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Date : 20070611

Dossier : A-410-06

Référence : 2007 CAF 225

 

CORAM :      LE JUGE DÉCARY

                        LE JUGE EVANS                 

                        LE JUGE RYER

 

ENTRE :

PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

appelant

et

CRÉDIT FORD DU CANADA LTÉE

intimée

 

 

 

Audience tenue à Ottawa (Ontario), le 15 mai 2007.

Jugement rendu à Ottawa (Ontario), le 11 juin 2007.

 

MOTIFS DU JUGEMENT :                                                                                     LE JUGE RYER

Y ONT SOUSCRIT :                                                                                           LE JUGE DÉCARY

                                                                                                                               LE JUGE EVANS

 

 


Date : 20070611

Dossier : A-410-06

Référence : 2007 CAF 225

 

CORAM :      LE JUGE DÉCARY

                        LE JUGE EVANS                 

                        LE JUGE RYER

 

ENTRE :

PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

appelant

et

CRÉDIT FORD DU CANADA LTÉE

intimée

 

 

MOTIFS DU JUGEMENT

LE JUGE RYER

[1]               Il s’agit d’un appel interjeté à l’égard de la décision du juge en chef Bowman de la Cour canadienne de l’impôt (2006 CCI 441), qui a accueilli l’appel par lequel Crédit Ford du Canada Ltée (Crédit Ford) contestait les nouvelles cotisations d’impôt sur le capital pour ses années d’imposition 2001, 2002 et 2003 établies en application de la partie I.3 de la Loi de l’impôt sur le revenu, L.R.C. 1985, ch. 1 (5e suppl.) (la LIR). À moins d’indication contraire, toutes les dispositions législatives mentionnées dans les présents motifs renvoient à la LIR pour les années d’imposition considérées.

 

[2]               Le juge en chef Bowman a ordonné au ministre du Revenu national (le ministre) d’établir une nouvelle cotisation à l’endroit de Crédit Ford en tenant pour acquis que le montant de 1 170 000 000 $ relatif aux actions spéciales de la catégorie C rachetables au gré du porteur et de l’émetteur et inscrit à titre de passif dans le bilan de Crédit Ford pour chacune des années d’imposition considérées n’avait pas à être inclus dans son capital aux fins du calcul de l’impôt sur le capital à payer aux termes de la partie I.3 de la LIR pour chacune de ces années.

 

[3]               Je ne suis pas persuadé que le juge en chef Bowman ait fait une erreur susceptible de révision en arrivant à cette décision.

 

CONTEXTE

[4]               Le budget fédéral du 27 avril 1989 a créé, dans la partie I.3 de la LIR, un impôt visant l’élimination du déficit – appelé impôt des grandes sociétés (l’IGS) – qui s’applique au « capital imposable utilisé au Canada » de la plupart des sociétés. Pour toute société répondant à la définition d’une institution financière au paragraphe 181(1) (l’institution financière), le calcul de son capital imposable utilisé au Canada pour une année d’imposition se fait en conformité avec le paragraphe 181.3(1).

 

[5]               Le capital imposable d’une institution financière pour une année d’imposition correspond, selon le paragraphe 181.3(2), à l’excédent de son capital pour l’année sur sa déduction pour placements pour l’année.

 

[6]               Le capital d’une institution financière pour une année d’imposition (le capital) est calculé en conformité avec le paragraphe 181.3(3). Dans le cas d’une institution financière autre qu’une compagnie d’assurance, le calcul se fait à la fin de l’année en cause, conformément à l’alinéa 181.3(3)a).

