau de pureté souhaité.

[13]           Si on interprète la revendication 4 comme portant simplement sur la lévofloxacine, on pourrait soutenir qu'elle doit être considérée comme évidente puisque l'existence de la lévofloxacine est divulguée par le brevet sur l'ofloxacine, dans laquelle elle est nécessairement présente. Or Novopharm ne propose pas cette interprétation. J'en conclus que Novopharm serait d'accord avec le juge Hugues pour dire que la revendication 4 porte sur une forme de lévofloxacine différente de celle que contient l'ofloxacine.

[14]           Novopharm met en question l'expression modificative « sous une forme raisonnablement pure », soutenant que ni le mémoire descriptif ni la revendication du brevet ne contiennent, explicitement ou implicitement, de condition de pureté. Novopharm a produit à l'appui de cet argument le témoignage de son expert M. John Caldwell. Selon la déclaration écrite de celui‑ci (cahier d'appel, volume 34, page 9549), la personne versée dans l'art ne verrait dans les revendications du brevet 080 aucune condition relative à la pureté. Il cite, pour marquer la différence, un certain nombre de brevets dont les revendications portant sur des énantiomères énoncent la condition d'une forme [TRADUCTION] « sensiblement pure ».

[15]           La revendication 4 ne spécifie pas de degré de pureté. Cependant, le mémoire descriptif du brevet porte que la lévofloxacine obtenue par la méthode décrite à l'exemple 6 (page 27 du brevet) a un excès énantiomérique de 90 %.

[16]           Janssen et Daiichi invoquent le témoignage de M. Alexander Klibanov à l'appui de l'interprétation de la revendication 4 adoptée par le juge Hugues. M. Klibanov écrit dans son rapport d'expert (cahier d'appel, volume 14, pages 3487 et 3488) que la personne versée dans l'art aurait conclu que la revendication 4 portait sur une forme [TRADUCTION] « optiquement pure » de l'ofloxacine S(-), que [TRADUCTION] « pratiquement toutes » les molécules seraient de l'ofloxacine S(-) et que l'énantiomère opposé serait [TRADUCTION] « en grande partie absent » du composé. M. Klibanov n'a essayé de quantifier aucune de ces expressions dans son premier rapport. Il semblait plutôt réagir à certaines déclarations des actes de procédure de Novopharm qu'il interprétait comme affirmant que le libellé de la revendication 4 [c'est‑à‑dire le nom chimique de la lévofloxacine ou ofloxacine S(-)] désignait un composé contenant n'importe quelle quantité de lévofloxacine. Selon cette affirmation ainsi interprétée, la revendication 4 engloberait à la fois l'ofloxacine (qui contient 50 % d'énantiomères gauches et 50 % d'énantiomères droits) et un composé ne contenant qu'un peu plus d'énantiomères gauches que de droits. M. Klibanov a rejeté cette affirmation et déclaré que la personne versée dans l'art interpréterait la revendication 4 comme contenant une condition implicite de pureté.

[17]           Dans son rapport d'expert en réplique (cahier d'appel, volume 15, pages 4046 à 4048), M. Klibanov examine le degré de pureté qui est selon lui implicite dans le brevet 080. Il ne propose pas de nombres précis, mais il fait remarquer que les exemples 7, 11 et 16 du brevet 080 illustrent des méthodes différentes de production de la lévofloxacine qui donnent toutes des valeurs [α]D semblablement élevées, valeurs où il voit une mesure de la [TRADUCTION] « pureté optique » correspondant à l'excès énantiomérique. Il cite également la méthode de l'exemple 6 du mémoire descriptif, selon lequel la lévofloxacine obtenue par cette méthode a un excès énantiomérique de 90 %. Le témoignage oral de M. Caldwell (cahier d'appel, volume 3, page 781) étaye dans une certaine mesure l'interprétation proposée par M. Klibanov du libellé de la revendication 4.

