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Date : 20070921

Dossier : A-217-06

Référence : 2007 CAF 302

 

CORAM :      LE JUGE NOËL

                        LE JUGE SEXTON

                        LE JUGE PELLETIER

 

ENTRE :

GULFMARK OFFSHORE N.S. LIMITED

appelante

et

SA MAJESTÉ LA REINE

intimée

 

 

 

Audience tenue à Ottawa (Ontario), le 18 septembre 2007

Jugement rendu à Ottawa (Ontario), le 21 septembre 2007

 

MOTIFS DU JUGEMENT :                                                                                      LE JUGE NOËL

Y ONT SOUSCRIT :                                                                                           LE JUGE SEXTON

                                                                                                                         LE JUGE PELLETIER

 


Date : 20070921

Dossier : A-217-06

Référence : 2007 CAF 302

 

CORAM :      LE JUGE NOËL

                        LE JUGE SEXTON

                        LE JUGE PELLETIER

 

ENTRE :

GULFMARK OFFSHORE N.S. LIMITED

appelante

et

SA MAJESTÉ LA REINE

intimée

 

 

MOTIFS DU JUGEMENT

LE JUGE NOËL

[1]               Il s’agit d’un appel interjeté à l’encontre de la décision du juge Miller de la Cour canadienne de l’impôt, qui confirmait en partie la nouvelle cotisation établie à l’égard de l’année d’imposition 1999 au nom de Gulf Offshore N.S. Limited (GONS), au motif que cette société exerçait une activité au Canada par l’intermédiaire d’un établissement stable. Dans la même décision, le juge Miller a confirmé la décision du ministre du Revenu national (le ministre) de refuser la déduction des frais d’intérêt de GONS, mais il a renvoyé la nouvelle cotisation au ministre pour que ce dernier en établisse une autre, compte tenu du fait que GONS avait droit à la déduction des frais associés aux salaires et aux déplacements qu’elle demandait.

[2]               GONS soutient que le juge de la Cour de l’impôt a commis différentes erreurs en statuant qu’elle exerçait une activité au Canada par l’intermédiaire d’un établissement stable en 1999. Subsidiairement, la société prétend que les frais d’intérêt, dont elle a demandé la déduction, ont été attribués de façon appropriée à son établissement stable et que le juge de la Cour de l’impôt a commis une erreur en refusant cette déduction.

 

LES FAITS PERTINENTS

[3]               L’appelante, GONS, est une société de transport maritime qui est résidente du Royaume‑Uni.

 

[4]               En 1999, l’appelante possédait et exploitait une flotte de 27 navires ravitailleurs. Le Highland Pride, l’un de ces navires, a été construit en 1992, au coût de 12 000 000 £, expressément pour transporter sur le pont des conduites destinées à l’installation d’un pipeline en mer. L’appelante a contracté un prêt de 11 000 000 £ d’une durée de 10 ans pour financer sa construction (motifs, au paragraphe 3).

 

[5]               En 1998, la société mère, Gulfmark Offshore Inc., a consolidé toutes les dettes de ses filiales (dont GONS) afin d’obtenir un meilleur taux de financement. Dans le cadre de ce refinancement, GONS a emprunté environ 37 000 000 £ à Gulfmark Offshore Inc. L’argent devait servir à la construction de nouveaux navires et au refinancement des dettes de GONS (motifs, aux paragraphes 12 et 13).

 

[6]               En 1998, l’appelante a conclu un contrat d’affrètement avec Allseas Canada Limited (Allseas) en vue de la fourniture d’un navire, le Highland Pride, pour le transport de conduites et d’autres fournitures (matériaux, équipement, gasoil marin) dans les eaux côtières canadiennes. Les frais d’affrètement s’élevaient à 21 500 £ par jour, mis à part le carburant et les droits d’importation.

 

[7]               En plus du navire, GONS fournissait le capitaine, l’équipage et un mécanicien. Elle a conclu un contrat de sous‑traitance avec une société affiliée non résidante, Guernsey Ship Ltd., et une société résidante canadienne non liée, pour la fourniture de l’équipage.