 

[7]               Le capital d’une institution financière autre qu’une compagnie d’assurance, pour une année donnée, correspond, selon l’alinéa 181.3(3)a), à l’excédent du total des trois montants suivants, établis à la fin de l’année :

a)         les dettes de son passif à long terme au sens du paragraphe 181(1) (sous-alinéa 181.3(3)a)(i));

b)         son capital-actions, ses bénéfices non répartis, son surplus d’apport et tout autre surplus (sous-alinéa 181.3(3)a)(ii));

c)         ses réserves pour l’année, au sens du paragraphe 181(1), sauf dans la mesure où elles sont déduites dans le calcul de son revenu pour l’année selon la partie I de la LIR (sous-alinéa 181.3(3)a)(iii)),

sur le total des trois autres montants suivants :

d)         le solde de son report débiteur d’impôt à la fin de l’année (sous-alinéa 181.3(3)a)(iv));

e)         tout déficit déduit dans le calcul de l’avoir des actionnaires à la fin de l’année (sous-alinéa 181.3(3)a)(v)); 

f)          tout montant déduit en application des paragraphes 130.1(1) ou 137(2) dans le calcul de son revenu pour l’année aux termes de la partie I de la LIR, dans la mesure où il est raisonnable de considérer les déductions comme incluses dans l’un des montants dont il est fait mention aux alinéas a), b) ou c) du présent paragraphe des motifs.

 

[8]               Le paragraphe 181(3) prévoit que certains montants et valeurs établis à d’autres fins doivent être utilisés pour le calcul de l’IGS que doit payer une société pour une année d’imposition. Les banques et les compagnies d’assurance réglementées par le surintendant des institutions financières ou son homologue provincial sont tenues d’utiliser les montants et valeurs figurant dans leur bilan qui a été accepté par le surintendant des institutions financières ou par l’autorité de réglementation provinciale compétente. D’autres sociétés, notamment les institutions financières qui ne sont ni des banques ni des compagnies d’assurance, doivent essentiellement utiliser les montants et valeurs qui figurent dans leur bilan, si celui-ci a été établi conformément aux principes comptables généralement reconnus (les PCGR), ou les montants et valeurs qui auraient figuré dans leur bilan s’il avait été dressé conformément aux PCGR.

 

[9]               Crédit Ford est une institution financière visée à l’alinéa g) de la définition de ce terme figurant au paragraphe 181(1) ainsi qu’à l’alinéa 8604s) du Règlement de l’impôt sur le revenu, C.R.C., ch. 945.

 

[10]           Le 31 juillet 2001, Crédit Ford a émis 1 170 000 actions spéciales de la catégorie C (les actions de la catégorie C) à Ford Credit Lending, LP pour une contrepartie totale de 1 170 000 000 $. Les actions de la catégorie C pouvaient être rachetées par Crédit Ford à tout moment et elles étaient rachetables au gré du porteur à tout moment après le 31 juillet 2002. En raison de cette possibilité de rachat, les actions de la catégorie C ont été incluses, aux fins des états financiers, dans le passif du bilan de Crédit Ford pour les exercices de 2001, 2002 et 2003. Pour chacun de ces exercices, le bilan de Crédit Ford a été établi conformément aux PCGR. La preuve présentée par l’expert-comptable devant la Cour canadienne de l’impôt a confirmé cette façon de procéder.

 

[11]           Crédit Ford a produit ses déclarations pour ses années d’imposition 2001, 2002 et 2003 en partant du principe que le montant de son capital-actions (le capital-actions), au sens du sous-alinéa 181.3(3)a)(ii), ne comprenait aucun montant au titre des actions de la catégorie C.

 

[12]           Au moyen de trois avis distincts de nouvelle cotisation, tous datés du 13 décembre 2004, le ministre a exigé de Crédit Ford un montant d’impôt supplémentaire en vertu de la partie I.3 de la LIR, plus les intérêts, pour chacune de ses années d’imposition 2001, 2002 et 2003. Dans chaque cas, la justification donnée pour la nouvelle cotisation était que le montant de 1 170 000 000 $ relatif aux actions de la catégorie C aurait dû être incluse dans le capital-actions de Crédit Ford pour l’année d’imposition en cause.

 

[13]           Crédit Ford s’est opposée aux nouvelles cotisations, le ministre les a confirmées et Crédit Ford en a alors appelé devant la Cour canadienne de l’impôt.

 

DISPOSITIONS LÉGISLATIVES

[14]           Les principales dispositions de la LIR applicables en l’espèce sont les suivantes :

 

PARTIE I.3

IMPÔT DES GRANDES SOCIÉTÉS

 

PART I.3

TAX ON LARGE CORPORATIONS

 

181. (1) Les définitions qui suivent s'appliquent à la présente partie.