[18]           La conclusion du juge Hugues touchant l'interprétation de la revendication 4 est confirmée par la prépondérance de la preuve d'expert pertinente, et le dossier ne commande pas d'interprétation différente. Aux fins du présent appel, j'accepte l'interprétation de la revendication 4 établie par le juge Hugues.

[19]           J'ajouterai seulement qu'il y a lieu de se demander si le juge Hugues, en interprétant la revendication 4 comme comportant la condition exprimée par les termes « sous une forme raisonnablement pure », paraphrasait les diverses expressions employées par M. Klibanov ou retenait une condition de pureté moins rigoureuse. Il pourrait se révéler nécessaire dans une affaire ultérieure de clarifier le sens de l'expression « sous une forme raisonnablement pure » telle qu'employée par le juge Hugues, mais ce n'est pas le cas dans le présent appel.

La revendication 4 est-elle ambiguë?

[20]           Novopharm soutient que si l'on interprète à bon droit la revendication 4 comme comportant la condition exprimée par les termes « sous une forme raisonnablement pure », cette revendication est ambiguë, parce qu'il n'y a aucun moyen de savoir si un échantillon donné en relèverait ou non : Hoffmann-La Roche Ltd. c. Apotex Inc. (1989), 24 C.P.R. (3d) 289 (C.A.F.), à la page 299. Le juge Hugues a rejeté cet argument au motif que la personne versée dans l'art interpréterait la condition exprimée par les termes « sous une forme raisonnablement pure » comme se rapportant au degré de pureté nécessaire pour que le composé puisse « fonctionner par exemple comme agent antimicrobien » (paragraphe 119 de son exposé des motifs).

[21]           Il y a contradiction dans les éléments de preuve touchant le degré de pureté nécessaire pour remplir ce critère fonctionnel, contradiction que le juge Hughes n'a pas estimé nécessaire de résoudre. Novopharm ne peut obtenir gain de cause sur ce point à moins de produire des éléments de preuve établissant que la résolution de cette contradiction n'est pas raisonnablement possible. Or, à mon avis, sa preuve est bien loin d'établir ce fait.

[22]           En conséquence, j'estime établi que le juge Hugues n'a pas commis d'erreur en concluant que la revendication 4, telle qu'interprétée par lui, n'est pas ambiguë.

L'évidence

[23]           Le critère juridique admis de l'évidence a été formulé comme suit par le juge Hugessen à la page 294 de l'arrêt‑clé Beloit Canada Ltd. et al. c. Valmet OY (1986), 8 C.P.R. (3d) 289 (C.A.F.) :

La pierre de touche classique de l'évidence de l'invention est le technicien versé dans son art mais qui ne possède aucune étincelle d'esprit inventif ou d'imagination; un parangon de déduction et de dextérité complètement dépourvu d'intuition; un triomphe de l'hémisphère gauche sur le droit. Il s'agit de se demander si, compte tenu de l'état de la technique et des connaissances générales courantes qui existaient au moment où l'invention aurait été faite, cette créature mythique (monsieur tout‑le‑monde du domaine des brevets) serait directement et facilement arrivée à la solution que préconise le brevet. C'est un critère auquel il est très difficile de satisfaire.

[24]           L'examen que commande le critère Beloit est de nature factuelle et fonctionnelle et doit être guidé par la preuve d'expert touchant les compétences pertinentes de la personne hypothétique normalement versée dans l'art et l'état de la technique à l'époque pertinente. Il convient d'évaluer attentivement la crédibilité et la fiabilité de cette preuve d'expert. Il ne faut en effet jamais oublier la mise en garde classique que fait le juge Hugessen contre la sagesse rétrospective à la page 295 de Beloit :

Une fois qu'elles ont été faites, toutes les inventions paraissent évidentes, et spécialement pour un expert du domaine. Lorsque cet expert a été engagé pour témoigner, l'infaillibilité de sa sagesse rétrospective est encore plus suspecte. Il est si facile de dire, une fois que la solution préconisée par le brevet est connue : « j'aurais pu faire cela »; avant d'accorder un poids quelconque à cette affirmation, il faut obtenir une réponse satisfaisante à la question : « Pourquoi ne l'avez-vous pas fait? »

