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Date : 20070608

Dossier : A-505-06

Référence : 2007 CAF 221

 

CORAM :      LA JUGE DESJARDINS

                        LE JUGE NOËL

                        LE JUGE NADON

 

 

ENTRE :

LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

appelant

et

HENRI BÉDIRIAN

intimé

 

 

 

Audience tenue à Montréal (Québec), le 19 avril 2007.

Jugement rendu à Ottawa (Ontario), le 8 juin 2007.

 

 

MOTIFS DU JUGEMENT :                                                                         LA JUGE DESJARDINS

Y ONT SOUSCRIT :                                                                                  LE JUGE NOËL

                                                                                                                    LE JUGE NADON

 


 

Date : 20070608

Dossier : A-505-06

Référence : 2007 CAF 221

 

CORAM :      LA JUGE DESJARDINS

                        LE JUGE NOËL

                        LE JUGE NADON

 

ENTRE :

LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

appelant

et

HENRI BÉDIRIAN

intimé

 

 

MOTIFS DU JUGEMENT

 

LA JUGE DESJARDINS

[1]               Nous sommes saisis d’un appel d’une décision d’un juge de la Cour fédérale (Bédirian c. Canada (Procureur général), 2006 CF 1239, [2006] A.C.F. no 1564 (QL)) qui a accueilli la demande de contrôle judiciaire d’une décision de l’arbitre Me Sylvie Matteau rendue dans le cadre d’un grief selon l’article 92 de la Loi sur les relations de travail dans la fonction publique, L.R.C. 1985, ch. P-35 (la Loi).

 

LES FAITS

[2]               L’intimé est avocat au ministère de la Justice du Canada (niveau et groupe LA-3A). Depuis 1996, il occupe le poste de directeur des affaires fiscales du Bureau régional du Québec (BRQ).

 

[3]               Le ou vers le 17 février 2000, une plainte de harcèlement sexuel a été déposée contre lui. Une enquête a été initiée et deux avocats ont été mandatés pour agir à titre d’enquêteurs. Les enquêteurs ont conclu au bien-fondé de deux des allégations de la plainte. Ils ont recommandé comme mesures disciplinaires une suspension sans solde de trois jours ainsi qu’une rétrogradation de façon à abolir complètement le lien de subordination entre le gestionnaire et les deux victimes ainsi que tout autre employé (D.A. vol. V, page 1376 à 1382).

 

[4]               Le 28 juillet 2000, le sous-ministre de l’époque, Me Morris Rosenberg, entérinait les conclusions des enquêteurs et imposait à l’intimé de nombreuses sanctions disciplinaires. Entre autres, il relevait l’intimé de son rôle de gestionnaire et lui imposait une suspension sans solde de trois jours, en préservant toutefois son niveau de classification et son taux de rémunération.

 

[5]               L’intimé a contesté la décision du sous-ministre par voie de grief, conformément à l’alinéa 92(1)b) de la Loi, en réclamant de nombreux redressements, dont des dommages-intérêts généraux et punitifs totalisant près de 2 millions de dollars.

 

[6]               Le 31 octobre 2002, après 19 jours d’audition, la commissaire, Me Anne E. Bertrand, concluait que les allégations de harcèlement sexuel portées contre l’intimé n’étaient pas fondées. Elle annulait la décision du sous-ministre. Elle ordonnait que l’employeur réintègre l’intimé dans ses fonctions de gestionnaire, qu’il lui rembourse le montant de ses pertes au chapitre des avantages sociaux, qu’il raye la suspension de trois jours imposée à l’intimé, qu’il lui rembourse le montant de ses pertes de rémunération reliées à cette suspension et qu’il retire du dossier la lettre du sous-ministre en date du 28 juillet 2000. Le retrait de cette lettre avait pour effet d’enlever toute référence aux mesures disciplinaires imposées à l’intimé, y compris l’avertissement de congédiement dans le cas d’une répétition de conduite de harcèlement, l’obligation d’entreprendre une formation en matière de harcèlement et en égalité des sexes, l’obligation d’adresser une lettre d’excuses à celle qui avait allégué le harcèlement sexuel et la désignation de la lettre comme l’expression d’une réprimande. La commissaire Bertrand ne croyait cependant pas qu’il était approprié pour elle de réserver sa compétence en ce qui avait trait aux réclamations additionnelles retrouvées dans le grief de l’intimé.

 

[7]               Suite à l'accueil du grief, l'employeur entreprit de son propre chef une révision des évaluations de rendement de l'intimé, ce qui permit à l’intimé de recevoir une prime de rendement. L'employeur lui remboursa également 118 jours de congé de maladie. Il lui fournit les services d'une consultante pour réaffirmer son autorité à son retour dans son poste de gestion; ce service dura près d'un an. L’employeur lui fit une offre écrite pour un poste au niveau LA-3B à Ottawa ainsi que pour une formation relative aux nouvelles fonctions de ce poste. Il lui versa une somme de

102 250, 00 $ en guise de frais de représentation en rapport avec la plainte, le grief et les demandes de contrôle judiciaire.

 

[8]               La décision de la commissaire Bertrand fit l’objet d’une demande de contrôle judiciaire par l'intimé. Une demande fut aussi faite par l'employeur, mais elle fut retirée plus tard sans frais. La demande de contrôle judiciaire fut accueillie le 14 avril 2004 par la première juge. Cette dernière renvoyait le grief à l’arbitre afin que celle-ci épuise sa juridiction et rende une décision sur les réclamations monétaires réclamées par l’intimé.

 

[9]               Me Sylvie Matteau fut l’arbitre désigné. Les parties furent convenues de verser l’ensemble de la preuve faite devant la commissaire Bertrand. Il fut aussi convenu que le rôle de l’arbitre Matteau n’était pas de réviser l’évaluation de la preuve faite devant la commissaire Bertrand ou les conclusions qu’elle en avait tirées. Le rôle de l’arbitre Matteau consistait « simplement à épuiser la compétence de l’arbitre du grief sur la demande en dommages contenue dans le grief du fonctionnaire » (paragraphe 143 des motifs de l’arbitre Matteau).

 

[10]           Le 19 janvier 2006, l’arbitre rejetait la réclamation de l’intimé en dommages-intérêts reliée au grief. Selon elle, l’employeur n’avait commis aucune faute distincte donnant ouverture à une responsabilité délictuelle.

 

[11]           Le 17 octobre 2006, la première juge accueillait la demande de contrôle judiciaire de l’intimé, cassait la décision de l’arbitre Matteau et retournait l’affaire devant un autre arbitre afin qu’une décision soit rendue quant à l’octroi des dommages-intérêts. La première juge fut d’avis que le processus d’enquête était vicié, ce qui donnait ouverture à une indemnisation en faveur de l’intimé.

LA NORME DE CONTRÔLE APPLICABLE

[12]           La première juge prit soin d’établir la norme de contrôle applicable selon l’analyse pragmatique et fonctionnelle. Elle examina chacun des facteurs contextuels et constata que : (1) la Loi ne contient aucune clause privative; (2) l’application des règles de la responsabilité civile sortait de la compétence et de l’expertise en droit du travail de l’arbitre; (3) la disposition en question visait essentiellement à résoudre des différends ou à statuer sur les droits des parties; et (4) la décision de l’arbitre touchait à l’interprétation et à l’application des règles en matière de responsabilité civile. La première juge en arriva à la conclusion que la norme de contrôle applicable était celle de la décision raisonnable simpliciter.

 

[13]           Les parties ne contestent pas cette conclusion. Elles acceptent également que le rôle de la Cour d’appel consiste à réviser la décision administrative en établissant la norme de contrôle appropriée puis en décidant si elle a été appliquée correctement par la première juge (Prairie Acid Rain Coalition c. Canada (Ministre des Pêches et des Océans), 2006 CAF 31 aux paragraphes 13-14).

 

ANALYSE

LA QUESTION EN LITIGE

[14]           La question en litige devant l’arbitre Matteau et devant la première juge consistait à déterminer si l’employeur, en prenant les mesures disciplinaires qu’il s’estimait justifié de prendre, avait commis une faute civile distincte donnant ouverture à des dommages-intérêts. Il s’agit là d’une question de droit et d’une question mixte de fait et de droit. La Loi sur les relations de travail dans la fonction publique ne contient pas de disposition à ce chapitre. Il faut s’en remettre aux critères développés par la jurisprudence en ce domaine. Le fardeau de la preuve appartient au fonctionnaire.