 « institution financière » Société qui est, à un moment d'une année d'imposition, selon le cas:

     […]

g) une société visée par règlement.

passif à long terme » Passif constitué:

     […]

c) de titres secondaires (au sens de l'article 2 de la Loi sur les banques, compte tenu des adaptations nécessaires) émis pour une durée d'au moins cinq ans, si l'émetteur est une autre société.

 

181. (1) For the purposes of this Part,                 

"financial institution", in respect of a taxation year, means a corporation that at any time in the year is

          …

(g) a prescribed corporation;

 

"long-term debt" means

       …

(c) in the case of any other corporation, its subordinated indebtedness (within the meaning that would be assigned by section 2 of the Bank Act if the definition of that expression in that section were applied with such modifications as the circumstances require) evidenced by obligations issued for a term of not less than 5 years,

 

 

Calcul des valeurs et montants

 

Determining values and amounts

(3) Pour déterminer la valeur comptable d'un des éléments d'actif d'une société ou tout autre montant en vertu de la présente partie afférent au capital d'une société, à sa déduction pour placements, à son capital imposable et à son capital imposable utilisé au Canada pour une année d'imposition ou afférent à une société de personnes dans laquelle une société a une participation:

a) la consolidation et la méthode de comptabilisation à la valeur de consolidation ne peuvent être utilisées;

b) sous réserve de l'alinéa a) et sauf disposition contraire de la présente partie, les montants à utiliser sont les suivants:

(i) soit ceux qui figurent au bilan présenté aux actionnaires de la société – s’il s'agit d'une société qui n'est ni une compagnie d'assurance à laquelle le sous-alinéa (ii) s'applique, ni une banque – ou aux associés de la société de personnes, ou, si un tel bilan n'est pas dressé conformément aux principes comptables généralement reconnus ou si aucun bilan n'est dressé, ceux qui y figureraient si un tel bilan était dressé conformément à ces principes,

(ii) soit ceux qui figurent au bilan accepté par le surintendant des institutions financières, s'il s'agit d'une banque ou d'une compagnie d'assurance tenue par la loi de faire rapport au surintendant, ou par le surintendant des assurances ou un autre agent ou autorité semblable de la province où elle est constituée, s'il s'agit d'une compagnie d'assurance tenue par la loi de faire rapport à cet agent ou à cette autorité.

 

(3) For the purposes of determining the carrying value of a corporation's assets or any other amount under this Part in respect of a corporation's capital, investment allowance, taxable capital or taxable capital employed in Canada for a taxation year or in respect of a partnership in which a corporation has an interest,

(a) the equity and consolidation methods of accounting shall not be used; and

(b) subject to paragraph 181(3)(a) and except as otherwise provided in this Part, the amounts reflected in the balance sheet

(i) presented to the shareholders of the corporation (in the case of a corporation that is neither an insurance corporation to which subparagraph 181(3)(b)(ii) applies nor a bank) or the members of the partnership, as the case may be, or, where such a balance sheet was not prepared in accordance with generally accepted accounting principles or no such balance sheet was prepared, the amounts that would be reflected if such a balance sheet had been prepared in accordance with generally accepted accounting principles, or

(ii) accepted by the Superintendent of Financial Institutions, in the case of a bank or an insurance corporation that is required by law to report to the Superintendent, or the superintendent of insurance or other similar officer or authority of the province under whose laws the corporation is incorporated, in the case of an insurance corporation that is required by law to report to that officer or authority,

shall be used.

