CORAM : LE JUGE LÉTOURNEAU
LA JUGE SHARLOW
ENTRE :
LE CONSEIL DE BANDE DE LA PREMIÈRE NATION
DES CHIPPEWAS DE RAMA MNJIKANING
et
intimé
Audience tenue à Toronto (Ontario), le 13 septembre 2007
Jugement rendu à l’audience à Ottawa (Ontario), le 17 septembre 2007
MOTIFS DU JUGEMENT : LA JUGE TRUDEL
Y ONT SOUSCRIT : LES JUGES LÉTOURNEAU ET SHARLOW
Dossier : A-131-07
Référence : 2007 CAF 288
CORAM : LE JUGE LÉTOURNEAU
LA JUGE SHARLOW
LA JUGE TRUDEL
ENTRE :
LE CONSEIL DE BANDE DE LA PREMIÈRE NATION
DES CHIPPEWAS DE RAMA MNJIKANING
appelant
et
JAMES COTTRELL
intimé
MOTIFS DU JUGEMENT
[1] Il s’agit d’un appel d’une ordonnance par laquelle le juge Phelan de la Cour fédérale a accueilli la requête de M. Cottrell en prorogation du délai imparti pour le dépôt d’une demande de contrôle judiciaire d’une décision rendue par le conseil de bande.
[2] L’avis de requête est daté du 20 février 2007, soit plus de 80 jours après l’expiration du délai dans lequel la demande de contrôle judiciaire de la décision contestée doit être déposée selon la loi.
[3] M. Cottrell, un Indien inscrit, résidait dans une maison unifamiliale qu’il louait dans la réserve de la bande. Il avait le droit de se porter acquéreur de la maison après en avoir payé le loyer durant 15 ans.
[4] M. Cottrell et le conseil de bande ont signé un bail le 1er avril 1994. Selon la clause 12, la bande a le pouvoir discrétionnaire de résilier le bail dans certaines circonstances, notamment lorsque le locataire est incapable de vivre de manière autonome.
[5] Un calcul simple révèle que M. Cottrell était locataire de la maison depuis 12 ans lorsqu’il a été expulsé le 1er novembre 2006, sans préavis, même si des membres de sa famille auraient été consultés à ce sujet auparavant. Depuis 2005, M. Cottrell souffre d’un trouble neurologique grave et rare (la polyneuropathie démyélinisante inflammatoire chronique) qui fait en sorte que ses bras et ses jambes sont de plus en plus faibles.
[6] À la suite d’un appel qu’il a fait au 911 pour obtenir de l’aide afin de recharger son fauteuil roulant et d’y reprendre place, M. Cottrell a été transporté à l’hôpital contre son gré. C’est à l’hôpital que Mme Sawyer, agente des soins de santé de la bande, a remis à M. Cottrell l’ordre d’expulsion et l’a avisé de vive voix qu’il avait été expulsé.
[7] M. Cottrell a aussitôt informé Mme Sawyer qu’il avait l’intention d’obtenir l’aide d’un avocat afin de contester l’expulsion.
[8] M. Cottrell a retenu les services d’un avocat de la clinique juridique communautaire. Il y a eu une série de communications entre les avocats et entre l’avocat de M. Cottrell et un psychologue clinicien, des documents ont été rassemblés, mais aucune démarche judiciaire n’a été entreprise.
[9] Comme je l’ai mentionné précédemment, le juge Phelan a accueilli la requête. Il était d’avis que le demandeur avait eu une intention constante de poursuivre la demande et que l’affaire révélait une cause défendable.
[10] En outre, le juge Phelan a souscrit à la prétention de la bande selon laquelle la demande de contrôle judiciaire en suspens était susceptible de causer un préjudice ou des inconvénients à certains membres de la bande en particulier, étant donné qu’il y a une liste d’attente pour les logements. Cependant, le juge Phelan a dit que ce préjudice repose sur l’idée que la bande avait le droit d’expulser M. Cottrell et que, lorsqu’on compare le préjudice de part et d’autre, la perte de toute possibilité de contester devant la Cour l’expulsion ordonnée par la bande l’emporte sur la nature temporaire du préjudice causé à la bande, « si un tel préjudice existe ».
