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Date : 20070718

Dossier : A-62-06

Référence : 2007 CAF 258

 

CORAM :      LE JUGE DÉCARY

                        LE JUGE LÉTOURNEAU

                        LA JUGE TRUDEL

 

ENTRE :

REMO IMPORTS LTD.

appelante

et

JAGUAR CARS LIMITED

et

FORD MOTOR COMPANY OF CANADA, LIMITED/FORD DU CANADA LIMITÉE exploitant une entreprise sous la raison sociale JAGUAR CANADA

 

intimées

 

 

 

 

 

Audience tenue à Montréal (Québec), les 26, 27 et 28 juin 2007

Jugement rendu à Ottawa (Ontario), le 18 juillet 2007

 

 

MOTIFS DU JUGEMENT :                                                                          LE JUGE LÉTOURNEAU

Y ONT SOUSCRIT :                                                                                     LE JUGE DÉCARY

                                                                                                                        LA JUGE TRUDEL

 


Date : 20070718

Dossier : A-62-06

Référence : 2007 CAF 258

 

CORAM :      LE JUGE DÉCARY

                        LE JUGE LÉTOURNEAU

                        LA JUGE TRUDEL

 

ENTRE :

REMO IMPORTS LTD.

appelante

et

JAGUAR CARS LIMITED

et

FORD MOTOR COMPANY OF CANADA, LIMITED/FORD DU CANADA LIMITÉE exploitant une entreprise sous la raison sociale JAGUAR CANADA

 

intimées

 

MOTIFS DU JUGEMENT

 

LE JUGE LÉTOURNEAU

 

[1]               La présente instance concerne un appel et un appel incident interjetés d’une décision (2006 CF 21) rendue par le juge Shore de la Cour fédérale du Canada (le juge).

 

[2]               Par sa décision, le juge a rejeté l’action en contrefaçon de l’appelante et fait droit à la demande reconventionnelle des intimées. Il a déclaré invalide la marque de commerce déposée no 263924 de l’appelante et l’a radiée du registre. Il a déclaré valides les enregistrements nos 378643 et 378644 des intimées, y compris les marchandises suivantes faisant l’objet d’une opposition de la part de l’appelante : étuis pour permis de conduire, étuis pour portefeuilles, étuis pour cartes d’affaires, ceintures, étuis pour cartes de crédit, étuis à clés, carnets d’adresses, carnets de notes, étuis pour passeports, étuis de beauté, étuis à documents et portefeuilles de poche.

 

[3]               De plus, le juge a accordé une injonction permanente interdisant de façon générale à l’appelante d’employer la marque de commerce JAGUAR ou le dessin d’un jaguar bondissant, de vendre et d’annoncer des produits utilisant la marque de commerce ou le dessin en question et de faire passer ses marchandises pour celles des intimées. Le juge a également ordonné la destruction de tous les produits se trouvant en la possession ou sous le contrôle de l’appelante et qui portaient une marque de commerce, un nom commercial ou une raison sociale en contravention de l’injonction.

 

[4]               Enfin, le juge a rejeté la demande de dommages‑intérêts des intimées. Cette partie de la décision du juge fait l’objet de l’appel incident des intimées.

 

[5]               L’appelante a d’abord demandé à la Cour d’infirmer la décision du juge, de déclarer sa marque de commerce valide et de modifier les marques de commerce des intimées de manière à supprimer de la description des marchandises celles auxquelles l’appelante s’opposait. Elle a aussi réclamé un jugement déclarant que les intimées ont contrefait sa marque de commerce, radiant les marques de commerce des intimées et accordant une injonction permanente obligeant les intimées à cesser de contrefaire la marque de commerce de l’appelante.

 

[6]               L’appelante réclame d’autres réparations, notamment des dommages-intérêts. Il n’est toutefois pas nécessaire d’exposer ces réparations en détail dans le cadre du présent appel.

 

[7]               Les parties ont inutilement et indûment rendu complexe une affaire qui était, à l’origine, simple. Le jugement de 143 pages de la Cour fédérale, avec son emploi regrettable de termes vagues, n’a rien fait pour améliorer la situation.

 

[8]               Le déroulement de l’appel a lui aussi été laborieux. La Cour a dû rendre des ordonnances pour forcer les parties à respecter les limites du raisonnable et pour les obliger à se conformer aux Règles des Cours fédérales (les Règles) : voir les ordonnances rendues par le juge Sexton le 9 août 2006, par le juge Décary le 5 septembre 2006, par le juge Noël le 9 novembre 2006, et par le juge Létourneau le 20 décembre 2006.

 

[9]               Et pourtant, l’avis d’appel modifié que l’appelante a déposé ne compte pas moins de quarante‑neuf (49) pages. Dans l’arrêt Marchand Syndics Inc. c. Canada (Surintendant des faillites), 2006 CAF 368, la Cour a réaffirmé le rôle et l’objet de l’avis d’appel. Voici ce que j’ai écrit au paragraphe 14, au nom de la Cour :

 

[...] [L]a Règle 337 stipule bien que l’avis d’appel doit contenir un énoncé complet et concis des motifs qui seront invoqués. Ce sont ces motifs que normalement développe le Mémoire des faits et du droit. L’avis d’appel des appelants coure sur vingt (20) pages et reflète tout, sauf la concision, la précision et l’intégralité des motifs d’appel. Il est en fait un Mémoire déguisé imparfait des faits et du droit.

 

Comme on le verra plus loin, cet énoncé est encore plus vrai en l’espèce.

 

[10]           Trois jours avant l’instruction de l’appel, l’appelante a informé par lettre le greffe de la Cour qu’elle se désistait de son action en contrefaçon contre les intimées ainsi que de sa demande de radiation des marques de commerce des intimées.

 

[11]           Le matin du premier jour de l’audience, un autre avocat de l’appelante, qui venait d’être ajouté au dossier, a formulé des observations devant la Cour. Il a soutenu que le juge avait commis cinq erreurs de droit qui justifiaient l’infirmation de sa décision. Certaines de ces présumées erreurs n’avaient pas été traitées dans le mémoire des faits et du droit ou dans l’avis d’appel modifié. D’autres avaient à peine été évoquées ou encore formulées en des termes tellement vagues dans les conclusions écrites qu’il serait difficile de déceler la suite qui leur serait donnée à l’audience. L’appel a par conséquent pris une tournure différente et nous avons exprimé notre crainte qu’il ne soit devenu un piège tendu à la partie adverse.

 

[12]           Les intimées s’opposent à ce que la Cour statue sur toute question soulevée pour la première fois en appel. Elles invoquent, à l’appui de leur objection, les décisions Kioroglo c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [1994] A.C.F. no 1606, et Mishak c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [1999] A.C.F. no 1242, dans lesquelles la Cour fédérale a cité les propos suivants tenus par notre collègue le juge Décary dans l’arrêt Sola Abel Lanlehin c. M.E.I., A-610-90, le 2 mars 1993 :

Ce dossier soulève des questions troublantes quant à la validité de la décision rendue par la Section du statut, notamment, quant à la participation de l’un des deux membres aux motifs de la décision. Ces questions n’avaient toutefois pas été soulevées par l’appelant dans son mémoire et il se peut que l’intimée, l’eût-elle su en temps utile, aurait été en mesure d’expliquer les contradictions qui apparaissent au dossier. À ce stade, il ne nous est pas possible de supposer l’invalidité de la décision et nous sommes d’avis, dans les circonstances, de rejeter l’appel.

Dans l’affaire Kioroglo, l’avocat des demandeurs avait cherché à introduire un nouveau moyen qui ne figurait pas dans la demande de contrôle judiciaire, alors que dans l’affaire Mishak, les demandeurs voulaient plaider une question qui ne se trouvait pas dans leur mémoire des faits et du droit. Dans les deux cas, la Cour fédérale a retenu l’objection formulée par le défendeur.

 

[13]           Les intimées ont parfaitement le droit de se plaindre. En principe, pour des raisons évidentes, la Cour refuse de statuer sur des moyens d’appel qui n’ont pas été soulevés dans l’avis d’appel ou dans le mémoire des faits et du droit. Bien qu’elle puisse faire exception notamment pour les questions de compétence, ce n’est pas le cas en l’espèce.

 

[14]           Ignorant le sort que la Cour réservera à leur objection, les intimées ont plaidé au fond sur chacune des cinq erreurs alléguées. J’estime qu’il est nécessaire de préciser ces erreurs de manière à ce que les plaideurs qui, à l’avenir, souhaiteraient se fonder sur la décision de la Cour fédérale puissent les connaître et être au courant de la suite que la Cour d’appel leur a donnée.

 

[15]           L’appelante affirme que le juge :

 

a)         a commis une erreur en obligeant l’appelante à établir la probabilité de confusion et en appliquant ensuite le mauvais critère pour déterminer s’il y avait confusion ou probabilité de confusion;

 

b)         a radié à tort la marque de commerce de l’appelante pour deux motifs, à savoir la tromperie et la diminution de la valeur, qui ne sont pas des motifs d’invalidité prévus à l’article 18 de la Loi sur les marques de commerce, L.R.C. 1985, ch. T-13, modifiée (la Loi);

 

c)         a radié à tort la marque de commerce de l’appelante pour usage antérieur alors que le délai de prescription prévu au paragraphe 17(2) de la Loi était expiré;

 

d)         a radié à tort la marque de commerce de l’appelante au motif que la marque de commerce était invalide car elle n’était pas enregistrable parce qu’elle créait de la confusion (alinéa 18(1)a)) et parce qu’elle ne permettait pas de distinguer les marchandises de l’appelante de celles des intimées (alinéa 18(1)b));

 

e)         a accordé sans raison valable une injonction contre l’appelante.

 

[16]           Avant d’examiner les arguments de l’avocat de l’appelante, je tiens à trancher le principal moyen d’appel invoqué par l’appelante au sujet de la notoriété des marques de commerce JAGUAR des intimées.

 

Notoriété des marques de commerce « JAGUAR » des intimées en liaison avec des automobiles, des articles de bagage et d’autres accessoires connexes en 1980, 1990 et encore aujourd’hui

 

 

[17]           Le juge a conclu que les marques de commerce des intimées étaient devenues célèbres en liaison avec des automobiles et des articles de bagage en 1980. Voici ce qu’il écrit au paragraphe 213 de ses motifs de jugement :

[213] Les témoins de Jaguar Cars ont montré qu’il y a eu une extension naturelle de la marque de voitures de luxe pour y inclure des articles de bagage, et ce, depuis 1980 au moins. Voici une liste de ces articles :

 

[traduction] Bagages, sacs, mallettes, poches, fourre‑tout et autres marchandises servant à ranger ou à transporter de petits objets; mallettes à documents, porte‑documents, sacs à main; sacs d’école; étuis pour permis, portefeuilles, porte‑cartes; anneaux porte‑clés, porte‑clés; housses à vêtements, valises, sacoches de vol, serviettes, chaînettes pour porte‑clés, sacs de sport; étuis pour permis de conduire, étuis pour portefeuille, étuis pour cartes d’affaires, ceintures, étuis pour cartes de crédit, étuis pour passeports, étuis de beauté; étuis à documents, portefeuilles de poche; carnets d’adresses, carnets de notes, sacs à appareil‑photo; sacs à dos, bagages de cabine, sacs de voyage, sacs de sport, sacs de tennis, sacs et pochettes à maquillage, ceintures porte‑billets, sacoches de ceinture, sacs‑repas et sacs pour ordinateur.