 

 

Capital d’une institution financière

Capital of financial institution

181.3(3) Le capital d’une institution financière pour une année d’imposition correspond à l’un des montants suivants :

a) dans le cas d’une institution financière, sauf une banque étrangère autorisée ou une compagnie d’assurance, l’excédent éventuel du total des éléments suivants à la fin de l’année :

(i) les dettes de son passif à long terme,

(ii) son capital-actions (ou, si elle est constituée sans capital-actions, l’apport de ses membres), ses bénéfices non répartis, son surplus d’apport et tout autre surplus,

(iii) ses réserves pour l’année, sauf dans la mesure où elles sont déduites dans le calcul de son revenu pour l’année selon la partie I,

sur le total des montants suivants :

(iv) le solde de son report débiteur d’impôt à la fin de l’année,

(v) tout déficit déduit dans son calcul de l’avoir des actionnaires à la fin de l’année,

(vi) tout montant déduit en application des paragraphes 130.1(1) ou 137(2) dans le calcul de son revenu pour l’année en vertu de la partie I, dans la mesure où il est raisonnable de considérer les déductions comme incluses dans l’un des montants calculés en application des sous-alinéas 181.3(3)a)(i), 181.3(3)a)(ii) ou 181.3(3)a)(iii) relativement à l’institution financière pour l’année;

 

181.3(3) The capital of a financial institution for a taxation year is

(a) in the case of a financial institution, other than an authorized foreign bank or an insurance corporation, the amount, if any, by which the total at the end of the year of

(i) the amount of its long-term debt,

(ii) the amount of its capital stock (or, in the case of an institution incorporated without share capital, the amount of its members' contributions), retained earnings, contributed surplus and any other surpluses, and

(iii) the amount of its reserves for the year, except to the extent that they were deducted in computing its income under Part I for the year,

exceeds the total of

(iv) the amount of its deferred tax debit balance at the end of the year,

 

(v) the amount of any deficit deducted in computing its shareholders' equity at the end of the year; and

(vi) any amount deducted under subsection 130.1(1) or 137(2) in computing its income under Part I for the year, to the extent that the amount can reasonably be regarded as being included in the amount determined under subparagraph 181.3(3)(a)(i), 181.3(3)(a)(ii) or 181.3(3)(a)(iii) in respect of the institution for the year;

 

 

LA DÉCISION DE LA COUR CANADIENNE DE L’IMPÔT

[15]           Le juge en chef Bowman a statué que le paragraphe 181(3) exigeait qu’on écarte le sens juridique courant du terme « capital-actions », qui aurait normalement englobé les actions de la catégorie C, afin de retenir le sens correspondant au traitement comptable accordé à ces actions dans les bilans de Crédit Ford. Il a fait remarquer que l’IGS était un impôt sur le capital et qu’il n’était pas surprenant que le législateur ait exigé le recours aux PCGR pour le calcul de l’assiette fiscale.

 

[16]           Au paragraphe 32 de sa décision, le juge en chef Bowman a conclu, eu égard aux décisions Oerlikon Aérospatiale Inc. c. La Reine, [1998] 4 C.T.C. 2821 (C.C.I.), Compagnie d’assurance-vie Manufacturers c. La Reine, [2001] 1 C.T.C. 2481 (C.C.I.), PCL Construction Management Inc. c. La Reine, [2001] 1 C.T.C. 2132 (C.C.I.) et Royal Trust Company c. La Reine, [2001] 3 C.T.C. 2268 (C.C.I.), et compte tenu du sens ordinaire du paragraphe 181(3), que la qualification selon les PCGR des termes figurant au bilan devait être utilisée pour déterminer la base du calcul de l’IGS en application de la partie I.3 de la LIR. Partant de là, il a conclu que le montant de 1 170 000 000 $ relatif aux actions de la catégorie C qui était inscrit comme passif dans le bilan de Crédit Ford pour les années d’imposition 2001, 2002 et 2003 ne correspondait pas à du capital-actions et qu’en conséquence ce montant n’était pas assujetti à l’impôt prévu à la partie I.3 de la LIR pour ces années.

 

QUESTION EN LITIGE

[17]           Il s’agit de décider si les montants inscrits dans le bilan de Crédit Ford au titre des actions de la catégorie C pour chacune des années d’imposition en question constituent une partie de son capital-actions et, par conséquent, une partie de son capital, pour ces années d’imposition.