 

LES TESTS JURISPRUDENTIELS APPLICABLES

[15]           Dans Vorvis c. Insurance Corp. of British Columbia, [1989] 1 R.C.S. 1085, la Cour suprême du Canada a reconnu que la responsabilité délictuelle d’un employeur peut être engagée s’il commet une faute donnant ouverture à un droit d’action (paragraphe 29). La Cour suprême du Canada a réitéré ce principe dans Wallace c. United Grain Growers Ltd., [1997] 3 R.C.S. 701 au paragraphe 73.

 

[16]           La Cour suprême du Canada dans Wallace a reconnu que les employeurs doivent, dans le contexte du congédiement, être francs, raisonnables et honnêtes avec leurs employés et éviter de se comporter de façon inéquitable ou de faire preuve de mauvaise foi en étant, par exemple, menteurs, trompeurs ou trop implacables. Certains préjudices qui résultent d’un manquement à une telle obligation, tels que l’humiliation, l’embarras et la perte d’estime de soi et de conscience de sa propre valeur, peuvent tous permettre une indemnisation sous forme d’une prolongation de la période de préavis raisonnable. L’indemnisation résulte non pas du congédiement lui-même, mais plutôt de la façon dont le congédiement a été effectué par l’employeur. Ces principes ont été établis aux paragraphes 98 et 103 des motifs de la Cour suprême du Canada dans Wallace :

¶98      Il n'est pas possible de définir exactement l'obligation de bonne foi et de traitement équitable. Cependant, je crois tout au moins que, dans le cadre d'un congédiement, les employeurs doivent être francs, raisonnables et honnêtes avec leurs employés et éviter de se comporter de façon inéquitable ou de faire preuve de mauvaise foi en étant, par exemple, menteurs, trompeurs ou trop implacables.  Afin d'illustrer des manquements possibles à cette obligation, je vais maintenant mentionner certains exemples du genre de conduite que les tribunaux ont désapprouvé dans la jurisprudence susmentionnée.

 

[...]

 

¶103      Il est admis depuis longtemps que l'employé congédié n'a pas droit à l'indemnisation des préjudices découlant du congédiement lui-même:  voir, par exemple, Addis, précité.  Ainsi, bien que la perte d'emploi soit très souvent la cause de vexations et de troubles émotifs, le droit ne reconnaît pas cela comme étant des pertes pouvant donner lieu à indemnisation.  Cependant, lorsqu'un employé peut établir qu'un employeur a eu un comportement de mauvaise foi ou l'a traité de façon inéquitable en le congédiant, les préjudices tels que l'humiliation, l'embarras et la perte d'estime de soi et de conscience de sa propre valeur peuvent tous ouvrir droit à indemnisation selon les circonstances de l'affaire.  Dans ces cas, l'indemnisation résulte non pas du congédiement lui-même, mais plutôt de la façon dont le congédiement a été effectué par l'employeur.

 

                                                                                                                        [Je souligne.]

 

 

[17]           Un manquement à cette obligation de bonne foi et de traitement équitable dans la façon de congédier est un facteur parmi plusieurs qui sont compensés adéquatement par un ajout à la période de préavis (paragraphe 88). La Cour suprême du Canada a rejeté l’argument selon lequel la responsabilité délictuelle de l’employeur peut être engagée pour un manquement à une obligation de bonne foi et de traitement équitable en matière de congédiement. Elle a expressément refusé de reconnaître l’existence d’un tel délit civil (paragraphe 77).

 

[18]           Dans McKinley c. BC Tel, [2001] 2 R.C.S. 161, la Cour suprême du Canada a appliqué le raisonnement de l’affaire Wallace en disant, au paragraphe 74 :

¶74      L'arrêt Wallace prévoit que, lorsqu'un employeur fait preuve de mauvaise foi ou agit de façon inéquitable en effectuant un congédiement, ce comportement mérite d'être compensé par une prolongation de la période de préavis. Cette réparation résulte non pas du congédiement lui-même, mais des facteurs aggravants qui, à eux seuls, causent un préjudice à l'employé.  La nature de cette réparation a été décrite ainsi dans l'arrêt Wallace, par. 103 :

 

[L]orsqu'un employé peut établir qu'un employeur a eu un comportement de mauvaise foi ou l'a traité de façon inéquitable en le congédiant, les préjudices tels que l'humiliation, l'embarras et la perte d'estime de soi et de conscience de sa propre valeur peuvent tous ouvrir droit à indemnisation selon les circonstances de l'affaire.  Dans ces cas, l'indemnisation résulte non pas du congédiement lui-même, mais plutôt de la façon dont le congédiement a été effectué par l'employeur.

 

L'arrêt Wallace a également précisé que la mesure dans laquelle la période de préavis doit être prolongée s'il y a eu comportement de mauvaise foi ou traitement inéquitable lors du congédiement dépend, dans chaque cas, de la gravité du préjudice subi par l'employé.  Tout en reconnaissant que les tactiques qui ont pour effet de diminuer la capacité d'un employé de se trouver un nouvel emploi justifient particulièrement une telle réparation et peuvent donner droit à une plus grande indemnisation, les juges majoritaires ont également statué que les "préjudices immatériels", qui causent un préjudice émotionnel, peuvent eux aussi être suffisants pour justifier l'attribution de dommages-intérêts tenant lieu de période prolongée de préavis (par. 104).

 

                                                                                                                        [Je souligne.]

 

[19]           L’arbitre Matteau a retenu le test développé dans Vorvis et Wallace. Au paragraphe 144 de ses motifs, elle a résumé le test applicable de la façon suivante :

¶144     Dans Vorvis, supra, et Wallace, supra, la Cour suprême du Canada a développé une analyse en quatre points pour retenir la responsabilité civile de l'employeur. Les questions devant moi se présentent donc ainsi :

 

1)  Tel que précisé par la Cour fédérale (2004 CF 566, para. 24), le fonctionnaire a-t-il démontré, sur la balance des probabilités, que l'employeur a commis une faute ou a agi avec négligence ou mauvaise foi?

 

2)  Dans l'affirmative, s'agit-il d'une faute distincte qui donne ouverture a un droit d'action fondé sur la responsabilité délictuelle ou contractuelle de l'employeur (Vorvis, supra, et Wallace, supra)? En d'autres termes, la responsabilité civile de l'employeur est-elle engagée?

 

3)  Dans l'affirmative, le fonctionnaire a-t-il fait la preuve de dommages?

 

4)      Dans l'affirmative, le fonctionnaire a-t-il établi un lien de causalité probable entre ces dommages et les actes reprochés et prouvés?

 

                                                                                                [Souligné par l’arbitre Matteau]

[20]           L’arbitre Matteau a examiné chacune des fautes alléguées par l’intimé et s’est demandée s’il s’agissait de fautes civiles distinctes donnant ouverture à la responsabilité délictuelle de l’employeur. Elle a conclu à l’absence de faute distincte.

 

[21]           Selon la première juge, c'est à bon droit que l'arbitre Matteau a défini la notion de faute comme elle l’a fait au paragraphe 144 de ses motifs (ci-haut). Elle était cependant d’avis que l’arbitre Matteau avait été silencieuse quant au comportement ou gestes de l'employeur qui constitueraient une faute pouvant engager sa responsabilité civile. Il semblait approprié à la première juge que l’octroi d’une compensation dans une situation de mesures disciplinaires suive la même grille d’analyse que dans le cas d’un congédiement (paragraphe 25). La première juge s’est exprimée ainsi :

¶22      Il est primordial également de noter que la jurisprudence qui nous guide dans ce domaine porte sur des situations de congédiement pour lesquelles il existe un recours juridique particulier, soit l'octroi d'une période de préavis raisonnable (autrement appelé des "dommages-intérêts Wallace"). En effet l'arrêt Wallace prévoit que, lorsqu'un employeur fait preuve de mauvaise foi ou agit de façon inéquitable en effectuant un congédiement, ce comportement mérite d'être compensé par une prolongation de la période de préavis. Cette réparation résulte non pas du congédiement lui-même, mais des facteurs aggravants qui à eux seuls causent un préjudice à l'employé. Le juge Iacobucci dans l'arrêt McKinley c. BC Tel, [2001] 2 R.C.S. 161, traitant une situation de congédiement, résume comme suit au paragraphe 74 les principes dégagés dans l'arrêt Wallace :

 

L'arrêt Wallace prévoit que, lorsqu'un employeur fait preuve de mauvaise foi ou agit de façon inéquitable en effectuant un congédiement, ce comportement mérite d'être compensé par une prolongation de la période de préavis. Cette réparation résulte non pas du congédiement lui-même, mais des facteurs aggravants qui, à eux seuls, causent un préjudice à l'employé.