 

[18]           Il a également conclu que les marques de commerce des intimées étaient encore bien connues au moment où l’appelante a introduit son action contre les intimées en 1991 et qu’elles le sont encore aujourd’hui.

 

[19]           Après avoir parcouru cet abondant dossier (6 000 pièces, des centaines de classeurs, des dizaines d’échantillons), je suis convaincu qu’il y a amplement d’éléments de preuve solides dans l’exposé conjoint des faits et dans la preuve volumineuse présentée par les intimées pour justifier la conclusion du juge. Je ne constate, sur cette question, aucune erreur manifeste et dominante qui justifierait ou exigerait notre intervention.

 

[20]           J’ajouterais, pour reprendre l’expression d’un juge d’appel américain, que les juges n’ont pas à jouer au détective (Dow Agrosciences Canada Inc. c. Philom Bios Inc., 2007 ABCA 122, au paragraphe 53). On ne peut pas s’attendre à ce que les juges d’appel se mettent à la recherche d’éléments de preuve susceptibles d’appuyer ou de compléter les allégations générales formulées par une des parties à l’appel.

 

Le juge a-t-il commis une erreur en obligeant l’appelante à établir qu’il n’y a aucune probabilité de confusion et en appliquant le mauvais critère à la question de la confusion?

 

 

1.         Erreur alléguée en ce qui concerne le fardeau de la preuve

 

[21]           Le paragraphe 88 du mémoire des faits et du droit de l’appelante est le seul fondement du raisonnement fouillé que l’appelante a développé à l’audience. En voici le texte :

[traduction]

 

88. Il est respectueusement allégué que les critères énoncés au paragraphe 6(2) de la Loi n’ont pas été établis par les intimées, alors qu’il leur incombait de le faire. En conséquence, le juge de première instance a commis une erreur au paragraphe 306 de ses motifs (dossier d’appel, vol. 1, p. 219).

 

 

[22]           Voici en quels termes le juge s’est exprimé au paragraphe 306 de ses motifs de jugement :

 

[306] Lorsque la marque d’un ancien utilisateur est devenue très bien connue partout au Canada et/ou à l’étranger, elle a droit à une protection générale beaucoup plus étendue que celle accordée aux marchandises à l’égard desquelles la marque a été employée. Dans de tels cas, le fardeau qui incombe au nouvel utilisateur pour réfuter toute probabilité de confusion est particulièrement difficile. Remo ne s’est pas acquittée du lourd fardeau qui lui incombait de réfuter la probabilité de confusion au moment où la marque d’automobile JAGUAR était célèbre aux dates pertinentes.

                                                                                      [Non souligné dans l’original.]

 

[23]           L’avocat de l’appelante soutient qu’il incombait aux intimées, qui réclamaient la radiation de la marque de commerce de l’appelante, de faire la preuve de la probabilité de confusion. Il invoque la décision Parke, Davis & Co., Ltd. c. Empire Laboratories Ltd., 41 C.P.R. 121, dans laquelle le juge Noël de la Cour de l’Échiquier du Canada a statué que le fardeau de démontrer l’invalidité incombe à la partie qui demande la radiation.

 

[24]           En toute justice pour le juge, je dois préciser que chacune des parties à l’instance réclamait la radiation de la marque de commerce de l’autre. Dans ces conditions, il aurait été utile que le juge traite globalement de la question du fardeau de la preuve.

 

[25]           Pour arriver à la conclusion qu’il a tirée au paragraphe 306 de ses motifs, le juge s’est fondé sur la décision de la Cour fédérale dans l’affaire Advance Magazine Publishers Inc. c. Masco Building Products Corp., 86 C.P.R. (3d) 207.

 

[26]           Cette affaire portait sur une opposition à l’enregistrement d’une marque de commerce. En pareil cas, c’est à celui qui demande l’enregistrement de la marque de commerce qu’il incombe de démontrer qu’il n’y a pas de probabilité de confusion si l’enregistrement est accordé. En l’espèce, toutefois, la situation est différente. Les intimées réclament la radiation d’une marque déposée. Je conviens avec l’appelante que c’est aux intimées qu’il incombait de faire la preuve de la confusion (voir Parke, Davis & Co., Ltd., précitée).

 

[27]           L’appelante soutient par ailleurs que cette erreur du juge a influencé les autres questions. Ainsi, les motifs du jugement sont muets sur la question du fardeau de la preuve en ce qui concerne la diminution de la valeur de l’achalandage attaché aux marques de commerce des intimées. Suivant l’appelante, il n’est pas déraisonnable de conclure que le juge a appliqué à cette question le même raisonnement que dans le cas de la question de la confusion.

 

[28]           La Cour suprême du Canada a confirmé que le fardeau de la preuve incombe à la partie qui affirme que sa marque de commerce a été contrefaite. Dans l’arrêt Veuve Clicquot Ponsardin c. Boutiques Cliquot Ltée, 2006 CSC 23, le juge Binnie a écrit, au paragraphe 15 :

Malgré l’indubitable renommée de la marque, il appartenait à l’appelante de prouver la probabilité de dépréciation, et non aux intimées de la réfuter ni au tribunal de la présumer.

 

[29]           Je suis disposé à accepter l’argument de l’appelante suivant lequel si le juge a commis l’erreur qui lui est reprochée au sujet de la question de la confusion, il a selon toute vraisemblance commis la même erreur en ce qui concerne la diminution de la valeur. L’avocat des intimées a admis que cette inférence était raisonnable et il a fait valoir que la conclusion contraire devrait être tirée si la Cour devait conclure que le juge n’a pas commis d’erreur au sujet de la probabilité de confusion.

 

[30]           L’avocat des intimées affirme que le juge a tenu les propos contestés dans le contexte de la difficulté spéciale créée par l’existence d’une marque bien connue lorsqu’il s’agit de réfuter les éléments de preuve relatifs à la confusion qui sont présentés par le propriétaire de la marque bien connue.

 

[31]           Il n’y a aucun doute que les propos du juge sont, au mieux, ambigus. Le fait qu’il cite la décision Advance tendrait à appuyer l’interprétation étroite et ordinaire que l’appelante fait du paragraphe 306 des motifs du jugement.

 

[32]           Toutefois, au sous-alinéa 258(7)f) de ses motifs, où il a fait une distinction entre l’affaire Toyota Jidosha Kabushiki Kaisha c. Lexus Foods Inc. (2000), 9 C.P.R. (4th) 297, et la présente espèce, le juge a reconnu expressément que les fardeaux de preuve dans une affaire portant sur une opposition « diffèrent largement de ceux des causes d’action et des motifs de radiation en cause en l’espèce ». Il était conscient que le fardeau de la preuve est différent dans les affaires de radiation.

 

[33]           De plus, le juge a employé à deux reprises le mot « réfuter » relativement à la probabilité de confusion. Or, le mot « réfuter » n’est logique, dans ce contexte, que si la probabilité de confusion a déjà été établie par le propriétaire de la marque célèbre. On ne peut réfuter ce qui n’existe pas. On ne saurait interpréter ce mot comme imposant à l’appelante le fardeau initial en ce qui concerne la probabilité de confusion.

 

[34]           Je crois, en fin de compte, que le juge disait simplement que, lorsque la probabilité de confusion avec une marque de commerce notoire ayant droit à une protection étendue a été démontré, il est difficile de réfuter cette preuve. À mon sens, le mot « fardeau » au paragraphe 306 n’était pas employé au sens juridique de fardeau de la preuve, mais plutôt dans le sens courant ou familier de tâche ardue ou difficile.

 

[35]           Quoi qu’il en soit, même si l’on devait supposer que le juge a commis une erreur de droit au sujet du fardeau de la preuve, cette erreur, comme nous le verrons, ne tirerait pas à conséquence. Ce qui m’amène au second volet de la première erreur alléguée, en l’occurrence la question de savoir si le juge a appliqué le mauvais critère en ce qui concerne la confusion.

 

2.         Le juge a-t-il appliqué le mauvais critère en ce qui concerne la confusion?

 

[36]           En ce qui concerne la confusion, la thèse de l’appelante est que, même s’il a cité la Loi et énoncé le critère qui figure effectivement dans la Loi, le juge a appliqué un critère erroné. L’avocat de l’appelante trouve appui pour son opinion dans les paragraphes 7, 303(2) et 345 des motifs du jugement. Je tiens à signaler qu’au paragraphe 2(3) du jugement lui-même, on trouve une conclusion claire au sujet de la probabilité de confusion actuelle et à venir.

 

[37]           Les paragraphes contestés et le paragraphe 2(3) du jugement sont ainsi libellés :

 

[7] La conclusion ultime de la Cour est que, même s’il n’y a pas eu de confusion dans le passé, celle‑ci a la possibilité d’exister, ce qui, en soi, est un fait d’une grande signification.

 

                                                                                                [Souligné dans l’original.]

 

[303] (2) La probabilité de confusion est établie selon la « prépondérance de la preuve ». La probabilité de confusion a été établie même si elle n’existait pas réellement.

 

                                                                                                 [Non souligné dans l’original.]

 

[345] Selon les principes susmentionnés concernant la confusion, il est conclu que la confusion est possible.

                                                                                                 [Non souligné dans l’original.]

 

2.    L’enregistrement n263,924 de la demanderesse a toujours été et demeure invalide, et est radié pour les motifs suivants, qui s’appliquent pendant toute la période pertinente :

 

[...]

 

(3)        L’emploi de la marque JAGUAR de la demanderesse en liaison avec des articles de bagage est susceptible de créer de la confusion avec la marque de commerce JAGUAR de la défenderesse pour des automobiles et des articles de bagage; par conséquent :

 

                                                                                          [Non souligné dans l’original.]

 

 

[38]           Les trois énoncés cités par l’appelante sont perdus dans une foule d’autres déclarations portant sur la confusion (voir les paragraphes 298, 302, 303(4), 303(5), 306, 308, 310, 313, 317) et, comme je l’ai déjà mentionné, dans le dispositif du jugement. Ces énoncés sont troublants car ils parlent de possibilité de confusion et non de probabilité de confusion. Or, une simple possibilité de confusion n’est pas suffisante pour invalider une marque de commerce : voir les arrêts Veuve Clicquot Ponsard, précité, au paragraphe 37, Mattel Inc. c. 3894207 Canada Inc., 2006 CSC 22, 38 C.P.R. (4th) 214 (C.A.F.); Anheuser-Busch, Inc. c. Carling O’Keefe Breweries of Canada Ltd., 10 C.P.R. (3d) 433 (C.A.F.). En fait, au paragraphe 303(2) de ses motifs, le juge dilue le critère en le ramenant à celui d’une simple possibilité d’une probabilité de confusion.