 

ANALYSE

[18]           Le ministre prétend que le juge en chef Bowman a commis une erreur en concluant que la jurisprudence existante et le sens ordinaire du paragraphe 181(3) commandent l’adoption de la qualification comptable des termes figurant au bilan pour déterminer le capital d’une société aux fins de l’IGS. Le ministre a fait valoir que la plupart des éléments constitutifs du capital d’une société aux fins de l’IGS sont tirés de principes comptables et que, si un élément du capital tient son sens principalement des PCGR, il s’ensuit que le sens comptable attribué à cet élément doit avoir préséance. Cependant, selon le ministre, si un élément constitutif du capital d’une société a un sens juridique courant, c’est ce dernier sens qui doit l’emporter.

 

[19]           En toute déférence, je ne suis pas d’accord avec la dichotomie proposée. Le sens à attribuer au terme « capital-actions » pour l’application de la partie I.3 de la LIR doit être dégagé à la lumière des dispositions du paragraphe 181(3). Selon moi, le libellé du paragraphe 181(3) n’envisage pas de distinction entre les termes ayant un sens juridique courant et ceux ayant un sens principalement comptable.

 

[20]           Pour bien interpréter le paragraphe 181(3) de la LIR, il faut tenir compte du contexte d’environ seize ans d’existence, soit du milieu de 1989 au début de 2006. En créant l’IGS pour lutter contre le déficit, le législateur avait certainement l’intention d’en faire une mesure temporaire. On peut présumer que celui-ci n’entrevoyait pas le fait que le gouvernement fédéral enregistrerait un déficit à chaque année. Dans ce contexte, le législateur pouvait soit créer un régime législatif détaillé afin de percevoir ce nouvel impôt temporaire sur le capital, soit adopter une démarche simplifiée. À mon avis, en édictant le paragraphe 181(3), le législateur a essentiellement choisi d’adopter, à l’égard du nouvel impôt temporaire, une méthode de calcul du capital bien connue des grandes sociétés. Les états financiers de ces dernières sont couramment établis et vérifiés conformément aux PCGR. Par conséquent, l’adoption des PCGR comme principal outil servant au calcul de l’assiette de l’impôt sur le capital de la plupart des sociétés faisait en sorte que le nouvel impôt temporaire serait relativement simple à mettre en œuvre et à gérer. Toutefois, les PCGR n’ont pas été adoptés dans leur intégralité.

 

[21]           Lorsque le législateur a jugé qu’il était souhaitable de déroger aux PCGR, il a apporté les modifications nécessaires en édictant des dispositions législatives à cet effet. Deux importants éléments constitutifs du capital, à savoir le « passif à long terme » et les « réserves », ont été définis par la LIR au paragraphe 181(1). En outre, l’alinéa 181(3)a) prévoit que ni la consolidation ni la méthode de comptabilisation à la valeur de consolidation ne peuvent être utilisées aux fins précisées dans le passage introductif du paragraphe 181(3). Par ailleurs, si le paragraphe 181(3) n’était pas censé considérer les PCGR comme principal outil de calcul de l’assiette de l’impôt sur le capital pour la plupart des sociétés, le législateur aurait pu le préciser.

 

[22]           Les deux parties au présent appel ont mentionné le fait que, depuis son édiction en 1989, la partie I.3 de la LIR a subi plusieurs modifications. En 1997, le paragraphe 181.2(3) a été modifié afin de prévoir l’inclusion des gains et pertes sur change non réalisés et reportés dans le calcul du capital des sociétés autres que les institutions financières. Je suis d’avis que cette mesure du législateur visant à corriger ce qu’il jugeait, en ce qui touche l’IGS, être une lacune dans la façon dont les gains et pertes sur change non réalisés et reportés étaient traités selon le PCGR, étaye l’argument voulant que le législateur entendait s’en remettre aux PCGR comme outil principal de calcul du capital aux fins de l’IGS, sauf dans les cas expressément prévus à la partie I.3 de la LIR.