 

 

¶23      La situation actuelle relève d'un contexte de mesures disciplinaires imposées à l'employé et non d'un congédiement. Conséquemment, le recours de prolongation de période de préavis n'est pas disponible pour indemniser le demandeur, malgré le fait que le préjudice subi est relié au traitement inéquitable de la part de l'employeur comme nous en discuterons plus loin. Une interprétation stricte de la jurisprudence aurait pour effet d'exclure le demandeur d'une compensation adéquate pour le préjudice subi. À mon avis, il ne peut en être ainsi.

 

¶24      Selon moi, la Cour suprême du Canada a voulu indiquer dans les arrêts Wallace et McKinley, ci-dessus, qu'un comportement de mauvaise foi ou de traitement inéquitable de la part de l'employeur ouvre la porte à la possibilité d'indemniser l'employé. Dans le contexte de congédiement, cette indemnisation prend la forme d'une prolongation de la période de préavis raisonnable. Dans le contexte de mesures disciplinaires, une faute de l'employeur devrait à mon avis donner ouverture à la même compensation. Il serait illogique et inconséquent d'avancer que l'employeur aurait une telle responsabilité au moment du congédiement et non lorsqu'il impose des mesures disciplinaires.

 

¶25      Par conséquent, il me semble approprié que l'octroi d'une compensation dans une situation de mesures disciplinaires suive la même grille d'analyse que dans le cas d'un congédiement. Ainsi, je suis d'avis que le test qui est approprié pour donner droit à l'indemnisation dans un tel cas est celui articulé dans l'arrêt Wallace dans le contexte du préavis raisonnable relatif à un congédiement aux paragraphes 98 et 103 respectivement :

 

 [...] les employeurs doivent être francs, raisonnables et honnêtes avec leurs employés et éviter de se comporter de façon inéquitable ou de faire preuve de mauvaise foi en étant, par exemple, menteurs, trompeurs ou trop implacables.

 

 [...] lorsqu'un employé peut établir qu'un employeur a eu un comportement de mauvaise foi ou l'a traité de façon inéquitable en le congédiant, les préjudices tels que l'humiliation, l'embarras et la perte d'estime de soi et de conscience de sa propre valeur peuvent tous ouvrir droit à indemnisation selon les circonstances de l'affaire.

                                                                                                                        [Je souligne.]

 

 

 

 

[22]           La première juge était d’avis que le test approprié est celui articulé dans l’arrêt Wallace (se référant aux paragraphes 98 et 103 de Wallace, cités ci-haut). Elle s’est penchée sur les conclusions de l’arbitre Matteau relativement à chacune des fautes alléguées. Pour chacune de ces fautes, la première juge était d’avis que l’arbitre Matteau ne s’était pas demandée la bonne question, à savoir si l’employeur avait été franc et honnête avec l’employé et s’il avait eu un comportement de mauvaise foi ou s’il avait traité l’employé de façon inéquitable (paragraphe 27).

 

[23]           Selon la première juge, la décision du sous-ministre à l’égard de l’intimé était entachée à cause des agissements de l’employeur. La preuve n’avait pas subi un examen rigoureux. Il est primordial dans un processus d’enquête qui entraîne des conséquences graves sur la vie et la carrière d’un employé que ce processus soit juste et équitable (paragraphe 42). Elle expliqua que la faute distincte de l’employeur donnant ouverture à indemnisation était le traitement inéquitable pour l’employé dans le processus de prise de décision à son égard :

¶44      Il ne fait aucun doute que la décision du sous-ministre n'a pas été prise suite à une preuve solide, claire, et convaincante que les actes reprochés ont été commis, que la conduite reprochée était persistante et répétitive ou qu'il s'agissait d'un acte grave, tel que nous enseigne la jurisprudence suivante sur le sujet : Janzen c. Platy Enterprises Ltd., [1989] 1 R.C.S. 1252; Canada (Commission des droits de la personne c. Canada (Forces armées canadiennes)(re Franke), [1999] A.C.F. no 757 (QL); Lippé et Commission des droits de la personne et des droits de la jeunesse du Québec c. Québec (Procureur général), [1998] R.J.Q. 3397.

 

¶45      Somme toute, pour l'employeur, le fait d'imposer des mesures disciplinaires ayant des conséquences aussi sérieuses pour l'employé suite à une enquête et un processus entachés, ne peut rencontrer le seuil d'un comportement équitable pour l'employé. Les préjudices sérieux qui en ont découlé pour Me Bédirian tels que l'humiliation, l'embarras, la perte d'estime de soi, la perte de réputation si importante pour un avocat, donnaient à mon avis ouverture à une indemnisation pour celui-ci.

 

 

 

[24]           La première juge, selon moi, a commis une erreur de droit en assujettissant l’employeur à une obligation de bonne foi et de traitement équitable hors du contexte du congédiement et en qualifiant un manquement à une telle obligation comme une faute civile distincte donnant ouverture à indemnisation.

 

[25]           La Cour suprême du Canada dans Wallace a reconnu l’existence d’une obligation de bonne foi et de traitement équitable dans le contexte du congédiement afin d’assurer une protection aux employés à un moment où ils sont des plus vulnérables. Comme l’a expliqué la Cour suprême du Canada au paragraphe 95 de ses motifs :

¶95      Le moment où il y a rupture de la relation entre l'employeur et l'employé est celui où l'employé est le plus vulnérable et a donc le plus besoin de protection.  Pour reconnaître ce besoin, le droit devrait encourager les comportements qui réduisent au minimum le préjudice et le bouleversement (tant économique que personnel) qui résultent d'un congédiement.  Dans l'arrêt Machtinger, précité, on a fait remarquer que la façon dont il peut être mis fin à un emploi revêt tout autant d'importance pour l'identité d'une personne que le travail lui-même (à la p. 1002).  En poussant plus loin cet énoncé, je souligne que la perte d'emploi est toujours un événement traumatisant.  Cependant, lorsque la cessation d'emploi s'accompagne d'actes de mauvaise foi dans la façon dont le renvoi est effectué, les résultats peuvent être particulièrement dévastateurs.  À mon avis, pour que les employés puissent bénéficier d'une protection adéquate, les employeurs devraient assumer une obligation de bonne foi et de traitement équitable dans le mode de congédiement, de sorte que tout manquement à cette obligation serait compensé par une prolongation de la période de préavis.

 

                                                                                                                        [Je souligne.]

 

 

 

[26]           La Cour suprême du Canada a ajouté, au paragraphe 107 de ses motifs :

¶107     À mon avis, il n’y a aucune raison valable de ne pas reconnaître que les préjudices pouvant donner lieu à indemnisation dans des cas de diffamation pourraient le faire dans le contexte d’un congédiement injustifié. Le droit devrait se soucier de la grande vulnérabilité des employés qui perdent leur emploi et assurer leur protection en encourageant un comportement adéquat et en empêchant toutes les pertes préjudiciables, tant matérielles qu’immatérielles, qui peuvent découler des actes de mauvaise foi ou de traitement inéquitable accomplis lors d’un congédiement.  Je note qu’il y pourra y avoir des gens qui diront que ce point de vue impose une obligation onéreuse aux employeurs. Je leur répondrai simplement que je ne vois pas comment il peut être onéreux de traiter des gens équitablement, raisonnablement et décemment au moment ou ils sont traumatisés et désespérés. À mon avis, la personne raisonnable s’attendrait à un tel traitement. Il devrait en être ainsi de la loi.

                                                                                                                        [Je souligne.]

 

 

[27]           Rien cependant dans Vorvis et Wallace ne suggère qu’un manquement à une obligation de bonne foi et de traitement équitable équivaut à une faute donnant ouverture à indemnisation. La Cour suprême du Canada a toujours exigé l’existence d’une faute civile distincte afin de retenir la responsabilité délictuelle de l’employeur. Sans doute, cette exigence s’applique que l’on soit dans le contexte d’une cause qui provient d’une juridiction de common law ou de droit civil. Dans Wallace, elle a explicitement refusé de reconnaître qu’un manquement à une obligation de bonne foi et de traitement équitable pouvait engager la responsabilité délictuelle de l’employeur (paragraphe 77). Le manquement à l’obligation devait plutôt être indemnisé par une prolongation de la période de préavis raisonnable, préavis auquel l’employé avait droit en vertu du contrat d’emploi.