 

[39]           Je suis d’accord avec l’appelante pour dire que les trois énoncés en question témoignent d’une conception ou d’une compréhension erronées du critère. Cela ne résout pas pour autant la question.

 

[40]           Le dossier renfermait des faits qui étaient susceptibles d’amener le juge à conclure qu’il existait des éléments de preuve tendant à démontrer l’existence à tout le moins d’une probabilité de confusion, sinon de confusion effective. Premièrement, la définition que l’appelante a donnée de sa « maroquinerie » englobait les quatre articles énumérés dans sa marque de commerce, à savoir des sacs fourre-tout, des sacs à main, des sacs d’école et des bagages : voir le dossier d’appel, volume 2, à la page 362, admission D. 356.

 

[41]           Deuxièmement, la liste d’articles de bagage des intimées comprenait les quatre articles susmentionnés : voir le dossier d’appel des intimées, volume 2, page 697, au paragraphe 2, et la définition des articles de bagage que l’on trouve à l’annexe A, à la page 699.

 

[42]           Troisièmement, l’appelante a admis au procès qu’il existait de la confusion avec certaines des marchandises des intimées. Cette admission se trouve au volume 1 du dossier d’appel, à la page 375 :

[traduction]

 

Confusion

 

D509. L’emploi, par la demanderesse, de la marque de commerce JAGUAR en liaison avec les marchandises de la demanderesse crée de la confusion avec la marque de commerce JAGUAR de Jaguar Cars employée en liaison avec des étuis pour permis de conduire, des étuis pour portefeuilles, des étuis pour cartes d’affaires, des ceintures, des étuis pour cartes de crédit, des étuis à clés, des carnets d’adresses, des carnets de notes, des étuis pour passeports, des étuis de beauté, des étuis à documents et des portefeuilles de poche :

 

(1) à la date de l’introduction de l’action

 

(2) et à l’heure actuelle.

                                                                                    [Non souligné dans l’original.]

 

[43]           L’avocat de l’appelante souligne que l’admission en question ne vise pas les quatre articles susmentionnés qui constituent un aspect important de la marque de commerce déposée et du commerce de l’appelante. On se souviendra que le juge a conclu que, depuis 1980 au moins, ces quatre articles étaient visés par l’« extension naturelle de la marque de voitures de luxe pour y inclure des articles de bagage » : voir le paragraphe 213 des motifs du jugement.

 

[44]           À mon avis, on peut comprendre la question de la manière suivante : l’appelante admet effectivement qu’en 1991 et en date du procès, il existait une confusion entre ses marchandises et les marchandises des intimées d’une catégorie légèrement différente. Vu cette admission, il est difficile d’imaginer comment et pourquoi le juge ne pouvait pas conclure à tout le moins à une probabilité de confusion entre des marchandises similaires ou de même catégorie, en l’occurrence les bagages, fourre-tout, sacs d’école et sacs à main de l’appelante et les bagages et les sacs des intimées. Il était en droit de tirer cette conclusion après avoir conclu que les marques de commerce des intimées étaient célèbres et qu’elles s’étendaient aux marchandises attaquées.

 

[45]           Qui plus est, c’est l’appelante qui a intenté l’action en contrefaçon et qui a réclamé une injonction contre les intimées au motif que les marchandises de ces dernières créent de la confusion avec ses propres marchandises ou sont susceptibles de le faire. Les intimées ont présenté une demande reconventionnelle dans laquelle elles ont allégué aussi la confusion et affirmé que l’appelante était à l’origine de cette confusion. Le juge a donné gain de cause aux intimées.

 

[46]           Aux paragraphes 12, 14d), 15 et 17 de sa déclaration, l’appelante a dit :

 

[traduction]

 

12. De par leurs agissements, les défenderesses ont porté atteinte au droit exclusif de Remo sur la marque de commerce JAGUAR au Canada. L’emploi par les défenderesses du nom commercial JAGUAR et des marques contrefaites est susceptible de créer de la confusion au Canada avec les marques de commerce de la demanderesse.

 

14. La demanderesse soutient que les inscriptions susmentionnées du registre des marques de commerce ne correspondent pas avec exactitude aux droits existants de la défenderesse J‑England sur les marchandises suivantes :

 

étuis pour permis de conduire, étuis pour portefeuilles, étuis pour cartes d’affaires, ceintures, étuis pour cartes de crédit, étuis à clés, carnets d’adresses, carnets de notes, étuis pour passeports, étuis de beauté, étuis à documents et portefeuilles de poche (les marchandises contrefaites)

 

et ce, pour les raisons suivantes :

 

[...]

 

d)         les marques contrefaites n’étaient pas enregistrables relativement aux marchandises contrefaites étant donné qu’à l’époque, en cause elles créaient et continuent de créer de la confusion avec la marque de commerce JAGUAR préalablement enregistrée au Canada par la demanderesse.

 

15. Les marchandises contrefaites enregistrées sous les marques contrefaites, à savoir :

 

étuis pour permis de conduire, étuis pour portefeuilles, étuis pour cartes d’affaires, ceintures, étuis pour cartes de crédit, étuis à clés, carnets d’adresses, carnets de notes, étuis pour passeports, étuis de beauté, étuis à documents et portefeuilles de poche

 

entrent de toute évidence dans la même catégorie générale de marchandises que celles qui ont été enregistrées et qui sont vendues sous les marques de commerce bien connues de la demanderesse.

 

17. Les activités exercées par les défenderesses en employant les marques contrefaites et le dessin JAGUAR relativement à de la maroquinerie constituent également de la concurrence déloyale du fait :

 

a)   qu’elles appellent l’attention du public sur les marchandises et l’entreprise des défenderesses de manière à causer ou à vraisemblablement causer de la confusion au Canada entre leurs marchandises et leur entreprise et ceux de la demanderesse;

 

b)   qu’elles font passer d’autres marchandises pour celles qui sont commandées ou attendues.

                                                                                            [Non souligné dans l’original.]

 

[47]           En raison de cette présumée confusion, l’appelante a réclamé les réparations suivantes à la Cour fédérale en ce qui concerne l’emploi de la marque et du dessin du JAGUAR relativement à de la maroquinerie :

[traduction]

 

a)         FAIRE DROIT À la présente action;

 

b)         DÉCLARER que l’adoption et l’emploi par les défenderesses des marques contrefaites et du dessin JAGUAR en liaison avec de la maroquinerie portent atteinte aux droits exclusifs de la demanderesse sur sa marque de commerce JAGUAR enregistrée sous le numéro 263924;

 

c)         ACCORDER une injonction permanente enjoignant aux défenderesses, à leurs administrateurs, dirigeants, actionnaires, titulaires de licence, représentants, préposés, mandataires, associés, employés, héritiers et ayants droit et à n’importe quelle autre personne ou entité sur lesquelles les défenderesses exercent un contrôle ou dans lesquelles elles détiennent une participation, et à toute autre personne ayant connaissance des ordonnances rendues en application des présentes, de cesser immédiatement :

 

(i)                  de contrefaire ou d’être réputées contrefaire l’enregistrement no 263924 de la demanderesse portant sur la marque de commerce JAGUAR;

 

(ii)        de fabriquer, de faire fabriquer, d’importer, de vendre, d’offrir en vente, de distribuer, d’annoncer ou de faire la promotion au Canada relativement à quelque article de maroquinerie que ce soit une marque de commerce ou un nom commercial quelconque composé en tout ou en partie du mot JAGUAR ou d’une représentation d’un jaguar ou d’une combinaison de ce qui précède ou d’une marque de commerce ou d’un nom commercial susceptible de créer de la confusion avec la marque de commerce JAGUAR de REMO;

 

            (iii)       d’appeler l’attention du public sur leurs marchandises de manière à causer ou à vraisemblablement causer de la confusion au Canada entre leurs marchandises et celles de la demanderesse;

 

            (iv)       de faire passer d’autres marchandises par celles qui sont commandées ou attendues;

 

d)         ORDONNER aux défenderesse de remettre à la demanderesse toute la maroquinerie ainsi que toute publicité, annonce, affiche, documentation ou tout écrit et objet de quelque nature que ce soit s’y rapportant se trouvant en la possession ou sous la garde ou le contrôle des défenderesses ou de tiers dont les défenderesses sont responsables et qui sont susceptibles de contrevenir à l’injonction réclamée par la présente.

 

                                                                                            [Non souligné dans l’original.]

 

[48]           Or, dans le cadre de l’appel qu’elle a interjeté dans le même dossier après avoir perdu au procès, l’appelante a soutenu, à l’audience, qu’il n’y a pas de confusion entre ses marchandises, à savoir ses bagages, fourre-tout, sacs d’école et sacs à main, et tous les articles de bagages des intimées. Cette prétention a été avancée après que l’appelante se fut désistée, trois jours avant le début de l’audience, de son action en contrefaçon contre les intimées. L’appelante a sensiblement modifié ses prétentions par rapport à ce qu’elle avait soutenues devant le premier juge. En première instance, elle a intenté une action en contrefaçon dans le but d’empêcher les intimées de faire le commerce de la maroquinerie en employant le nom Jaguar. Maintenant, l’appelante cherche à faire coexister l’emploi que les parties font de leurs marques en ce qui concerne les bagages, les fourre-tout, les sacs à main et les sacs d’école. Sa thèse repose sur le fait que, étant donné que les parties exercent leurs activités dans des marchés différents, il n’y a pas de confusion entre leurs marchandises. À mon avis, le fait que les parties exercent leurs activités dans des marchés différents ne suffit pas pour infirmer la conclusion du juge quant à l’existence d’une probabilité de confusion. Il n’y a rien dans le libellé de l’enregistrement de l’une ou l’autre partie qui oblige cette partie à exercer ses activités exclusivement dans un marché déterminé, de sorte que la probabilité de confusion demeure.

 

[49]           Qui plus est, aux paragraphes 101 et 102 de son mémoire des faits et du droit, l’appelante a affirmé encore qu’il existait de la confusion et a réclamé une injonction permanente :

[traduction]

 

La preuve révèle que les intimées offrent en vente et vendent au Canada des fourre-tout, des bagages (valises et bagages) et des sacs à main en liaison avec la marque de commerce JAGUAR et qu’elles continuent de le faire jusqu’à maintenant.