 

[23]           Un point de vue semblable a été exprimé par le ministère des Finances dans une « lettre d’accord » datée du 24 août 1995 et mentionnée dans le mémoire du ministre. La lettre, qui traitait des modifications apportées au paragraphe 181.2(3) mentionnées précédemment, comporte un passage pertinent :

[traduction]

Comme vous le savez sans doute, la politique du ministère consiste généralement à s’en remettre aux principes comptables généralement reconnus (PCGR) pour le calcul du capital aux fins de l’IGS. Toutefois, le fait de traiter les gains et pertes sur change en conformité avec les PCGR pourrait entraîner des modifications à l’IGS d’une société dans les cas où il n’y a pas eu de changement dans la composition de son assiette fiscale. Comme il s’agit d’un résultat indésirable au plan de la politique, une exception étroitement circonscrite à l’application des PCGR a été adoptée.

 

 

[24]           Le sous-alinéa 181(3)b)(ii) démontre que le législateur entendait s’en remettre à des normes externes pour la détermination de l’IGS à payer. Cette disposition s’applique aux banques et aux compagnies d’assurance et précise que les montants figurant dans leur bilan accepté par l’autorité de réglementation compétente doivent être utilisés, sans condition ni réserve, aux fins mentionnées dans le passage introductif du paragraphe 181(3).

 

[25]           Le ministre se fonde sur les décisions Oerlikon et Autobus Thomas pour étayer l’argument voulant qu’à l’égard d’au moins certains éléments du capital d’un contribuable, c’est la nature juridique de l’élément qui doit servir à en établir l’importance et non la qualification qui en est faite dans le bilan du contribuable selon les PCGR. Bien que cet argument ne soit pas dépourvu de tout mérite, aucune de ces décisions ne portait précisément sur la question de l’interprétation du paragraphe 181(3). De plus, chacune d’elles avait trait à une situation où le montant en litige avait été inscrit dans le bilan du contribuable visé, lequel en demandait néanmoins l’exclusion aux fins du calcul de l’impôt prévu à la partie I.3 de la LIR.

 

[26]           Le ministre a aussi fait renvoi à la décision Compagnie d’assurance-vie Manufacturers qui, contrairement aux décisions Oerlikon et Autobus Thomas, traitait directement du paragraphe 181(3). Dans cette affaire, le contribuable était une compagnie d’assurance visée au sous-alinéa 181(3)b)(ii) et, à ce titre, il avait présenté son bilan pour l’année d’imposition en cause au surintendant des institutions financières, qui l’avait accepté. L’objet du litige visait la partie non amortie de gains que le contribuable n’avait pas incluse dans son bilan. Pour établir l’impôt payable par le contribuable, le ministre avait jugé que le montant en cause aurait dû être inclus dans son capital aux fins du calcul de l’IGS. Rejetant l’appel du ministre, le juge Rothstein (tel était alors son titre) avait ceci à dire, aux paragraphes 5 et 6 de ses motifs, au sujet de l’effet de l’alinéa 181(3)b)(ii) :

[5] Les parties ont admis que, dans le présent cas, la partie non amortie des gains réalisés n’a pas été constatée dans le bilan de l’intimée à titre de réserves ou de surplus. Il ressort de la preuve que le surintendant a accepté le bilan. Le sous-alinéa 181(3)b)(ii) exige que les montants afférents au capital d’une compagnie correspondent aux montants qui figurent dans le bilan de la compagnie accepté par le surintendant. Le ministre n’a pas la possibilité de modifier les montants ou les qualifications qui ont été acceptés par le surintendant et ceux-ci doivent être utilisés pour fixer l’impôt sur le capital.

 

[6] Pourtant, le ministre soutient que le sous-alinéa 181(3)b)(ii) exige seulement d’utiliser le bilan de l’intimée comme point de départ et que des corrections ou des modifications peuvent être apportées à la qualification des postes du bilan afin de déterminer l’impôt sur le capital à payer. Pour les motifs que j’ai donnés, je ne pense pas que le ministre puisse invoquer cet argument. Toutefois, par souci d’exhaustivité, je vais aborder brièvement l’argument du ministre.

 

[Non souligné dans l’original.]