 

[28]           En concluant que le traitement inéquitable de l’employé par l’employeur dans le contexte de mesures disciplinaires donnait ouverture à une indemnisation sous forme de dommages-intérêts, indemnisation que l’intimé n’aurait pu obtenir par d’autres moyens, la première juge a essentiellement conclu à l’existence d’un délit contrairement à l’affaire Wallace.

 

[29]           La première juge devait se demander si l’employeur avait commis une faute civile distincte donnant ouverture à indemnisation, selon les principes bien reconnus de la responsabilité délictuelle, et non pas si l’employeur avait agi de mauvaise foi ou traité l’employé de façon inéquitable. Une conduite de mauvaise foi ou un traitement inéquitable ne constitue pas, en soi, une faute civile distincte donnant ouverture à une indemnisation. L’existence d’une faute civile s’apprécie plutôt en fonction du critère de la personne raisonnable (voir Jean-Louis Baudouin et Patrice Deslauriers, La responsabilité civile, 6e éd., Cowansville (Qc), Yvon Blais, 2003 aux pp. 127-130; Allen M. Linden et Bruce Feldthusen, Canadian Tort Law, 8e éd., Markham, Ont., Lexis Nexis Butterworths, 2006 aux pp. 140-144).

LA NÉCESSITÉ DE L’ENQUÊTE

[30]           Malgré les prétentions de l’intimé à l’effet qu’il n’y aurait jamais dû y avoir d’enquête (paragraphe 149 de la décision de l’arbitre Matteau), la première juge a noté, à son paragraphe 30, qu’il était nécessaire que l’enquête ait lieu :

¶30       Avant de se pencher sur les fautes alléguées, il est important de mentionner qu'il ne s'agit pas de faire porter le blâme sur l'employeur pour le déclenchement du processus d'enquête. La preuve devant les deux arbitres a établi que la plainte de harcèlement sexuel formulée contre le fonctionnaire était suffisamment sérieuse pour justifier une telle enquête.

 

 

[31]           Elle ajoutait de plus, au paragraphe 31 :

¶31       Cependant, vu les conséquences dramatiques du résultat d'une telle enquête pour l'employé, il est crucial que le processus d'enquête ne soit entaché d'aucune erreur procédurale sérieuse qui pourrait jeter un doute sur le bien-fondé de la décision qui en découlerait. Sur ce point, j'adopte entièrement les commentaires des auteurs Geoffrey England, Roderick Wood et Innis Christie, Employment Law in Canada, feuilles mobiles, Markham (On), Butterworths, 2005, référence à ss. 11.97 :

 

[...] The seriousness of the consequences to an employee of being found liable for sexual harassment ... has occasioned courts to impose various procedural safeguards before dismissal is warranted. Thus, an employer must conduct an effective and fair investigation of an allegation of sexual harassment against an employee before invoking dismissal. ... This includes ... ensuring that all relevant witnesses are interviewed; maintaining accurate and comprehensive records of the course of the investigation; probing the credibility of the victim rather than pre-judging his or her account to be accurate; and not pre-determining the outcome of the investigation until all of the relevant evidence has been carefully sifted and weighted.

 

 

[32]           L’erreur procédurale donne lieu à un recours en droit administratif et en droit du travail. Mais la responsabilité délictuelle ne peut être retenue que s’il y a eu faute civile ayant un lien causal avec des dommages-intérêts.

 

 

APPLICATION DU DROIT AUX FAITS

[33]              Il est important de noter, au début de cette partie de l’analyse, que la commissaire Bertrand et l’arbitre Matteau furent les seules qui eurent le bénéfice d’entendre les témoins. La première juge n’a bénéficié que de la transcription. Notre cour se trouve donc dans la même situation que cette dernière pour apprécier la preuve.

 

[34]              La première juge fit l’analyse des fautes tirées de la preuve par la commissaire Bertrand et que l’arbitre Matteau ne pouvait remettre en question. Celles-ci, au nombre de six, sont les suivantes :

1. L’utilisation d'un rapport d'évaluation en milieu de travail datant de 1998 comme preuve contre Me Bédirian alors qu'il n'était pas concerné.

 

2. L'omission d'informer les enquêteurs des excuses offertes par Me Bédirian.

 

3. L'omission de transmettre aux enquêteurs les différentes déclarations initiales et les documents au dossier avant le début du processus d'enquête.

 

4.  Un fardeau de preuve utilisé par les enquêteurs non conforme à la loi qui existe au Canada..

 

5.   L'omission par la conseillère principale d'informer le sous-ministre de l'offre d'excuses de Me Bédirian.

 

6.   La décision du sous-ministre basée sur des conclusions déficientes.

 

[35]              J'analyse chacune de ces fautes examinées par la première juge.

 

            1.  L'utilisation d'un rapport d'évaluation en milieu de travail datant de 1998

                  comme preuve contre Me Bédirian alors qu'il n'était pas concerné

 

 

[36]              La commissaire Bertrand s’est référée à l’évaluation de 1998, aux paragraphes 16 à 24 de ses motifs, où elle citait certains passages des pages 37 et 42 de l’évaluation de 1998 (E-1) :

¶16       En 1998, à la demande de Me Dion du BRQ, suite à recevoir des commentaires qu’il y aurait des problèmes dans ce bureau, Me Gravelle-Bazinet convoqua une évaluation en milieu de travail devant être menée par les experts Watson Wyatt. Selon Me Gravelle-Bazinet, le rapport d’évaluation souligna une perception de problèmes de harcèlement sexuel par les employées du BRQ, et ce à l’égard de la haute gestion (voir Rapport de l’évaluation E-1, à la page 37). Les experts recommandèrent que le BRQ prenne une décision ferme sur les pratiques de harcèlement sexuel en leur milieu de travail (pp. 41-42). Voici les passages des pages 37 et 42 de l’évaluation (E-1):

 

Quelques femmes ont témoigné avoir eu des avances de nature sexuelle. Les témoignages parlent de harcèlement, de comportements inacceptables (sexuel) face à certaines

femmes de la part de quelques hommes du BRQ ou encore de la haute direction.

 

 [...]

 

Que le BRQ et ses gestionnaires prennent une position ferme sur les pratiques de harcèlement sexuel, en sensibilisant entre autres les employés sur les mesures de réponses à leur disposition.

 

 

¶17       Me Gravelle-Bazinet témoigna que le sous-ministre à l’époque, George Thompson, s’est dit très inquiet de la situation tout comme le sous-ministre adjoint, Me Mario Dion. Me Dion avisa Me Gravelle-Bazinet d’en faire le suivi avec le Directeur régional du BRQ, Me Jacques Letellier.

 

¶18       En juillet 1998, Me Gravelle-Bazinet rappelle à Me Jacques Letellier sa responsabilité à titre de gestionnaire, particulièrement selon l’énoncé sur les obligations des gestionnaires dans la Politique E-4 (p. 28). Elle lui dit de rencontrer ses gestionnaires et de leur faire rappeler leur responsabilité à cet égard.

 

¶19       En août ou septembre 1998, Me Gravelle-Bazinet a rencontré l’équipe de gestion du BRQ concernant l’évaluation menée quelques mois auparavant, après quoi elle rencontra les employés du BRQ à trois reprises; telles rencontres, dit-elle, suscitèrent beaucoup de discussion. On se plaignait principalement d’un manque de respect. Un comité fut créé pour établir un plan d’action en plus d’un sous-comité consultatif conjoint.

 

¶20       À cette époque, un nouveau sous-ministre est nommé, soit Me Morris Rosenberg, en août 1998. Me Gravelle-Bazinet le met au courant de la politique E-4 et du rapport de l’évaluation menée au BRQ. Il partage les inquiétudes des autres et il demande à Me Gravelle-Bazinet d’être « extrêmement attentive aux problèmes du BRQ » et « de lui signaler » s’il y en avait.

 

¶21       Me Gravelle-Bazinet avoue que l’évaluation menée au BRQ n’a pas dévoilé d’allégation contre Me Bédirian. Il y a 70 employées dans le secteur fiscal du BRQ, et selon Me Gravelle-Bazinet, la « haute gestion » comprend le Directeur général (du BRQ) et tous les gestionnaires qui relèvent du Directeur général.

 

¶22       Le sous-ministre du Ministère de la Justice fédéral a témoigné dans cette affaire. Me Morris Rosenberg fut nommé à ce poste le 1er juillet 1998. Il fut admis au Barreau en 1977 et ses études incluent une Maîtrise en droit de l’université de Harvard. Me Rosenberg œuvre dans la fonction publique fédérale depuis 1979.