 

 

[25]           Il n'existe aucune question factuelle ni aucun ensemble de telles questions qui puisse décider de l'issue de toutes les affaires ou même d'une seule. Le juge Hugues, au paragraphe 113 de son exposé des motifs, propose une liste de facteurs à prendre en considération lorsque la validité d'un brevet est contestée au motif de l'évidence. Cette liste paraît avoir été établie à la suite d'une revue de nombreuses décisions rendues au Canada, aux États-Unis et au Royaume‑Uni. Malgré le débat incessant sur le point de savoir si le critère juridique de l'évidence est le même dans ces trois pays, la liste de facteurs proposée par le juge Hugues me semble utile pour orienter la recherche nécessaire des faits et en tant que cadre de l'analyse à laquelle ces faits doivent être soumis. Voici une version remaniée de cette liste :

 

Principaux facteurs

1.

L'invention

La question porte sur la revendication telle que la Cour l'interprète.

2.

La personne hypothétique versée dans l'art dont parle Beloit

Il faut définir le profil de la personne hypothétique normalement versée dans l'art (ou personne du métier).

3.

Les connaissances que possède la personne hypothétique normalement versée dans l'art

La somme des connaissances courantes que possède la personne hypothétique normalement versée dans l'art comprend ce qu'on peut légitimement s'attendre à ce qu'elle sache et soit capable de trouver. On suppose que cette personne est raisonnablement diligente dans ses efforts pour se tenir au courant des progrès réalisés dans le domaine dont relève le brevet (Whirlpool, au paragraphe 74). Les connaissances présumées de la personne du métier hypothétique évoluent et s'accroissent constamment. Les connaissances ne sont pas toutes consignées dans des publications. Inversement, toutes les connaissances ainsi consignées ne font pas partie des connaissances que la personne du métier moyenne est censée posséder ou pouvoir trouver.

4.

Le climat régnant dans le domaine en question à l'époque où l'invention supposée a été faite

L'état général de la technique comprend non seulement les connaissances et l'information, mais aussi les attitudes, les tendances, les préjugés et les attentes.

5.

La motivation qui, à l'époque où l'invention supposée a été faite, incitait à résoudre un problème reconnu

La « motivation », dans ce contexte, peut signifier la raison pour laquelle l'inventeur supposé a fait l'invention supposée, ou encore la raison pour laquelle on pouvait légitimement s'attendre à ce que la personne hypothétique normalement versée dans l'art associât des éléments de l'état de la technique pour aboutir à l'invention supposée. S'il existe dans le domaine en question un problème déterminé que tous les spécialistes de ce domaine essaient de résoudre (une motivation générale), il peut se révéler plus probable que la solution, une fois trouvée, ait exigé de l'inventivité. Par ailleurs, s'il s'agit d'un problème que seul l'inventeur supposé essayait de résoudre (une motivation particulière ou personnelle) et que personne d'autre ne voyait de raison d'aborder, il peut s'avérer plus probable aussi que la solution ait demandé de l'inventivité. Cependant, si des concepts courants et des techniques éprouvées pouvaient mener à la solution, la possibilité peut se trouver réduite que la solution ait nécessité de l'inventivité.

6.

Le temps et les efforts qu'a exigés l'invention supposée

Le temps et les dépenses consacrés à l'invention peuvent être des indicateurs d'inventivité, mais ce ne sont pas des facteurs déterminants, étant donné qu'une invention supposée peut être le fruit de la chance ou de la simple application non inventive de techniques courantes, si grande que soit la dépense de temps et d'argent que cette application ait nécessitée. Si l'on est arrivé à la solution en prenant des décisions peu nombreuses et de nature ordinaire, il se peut que cette solution n'ait pas exigé d'esprit inventif. En revanche, si les décisions à prendre étaient nombreuses, il peut y avoir eu inventivité dans le fait de prendre les bonnes.