 

Il est allégué que, dans la mesure où elle a établi les éléments essentiels énumérés dans l’affaire Standard Knitting, l’appelante a droit à un jugement déclarant que les intimées ont porté atteinte à ses droits exclusifs sur sa marque de commerce JAGUAR enregistrée sous le numéro 263924, ainsi qu’à une injonction permanente interdisant aux intimées, à leurs dirigeants, administrateurs, titulaires de licences, concessionnaires et employés de faire fabriquer, d’importer, d’offrir en vente, de vendre, d’annoncer ou de promouvoir au Canada des fourre-tout, valises, bagages, sacs à main et autres produits de maroquinerie en liaison avec la marque de commerce JAGUAR ou toute autre marque de commerce qui ressemble à la marque de commerce JAGUAR de l’appelante au point de créer de la confusion.

                                                                                                [Non souligné dans l’original.]

 

[50]           L’avocat de l’appelante se fonde sur les propos de la juge L’Heureux-Dubé dans l’arrêt Sport Maska Inc. c. Zittrer, [1988] 1 R.C.S. 564, pour affirmer que la Cour n’est pas liée par les prétentions de l’appelante. À la page 612, la juge L’Heureux-Dubé a écrit :

 

Il y a lieu de faire ici une digression. Le juge LeBel note dans son opinion que « Les procédures de l’intimée [l’appelante en l’espèce] confirment d’ailleurs la nature qu’elle reconnaît aux fonctions des appelants [les intimées en l’espèce] » (p. 393). Cette « admission » se retrouve au paragraphe 15 de la déclaration où l’intimée reproche aux appelants la violation de certaines obligations bien qu’ils aient « accepté le rôle d’arbitres ». Le juge LeBel semble y voir un aveu judiciaire.

 

À l’audience, l’appelante a expliqué que ce terme avait été utilisé non pas dans le sens juridique du terme, tel qu’il se retrouve au Code de procédure civile du Québec, mais plutôt dans un sens très large comme on l’emploie dans le langage courant et qu’à tout événement la qualification de la fonction des intimées étant une question de droit, il ne saurait y avoir aveu judiciaire.

 

Dans l’arrêt tout récent de cette Cour C.(G.) c. V.‑F.(T.), [1987] 2 R.C.S. 244, où une situation similaire s’était présentée, quoique dans un contexte différent, le juge Beetz, qui rend le jugement unanime de la Cour, en dispose ainsi aux pp. 257 et 258 :

 

À l’audience, le procureur des appelants a concédé que l’attribution de la garde à un tiers équivaut à une déclaration de déchéance partielle [...] Cette concession sur une question de droit ne saurait lier la Cour.

 

De même, faut‑il ici décider.

 

 

[51]           L’appelante soutient que ce passage empêche la Cour de se fonder sur son allégation que l’emploi que les parties ont respectivement fait de la marque JAGUAR a créé de la confusion. Il y a au moins deux raisons pour lesquelles on peut établir une distinction entre l’affaire Sport Maska et la présente espèce. Premièrement, il y a une grande différence entre le fait d’affirmer que la Cour n’est pas liée par les admissions des parties et le fait d’affirmer qu’une partie n’est pas liée par ses propres déclarations. C’est une chose pour un plaideur de faire valoir des moyens subsidiaires. C’en est une autre d’adopter simultanément dans le cadre du même procès des thèses reposant sur des interprétations diamétralement opposées des mêmes faits et de chercher à tirer avantage des deux positions. Ainsi que je l’ai déjà précisé, l’appelante a d’abord dit qu’il existait une confusion entre les marques des parties à tous les égards; elle soutient maintenant qu’il n’y a pas de confusion entre les marques des parties pour ce qui est des bagages, des fourre‑tout, des sacs d’école et des sacs à main. Il serait intrinsèquement illogique de donner gain de cause à l’appelante sur ce moyen. Ainsi que je l’ai déjà dit, si la marque crée de la confusion dans le cas des porte-clés et des portefeuilles, elle crée aussi de la confusion dans le cas des bagages, des fourre-tout, des sacs d’école et des sacs à main.

 

[52]           Deuxièmement, bien que, dans l’affaire Sport Maska, la Cour suprême ait traité d’une concession portant sur un point de droit, la confusion est une question mixte de fait et de droit qui comporte une importante composante factuelle. D’ailleurs, le paragraphe 6(5) de la Loi renferme une liste non exhaustive de considérations factuelles pertinentes destinées à aider la Cour dans son analyse de la confusion. Dans le cas d’une question mixte de fait et de droit qui est à ce point tributaire des faits, la Cour est en droit de s’en remettre aux faits retenus par l’appelante pour faire valoir que l’emploi par les intimées de la marque JAGUAR créait de la confusion avec les marques déposées de l’appelante pour ce qui est de toutes les marchandises. Le fait que la Cour se fonde maintenant sur ces faits d’une manière qui va à l’encontre des intérêts de l’appelante est le risque que cette dernière a assumé en faisant valoir cet argument et son fondement factuel dans l’action en contrefaçon qu’elle a intentée devant la Cour fédérale.

 

Le juge a-t-il interpolé à l’article 18 de la Loi deux motifs d’invalidité − la diminution de la valeur et la tromperie du public − qui ne sont pas reconnus comme tels par le législateur?

 

 

[53]           Le paragraphe 18(1) de la Loi énumère quatre situations ouvrant droit à l’invalidation d’une marque de commerce déposée :

18. (1) L’enregistrement d’une marque de commerce est invalide dans les cas suivants :

 

a) la marque de commerce n’était pas enregistrable à la date de l’enregistrement;

 

b) la marque de commerce n’est pas distinctive à l’époque où sont entamées les procédures contestant la validité de l’enregistrement;

 

c) la marque de commerce a été abandonnée.

 

Sous réserve de l’article 17, l’enregistrement est invalide si l’auteur de la demande n’était pas la personne ayant droit de l’obtenir.

18. (1) The registration of a trade-mark is invalid if:

 

 

(a) the trade-mark was not registrable at the date of registration,

 

 

(b) the trade-mark is not distinctive at the time proceedings bringing the validity of the registration into question are commenced, or

 

(c) the trade-mark has been abandoned,

 

and subject to section 17, it is invalid if the applicant for registration was not the person entitled to secure the registration.

 

 

 

[54]           D’autres motifs d’invalidation non prévus par la loi ont été reconnus. Il s’agit notamment de l’usurpation d’une marque de commerce en violation d’une obligation fiduciaire et des déclarations fausses ou frauduleuses portant sur des faits essentiels en vue d’obtenir l’enregistrement : voir Fox on Canadian Law of Trade-Marks and Unfair Competition, (4th ed.), Thomson and Carswell, Toronto, pages 11 à 24. La diminution de la valeur de l’achalandage et le fait de tromper le public dans le contexte du délit consistant à faire passer ses marchandises pour celles de quelqu’un d’autre ne constituent pas des motifs d’invalidité reconnus à l’article 18 de la Loi.

 

[55]           Le juge a analysé la diminution de la valeur de l’achalandage conformément aux paramètres de l’article 22 de la Loi : paragraphes 241 à 284 des motifs du jugement. Voici en quels termes l’article 22 aborde la question :

22. (1) Nul ne peut employer une marque de commerce déposée par une autre personne d’une manière susceptible d’entraîner la diminution de la valeur de l’achalandage attaché à cette marque de commerce.

22. (1) No person shall use a trade-mark registered by another person in a manner that is likely to have the effect of depreciating the value of the goodwill attaching thereto.

 

[56]           Le paragraphe 22(1) ouvre un recours aux intimées en leur permettant, même sans preuve de confusion, d’obtenir une réparation en démontrant que l’appelante a employé une marque suffisamment semblable à la leur « pour établir, dans l’esprit des consommateurs de la population de référence, un lien entre les deux marques qui est susceptible de déprécier l’achalandage attaché à [leur] marque » : voir l’arrêt Veuve Clicquot Ponsardin, précité, au paragraphe 38. Ce recours ne constitue pas un motif d’invalidité de l’enregistrement de la marque de commerce de l’appelante, contrairement à ce que le juge a conclu, au paragraphe 331 de ses motifs du jugement.

 

[57]           Quant à la possibilité de tromper le public, le juge s’est fondé sur une décision de la Cour de l’Échiquier du Canada remontant à 1924 : Williamson Candy Co. c. W.J. Crothers Co., [1924] R. C. de l’Éch. 183, dans laquelle la radiation de la marque avait été ordonnée. L’analyse que le juge a faite de la question de la tromperie en l’espèce s’inscrivait dans le cadre de son examen des facteurs de diminution de la valeur. Le juge a d’ailleurs considéré la tromperie comme une sorte de diminution possible de la valeur : voir les motifs du jugement aux pages 203, 205 et 210 du dossier d’appel, volume 1.

 

[58]           Le fait que le juge se soit fondé en l’espèce sur la décision Williamson pour radier l’enregistrement de l’appelante soulève deux difficultés.

 

[59]           Premièrement, dans l’affaire Williamson, le défendeur avait usurpé la marque du demandeur et, lorsqu’il avait produit sa demande d’enregistrement, il avait dissimulé le fait qu’il plagiait la marque du demandeur. La Cour de l’Échiquier a conclu que le défendeur n’était ni le propriétaire de la marque ni un usager de bonne foi, que l’enregistrement de la marque de commerce avait été irrégulièrement effectué et que la marque devait, par conséquent, être radiée.

 

[60]           En l’espèce, la situation est différente car la marque de commerce de l’appelante et l’enregistrement n’ont pas fait l’objet de conclusions semblables. Tout en exprimant un certain étonnement, le juge a accepté le témoignage de M. Bassal, l’unique actionnaire et président directeur général de l’appelante, qui avait vécu à Beyrouth, Paris et Montréal pendant des années et dont les déplacements l’avaient amené au Canada, en Hollande, en Belgique, dans le Nord de l’Italie et en Asie (Hong-Kong et la Corée) : voir les motifs du jugement, aux paragraphes 12 à 24. Suivant ce témoignage, M. Bassal n’avait jamais entendu parler des marques de commerce JAGUAR des intimées portant sur des voitures et des articles de bagage avant de déposer, le 10 octobre 1980, sa demande d’enregistrement de la marque de commerce JAGUAR pour des fourre-tout et des bagages : idem. Il affirme d’ailleurs que ce n’est qu’en 1990 qu’il a appris l’existence des voitures Jaguar : idem, au paragraphe 225. Le juge a également accepté que les intimées n’étaient pas au courant de l’existence de l’appelante lorsque cette dernière a intenté son action en 1991. Au vu de ces seuls faits, il y a de toute évidence lieu d’établir une distinction entre la présente espèce et l’affaire Williamson, qui ne constitue pas un précédent qu’on peut invoquer en l’espèce pour justifier la radiation.