 

¶23       Me Rosenberg a également souligné que la tâche principale du Bureau des règlements de conflits est de résoudre les conflits en milieu de travail, y compris le harcèlement. Il étudia l’évaluation menée en 1998 au BRQ à son arrivée dans son nouveau poste à l’aide de la conseillère Me Gravelle-Bazinet. Il se souvient qu’il y avait un problème de « respect » de la part de la gestion au BRQ et dans la section des Affaires fiscales, des inquiétudes concernant « equitable treatment ». De plus, il y avait une référence à un problème de harcèlement sexuel impliquant « la haute direction »(voir la page 37 de E-1).

 

¶24       Un forum national fut mené à Montréal les 22 et 23 octobre 1998 et le Sous-ministre Rosenberg a choisi l’occasion pour donner son message général que le respect de tous devait être atteint ainsi que l’égalité pour tous. Lors de ce forum, une femme employée du Ministère de la Justice lui aurait même demandé ce qu’il allait faire au sujet du harcèlement sexuel en milieu de travail. Il a affirmé ouvertement son engagement de créer un milieu de travail à l’abri de conflits (voir E-2 et E-3).

                                                                                                                        [Je souligne.]

 

 

 

[37]              La commissaire Bertrand notait également au paragraphe 143 :

143     Mme Dufresne a fourni lors de son témoignage le rapport préliminaire daté d’avril 1998 qui avait été rédigé suite aux entrevues menées lors de l’évaluation. Tous les renseignements étaient disponibles à cette date, et le rapport préliminaire reprenait les constats. Les groupes et les personnes identifiés comme sources de conflits étaient regroupés par secteur. Pour le secteur fiscal, l’on reprochait que les avocates étaient plutôt des « assistantes ». Parmi les six personnes nommées comme source de conflit, ce n’est pas Me Bédirian qui est nommé comme le dirigeant de la haute direction mais plutôt Me Jacques Letellier. Mme Dufresne est d’avis que lorsque les répondants dans le rapport préliminaire ou même le rapport final de l’évaluation parlaient de « la haute direction », ils voulaient dire les directeurs des secteurs. Le secteur fiscal ne fut pas identifié à titre de référence à la haute gestion aux fins des commentaires négatifs du rapport. Lors des sessions sur place qui suivirent le dépôt du rapport préliminaire (E-41), Mme Dufresne témoigna qu’il est devenu de plus en plus évident que Me Jacques Letellier était la sixième personne identifiée comme source de conflit, et Me Gravelle-Bazinet et Me Sylvie Charleboix étaient impliquées avec Mme Dufresne dans ces sessions.

 

                                                                                                                        [Je souligne.]

 

 

[38]              La commissaire Bertrand conclut aux paragraphes 341 et 342 :

341     Un appréciable montant de preuve a été versé sur l’évaluation qui avait été menée au BRQ en 1998 (E-1) afin de démontrer les problèmes qui y existaient incluant la perception d’un problème de harcèlement sexuel, tel problème rejoignant même des hommes du BRQ ou « la haute direction ». L’employeur a tenté d’accrocher au plaignant que cette perception pouvait provenir de son comportement comme homme du BRQ ou encore comme membre de la « haute direction ». Je suis d’avis qu’après avoir entendu toute la preuve et avoir lu la documentation introduite dans ce différend, les références à des problèmes de comportement à nature de harcèlement sexuel au BRQ et en particulier les passages soulevés aux pages 37 et 42 de l’évaluation E-1 qui sont répétés dans le Executive summary ne se donnent pas à Me Bédirian et donc n’auraient pas dû servir de preuve contre lui.

 

¶342     J’ajoute que la « haute gestion » signifie les cadres du Ministère plutôt que les Directeurs des diverses sections dans les bureaux régionaux; tels Directeurs forment collectivement le Comité de direction. À l’appui, je me fie à la pièce E-3, soit l’horaire sur le Forum qui a eu lieu à Montréal en octobre 1998, qui indique clairement qui sont les « hauts gestionnaires », soit le sous-ministre, le sous-ministre délégué Me Dion, le Directeur général Me Jacques Letellier, Me Gravelle-Bazinet et autres cadres du Ministère. Les Directeurs tels le plaignant Me Bédirian ne figurent pas dans cette liste. Donc, le passage retrouvé dans l’évaluation E-1 à la page 37 qui parle de harcèlement et comportement inacceptables de la part de quelques hommes du BRQ ou encore de la Décision « haute direction » ne peut tout simplement pas s’attacher à Me Bédirian, car il était Directeur à cette époque, et il n’a pas encore fait partie de la haute gestion.

 

 

                                                                                                            [Je souligne.]

 

 

[39]              Le document E-1, intitulé Évaluation du milieu de travail, juin 1998, fut mis en preuve (D.A. vol. IV, page 1309). L'extrait cité par la commissaire Bertrand en page 37 fait partie des facteurs d'inéquité qui furent répertoriés. L’intimé n’était pas concerné comme membre de la « haute direction » à la page 37 de l’évaluation E-1. Mais il était concerné comme gestionnaire au paragraphe 42 du même document qui porte sur les recommandations formulées par la firme de consultants Watson Wyatt. Bref, comme gestionnaire après 1998, l’intimé avait la responsabilité d’appliquer une politique ferme de non-tolérance à l’égard du harcèlement sexuel et avait reçu une formation spéciale à ce sujet. Le témoignage du sous-ministre Rosenberg ne laisse aucun doute quant au poids qu’il accordait à la responsabilité de l’intimé d’agir de façon responsable à l’égard de cette politique. À aucun moment dans son témoignage, cependant, le sous-ministre mentionne-t-il qu’il considère l’intimé comme membre du groupe visé par les événements à l’origine de l’évaluation de travail réalisée en 1998.

 

[40]              Je m’explique.

 

[41]              Le sous-ministre Rosenberg entra en fonction le 1er juillet 1998 (D.A. vol. I, de la page 232, ligne 15 à la page 235, ligne 18). Il explique les motifs qui l’ont guidé dans sa décision alors qu'il commentait la lettre du 28 juillet 2000 qu'il avait adressée à l'intimé (D.A. vol. I, de la page 287, ligne 14 à la page 290, ligne 23) :

A  The first one, it says :

 

« Je vous relève immédiatement de votre poste de gestionnaire. Par contre, vous serez assigné par votre directeur régional, Donald Lemaire, à un poste sans responsabilité de gestion à votre niveau actuel délatoire ».

And I thought about this and I felt that it was warranted for the following reasons. Firstly our policy, the departmental policy is quite explicite on the responsibilities of managers, at page five (5) of the policy, it says:

 

“Department of Justice managers had a special responsibility for creating a workplace, where harassment is not likely to occur and for responding quickly and effectively if it does.”

 

Further down on that page, it says:

 

“Your presence, oh sorry make it clear, this is in the last paragraph, that insults and derogatory jokes would not be tolerated and that they could lead to disciplinary action.”

 

So I thought there was a responsibility of setting out our policy, our policy is probably one of the more explicite policies in the government of those much further, for example than the Treasury Board policy in stipulating the role of managers, with respect to harassment and conflict in the workplace. I also felt that there were some specific circumstances in this case, that Maître Bedirian had not come to this without any knowledge of this. He had the knowledge of this policy and the office, the Quebec office was briefed on this policy when it came out; but he also had had positions as a harassment agent in 1993, and I understand had taken some training as a result, that there had been a further opportunity for training in 1996. That following the workplace assessment, there had been meetings both between Matilde and the management of the Quebec regional office and Jacques Letellier, that then had a management with the Quebec regional office to make the point that we would not tolerate, the department would not tolerate sexual harassment and it was up to managers to do everything they could to put a stop to it. I also understand that Maître Bedirian, after the workplace assessment, was a chair of harassment committee in the office. So I felt that he had special knowledge and should have had special sensitivity to these issues. At the same time, I was really trying to balance off to interest, I felt that it was not tenable under the circumstances to keep Maître Bedirian in the management position. I was concerned about Maître Bedirian being in a position of authority over specially young female staff, not just the complainants but other young female staff. At the same time, I wanted to balance it in a way that was going to deal with the problem, but in all other ways, trying to preserve Maître Bedirian’s status, his seniority, his compensation, his paying benefits. That is why we created a position at the equivalent rank, Maître Bedirian was in a, what is called an L.A.3.A. management position, we created an L.A.3.A.

 

Me MICHEL BEAUDRY:

L.A.3.A., L.A. what L.A. ?