[11] Enfin, le juge Phelan était d’avis que le demandeur avait fourni une explication raisonnable du retard car, comme le demandeur subissait une évaluation de ses capacités, il aurait été imprudent pour son avocate d’aller de l’avant avant que la question de sa capacité mentale soit réglée définitivement.
[12] Ce n'est que très rarement que la Cour interviendra dans l'exercice du pouvoir discrétionnaire d'un juge des requêtes lorsqu'il s'agit d'une requête en prolongation du délai : Jakutavicious c. Canada (Procureur général), 2004 CAF 289. Dans une telle requête, la Cour est tenue d’examiner certains facteurs, mais doit tout d'abord se demander si, dans les circonstances mises en preuve, la prorogation du délai est nécessaire pour que justice soit faite entre les parties : Grewal c. Ministre de l’Emploi et de l’Immigration, [1985] 2 C.F. 263 (C.A.F.).
[13] La Cour peut substituer son pouvoir discrétionnaire à celui du juge des requêtes si ce dernier n'a pas accordé suffisamment de poids à toutes les considérations pertinentes. De plus, la Cour peut intervenir si la conclusion du juge des requêtes était fondée sur une décision incorrecte concernant une question de droit ou sur une erreur de fait manifeste et dominante : Chinese Business Chamber of Canada c. Canada, 2006 CAF 178, au paragraphe 4.
[14] Je suis d’avis que la Cour ne devrait pas modifier la décision discrétionnaire du juge Phelan.
[15] Compte tenu des faits, il était loisible au juge Phelan de conclure a) que le demandeur avait eu une intention constante de poursuivre la demande, b) qu’il existait une explication raisonnable du retard, et c) que la cause de M. Cottrell est défendable au sens où il a une chance raisonnable de succès : Leblanc c. Banque nationale du Canada, [1994] 1 C.F. 81; APV Canada Inc. c. Canada (M.R.N.), 2001 CFPI 737.
[16] La prétention du conseil de bande selon laquelle la Cour fédérale n’a pas compétence pour statuer sur la question soulevée du fait que celle-ci porte sur le droit de nature privée de la Première nation de résilier un bail constitue une cause défendable compte tenu des faits de l’espèce. Pour ordonner l’expulsion, la Première nation s’est appuyée sur la clause 12 du bail portant sur l’incapacité physique et mentale de M. Cottrell de vivre de manière autonome, en vertu de laquelle elle avait le pouvoir discrétionnaire de déplacer le locataire. La question de savoir si, dans les présentes circonstances, cette clause a eu pour effet de soustraire le litige au domaine du droit privé donne lieu à une cause défendable suivant les arrêts Gamblin c. Conseil de bande de la Nation crie de Norway House (Conseil de bande), 2002 CAF 385, et Obichon c. Première nation du lac Heart, no 176, [1988] A.C.F. no 307.
[17] Par conséquent, je conclus que la bande n’a pas réussi à prouver que le juge Phelan a commis des erreurs justifiant une intervention de la Cour.
[18] Je suis d’avis de rejeter l’appel avec dépens.
« Johanne Trudel »
j.c.a.
« Je suis d’accord
Gilles Létourneau, j.c.a. »
« Je suis d’accord
K. Sharlow, j.c.a. »
Traduction certifiée conforme
Caroline Tardif, LL.B., trad
COUR D’APPEL FÉDÉRALE
AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER
DOSSIER : A-131-07
APPEL D’UNE ORDONNANCE RENDUE PAR LE JUGE PHELAN LE 8 MARS 2007
INTITULÉ : LE CONSEIL DE BANDE DE LA PREMIÈRE NATION DES CHIPPEWAS DE RAMA MNJIKANING
c. JAMES COTTRELL
LIEU DE L’AUDIENCE : TORONTO (ONTARIO)
DATE DE L’AUDIENCE : LE 13 SEPTEMBRE 2007
MOTIFS DU JUGEMENT : LA JUGE TRUDEL
Y ONT SOUSCRIT : LES JUGES LÉTOURNEAU
DATE DES MOTIFS : LE 17 SEPTEMBRE 2007
COMPARUTIONS :
Brendan Van Niejenhuis
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POUR L’APPELANT
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Amanda Dodge |
POUR L’INTIMÉ
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AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :
Toronto (Ontario)
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POUR L’APPELANT
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Palaire, Roland, Rosenberg, Rothstein LLP Toronto (Ontario) |
POUR L’INTIMÉ
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