 

[8]               Conformément au contrat d’affrètement, en 1999, le Highland Pride a servi pendant 88 jours au transport de conduites et d’autre matériel, de la Nouvelle‑Écosse jusqu’à la zone d’installation située au large des côtes de cette province, entre Country Harbor et l’île de Sable. Pendant ce temps, Allseas donnait toutes les instructions nautiques et autres, et le capitaine et le mécanicien du Highland Pride tenaient des livres de bord complets et exacts au sujet des déplacements du navire. GONS était chaque jour en contact avec le navire (motifs, au paragraphe 20).

 

[9]               Dans la déclaration de revenu qu’elle a produite pour l’année faisant l’objet du présent appel, GONS a demandé une exemption en vertu de l’article 8 de la Convention fiscale entre le Canada et le Royaume‑Uni (le traité), ainsi que le remboursement des retenues d’impôt qu’elle avait versées. GONS a alors présenté un état des résultats en livres britanniques indiquant des frais associés aux salaires et aux déplacements de 169 793 £ et des frais d’intérêt de 194 876 £.

 

[10]           Ces frais d’intérêt (qui équivalaient à 461 856 $CAN) représentaient 22,93 % des frais d’intérêt engagés par GONS pour ses activités mondiales pendant les 88 jours durant lesquels le Highland Pride avait navigué au Canada. Ce pourcentage a été obtenu en divisant le revenu du Highland Pride pour la période de 88 jours par le revenu tiré par GONS pour tous ses navires pendant la même période (motifs, au paragraphe 13).

 

[11]           En se fondant sur l’article 27A du traité, le ministre a considéré, pour établir la cotisation, que GONS était une société non résidante exerçant une activité au Canada au sens de l’article 248 de la Loi. Dans le calcul du revenu assujetti à l’impôt au Canada, le ministre a refusé à l’appelante la moitié des déductions qu’elle avait demandées au titre des frais associés aux salaires et aux déplacements, ainsi que la déduction de tous ses frais d’intérêt afférents au financement.

 

[12]           GONS a interjeté appel auprès de la Cour canadienne de l’impôt. Comme il a été mentionné précédemment, le juge Miller a statué que GONS exerçait une activité par l’intermédiaire d’un établissement stable (conformément à l’article 27A du traité) et que, en conséquence, elle devait payer au Canada un impôt sur le revenu gagné par l’intermédiaire de cet établissement. Il a statué également que GONS n’avait pas réussi à démontrer, comme elle devait le faire, que les frais d’intérêt qu’elle voulait déduire avaient été attribués de façon appropriée à son établissement stable au Canada. Il a toutefois permis la moitié de la déduction des frais associés aux salaires et aux déplacements que le ministre avait refusée.

 

LA DÉCISION DE LA COUR DE L’IMPÔT

[13]           Le juge de la Cour de l’impôt a estimé qu’il devait déterminer si GONS exerçait une activité au Canada par l’intermédiaire d’un établissement stable au sens du traité et, le cas échéant, si les frais d’intérêt et les frais associés aux salaires et aux déplacements dont GONS avait demandé la déduction étaient déductibles du revenu qu’elle avait tiré de l’établissement stable pendant la période pertinente.

 

[14]           Le juge de la Cour de l’impôt a conclu que GONS exerçait une activité au Canada (selon le sens ordinaire de l’expression) pendant les 88 jours. Comme cette activité était exercée dans le cadre de l’exploration et de l’exploitation du sol marin, les activités sous‑jacentes étaient visées par l’article 27A du traité. En conséquence, GONS était tenue de payer de l’impôt sur le revenu tiré de ces activités. Le juge de la Cour de l’impôt a ainsi rejeté la prétention de GONS selon laquelle elle avait conclu un contrat de location passif ou à coque nue et selon laquelle le Highland Pride était exploité par Allseas pendant la période pertinente. Plus particulièrement, le juge de la Cour de l’impôt a conclu que GONS exerçait l’activité d’exploiter un navire, de fournir l’équipage et de transporter des conduites, des fournitures et du personnel jusqu’à un lieu situé en mer. En outre, le siège social de GONS était chaque jour en contact avec le navire et il n’existait aucun élément de preuve montrant que des employés d’Allseas étaient montés à bord du navire (motifs, aux paragraphes 17 à 20).