 

[61]           De plus, l’article 11 de la Loi sur les marques de commerce de 1906 sur lequel la décision Williamson était fondée conférait au ministre le pouvoir de refuser d’enregistrer toute marque de commerce qui semblait viser à tromper le public ou à l’induire en erreur : voir la décision Williamson Candy Co., précitée, au paragraphe 6. Ce n’est plus le cas bien que, lorsque les faits s’y prêtent, la Cour pourrait encore conclure, lorsqu’elle est saisie d’une demande d’enregistrement, qu’une marque de commerce n’est pas propre à établir une distinction entre les marchandises du titulaire de l’enregistrement parce que la marque de commerce et son emploi visent à tromper le public et à l’induire en erreur : voir l’arrêt E.&J. Gallo Winery c. Andres Wines Ltd., [1976] 2 C.F. 3, aux pages 17 et 18 (C.A.F.). La Cour de l’Échiquier a conclu que l’enregistrement du défendeur était apte à tromper le public et à l’induire en erreur et a estimé qu’il devait être radié aussi pour cette raison : Williamson Candy Co., précitée, au paragraphe 16.

 

[62]           Encore une fois, dans le cas qui nous occupe, le juge n’a pas conclu que l’appelante était au courant de l’existence des marques de commerce des intimées, que ce n’était pas le propriétaire de la marque qui l’avait enregistrée et qu’il savait qu’il n’était pas le premier usager de la marque. Ce sont tous là des facteurs que la Cour de l’Échiquier du Canada a retenus pour justifier sa conclusion que l’enregistrement du défendeur visait, dans l’affaire Williamson, à tromper et à induire le public en erreur.

 

[63]           En toute déférence, vu le contexte dans lequel le juge a analysé les facteurs de la diminution de la valeur de l’achalandage attaché aux marques de commerce des intimées au sens de l’article 22 de la Loi et compte tenu des éléments de preuve dont il disposait, je ne crois pas que le juge pouvait conclure, comme il l’a fait, que l’enregistrement par l’appelante de sa marque de commerce était « invalide et susceptible de radiation » parce qu’il visait à tromper le public et à l’induire en erreur : voir les paragraphes 285 à 297 et 331 des motifs du jugement.


 

Le juge a-t-il commis une erreur en radiant la marque de commerce de l’appelante pour usage antérieur alors que le délai de prescription prévu au paragraphe 17(2) de la Loi était expiré?

 

[64]           L’article 17 de la Loi permet la radiation de l’enregistrement d’une marque de commerce du fait qu’une personne autre que l’auteur de la demande d’enregistrement a antérieurement employé la marque. Toutefois, le paragraphe 17(2) prévoit que le droit à la radiation s’éteint si l’instance a été introduite après l’expiration de cinq ans à compter de la date de l’enregistrement de la marque de commerce. Ce délai de prescription de cinq ans s’applique à moins qu’il ne soit établi que la personne qui a adopté au Canada la marque de commerce était au courant de l’utilisation antérieure.

 

[65]           Je reproduis l’article 17 au complet car mon résumé passe sous silence quelques détails qui ne sont pas pertinents ici :

 

17. (1) Aucune demande d’enregistrement d’une marque de commerce qui a été annoncée selon l’article 37 ne peut être refusée, et aucun enregistrement d’une marque de commerce ne peut être radié, modifié ou tenu pour invalide, du fait qu’une personne autre que l’auteur de la demande d’enregistrement ou son prédécesseur en titre a antérieurement employé ou révélé une marque de commerce ou un nom commercial créant de la confusion, sauf à la demande de cette autre personne ou de son successeur en titre, et il incombe à cette autre personne ou à son successeur d’établir qu’il n’avait pas abandonné cette marque de commerce ou ce nom commercial créant de la confusion, à la date de l’annonce de la demande du requérant.

 

(2) Dans des procédures ouvertes après l’expiration de cinq ans à compter de la date d’enregistrement d’une marque de commerce ou à compter du 1er juillet 1954, en prenant la date qui est postérieure à l’autre, aucun enregistrement ne peut être radié, modifié ou jugé invalide du fait de l’utilisation ou révélation antérieure mentionnée au paragraphe (1), à moins qu’il ne soit établi que la personne qui a adopté au Canada la marque de commerce déposée l’a fait alors qu’elle était au courant de cette utilisation ou révélation antérieure.

17. (1) No application for registration of a trade-mark that has been advertised in accordance with section 37 shall be refused and no registration of a trade-mark shall be expunged or amended or held invalid on the ground of any previous use or making known of a confusing trade-mark or trade-name by a person other than the applicant for that registration or his predecessor in title, except at the instance of that other person or his successor in title, and the burden lies on that other person or his successor to establish that he had not abandoned the confusing trade-mark or trade-name at the date of advertisement of the applicant’s application.

 

 

 

 

(2) In proceedings commenced after the expiration of five years from the date of registration of a trade-mark or from July 1, 1954, whichever is the later, no registration shall be expunged or amended or held invalid on the ground of the previous use or making known referred to in subsection (1), unless it is established that the person who adopted the registered trade-mark in Canada did so with knowledge of that previous use or making known.

 

 

[66]           Au paragraphe 5 de ses motifs du jugement, le juge a accepté que l’appelante et les intimées ignoraient l’existence l’une de l’autre lors de l’introduction de l’instance. Il a écrit :

 

[...] l’on notera que les deux parties prétendent l’une et l’autre que son propre échelon de direction ne connaissait pas l’existence de l’autre lors de l’introduction de l’action; et la preuve, même interprétée de manière opposée par chacune des parties, ne permet pas de conclure autrement. Les parties devraient donc être tenues d’en supporter les conséquences pour le passé.

 

 

[67]           Vu cette conclusion, l’appelante soutient, et les intimées ne contestent pas cette prétention, que le juge a commis une erreur en ordonnant la radiation de l’enregistrement de sa marque de commerce sur le fondement de l’emploi antérieur. Je suis du même avis.

 

Le juge a-t-il radié à tort la marque de commerce de l’appelante au motif que la marque de commerce était invalide car elle n’était pas enregistrable parce qu’elle créait de la confusion et parce qu’elle ne permettait pas de distinguer les marchandises de l’appelante de celles des intimées?

 

[68]           J’ai déjà traité de la question de la confusion. Compte tenu des éléments de preuve qui appuient la conclusion du juge suivant laquelle il existait en 1980, 1990, 1991, et qu’il existe encore aujourd’hui une probabilité de confusion, sinon une confusion effective, avec les marques de commerce JAGUAR des intimées portant sur des automobiles et des articles de bagage du fait de l’emploi, par l’appelante, de sa marque JAGUAR en liaison avec des bagages, des fourre-tout, des sacs à main et des sacs d’école, je juge mal fondé l’argument que l’appelante tire des alinéas 18(1)a) (confusion) et b) (absence de caractère distinctif) de la Loi : voir le paragraphe 2(3) du jugement. D’ailleurs, l’appelante a allégué, à l’alinéa 15c) de la déclaration qu’elle a déposée devant la Cour fédérale et que l’on trouve à la page 250 du volume 1 du dossier d’appel, que les marques contrefaites n’étaient pas distinctives des intimées (les défenderesses devant la Cour fédérale) :

[traduction]

 

15.

[...]

c)         les marques contrefaites ne sont pas distinctives de la défenderesse car elles ne distinguent pas véritablement toutes les marchandises en liaison avec lesquelles elle est employée des marchandises d’autres propriétaires, et elles ne sont pas adaptées à les distinguer ainsi et elles n’ont jamais été distinctives des marchandises contrefaites des défenderesses;

 

 

[69]           Qui plus est, l’appelante a soutenu au paragraphe 95 de son mémoire des faits et du droit, qu’à défaut de notoriété des marques de commerce des intimées, et du degré de protection requis, sa propre marque de commerce a acquis un caractère distinctif le 6 mars 1992 par son utilisation, sa publicité et sa présence à des foires commerciales. Vu la conclusion du juge suivant laquelle les marques de commerce des intimées avaient acquis de la notoriété en 1980, ainsi qu’une protection élargie, je ne décèle aucune erreur dans la conclusion du juge suivant laquelle, à l’époque en cause, la marque JAGUAR de l’appelante n’a jamais été distinctive : voir le paragraphe 2(4) du jugement. Cela étant dit, je tiens à ajouter ce qui suit.

 

[70]           J’ai déjà fait allusion à l’ambiguïté suscitée par l’utilisation, par le juge, de termes vagues lorsqu’il a examiné la question de la confusion créée par l’emploi de la marque respective des intimées et de l’appelante en liaison avec des articles de bagage, y compris des bagages, des fourre‑tout, des sacs à main et des sacs d’école : voir plus haut, aux paragraphes 7 et 37 à 51.

 

[71]           Ce problème est aggravé par le fait que le juge a ajouté au début de ses motifs du jugement, sous la rubrique « introduction », un résumé malheureux de ces motifs en fonction des points sur lesquels les deux parties au présent appel se sont attardées et sur lesquels elles se sont affrontées.

 

[72]           Par exemple, le juge écrit, au paragraphe 5 (voir aussi le paragraphe 235) :

 

[...] en corollaire, donc, et davantage encore, il appert clairement de la preuve que les clientèles respectives des parties étaient différentes, tout comme la distinction marquée sur le marché entre les produits respectifs des parties. Remo vendait ses accessoires principalement dans les magasins de détail de bas de gamme et parfois de milieu de gamme, alors que Jaguar Cars vend ses accessoires par l’intermédiaire de ses concessionnaires automobiles ou directement à ses acheteurs sans intermédiaire.

 

[73]           Inutile de dire que l’appelante s’est empressée de voir dans ces propos une preuve du caractère distinctif de ses marchandises, qui sont vendues dans des marchés différents, et une conclusion d’absence de confusion.

 

[74]           Au paragraphe 7 de ce résumé, le juge écrit :

 

La conclusion ultime de la Cour est que, même s’il n’y a pas eu de confusion dans le passé, celle‑ci a la possibilité d’exister.

                                                                                                            [Souligné dans l’original.]

 

[75]           Les mots « même si » évoquent une situation hypothétique et ne signifient pas qu’il n’y a pas de confusion en l’espèce. Le juge a conclu qu’à l’époque en cause, il y avait une probabilité de confusion : voir le paragraphe 2(3) du jugement et les prétentions de l’appelante au sujet de l’existence d’une confusion effective, analysées aux paragraphes 37 à 51.

 

[76]           Il ressort d’une lecture attentive des paragraphes 5, 6 et 7 de ce résumé que la portée de ces déclarations est limitée à la question des dommages-intérêts et que le juge les a faites pour appuyer sa conclusion que des dommages-intérêts ne devaient pas être accordés pour le passé. Je reviendrai sur cette question lorsque j’examinerai le bien-fondé de l’appel incident des intimées.

 

Le juge a-t-il commis une erreur en accordant une injonction aux intimées?

 

[77]           Pour les motifs déjà exposés, j’estime que cet argument n’est pas fondé.