 

A.     3.A

Q.     3.A. O.K.

 

A.     Management position which is what he was in, we created a position, what we call senior practitioner L.A.3.A. We have two (2) senior streams in the department, one is management, one is senior practice. The L.A.3.A. senior practitioner recognizes people at a very senior level in the department and Maître Bedirian, in terms of the practice of law, had always been well regarded, well respected in the office and we felt that we wanted to maintain that, but simply wanted to deal with the management part of it, because of the concern for employees in the office, so that was the reason for that. I had already spoken about three (3) day suspension, it was a notice that any repetition of any sexual harassment could result in immediate dismissal. I request that Maître Bedirian undertake a training on harassment and gender quality, and given the impact of the incidents on the complainant, that Maître Bedirian send a letter of apology. And as is our policy, letters of reprimand, of which this is one would stay on the file for a period of two (2) years from the date of the position.

 

 

 

[42]              En contre-interrogatoire, il affirma ceci (D.A. vol. I, de la page 296, ligne 12 à la page 298, ligne 18) :

CONTRE-INTERROGÉ PAR Me MARYSE LEPAGE,

Procureur du demandeur :

 

Q    Maître Rosenberg, je comprends que vous nous avez indiqué avoir pris connaissance de la pièce E-1, qui est l’évaluation du milieu de travail faite en juin ’98 ?

 

A That’s right.

 

Q Vous avez pris connaissance de ce document ?

 

A Yes.

 

Q  Est-ce que dans ce document, Maître Bedirian est identifié ?

 

A  I don’t believe so, not specifically.

 

Q  Est-ce que son nom y apparaît ?

 

A  Not specifically.

 

Est-ce qu’on y fait référence directement ?

 

A   No.

 

Q   Je vous réfère à la pièce E-5, qui sont mes commentaires du            16 juin 2000 et plus précisément, je vous réfère à la dernière page de ce document, l’affidavit, la déclaration sous serment de Louise Martin. Est-ce que vous avez pris connaissance de ce document ?

 

A        Yes.

 

Q        Est-ce que vous avez pris connaissance plus précisément du paragraphe trois (3) de ce document ?

 

A        Yes.

 

Q        Est-ce que vous pouvez nous lire le paragraphe trois (3).

 

 A       It says :

                           « La retroaction verbale qui a été faite suite à l’enquête en milieu de travail par Maître Sylvie Charlebois a démontré, entre autres, que Maître Henri Bedirian était un gentlemen.»

 

 

Q           Merci. Vous nous avez cité quelques extraits du rapport Wyatt, la pièce E-1.

 

A           Hum ! Hum !

Q           Je comprends que le seul passage pertinent aux questions de harcèlement est celui de la page trente-sept (37) ?

 

A           There are two (2) passages, the one on page thirty-seven (37) which starts with :

 

              « Quelques femmes ont témoigné avoir eu des avances de nature sexuelle ...»

 

Q           Hum ! Hum !

 

A         And the one on page forty-two (42), this is recommendations that ...

 

Q           O.K.

 

A           ... which says could it be our case:

 

                    «Les gestionnaires prennent une position ferme sur les pratiques de harcèlement sexuel en sensibilisant entre autres les employés sur les mesures de réponse à leur disposition. »

 

Q           Parfait, merci. À votre connaissance personnelle, Monsieur le sous-ministre, depuis quand Maître Henri Bedirian était un gestionnaire au bureau régional de Montréal ?

 

A           De ce que je comprends, il est gestionnaire depuis 1980, I will have to refresh my memory on this.

 

[Je souligne.]

 

 

[43]              Et plus loin, il affirma (D.A. vol. I, de la page 299, ligne 16 à la page 301, ligne 6) :

Q         O.K. est-ce que vous avez une connaissance personnelle du dossier de Maître Bedirian, du dossier son dossier général, son dossier en tant qu’employé ?

A         When you say une connaissance personnelle, what do you mean ?

 

Q         Bien est-ce que vous connaissez le dossier de Maître Bedirian, sans en avoir une connaissance précise là ?

A         The knowledge I have of Mr. Bedirian’s file, I understand that it comes out of what I have learned about it from this case.

 

Q         O.K. est-ce que justement, selon ce que vous en avez appris de ce dossier, est-ce qu’il y a déjà eu dans le passé des plaintes de formulées contre Maître Bedirian ?

 

A         I am not aware of any specific complaint that was made against Maître Bedirian, prior to the complaints that were, the complaint that was lodged by Maître Letellier de St-Just.

 

Q         Donc selon votre connaissance, aucune autre plainte dans le passé?

 

A         I am not aware of any other complaints in the past.

 

Q         O.K.

 

A         Any formal complaints in the past.

 

Q         Vous nous avez mentionné, pendant le forum qui a suivi l’évaluation en milieu de travail, vous nous avez mentionné avoir été interpellé et avoir été informé que le harcèlement persistait, c’est bien ça ?

A         That’s right.

 

Q         Pouvez-vous nous expliquer à quel moment du forum précisément ?

 

A         The best I could do, during the passage of time, I believe that it was the second day, it was a two (2) day forum, the thursday and the friday, the friday the 23rd, I believe that before the sum up, there was a period of questions and answers.; that anybody in the room could ask me questions or raise any issues.

 

Q         O.K.

 

A         And it was in that context that it took place.

 

Q         D’accord, est-ce que lorsque vous avez été interpellé à ce moment-là, est-ce que le nom de Maître Bedirian a été, a été dit ?

 

A         When that question was asked, there was no, no specific person was named.

                        [Je souligne.]

 

 

 

 

[44]              Dans sa décision, la commissaire Bertrand résumait ainsi le témoignage du sous-ministre :

Décision du sous-ministre Rosenberg le 28 juillet 2000

¶202     Le sous-ministre Rosenberg témoigna avoir lu tous les documents qui lui furent remis par Me Gravelle-Bazinet. Il a également obtenu de l’avis juridique au sein de son Ministère. Le sous-ministre partagea les conclusions des enquêteurs que deux des sept allégations avaient été prouvées. Il rencontra Me Gravelle-Bazinet et Me John Power pour déterminer quelles seraient les prochaines étapes, et le sous-ministre a émis sa décision le 28 juillet 2000 (voir P-1).

 

¶203     Selon le sous-ministre, sa décision portait sur le fait que Me Bédirian était un gestionnaire, que la Politique dans son Ministère allait plus loin que celles dans d’autres ministères dans le contexte de harcèlement sexuel, que le plaignant connaissait cette Politique et qu’il avait siégé sur un comité de harcèlement sexuel dans le passé, sans parler de la formation qu’il avait reçue à cet égard. De plus, vu que Me Bédirian avait présidé au comité sur le harcèlement suite à l’évaluation menée au BRQ en 1998, il avait une plus grande responsabilité envers ce genre de conduite. Lui enlever son poste de gestionnaire était approprié a dit le sous-ministre, car Me Bédirian ne devrait plus surveiller des jeunes avocates. Nonobstant ces faits, le sous-ministre disait que Me Bédirian était bien vu au sein de son Ministère et bien respecté comme avocat. Donc, lui préserver son niveau était juste.

 

204     Le sous-ministre n’était au courant d’aucune plainte à l’égard de Me Bédirian avant celle-ci. Selon lui, il s’est fié à ce que l’évaluation menée en 1998 pointe indirectement Me Bédirian vu les passages à la page 37 et page 42 de l’évaluation (E-1).

 

                                                                                                                         [Je souligne.]

 

 

[45]              Rien dans le témoignage du sous-ministre n’appuie la dernière phrase du paragraphe 204  de la commissaire Bertrand.

 

[46]              La première juge ne pouvait par conséquent affirmer à son paragraphe 35 :

¶35       Ainsi, l’employeur s’est basé sur des éléments qui n’ont jamais été prouvés et qui, de l’admission du sous-ministre, ont été pris en considération dans sa décision.

 

                                                                                                [Je souligne.]

 

 

 

[47]              Il est vrai que le sous-ministre avait cependant lu, entre autres, l’Executive Summary (D.A. vol. V, pages 1385-1386) qui se lisait en partie comme suit :

In the WA questionnaire, the employees of the Tax Litigation Section raised the following as sources of conflict (Annex 9) :

 

• Management of Henri Bédirian:

-          lack of transparency in his decision making

-          inability to deal with conflict

-          female lawyers feel disadvantaged when high profile files are assigned

-          shows lack of respect for employees: frequently ridicules or intimidates employees when they request clarification

-          one respondent in this section stated that many female employees complained of sexual advances on the part of the “haute gestion”.

 

                                                                                                                        [Emphasis added.]