 

Facteurs secondaires

Ces facteurs peuvent se révéler pertinents, mais on leur accorde en général moins de poids parce qu'ils se rapportent à des faits postérieurs à la date de l'invention supposée.

7.

Le succès commercial

L'objet de l'invention a‑t‑il été accueilli rapidement et avec impatience par les consommateurs visés? Dans l'affirmative, on peut penser que beaucoup de gens étaient motivés pour répondre aux besoins du marché, ce qui peut laisser supposer la présence d'inventivité. Cependant, cet accueil peut aussi s'expliquer par d'autres facteurs tels qu'une bonne stratégie de marketing, la puissance commerciale et des caractéristiques étrangères à l'invention.

8.

Les prix et autres récompenses

Les prix décernés au titre de l'invention supposée peuvent signifier que la collectivité des personnes versées dans l'art estime méritoire la réalisation en cause, ce qui peut être ou non signe qu'elle a nécessité de l'inventivité.

 

[26]           Le juge Hugues a aussi inscrit parmi les facteurs secondaires les « [a]vantages reconnus ultérieurement », c'est‑à‑dire les avantages de l'invention supposée qui ne sont perçus qu'après la date de celle‑ci. Le juge Hugues fait remarquer que ce facteur est d'utilité limitée pour apprécier l'inventivité et qu'on ne devrait lui accorder que peu de poids. Il me semble difficile d'imaginer un cas où un avantage relevé après la date de l'invention supposée serait d'une quelconque utilité pour établir si elle a nécessité l'exercice d'esprit inventif. Je peux concevoir une situation où le succès commercial d'une invention serait attribuable à un avantage découvert ultérieurement, mais cela n'apporterait rien à l'examen de la question de l'inventivité. J'admets qu'il est impossible d'imaginer toutes les situations possibles, mais, étant donné l'état actuel de la jurisprudence, j'inclinerais à n'accorder aucun poids à ce facteur, sauf dans le plus extraordinaire des cas.

[27]           J'insiste sur le fait que cette liste est un instrument utile, mais rien de plus. Ce n'est pas une liste de règles juridiques à suivre à la lettre, pas plus qu'une liste exhaustive des facteurs pertinents. Il incombe au juge de première instance d'établir dans chaque affaire, en se fondant sur la preuve, son bon jugement et sa raison, le poids qu'il convient d'attribuer (le cas échéant) aux facteurs de cette liste et à tous autres facteurs qui peuvent être portés à son attention.

[28]           Je voudrais aussi répéter l'avertissement du juge Hugues selon lequel il faut se garder de considérer comme des règles de droit les lieux communs tirés de cette liste ou de la jurisprudence. Je souscris aux observations suivantes qu'il formule au paragraphe 113 de son exposé des motifs :

À cet égard, les tribunaux utilisent parfois des expressions comme « valant la peine d'être tenté », « directement et facilement » ou « examens de routine ». Il est inutile d'employer des expressions de ce genre car elles ont tendance à se glisser dans des énoncés de droit ou des déclarations de témoins experts. Le juge Sachs a désapprouvé l'utilisation de telles expressions dans General Tire & Rubber Company c. Firestone Tyre & Rubber Company Limited, [1972] R.P.C. 195 aux pages 211‑212.

 

 

[29]           Passons maintenant à l'examen des moyens d'appel précis qu'a fait valoir Novopharm relativement à la question de l'évidence.

A‑t‑on employé des méthodes classiques, appartenant à l'état de la technique, pour produire l'invention supposée en 1982?