 

Conclusion sur l’appel

 

[78]           Je suis d’avis d’accueillir l’appel dans la mesure restreinte suivante, c’est‑à‑dire par l’annulation des conclusions suivantes du juge de première instance :

 

a)         l’enregistrement de l’appelante demeure invalide, par la suppression, à la première phrase du paragraphe 2 du jugement, des mots « a toujours été »;

 

b)         l’emploi de la marque JAGUAR de l’appelante en liaison avec des articles de bagage est susceptible de diminuer la valeur de l’achalandage attaché aux enregistrements de Jaguar Cars Limited concernant les marques JAGUAR pour des automobiles, par la suppression du paragraphe 2(1) du jugement;

 

c)         l’emploi de la marque JAGUAR de l’appelante en liaison avec des articles de bagage pourrait tromper le public et l’induire en erreur, par la suppression du paragraphe 2(2) du jugement.

 

Bien-fondé de l’appel incident

 

[79]           Dans le dispositif de son jugement, le juge a statué que l’enregistrement no 263924 de l’appelante a toujours été et demeure invalide, et est radié (non souligné dans l’original). Il a conclu que, pendant toute la période pertinente :

 

a)         l’emploi de la marque JAGUAR de l’appelante était susceptible de diminuer la valeur de l’achalandage attaché à la marque des intimées;

 

b)         l’emploi de la marque JAGUAR de l’appelante en liaison avec des articles de bagage pourrait tromper le public et l’induire en erreur;

 

c)         il existait un risque de confusion avec la marque de commerce des intimées pour des automobiles et des articles de bagage;

 

d)         la marque de commerce de l’appelante n’a jamais été distinctive.

 

[80]           Les passages clés, en ce qui concerne les dommages-intérêts, se trouvent aux paragraphes 5, 6, 7, 347, 348 et 349 des motifs du jugement, ainsi qu’au paragraphe 6 du dispositif du jugement. Je les reproduis tels qu’ils figurent dans les motifs du jugement :

 

[5]    Par conséquent, pour ce qui est des sondages et des expertises, la Cour est, après réflexion, fondamentalement d’accord avec l’analyse de la demanderesse, bien que cela ne modifie pas en soi l’analyse qu’elle a faite à la suite de l’examen de l’ensemble de la preuve. Bien que le résultat ultime soit identique à ce que les défenderesses ont plaidé à l’égard de l’interprétation du droit, de la doctrine et de la jurisprudence, l’on notera que les deux parties prétendent l’une et l’autre que son propre échelon de direction ne connaissait pas l’existence de l’autre lors de l’introduction de l’action; et la preuve, même interprétée de manière opposée par chacune des parties, ne permet pas de conclure autrement. Les parties devraient donc être tenues d’en supporter les conséquences pour le passé ; en corollaire, donc, et davantage encore, il appert clairement de la preuve que les clientèles respectives des parties étaient différentes, tout comme la distinction marquée sur le marché entre les produits respectifs des parties. Remo vendait ses accessoires principalement dans les magasins de détail de bas de gamme et parfois de milieu de gamme, alors que Jaguar Cars vend ses accessoires par l’intermédiaire de ses concessionnaires automobiles ou directement à ses acheteurs sans intermédiaire.

 

[6]     Par conséquent, il ne sera pas ordonné à la demanderesse de verser de dommages‑intérêts exemplaires, punitifs ou autres. Cependant, pour les raisons exposées dans les motifs qui suivent, les défenderesses ont droit à leur marque de commerce « célèbre », et la marque de commerce de la demanderesse au nom de Jaguar doit donc être radiée.

 

[7]     La conclusion ultime de la Cour est que, même s’il n’y a pas eu de confusion dans le passé, celle‑ci a la possibilité d’exister, ce qui, en soi, est un fait d’une grande signification. Étant donné que chacune des parties, à son propre échelon de direction, prétend qu’elle ne connaissait pas « consciemment » ni « directement » l’existence de l’autre avant l’introduction de l’action, aucune d’elles ne devrait être obligée de rendre des comptes à l’autre pour le passé, ni subir de conséquences financières sur la base de ce passé (hormis la taxation des dépens, lesquels restent à déterminer). Cependant, il en va différemment en ce qui concerne l’avenir, d’où le jugement qui suit.

 

[347]    La loi présume que si la commercialisation trompeuse de marchandises empiète sur l’achalandage du commerce d’une personne, il en résultera un préjudice. Cette personne n’a pas à attendre pour prouver qu’un préjudice a été causé (Sun Life).

 

[348]   Il est conclu que Remo a enfreint les marques de commerce déposées par Jaguar Cars et a commercialisé de manière trompeuse ses marchandises en contravention aux articles 19 et 20 et aux alinéas 7)b) et 7 c) de la Loi sur les marques de commerce.

 

[349] Par conséquent, Jaguar Cars a droit aux réparations suivantes : une déclaration selon laquelle l’enregistrement de Remo est invalide et les marques de commerce de Jaguar Cars sont susceptibles de subir une diminution de valeur, une contrefaçon et une commercialisation trompeuse; ainsi qu’une injonction (Whiten, Apotex).

 

 

Et dans le jugement :

6.    La demanderesse ne verse aux défenderesses aucuns dommages‑intérêts pécuniaires – exemplaires, punitifs ou autres – parce qu’aucun dommage de nature financière n’a été prouvé jusqu’à présent. La clientèle et le marché respectifs de chaque partie sont demeurés distincts jusqu’à présent, mais ce pourrait ne pas être le cas plus tard.

 

[81]           Les parties conviennent, dans leurs observations, qu’il n’est pas facile de concilier toutes ces déclarations. Par exemple, le juge a déclaré, aux paragraphes 347 et 348 des motifs du jugement et au paragraphe 2(1) du dispositif du jugement, que l’on présume qu’un préjudice a été causé lorsque la commercialisation trompeuse de marchandises empiète sur l’achalandage. Il a déclaré par ailleurs que l’appelante a enfreint les marques de commerce des intimées et qu’elle a commercialisé de manière trompeuse ses marchandises en contravention des alinéas 7)b) et 7 c) et des articles 19 et 20 de la Loi, et qu’il y a eu une possibilité de diminution de valeur pendant toute la période pertinente, c’est‑à‑dire depuis 1980. Pourtant, du même souffle, au paragraphe 349, il se montre disposé à accorder, à titre de réparation, un jugement déclaratoire qui contredit ses conclusions précédentes, en l’occurrence que les marques de commerce des intimées « sont susceptibles de subir une diminution de valeur, une contrefaçon et une commercialisation trompeuse ».

 

[82]           Dans ses motifs, le juge donne l’impression qu’il ne voulait pas accorder de dommages‑intérêts pour le passé, mais qu’il voulait laisser la porte ouverte pour l’avenir. Je crois qu’il est arrivé au bon résultat, mais pour des motifs qui créent de la confusion en ce qui concerne la question des dommages.

 

[83]           Dans leur appel incident, les intimées soutiennent que le juge a commis une erreur en concluant qu’il y avait des éléments de preuve tendant à démontrer l’existence d’un préjudice et en n’ordonnant pas la tenue d’un renvoi au sujet des dommages et des profits, conformément à l’ordonnance rendue par le juge Teitelbaum le 18 novembre 1998.

 

[84]           Cette ordonnance a été rendue en vertu des articles 153 et suivants des Règles des Cours fédérales (1998) et elle reprenait le libellé de l’ancien article 480 des Règles des Cours fédérales, C.R.C. 1978, ch. 663. L’essentiel de cette ordonnance se trouve au paragraphe 1 :

[traduction]

 

1.     IL EST ORDONNÉ que les questions :

 

(1)        de l’étendue de la violation des droits de toute partie;

 

(2)        des dommages causés par la violation des droits de toute partie;

 

(3)        des profits tirés de la violation des droits de toute partie, s’il en est, fassent, après le procès, l’objet d’un renvoi en vertu des articles 153 et suivants des Règles, s’il semble alors qu’il est nécessaire de trancher ces questions.

 

 

[85]           Le juge a conclu qu’il y avait eu une probabilité de confusion et de commercialisation trompeuse depuis 1980. Pour apprécier les facteurs énumérés au paragraphe 6(5) de la Loi, il a tenu compte du fait que l’appelante et les intimées utilisaient des réseaux commerciaux différents. Les intimées font valoir qu’après avoir tiré une telle conclusion, le juge ne pouvait conclure qu’aucun préjudice n’avait été causé dans le passé en raison du fait que les parties exploitaient des réseaux commerciaux différents.

 

[86]           En ce qui concerne la diminution de la valeur de l’achalandage attaché à leurs marques de commerce, les intimées soutiennent que, pour conclure à la commercialisation trompeuse, il fallait d’abord que le juge conclue à l’existence d’un préjudice. Il ne pouvait donc pas conclure par la suite qu’aucun préjudice n’avait été subi dans le passé, là encore en se fondant sur le fait que les parties n’exploitaient pas les mêmes réseaux.

 

[87]           Enfin, les intimées affirment qu’après avoir conclu que l’enregistrement de l’appelante était nul ab initio (ayant déclaré que l’enregistrement de l’appelante a toujours été et demeure invalide et n’a jamais été enregistrable), le juge aurait dû obliger l’appelante à rendre des comptes pour le passé sur le plan financier ou, à titre subsidiaire, les intimées devraient avoir droit à une indemnité soit à compter de la date à laquelle l’appelante a été mise au courant que les intimées contestaient la validité de son enregistrement, soit à la date du jugement de la Cour fédérale.

 

[88]           L’appelante n’a pas interjeté appel directement de la conclusion de commercialisation trompeuse tirée par le juge. L’avocat de l’appelante affirme toutefois que sa cliente n’est passible de dommages-intérêts qu’à compter de la date à laquelle l’enregistrement de l’appelante a été déclaré invalide. Il souscrit également aux conclusions du juge suivant lesquelles aucun préjudice n’a été démontré, pour le passé, en ce qui concerne la confusion ou la diminution de valeur.

 

[89]           Trois éléments sont nécessaires à une action en commercialisation trompeuse : l’existence d’un achalandage, l’induction en erreur du public par suite d’une représentation trompeuse et des dommages réels ou éventuels pour le demandeur : voir les arrêts Ciba-Geigy Canada Ltd. c. Apotex Inc., [1992] 3 R.C.S. 120, à la page 132, et Kirkbi AG c. Ritvik Holdings Inc., [2005] 3 R.C.S. 302, aux paragraphes 66 à 69. Les fausses déclarations ne se limitent pas aux déclarations délibérées; elles englobent les fausses déclarations faites par négligence ou avec insouciance : idem, au paragraphe 68.