 

[48]              Toutefois, rien dans le témoignage du sous-ministre n’indique qu’il ait associé l’intimé à la « haute gestion » de l’évaluation menée en 1998 vu le passage à la page 37 de l’évaluation E.1. Au contraire, tel qu’indiqué plus haut au paragraphe 43 de mes motifs, le sous-ministre a affirmé (et la commissaire Bertrand l’a également noté):

I am not aware of any specific complaint that was made against Maître Bédirian, prior to the complaints that were, the complaint that was lodged by Maître Letellier de St-Just.

 

 

[49]              Quant au passage de la page 42 de l’évaluation E-1, tel que je l’ai exprimé au paragraphe 39 de mes motifs, l’intimé était concerné à titre de gestionnaire.

 

[50]              Le sous-ministre avait également pris connaissance des recommandations des enquêteurs, lesquels avaient affirmé (D.A. vol. V, page 1380) :

Nous notons que le gestionnaire est à l’emploi du ministère depuis 16 ans. Nous n’avons eu aucune information à l’effet que son dossier n’est pas vierge et nous présumons qu’il l’est.

 

 

[51]              La conclusion de fait de la commissaire Bertrand, à la dernière phrase de son paragraphe 204, était déraisonnable, voire manifestement déraisonnable, parce que non appuyée par la preuve. La première juge a erré en l’entérinant.

 

[52]              Il est utile de rappeler que le sous-ministre a témoigné de nouveau devant l’arbitre Matteau. Je reproduis les paragraphes 54 à 57 de la décision de l’arbitre Matteau qui résument son témoignage.

¶54     Me Morris Rosenberg, sous-ministre de la Justice du 1 er juillet 1998 au 20 décembre 2004, a témoigné. Il a confirmé avoir été l'auteur de la mesure disciplinaire imposée au fonctionnaire et a confirmé que la conseillère principale relevait directement de lui à cette époque.

 

¶55     Pour déterminer la mesure disciplinaire à imposer au fonctionnaire, le sous-ministre a dit avoir pris en considération plusieurs facteurs. D'abord, il a précisé que la décision a été prise dans le cadre de la politique ministérielle sur la prévention du harcèlement en milieu de travail, dont l'employeur est responsable. Il a pris en considération le fait que l'enquête avait été menée non pas par un, mais deux enquêteurs, l'un d'eux étant un enquêteur chevronné et ancien commissaire de la Commission des relations de travail dans la fonction publique. Entrait aussi en ligne de compte le fait que le fonctionnaire avait des responsabilités de gestionnaire, d'autres en vertu de la politique ministérielle sur la prévention du harcèlement en milieu de travail et avait une formation en ces matières.

 

¶56     Le sous-ministre a également pris en considération le fait que le BRQ vivait des problèmes de moral depuis quelques années, en raison du climat de travail, ainsi que le fait que la conseillère principale avait eu avec ce groupe des discussions à ce sujet dans le passé. Il a aussi pris en considération ses propres responsabilités en matière de prévention du harcèlement en milieu de travail. Enfin, il a considéré le fait que, lors d'une rencontre avec les employés du BRQ le 22 et 23 octobre 1999, des avocates s'étaient publiquement plaintes à lui du climat de travail au BRQ. Il reconnaît qu'il a pris sa décision après avoir révisé tout le matériel qui lui avait été fourni sur l'affaire par la conseillère principale.

 

¶57     Il a également confirmé avoir effectué un certain suivi du dossier au cours de l'audience devant l'arbitre Bertrand. Bien qu'il ait dit ne pas avoir été informé sur une base quotidienne du déroulement de l'audience, il a été tenu au courant de façon générale par les conseillers juridiques concernés. Il a déclaré que ce dossier était pour lui un dossier important et pris avec sérieux au ministère. Il était conscient que ce dossier aurait des répercussions et une certaine notoriété. Il s'agissait du premier dossier de ce genre au ministère.

 

[53]              J’analyse maintenant les fautes 2, 3, 4 et 6 examinées par la première juge.

2.  L’omission d'informer les enquêteurs des excuses offertes

                            par Me Bédirian

 

3. L’omission de transmettre aux enquêteurs les différentes                                                                         déclarations initiales et les documents au dossier avant le début du processus d'enquête

 

4.  Un fardeau de preuve utilisé par les enquêteurs non conforme à la loi qui existe au Canada

 

6.       La décision du sous-ministre basée sur des conclusions déficientes.

[54]              À ce chapitre, la commissaire Bertrand a écrit aux paragraphes 368 et 369 de sa décision :

¶368     À mon avis, la Politique du Ministère de la Justice ne prévoit pas de fardeau de la preuve assez élevé pour établir des allégations de harcèlement sexuel. La jurisprudence maintient qu'un tel genre d'allégation attire une stigmatisation qui durera fort probablement pour le soi-disant harceleur pendant des années, parfois pour toujours. C'est pourquoi ces affaires demandent une si grande délicatesse dans leur manipulation, leur procédure et leur dénouement. On ne doit jamais rendre une décision dans le cas d'une personne « accusée » de harcèlement sexuel sans avoir de la preuve solide, claire, convaincante, et certainement plus que probable. Je suis d'avis que le fardeau de la preuve nommé à la Politique, c'est-à-dire « de façon générale » ainsi que le fardeau de la preuve utilisé par les enquêteurs dans cette affaire n'étaient pas conformes à la loi qui existe au Canada.

 

 

¶369     Je veux ajouter également que les enquêteurs n'ont pas reçu l'information qui avait été divulguée par les deux avocats Me Letellier de St-Just et Me O'Bomsawin suite à leurs conversations et rencontres en décembre 1999 et en janvier 2000, soit les notes de Me Meagher, les notes de Me Lévesque, les notes de Mme Monique Bond du Bureau des règlements des conflits, ainsi que les notes de Me Dion qui incluaient l'information recueillie de Me Bédirian. Comme je l'ai noté plus haut, la Politique signale l'importance de maintenir un dossier qui comprend les dates et les heures des incidents allégués pour documenter l'exactitude des événements et de la façon dont on y a réagi.

 

 

 

 

[55]              Selon la preuve, des enquêteurs indépendants et expérimentés furent nommés en application de la politique Pour un milieu de travail à l’abri des conflits et du harcèlement, politique qui s’appliquait à tout le personnel du ministère y compris les cadres (politique commentée par la commissaire Bertrand dans sa décision, D.A. vol. I, page 171, paragraphes 343 à 350). L'un des enquêteurs possédait de plus de l'expérience dans le domaine des enquêtes sur le harcèlement. L’appréciation des erreurs commises par l'employeur pour ne pas avoir transmis les déclarations initiales ainsi que les erreurs de droit commises par les enquêteurs relevaient de l'expertise de la commissaire Bertrand. Elles donnèrent ouverture au grief et aux mesures de redressement prévues à la Loi et au droit du travail. Elles ne concernent pas la responsabilité délictuelle.

 

5. L'omission par la conseillère principale d'informer le sous-ministre

    de l'offre d'excuses de Me Bédirian.

 

[56]              Quant à la faute 5, la première juge (paragraphe 36 de ses motifs) cite l’arbitre Matteau selon laquelle la preuve a révélé que la conseillère principale a elle-même entendu de la bouche de l’intimé l’offre d’excuses, que celle-ci dans son résumé exécutif n’en avait pas informé le sous-ministre et qu’elle avait faussement indiqué qu’aucune excuse n’avait été formulée. La première juge fait reproche à l’arbitre Matteau de ne pas avoir considéré si un tel comportement de la part de l’employeur était équitable pour l’intimé.

 

[57]              L’arbitre Matteau écrit ceci aux paragraphes 58 et 59 de ses motifs (D.A. vol. I,  page 27, paragraphes 58 et 59) :

¶58     Le sous-ministre ne se souvient pas qu'on lui ait dit que le fonctionnaire aurait offert des excuses à la plaignante. Lorsque la décision de l'arbitre Bertrand lui a été communiquée, qui concluait que des excuses avait été offertes, le sous-ministre n'a pas fait de suivi ou confronté la conseillère principale à ce sujet. Le transfert de responsabilités à la sous-ministre déléguée Collette, avait déjà eu lieu. En fait, il n'a fait aucun suivi à la décision de l'arbitre Bertrand. Il a également indiqué qu'il n'avait discuté de ce dossier avec nul autre que les gens concernés, mais a concédé que les gens du milieu ont dû être au courant de la réaffectation du fonctionnaire à la suite de sa décision de le relever de ses fonctions de gestionnaire.