[30]           Novopharm soutient que le juge Hugues a commis une erreur en ne tenant pas compte de la preuve non contredite selon laquelle on avait employé des méthodes classiques, appartenant à l'état de la technique, pour produire l'invention supposée en 1982. Cet argument renvoie à des éléments de preuve comme quoi Daiichi, l'employeur de l'inventeur supposé, M. Hayakawa, est arrivée au moyen de techniques connues à résoudre les énantiomères (+) et (-) de l'ofloxacine en 1981 et 1982. Cependant, ces éléments n'établissent pas que la lévofloxacine produite à ce moment eût un degré acceptable de pureté. Le juge Hugues a posé comme avéré le fait que l'on n'ait pas isolé de lévofloxacine sensiblement pure avant 1985. C'est là une conclusion qu'il pouvait valablement tirer de la preuve.

La pureté et les quantités

[31]           Novopharm soutient que le juge Hugues : a) a greffé à tort sur le critère de l'évidence une condition de [TRADUCTION] « quantité minimale » et de [TRADUCTION] « pureté minimale »; b) a commis une erreur manifeste et dominante en posant comme avéré que les techniques connues ne pouvaient produire que d'infimes quantités de la substance en cause; et c) a commis une erreur manifeste et dominante en posant comme avéré que les techniques connues ne pouvaient produire qu'une substance impure.

[32]           Ces moyens d'appel se rapportent à l'observation formulée par le juge Hugues au paragraphe 115 de son exposé des motifs, selon laquelle avant 1985 les techniques connues de séparation des racémates en leurs énantiomères ne produisaient, appliquées à l'ofloxacine, « que de très petites quantités d'une substance impure, à peine suffisante pour intéresser quelqu'un travaillant dans ce domaine ». C'est là une conclusion de fait qu'il était loisible au juge Hugues de tirer de la preuve. Cette conclusion est pertinente pour la question de savoir si l'invention est évidente, et le juge Hugues n'a pas commis d'erreur en la prenant en considération comme un fait affaiblissant l'argument de Novopharm selon lequel la revendication 4 serait invalide pour cause d'évidence.

Les documents Gerster

[33]           Novopharm soutient que le juge Hugues a commis les erreurs suivantes dans l'application du critère de l'évidence : a) il n'a pas conclu à l'invalidité de la revendication 4 au motif que le « procédé C » que le mémoire descriptif donne pour la méthode privilégiée de production de lévofloxacine est la copie et la simple application directe d'un procédé divulgué par l'affiche Gerster de 1985; b) il n'a pas considéré l'affiche Gerster de 1985 comme une antériorité pertinente parce qu'elle n'appartenait pas au courant de pensée dominant ou général; c) il a appliqué un critère de nouveauté dénué de pertinence dans l'examen de la question de l'évidence; et d) il n'a pas conclu que l'affiche Gerster de 1982 fût une antériorité pertinente.

[34]           Selon la preuve, M. Hayakawa, l'inventeur nommé dans le brevet 080, a essayé sans succès au début des années 1980 d'obtenir de la lévofloxacine d'un degré de pureté acceptable. Il n'est pas contesté que, à l'automne 1985, M. Hayakawa a participé à un colloque où M. John Gerster a donné une conférence sur la fluméquine, composé antimicrobien de structure semblable à l'ofloxacine. Il a étayé son exposé d'une affiche illustrant une méthode de production de la fluméquine S(-) à partir d'un composé racémique intermédiaire. M. Hayakawa a pris des notes sur cette affiche, a essayé la technique en question et a employé la même méthode pour produire de la lévofloxacine d'un degré acceptable de pureté. Cette méthode est dans une large mesure la même que le procédé C exposé dans le mémoire descriptif.

[35]           M. Hayakawa n'est pas seulement une personne versée dans l'art, mais aussi un inventeur reconnu. Par conséquent, la manière dont il a utilisé les connaissances qu'il doit à l'affiche Gerster de 1985 n'établit pas en soi qu'il y aurait eu lieu de prévoir qu'une personne normalement versée dans l'art et dépourvue d'esprit inventif obtiendrait le même effet à partir de ces connaissances.