 

[90]           Je tiens à signaler qu’en énonçant les trois éléments de l’action en commercialisation trompeuse, le juge Gonthier a cité les propos tenus par lord Oliver dans l’arrêt Reckitt & Colman Products Ltd. c. Borden Inc., [1990] 1 All E.R. 873, à la page 880. Il y a toutefois lieu de souligner qu’en ce qui concerne les dommages, lord Oliver a retenu les dommages effectifs ou probables comme troisième élément, par opposition aux simples dommages éventuels. Dans leur ouvrage Fox on Canadian Law of Trade-marks and Unfair Competition, précité, à la page 4‑83, les auteurs parlent aussi de probabilité de préjudice et citent l’arrêt Ciba-Geigy Canada Ltd. au soutien de leur énoncé de ce volet du critère. Outre le fait que, dans les autres affaires ayant trait aux marques de commerce, les dommages sont évalués en fonction de la norme de la probabilité, ces autorités m’amènent à conclure que le troisième élément de l’action en commercialisation trompeuse exige une preuve de l’existence d’un préjudice effectif ou probable : voir l’arrêt Veuve Clicquot Ponsardin, précité, aux paragraphes 37 et 38, confirmant la norme du préjudice probable tant pour la question de la confusion que pour celle de la diminution de valeur. Par conséquent, lorsque le juge Gonthier a employé l’expression « dommages possibles » dans l’arrêt Ciba-Geigy Canada Ltd., je crois qu’il songeait à des dommages qui ne s’étaient pas matérialisés. Il n’a pas prévu, en ce qui concerne les dommages dans les actions en commercialisation trompeuse, une norme de preuve moins exigeante que celle qui est appliquée dans le cas des dommages probables.

 

[91]           Je dois avouer que je n’arrive pas à comprendre comment et pourquoi, en l’espèce, le juge a pu en arriver à la conclusion, vu l’ensemble de la preuve dont il disposait, que l’appelante avait fait passer ses marchandises pour celles des intimées et déclarer que l’enregistrement no 263924 de l’appelante avait toujours été invalide.

 

[92]           L’appelante a valablement enregistré sa marque de commerce en 1981 relativement à des fourre-tout et des bagages et l’a modifiée en 1984 pour y ajouter des sacs à main et des sacs d’école. Ainsi que je l’ai déjà mentionné, les deux parties à l’instance ignoraient à l’époque l’existence l’une de l’autre, et ce, jusqu’en 1991. Le juge n’a pas remis en question la crédibilité de l’une ou l’autre partie. Comment alors peut-on dire que l’appelante a fait de fausses déclarations délibérément ou par négligence, créant ainsi de la confusion dans l’esprit du public, alors qu’elle ignorait l’existence des marques de commerce des intimées, qu’elle a demandé publiquement et sans opposition l’enregistrement de sa propre marque, dont elle a ensuite demandé la modification, et qu’elle a exploité des réseaux commerciaux différents de ceux des intimées?

 

[93]           Il est vrai qu’en 1999, c’est-à-dire après avoir appris l’existence des intimées, l’appelante a lancé à l’échelle du Canada une campagne de publicité massive pour ses marchandises portant sa marque JAGUAR. Toutefois, à l’époque, l’action en contrefaçon intentée par l’appelante contre les intimées était en instance et ce, même si les intimées avaient introduit leur demande reconventionnelle dans laquelle elles réclamaient la radiation de l’enregistrement de l’appelante.

 

[94]           Ce sont les seuls faits relatés par le juge qui soient liés même indirectement à une conclusion de fausses déclarations. Le juge n’en tire cependant aucune inférence ou conclusion défavorable. Même s’il avait effectivement conclu à l’existence de fausses déclarations à partir de ces faits, une telle constatation n’expliquerait quand même pas sa conclusion implicite que les fausses déclarations remontaient à 1981, c’est-à-dire à la date de l’enregistrement de la marque de commerce de l’appelante.

 

[95]           Comme l’appelante n’a pas interjeté appel de la conclusion tirée par le juge au sujet de la commercialisation frauduleuse, je vais m’abstenir de trancher cette question. Je vais toutefois aborder la question des dommages, en commençant par ceux imputables à la diminution de la valeur de l’achalandage.

 

Dommages découlant de la diminution de la valeur de l’achalandage

 

[96]           Le juge a conclu, en vertu de l’article 22 de la Loi, que l’emploi de la marque de l’appelante en liaison avec des articles de bagage est susceptible d’entraîner la diminution de la valeur de l’achalandage attaché aux enregistrements de Jaguar Cars Limited relativement aux marques JAGUAR se rapportant à des automobiles.

 

[97]           Dans l’arrêt Veuve Clicquot Ponsardin, précité, la Cour suprême du Canada a formulé un critère rigoureux en matière de diminution de la valeur. Bien qu’il puisse y avoir diminution de la valeur de l’achalandage attaché à la marque même en l’absence de confusion, il doit exister un lien, une connexion ou une association dans l’esprit du consommateur entre la marque affichée par l’appelante et les marques de commerce célèbres JAGUAR des intimées pour qu’on puisse conclure à la dépréciation de ces dernières : voir le paragraphe 49 de cet arrêt.

 

[98]           L’existence du lien ou de l’association dans l’esprit du consommateur ne peut être présumée. Au paragraphe 56, le juge Binnie a écrit :

Si le consommateur plutôt pressé n’associe pas la marque affichée dans les boutiques des intimées à la marque du vénérable producteur de champagne, il ne peut y avoir d’incidence — positive ou négative — sur l’achalandage attaché à VEUVE CLICQUOT.

 

[99]           Il en va de même en l’espèce. Si le consommateur pressé qui se trouve dans les magasins Zellers, K‑Mart, Tigre Géant et Sears, où l’appelante vend ses marchandises, n’associe pas ce qui y est montré avec la marque JAGUAR pour des automobiles, il ne peut y avoir d’incidence sur l’achalandage attaché aux voitures Jaguar.

 

[100]       Qui plus est, la diminution de la valeur ne se présume pas. Elle doit être prouvée et la simple possibilité de diminution de la valeur ne suffit pas. Il faut faire la preuve à tout le moins d’une probabilité de diminution de la valeur : idem, aux paragraphes 60 et 67.

 

[101]       Le juge a conclu que l’emploi, par l’appelante de sa marque JAGUAR en liaison avec des articles de bagage, est effectivement susceptible de déprécier la valeur de l’achalandage attaché aux marques de commerce JAGUAR des intimées pour des automobiles : voir le paragraphe 2(1) du jugement.

 

[102]       Le juge a fait une analyse théorique des règles de droit relatives à la diminution de la valeur, mais son analyse de la preuve est trop large et indéterminée.

 

[103]       Le juge a rejeté tous le témoignages d’experts soumis par les intimées. On se retrouve avec le témoignage suivant lequel, en 1980, les intimées vendaient des voitures de luxe chères et qu’à la même époque, l’appelante vendait des sacs bon marché. Bien que la prétention de confusion de l’appelante puisse être suffisante pour justifier une conclusion suivant laquelle il existe un lien entre les marques des parties dans l’esprit du consommateur quelque peu pressé, le dossier ne renferme toujours pas d’éléments de preuve suffisamment solides pour démontrer que la marque JAGUAR employée par les intimées relativement à des voitures est susceptible de subir une diminution de valeur. Le juge ne précise pas quels éléments de preuve pourraient permettre de tirer une telle conclusion et je ne puis conclure, sur le seul fondement d’une inégalité en ce qui concerne la qualité ou le prix des marchandises des parties, que la probabilité d’une diminution de valeur a été établie.

 

[104]       En dernière analyse, je ne crois pas que les intimées se sont déchargées du fardeau qui leur incombait de démontrer la diminution de la valeur et je ne crois pas non plus qu’on puisse inférer du dossier qu’il existe une probabilité de diminution de la valeur.

 

[105]       Le renvoi dont le juge Teitelbaum a ordonné la tenue s’applique aux dommages ou aux profits découlant de toute contrefaçon. Il s’applique à une action en contrefaçon introduite en vertu de l’article 20 de la Loi. Il ne s’étend cependant pas à une action pour diminution de la valeur fondée sur l’article 22. Ainsi que la Cour suprême du Canada l’a déclaré dans l’arrêt Veuve Clicquot Ponsardin, au paragraphe 69, la probabilité de diminution de la valeur est l’un des éléments du droit d’action, et il faut en établir l’existence pour que l’action soit accueillie; alors seulement l’ampleur de la diminution de valeur peut être déterminée dans le cadre d’un renvoi.

 

Dommages pour le passé

 

[106]       Les intimées invoquent trois décisions à l’appui de leur argument que c’est à bon droit que le juge a conclu que l’enregistrement de l’appelante était nul ab initio : Marchands RO-NA Inc. c. Tefal S.A., 55 C.P.R. (2d) 27 (C.F. 1re inst.); W.J. Hughes & Sons “Corn Flower” Ltd. c. Morawiec (1970), 62 C.P.R. 21 (C.F. 1re inst.), et Unitel Communications Inc. c. Bell Canada (1995), 61 C.P.R. (3d) 12 (C.F. 1re inst.).

 

[107]       Les affaires Marchands RO-NA Inc. et Unitel Communications Inc. se distinguent de la présente espèce. Dans la première, l’enregistrement avait été obtenu sur la foi d’éléments de preuve trompeurs et, dans la seconde, les marques avaient été irrégulièrement enregistrées sur la foi de fausses déclarations d’usage.

 

[108]       Quant à l’affaire W.J. Hughes & Sons “Corn Flower” Ltd., elle remonte à quelque 37 ans et le tribunal a invoqué de nombreuses raisons pour déclarer nul ab initio l’enregistrement de la marque de commerce : la demanderesse n’avait pas l’intention d’utiliser le dessin ou le modèle comme marque de commerce, elle n’avait jamais employé la marque de commerce comme marque de commerce entre la date de son enregistrement (11 août 1951) et 1970, et le dessin ou le modèle ne faisait pas l’objet d’une marque de commerce au sens de l’alinéa 2m) de la Loi sur la concurrence déloyale de 1932 étant donné que le dessin en question était fonctionnel ou décoratif et ne servait qu’à des fins fonctionnelles. À la page 11 des motifs du jugement, le juge Gibson a écrit :

Mais on ne peut considérer valide l’enregistrement de ce motif ou dessin devant être appliqué sur de la verrerie pour des besoins décoratifs ou fonctionnels uniquement. Si le requérant avait l’intention d’utiliser ce dessin à cette dernière fin et en avait fait part au registraire au moment de la demande en 1951, ce dernier aurait probablement refusé la demande.

 

[109]       À l’époque, la validité de l’enregistrement était notamment subordonnée à l’intention d’employer le dessin comme marque de commerce; or, la demanderesse avait menti au sujet de ses véritables intentions en déclarant que le dessin ou le modèle devait servir pour la marque de commerce. Là encore, il s’agit d’une situation très différente de celle dont il est question en l’espèce.