 

¶59     Pour sa part, le sous-ministre délégué Dion a expliqué sa réaction aux excuses offertes par le fonctionnaire. Il indique qu'il venait de passer plusieurs heures avec les deux avocates concernées. Il a pu constater à quel point elles étaient bouleversées. Le fonctionnaire ne pouvait pas s'en sortir aussi facilement. Il n'y avait aucune proportion entre de simples excuses et l'état dans lequel se trouvaient les deux avocates. De plus, ces excuses ont été offertes à la toute fin de la discussion avec le fonctionnaire, quand il est devenu clair qu'il y aurait des conséquences, dont une enquête. Me Dion a précisé que, pour lui, il ne s'agissait pas de déterminer si les excuses étaient ou non sincères. Elles lui paraissaient plutôt inadéquates dans les circonstances. En contre-interrogatoire, Me Dion a dit ne pas se souvenir de discussions relatives à cette offre d'excuses lors de rencontres ultérieures, incluant la rencontre décisionnelle du sous-ministre.

                                                                                                [Je souligne.]

 

[58]              Elle écrit ensuite aux paragraphes 168 à 175:

¶168     Il est allégué que la conseillère principale a soumis un document falsifiant les faits. Dans son résumé exécutif, elle n'a pas informé le sous-ministre de l'offre d'excuses qu'elle a elle-même entendue de la bouche du fonctionnaire. Elle a écrit dans ce document que, lors de la rencontre du 2 février 2000, le fonctionnaire n'avait pas reconnu sa faute et n'avait pas offert d'excuses (pièce E-34, page 3). De plus, dans la note de service accompagnant ce résumé exécutif (pièce E-35, page 2) et contenant ses recommandations, elle indique que le fonctionnaire :

 

[...]

 

 [TRADUCTION]

7. A nié tout acte fautif et n'a montré aucune préoccupation pour la plaignante ni même pour [l'autre avocate] ou n'a exprimé le désir de s'excuser. Et cela, à compter du moment où il a été informé pour la première fois des allégations, par Mario Dion et par la conseillère principale, jusqu'au dépôt de ses représentations finales;

            [...]

 

¶169     Bien que le fonctionnaire soit convaincu qu'il a offert des excuses sincères, la formulation qu'il a utilisée tout au long de cette affaire laisse place à interprétation. C'est ce qu'ont conclu la conseillère principale et le sous-ministre délégué Dion. Devant l'arbitre Bertrand, le fonctionnaire a été très clair : "[...] je suis prêt à m'excuser, madame la Présidente, je suis prêt à m'excuser si j'ai commis un impair, si jamais je me suis mal exprimé et qu'elles ont mal interprété mes propos. J'ai [sic] jamais voulu harceler personne." (page 111 de l'interrogatoire et contre-interrogatoire de Me Henri Bédirian, le 22 août 2001).

 

¶170     Cette formulation des excuses offertes par le fonctionnaire, même devant l'arbitre Bertrand, est conditionnelle : si les plaignantes ont mal interprété ses paroles, il s'excusera. Il ne reconnaît pas avoir "commis un impair". Il ne semble toutefois pas reconnaître que ses excuses sont conditionnelles.

 

¶171     Lors de l'audience devant l'arbitre Bertrand, le fonctionnaire a reconnu avoir nié en bloc toutes les allégations qui lui ont été présentées par la conseillère principale et le sous-ministre délégué Dion en février 2000 (page 51 de son interrogatoire et contre-interrogatoire du 22 août 2001) : "[...] Je sais que j'ai nié en bloc toutes ces allégations-là à la manière qu'ils me les lançaient, j'ai [sic] pas admis aucun fait qui m'est reproché". On ne peut donc conclure que l'évaluation que le sous-ministre délégué Dion et la conseillère principale ont fait des déclarations du fonctionnaire était erronée.

 

¶172     De plus, le sous-ministre a témoigné que lui seul avait pris la décision de suspendre le fonctionnaire et de le relever de ses fonctions de gestion de personnel. Le sous-ministre a confirmé qu'il ne se souvenait pas d'avoir été informé que des excuses avaient été offertes par le fonctionnaire. Toutefois, lorsque le sous-ministre explique les facteurs retenus pour déterminer la mesure disciplinaire appropriée, il ne fait pas mention du manque de contrition ou de l'absence d'excuses de la part du fonctionnaire.

 

 

¶173     Le sous-ministre déclare plutôt avoir pris en considération plusieurs autres éléments. La responsabilité de l'employeur et des gestionnaires en vertu de la politique ministérielle sur la prévention du harcèlement en milieu de travail était le premier facteur. Il a aussi tenu compte du fait que non seulement un, mais deux enquêteurs réputés en étaient venus à la conclusion que deux allégations étaient fondées. Il a tenu compte également du fait que le fonctionnaire avait reçu une formation sur la prévention du harcèlement en milieu de travail et que le Bureau avait procédé à des interventions dans le passé auprès des employés et gestionnaires du BRQ. Enfin, compte tenu de l'ensemble du dossier et du fait que le fonctionnaire était gestionnaire, il a jugé qu'il serait inapproprié de laisser le fonctionnaire occuper ses fonctions. Une rétrogradation n'étant toutefois pas méritée, il a protégé le niveau de classification du fonctionnaire.

 

¶174     Il n'a pas été établi que les représentations de la conseillère principale concernant les excuses ont eu un impact déterminant sur la mesure disciplinaire imposée. Le sous-ministre a basé sa décision sur l'information dont il disposait à l'époque, qui était constituée principalement du rapport d'enquête préparé par deux enquêteurs expérimentés qui retenaient deux allégations sur un total de sept.

 

¶175     Ce n'est que lorsque toute l'affaire a été examinée à fond par l'arbitre Bertrand que celle-ci a jugé que certaines conclusions de l'enquête étaient erronées, que seuls des propos déplacés du fonctionnaire pouvaient lui être reprochés et que la mesure imposée par le sous-ministre était inappropriée et aurait dû être limitée à une réprimande.

                                                                                               

            [Je souligne.]

 

 

 

[59]              Il faut toutefois noter que les enquêteurs, en rédigeant leurs recommandations au sous-ministre, ont noté à deux reprises que l’intimé n’avait pas formulé d’excuses (D.A. vol. V,  pages 1380 et 1381). Le paragraphe 172 de la décision de l’arbitre Matteau indique cependant que le sous-ministre n’a pas mentionné devant elle que le manque de contrition ou l’absence d’excuses de la part de l’intimé ait été un facteur retenu dans la prise de décision.

 

 

[60]              Je retiens la conclusion de fait de l’arbitre Matteau au paragraphe 174 de sa décision selon laquelle :

174     Il n'a pas été établi que les représentations de la conseillère principale concernant les excuses ont eu un impact déterminant sur la mesure disciplinaire imposée. Le sous-ministre a basé sa décision sur l'information dont il disposait à l'époque, qui était constituée principalement du rapport d'enquête préparé par deux enquêteurs expérimentés qui retenaient deux allégations sur un total de sept.

                                                                                                            [Je souligne.]

 

 

CONCLUSION

[61]              Je conclus au bien-fondé de l’ordonnance rendue par l’arbitre Matteau dans laquelle elle rejetait la réclamation en dommages-intérêts reliée au grief. La première juge a erré en concluant autrement.

 

[62]              J’accueillerais l’appel, j’annulerais la décision de la Cour fédérale rendue le 17 octobre 2006, et je rejetterais la demande de contrôle judiciaire.

 

 

 

 « Alice Desjardins »

j.c.a.

« Je suis d’accord.

     Marc Noël j.c.a. »

 

« Je suis d’accord.

     M. Nadon j.c.a. »


COUR D’APPEL FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

 

 

DOSSIER :                                                                            A-505-06

 

INTITULÉ :                                                                           LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA et HENRI BÉDIRIAN

                                                                                               

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                                                     Montréal, Québec

 

DATE DE L’AUDIENCE :                                                   Le l9 avril 2007

 

MOTIFS DU JUGEMENT :                                                LA JUGE DESJARDINS

 

Y ONT SOUSCRIT :                                                             LE JUGE NOËL

                                                                                                LE JUGE NADON

 

DATE DES MOTIFS :                                                          LE 8 JUIN 2007

 

 

 

COMPARUTIONS :

 

Me Michel LeFrançois

POUR L’APPELANT

 

Me Maryse Lepage, Me Josée Moreau

POUR L’INTIMÉ

 

 

 

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Service juridique du Conseil du Trésor, Sous-Procureur général du Canada, Ottawa, Ontario

POUR L’APPELANT

 

Bastien, Moreau, Lepage, Gatineau, Québec

POUR L’INTIMÉ

 

 

 

 

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