[36]           La preuve nous apprend que, à l'époque pertinente, la chiralité était un champ d'étude relativement nouveau, mais que Daiichi travaillait beaucoup dans ce domaine. Seul M. Hayakawa essayait alors d'obtenir de la lévofloxacine à partir de l'ofloxacine, et ses efforts au début des années 1980 n'avaient pas donné de résultats à la hauteur de ses objectifs. Le juge Hugues a défini la technique qu'illustre l'affiche Gerster de 1985 comme n'appartenant pas au courant dominant ou général. Selon mon interprétation de cette observation, il ne voulait pas ainsi exclure l'affiche Gerster de 1985 de la catégorie des antériorités à prendre en considération. Il ne faisait que constater que, dans le contexte de l'état général de la technique, cette affiche revêtait une signification particulière pour M. Hayakawa du fait de ses travaux spécialisés et du problème précis qui l'occupait. La preuve ne révèle aucun fondement solide sur lequel conclure qu'une personne normalement versée dans l'art, ayant pris connaissance de l'affiche Gerster de 1985, aurait établi les mêmes liens que M. Hayakawa.

[37]           La preuve invoquée par Novopharm sur ce point est le témoignage de M. Michael Chong, dont les déclarations concernaient une affiche établie par M. Gerster en 1982. Cette affiche est semblable à l'affiche Gerster de 1985, mais elle porte sur la fluméquine même, tandis que le document de 1985 porte sur un dérivé de la fluméquine. Le juge Hugues a posé comme un fait établi que, à l'époque pertinente, l'affiche de 1982 n'appartenait pas au domaine public et n'était pas accessible au moyen d'une recherche diligente. Rien ne justifie la remise en cause de cette conclusion de fait.

[38]           L'idée que le juge Hugues a appliqué un critère de [TRADUCTION] « nouveauté » semble fondée sur une erreur d'interprétation de l'observation qu'il formule au paragraphe 114 de son exposé des motifs, selon laquelle aucun élément de preuve ne tend à établir que M. Gerster ou qui que ce soit d'autre eût appliqué à l'ofloxacine la technique que décrit l'affiche Gerster de 1985. C'est là une constatation de fait conforme à la preuve au dossier. Cette observation est peut-être de pertinence marginale, mais cela ne veut pas dire que le juge Hugues ait eu tort de la formuler. Je n'interprète pas cette observation comme une tentative de modification ou d'amélioration du critère juridique de l'évidence.

La motivation

[39]           Novopharm soutient que le juge Hugues a commis une erreur en accordant trop de poids à la « motivation » dans le critère de l'évidence. Selon ma lecture de l'exposé des motifs du juge Hugues, il a accordé un poids notable à ce facteur dans le raisonnement qui l'a amené à rejeter la contestation par Novopharm de la validité de la revendication 4 au motif de l'évidence.

[40]           La motivation de Daiichi pour obtenir les énantiomères de l'ofloxacine explique l'activité déployée par M. Hayakawa à l'époque pertinente. L'objectif commercial de Daiichi était de produire des substances brevetables à propriétés médicinales utiles. Or Daiichi était titulaire du brevet sur l'ofloxacine. Comme on pensait que l'énantiomère d'un racémate antimicrobien tel que l'ofloxacine pouvait s'avérer posséder des propriétés antimicrobiennes supérieures à celles du racémate, Daiichi avait de bonnes raisons d'essayer d'isoler les énantiomères de l'ofloxacine. Cette motivation de Daiichi était sans doute renforcée par le fait que les organismes américains de réglementation des médicaments et les cliniciens américains lui demandaient avec insistance des renseignements sur les énantiomères de l'ofloxacine. L'attention et les efforts des autres chercheurs du domaine, durant cette période, n'étaient pas du tout axés sur l'ofloxacine, ce qui indique que les autres personnes versées dans l'art n'étaient pas motivées pour travailler sur le problème qui occupait M. Hayakawa. Le juge Hugues a posé comme avéré que, à l'époque pertinente, Daiichi était motivée pour obtenir la lévofloxacine à partir de l'ofloxacine et que personne d'autre ne l'était. C'est là une conclusion de fait qu'il pouvait légitimement tirer du dossier.