 

[110]       Dans la présente affaire, l’appelante détenait un enregistrement valide jusqu’à ce que celui‑ci soit invalidé et radié par le juge en 2006. L’appelante n’a pas fait de fausses déclarations au moment de l’enregistrement. Le juge n’a jamais conclu que l’appelante avait agi de mauvaise foi à l’époque, bien qu’aucune raison satisfaisante n’ait été avancée pour expliquer pourquoi l’appelante avait changé les noms « Beau Sac » et « Sacsibo » dans le cas de ses sacs et avait demandé l’enregistrement de sa marque de commerce JAGUAR en 1981. Le juge a conclu qu’il existait des éléments de preuve établissant une probabilité de confusion au moment où l’action a été introduite en 1991 et que cette probabilité de confusion subsisterait si la marque de commerce de l’appelante demeurait au registre. Je crois que, dans ces conditions, l’appelante a le droit de se prévaloir de l’article 19 de la Loi, qui prévoit :

 

19. Sous réserve des articles 21, 32 et 67, l’enregistrement d’une marque de commerce à l’égard de marchandises ou services, sauf si son invalidité est démontrée, donne au propriétaire le droit exclusif à l’emploi de celle-ci, dans tout le Canada, en ce qui concerne ces marchandises ou services.

19. Subject to sections 21, 32 and 67, the registration of a trade-mark in respect of any wares or services, unless shown to be invalid, gives to the owner of the trade-mark the exclusive right to the use throughout Canada of the trade-mark in respect of those wares or services.

 

[111]       Selon la jurisprudence, « l’emploi d’une marque de commerce déposée constitue une défense absolue à l’encontre d’une action en commercialisation trompeuse » lorsqu’il n’y a pratiquement pas de différence entre la marque telle qu’elle a été enregistrée et celle qui a été employée : Jonathan, Boutiques Pour Hommes Inc. c. Jay-Gur International Inc. (2003), C.P.R. (4th) 492, aux paragraphes 4 et 6 (C.F.).

 

[112]       Une conclusion semblable a été tirée par la Cour d’appel de la Colombie-Britannique dans l’arrêt Chemicals Inc. and Overseas Commodities Ltd. c. Shanahan’s Ltd. (1951), 15 C.P.R. 1, à la page 13, et par la Cour d’appel de l’Ontario dans l’arrêt Molson Canada c. Oland Breweries Ltd. (2002), 19 C.P.R. (4th) 201. Dans ce dernier arrêt, le juge Carthy a écrit ce qui suit, au nom de la Cour, au paragraphe 16 :

[traduction]

 

[16]   Mon examen de la jurisprudence m’amène à conclure que l’intimée a le droit d’employer sa marque partout au Canada en liaison avec sa bière. Si un concurrent s’oppose à cet emploi, son seul recours consiste à contester la validité de l’enregistrement. S’il en était autrement, un demandeur se plaignant de la confusion causée par la marque déposée d’un concurrent contreferait lui-même cette marque en établissant cette confusion. Cette conclusion découle du texte de l’article 20 de la Loi, qui prévoit que le droit du propriétaire d’une marque de commerce est réputé avoir été violé par une personne qui vend des marchandises en liaison avec une marque de commerce ou un nom commercial créant de la confusion.

 

[113]       Cette conclusion de droit trouve également appui dans la remarque incidence suivante du juge Binnie, au paragraphe 16 de ses motifs du jugement dans l’arrêt Veuve Clicquot Ponsardin :

16   Les intimées soutiennent qu’il leur suffit d’invoquer l’enregistrement, en 1997, de leurs marques de commerce Cliquot et Cliquot « Un monde à part » pour répondre entièrement à la demande de l’appelante. Je ne suis pas d’accord. L’appelante a contesté la validité de l’enregistrement et en demande la radiation. Si l’appelante avait gain de cause et obtenait la radiation de l’inscription, les intimées pourraient assurément plaider qu’elles ne devraient pas être tenues de verser une indemnité pour la période pendant laquelle leurs propres inscriptions étaient en vigueur. Toutefois, comme l’appelante n’a pas eu gain de cause dans le pourvoi, il n’y a pas lieu de trancher la question de la portée de l’indemnisation. 

                                   

                                                                                [Non souligné dans l’original.]

 

[114]       À mon humble avis, les intimées ont droit à des dommages-intérêts ou aux profits provenant de la contrefaçon, mais uniquement à compter du 16 janvier 2006, c’est‑à‑dire la date du jugement du juge de première instance.

 

Opportunité d’ordonner la tenue d’un renvoi

 

[115]       Le juge a interdit à l’appelante de vendre ses marchandises avec la marque JAGUAR. Toutefois, aux termes de l’ordonnance rendue le 13 février 1005 par le juge Blais, l’exécution de ce jugement a été suspendue en partie et l’appelante a continué de vendre ses marchandises. Un renvoi devrait par conséquent avoir lieu pour déterminer l’étendue de la contrefaçon depuis le 16 janvier 2006, ainsi que les dommages-intérêts ou les profits imputables à cette contrefaçon.

 

Conclusion sur l’appel incident

 

[116]       Je suis d’avis d’accueillir l’appel incident avec dépens et d’annuler le paragraphe 6 du jugement. Rendant le jugement qui aurait dû être rendu, je renverrais l’affaire à la Cour fédérale pour qu’elle décide si les intimées, si tel est leur désir, ont le droit de choisir une remise des profits au lieu des dommages-intérêts. Conformément à l’ordonnance du juge Teitelbaum, je renverrais à la Cour fédérale la question de l’étendue de la contrefaçon ainsi que celle des dommages-intérêts ou des profits, selon le cas, pour que le montant en soit calculé par suite des activités de contrefaçon auxquelles l’appelante s’est livrée depuis le 16 janvier 2006.

 

[117]       La durée du sursis à l’exécution du jugement réclamé par l’appelante devant la Cour fédérale devait correspondre à celle du présent appel. Toutefois, l’ordonnance rendue par le juge Blais ne fixe pas de limites à la durée du sursis. En conséquence, j’ordonnerais que le sursis partiel à l’exécution du jugement de la Cour fédérale cesse d’avoir effet au moment où la présente décision sera communiquée aux parties.

 

[118]       J’ordonnerais également que :

 

a)         les sommes détenues en fiducie par l’avocat des intimées conformément à l’ordonnance du 13 février 2006 du juge Blais soient affectées aux dommages-intérêts ou aux profits calculés lors du renvoi;

 

b)         la somme de 100 000 $ détenue en fiducie par l’avocat des intimées en garantie du paiement des dépens de l’appel soit affectée aux dépens de l’appel et de l’appel incident adjugés aux intimées.

 

[119]       Enfin, conformément à l’article 37 de la Loi sur les Cours fédérales, je condamnerais l’appelante à payer aux intimées les intérêts après jugement au taux que la Cour fédérale estime raisonnable dans les circonstances.


 

Résumé des conclusions sur l’appel et l’appel incident

 

[120]       Par souci de clarté, je crois que je devrais résumer les principales conclusions formulées dans les présents motifs du jugement étant donné que certains d’entre elles ne se retrouvent pas dans le dispositif du jugement.

 

[121]       Je suis d’accord avec le juge de première instance pour dire que les marques de commerce JAGUAR des intimées pour des automobiles, articles de bagage et autres accessoires connexes étaient célèbres en 1980 et en 1990 et qu’elles le sont encore aujourd’hui.

 

[122]       Je souscris aussi à sa conclusion qu’il existe depuis 1991 et qu’il existe encore aujourd’hui une probabilité de confusion entre la marque de commerce et les marchandises de l’appelante et celles des intimées et que l’appelante a contrefait la marque de commerce des intimées. Par conséquent, le juge n’a pas commis d’erreur en accordant une injonction permanente contre l’appelante et en ordonnant la destruction ou la remise de tout objet en contravention de l’injonction qui pouvait se trouver en la possession, le pouvoir, la garde ou le contrôle de l’appelante.

 

[123]       Le juge a conclu à juste titre que l’enregistrement de la marque de l’appelante était invalide et devait être radié. J’estime toutefois qu’au vu des éléments de preuve qu’il a acceptés, il ne pouvait pas déclarer nul ab initio l’enregistrement par l’appelante de sa marque de commerce.

 

[124]       Je me dissocie par ailleurs de l’interprétation que le juge a faite de l’article 22 de la Loi en considérant la diminution de la valeur de l’achalandage et la tromperie du public comme des motifs permettant d’invalider un enregistrement en vertu de l’article 18 de la Loi.

 

[125]       Dans le même ordre d’idées, je ne crois pas que la preuve au dossier justifie sa conclusion qu’il existe une probabilité de diminution de la valeur de l’achalandage attaché aux marques de commerce JAGUAR des intimées.

 

[126]       J’estime aussi que le juge a commis une erreur en radiant l’enregistrement de la marque de commerce de l’appelante au motif qu’elle était propre à tromper le public ou à l’induire en erreur et ce, sur le fondement d’une utilisation antérieure alors que le délai de prescription de cinq ans était expiré.

 

[127]       En ce qui concerne les dommages-intérêts, le juge n’a pas commis d’erreur en concluant que l’appelante ne devait pas être passible de dommages-intérêts pour le passé. J’en arrive toutefois à la même conclusion pour des motifs différents.

 

[128]       Comme la décision du juge sur la commercialisation trompeuse n’a pas été portée en appel, je ne modifie pas sa conclusion que l’appelante a fait passer ses marchandises pour celles des intimées.

 

[129]       Enfin, comme l’appelante a continué de vendre ses marchandises après le prononcé de la décision du juge, je conclus que :

 

a)         les intimées ont le droit de demander à la Cour fédérale de se prononcer sur leur droit de choisir une remise des profits;

 

b)         sur l’action en contrefaçon, les intimées ont droit à un renvoi pour faire déterminer l’étendue de la contrefaçon ainsi que le montant des dommages-intérêts ou des profits, selon le cas, découlant des activités de contrefaçon de l’appelante depuis le 16 janvier 2006;

 

c)         les intimées ont droit à des intérêts après jugement au taux que la Cour fédérale estimera raisonnable dans les circonstances.

 

« Gilles Létourneau »

Juge

 

 

« Je souscris aux présents motifs

            Robert Décary, juge »

 

« Je souscris aux présents motifs

            Johanne Trudel, juge »

 

 

 

Traduction certifiée conforme

Suzanne Bolduc, LL.B.

 


COUR D’APPEL FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

DOSSIER :                                                    A-62-06

 

INTITULÉ :                                                   REMO IMPORTS LTD. c. JAGUAR CARS

                                                                        LIMITED et al.

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                             Montréal (Québec)

 

DATE DE L’AUDIENCE :                           Les 26, 27 et 28 juin 2007

 

MOTIFS DU JUGEMENT :                        LE JUGE LÉTOURNEAU

 

Y ONT SOUSCRIT :                                     LE JUGE DÉCARY

                                                                        LA JUGE TRUDEL

 

DATE DES MOTIFS :                                  Le 18 juillet 2007

 

 

COMPARUTIONS :

 

Richard Uditsky

Barry Gamache

 

POUR L’APPELANTE

 

J. Douglas Wilson

Pauline Bosman

POUR LES INTIMÉES

 

 

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

McMillan Binch Mendelsohn

Montréal (Québec)

et

Léger Robic Richard

Montréal (Québec)

 

POUR L’APPELANTE

 

Ridout & Maybee

Toronto (Ontario)

POUR LES INTIMÉS

 

 

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