 

[27]           À mon avis, cette décision est loin d’aider la cause du ministre en l’espèce. Essentiellement, le juge Rothstein a statué que le bilan du contribuable devait être accepté aux fins de l’IGS si le surintendant des institutions financières l’avait lui-même accepté. J’estime que la même logique devrait s’appliquer lorsque la société en cause est assujettie au sous-alinéa 181(3)b)(i) plutôt qu’au sous-alinéa 181(3)b)(ii). Partant de ce principe, le bilan en cause doit être accepté pour le calcul de l’IGS payable par la société lorsqu’il a été établi conformément aux PCGR et qu’il respecte par ailleurs les dispositions particulières de la partie I.3.

 

[28]           Cela ne signifie pas que le ministre ou les tribunaux ne peuvent pas procéder à un examen des bilans établis conformément aux PCGR. Le ministre aura toujours la possibilité d’arguer que la qualification qui est faite d’un élément du bilan n’est pas conforme à ce qui est prévu par les PCGR. Les tribunaux auraient alors l’obligation de trancher la question, en tenant compte de la preuve d’experts en matière comptable. Voir Inco Ltée c. Canada, 2007 CCI 1, [2007] T.C.J. no 2.

 

[29]           L’avocat du ministre a fait valoir que le sous-alinéa 181(3)b)(i) devait être interprété comme exigeant le recours aux PCGR dans leur version applicable au moment de l’entrée en vigueur de la partie I.3 de la LIR en 1989. Selon moi, cet argument n’est pas soutenable. Si le législateur avait voulu qu’il en soit ainsi, il lui aurait été relativement facile de l’indiquer dans les dispositions relatives à l’IGS. De plus, ce point de vue va à l’encontre de l’objectif d’adopter une méthode simple et pratique pour administrer l’IGS. Si on l’adoptait, les sociétés seraient tenues de dresser deux bilans distincts, l’un conforme aux PCGR en vigueur, à l’intention de leurs actionnaires, l’autre conforme aux PCGR de 1989, aux fins de l’IGS. Le législateur n’a pas pu, selon moi, vouloir une telle conséquence.

 

CONCLUSION

[30]           Il n’est pas contesté que les montants inscrits dans le bilan de Crédit Ford au titre des actions de la catégorie C pour les années d’imposition 2001, 2002 et 2003 ont été correctement qualifiés d’élément de passif de Crédit Ford selon les PCGR. En outre, personne n’a prétendu que les dispositions de la partie I.3 imposent une autre qualification. Par conséquent, pour les motifs énoncés, ces montants n’ont pas à être inclus, pour les années d’imposition en cause, dans le capital de Crédit Ford pour l’application de la partie I.3 de la LIR.

 

DISPOSITIF

[31]           Pour les motifs énoncés ci-dessus, je rejetterais l’appel avec dépens.

 

« C. Michael Ryer »

Juge

 

« Je souscris aux présents motifs.

Robert Décary, juge »

 

« Je souscris aux présents motifs.

John M. Evans, juge »

 

 

Traduction certifiée conforme

Lynne Davidson-Fournier, traductrice-conseil


                                                     COUR D’APPEL FÉDÉRALE

 

                                              AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

DOSSIER :                                                                            A-410-06

 

INTITULÉ DE LA CAUSE :                                                Procureur général du Canada c.

                                                                                                Crédit Ford du Canada Limitée

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                                                     Ottawa (Ontario)

 

DATE DE L’AUDIENCE :                                                   le 15 mai 2007

 

MOTIFS DU JUGEMENT :                                                 le juge Ryer

 

Y ONT SOUSCRIT :                                                             le juge Décary

                                                                                                le juge Evans

 

DATE DES MOTIFS :                                                          le 11 juin 2007

 

 

COMPARUTIONS : 

 

 

Catherine Letellier De St-Just

Harry Erlichman                                                                        POUR L’APPELANT

 

 

David E. Spiro

Edward P. Miller                                                                      POUR L’INTIMÉE

 

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

John H. Sims, c.r.

Sous-procureur général du Canada

Ottawa (Ontario)                                                                      POUR L’APPELANT

 

 

Blake, Cassels & Graydon LLP

Toronto (Ontario)                                                                     POUR L’INTIMÉE

 

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