[41]           Novopharm n'allègue pas, ni ne pouvait valablement alléguer, que la motivation soit dénuée de pertinence dans la présente affaire, mais elle affirme plutôt que le juge Hugues a accordé un poids excessif à ce facteur. Elle invoque ainsi une erreur de fait. Or il n'est pas possible de remettre en cause une conclusion de fait à moins d'erreur manifeste et dominante, et le dossier ne contient aucun élément qui pourrait m'amener à conclure qu'une telle erreur ait été commise dans la présente espèce.

La prévisibilité

[42]           Novopharm soutient que le juge Hugues a commis une erreur en subordonnant la constatation de l'évidence à la condition de la [TRADUCTION] « prévisibilité avec certitude ».

[43]           Selon mon interprétation de la décision du juge Hugues, il a conclu que la personne normalement versée dans l'art aurait su que l'ofloxacine est un racémate et que chaque énantiomère d'un racémate a en principe des propriétés différentes de celui‑ci, mais qu'elle aurait ignoré le degré exact de la différence et, en particulier, n'aurait pu prévoir le degré auquel un énantiomère donné aurait des propriétés différentes sur le plan de l'activité antimicrobienne. Ce sont là des conclusions de fait qu'il lui était permis de tirer du dossier. Comme il s'agit d'assertions de fait, il ne faut pas les considérer isolément, mais plutôt comme partie de l'ensemble des éléments factuels pertinents pour la question de l'évidence dans les circonstances particulières de la présente affaire. Si on les interprète en fonction de leur contexte, ces conclusions ne changent pas, ni ne visent à changer ou à rendre plus rigoureux, le critère juridique de l'évidence.

L'appel incident

 

[44]           Les intimées ont introduit un appel incident, mais s'en sont par la suite désistées.

Conclusion

[45]           Pour les motifs exposés ci‑dessus, je rejetterais le présent appel avec dépens.

 

« K. Sharlow »

Juge

 

« Je souscris aux présents motifs

            M. Nadon, juge »

 

« Je souscris aux présents motifs

            B. Malone, juge »

 

 

Traduction certifiée conforme

Christiane Bélanger, LL.L.

 


COUR D'APPEL FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

 

DOSSIER :                                                    A‑500‑06

 

(APPEL DU JUGEMENT DE MONSIEUR LE JUGE HUGUES  DE LA COUR FÉDÉRALE EN DATE DU 17 OCTOBRE 2006, NO T‑2175‑04)

 

INTITULÉ :                                                   NOVOPHARM LIMITED

                                                                        c.

                                                                        JANSSEN-ORTHO INC.

                                                                        et DAIICHI PHARMACEUTICAL CO. LTD.

 

LIEU DE L'AUDIENCE :                             TORONTO (ONTARIO)

 

DATE DE L'AUDIENCE :                           LES 13 ET 14 MARS 2007

 

MOTIFS DU JUGEMENT :                        LA JUGE SHARLOW

 

Y ONT SOUSCRIT :                                     LE JUGE NADON

                                                                        LE JUGE MALONE

 

DATE DES MOTIFS :                                  LE 7 JUIN 2007

 

 

COMPARUTIONS :

 

David W. Aitken

Marcus Klee

POUR L'APPELANTE

 

 

Neil Belmore

Lindsay Neidrauer

 

Michael Charles

Andrew I. McIntosh

POUR L'INTIMÉE

JANSSEN ORTHO

 

POUR L'INTIMÉE DAIICHI

PHARMACEUTICAL CO., LTD.

 

 

 

 

 


 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Osler, Hoskin & Harcourt LLP

Ottawa (Ontario)

POUR L'APPELANTE

 

 

Gowling Lafleur Henderson LLP

Toronto (Ontario)

 

Bereskin & Parr

Toronto (Ontario)

 

POUR L'INTIMÉE

JANSSEN‑ORTHO

 

POUR L'INTIMÉE DAIICHI

PHARMACEUTICAL CO., LTD.

 

 

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