 

[15]           Le juge de la Cour de l’impôt a conclu ensuite que les frais associés aux salaires et aux déplacements étaient déductibles, mais pas les frais d’intérêt. Il a mentionné que le revenu imposable tiré d’une activité exercée par l’intermédiaire d’un établissement stable doit être déterminé comme si l’établissement était une entreprise distincte et a reconnu que, vu le nombre de navires exploités par GONS, il était nécessaire de ventiler les frais associés aux salaires et aux déplacements. Il a convenu que la méthode du coût standard utilisée par GONS était une façon acceptable de ventiler ces frais (motifs, au paragraphe 22).

 

[16]           Pour ce qui est des frais d’intérêt cependant, le juge de la Cour de l’impôt a statué que GONS n’avait pas réussi à démontrer quelle fraction des intérêts payés sur le prêt consolidé avait été utilisée, le cas échéant, pour financer l’exploitation du Highland Pride pendant la période en cause  (motifs, au paragraphe 25).

 

LES PRÉTENDUES ERREURS RELEVÉES DANS LA DÉCISION FAISANT L’OBJET DU PRÉSENT APPEL

[17]           En ce qui concerne la première question énoncée par le juge de la Cour de l’impôt, l’appelante allègue que ce dernier aurait dû interpréter le traité de manière libérale dans le but de mettre en œuvre l’intention des parties et la politique du traité. Elle se réfère à cet égard aux articles 31 à 33 de la Convention de Vienne sur le droit des traités, 23 mai 1969, 1155 R.T.N.U. 33 (la Convention de Vienne). Elle fait valoir plus particulièrement que le juge de la Cour de l’impôt a défini le terme « activité » d’une manière qui exigeait de la société qu’elle ne fasse aucune action. Selon l’appelante, cette interprétation va à l’encontre de l’objet du traité, qui est d’atténuer les effets de la double imposition. À cet égard, elle soutient que le crédit pour impôt étranger auquel elle a droit en vertu des lois fiscales du Royaume‑Uni ne compensera pas complètement les impôts qu’elle doit payer au Canada selon les cotisations.

 

[18]           L’appelante allègue également que le juge de la Cour de l’impôt a commis plusieurs erreurs manifestes et dominantes en concluant que c’est elle, et non Allseas, qui exploitait le Highland Pride pendant les 88 jours que le navire a passés dans les eaux canadiennes.

 

[19]           En ce qui concerne les frais d’intérêt, l’appelante soutient que les montants réclamés ont été calculés en conformité avec des principes comptables et commerciaux reconnus. La méthode utilisée pour répartir ces frais entre les 27 navires était raisonnable, et il incombait au ministre de démontrer qu’elle n’avait pas donné une image fidèle du revenu (Candarel Limitée c. Sa Majesté la Reine), [1998] 1 R.C.S. 147 (Candarel)).

 

L’ANALYSE ET LA DÉCISION

[20]           En ce qui concerne la première question, il ressort du libellé de l’article 27A que cette disposition a été ajoutée au traité pour que les personnes qui travaillent dans le domaine de l’exploration et de l’exploitation du sol marin soient réputées exercer une activité par l’intermédiaire d’un établissement stable dans les cas où elles ne seraient pas visées par la définition d’« établissement stable » contenue dans le traité.

 

[21]           Appliqué aux faits en l’espèce, l’article 27A du traité fait en sorte que tout résident du Royaume‑Uni qui exerce au Canada des activités dans le cadre de l’exploration et de l’exploitation du sol et du sous‑sol marins ainsi que de leurs ressources naturelles pendant plus de 30 jours est assujetti à l’impôt au Canada comme s’il exerçait une activité par l’intermédiaire d’un établissement stable. L’appelante prétend qu’elle n’« exer[çait] [pas] des activités », mais qu’elle était plutôt passivement engagée parce qu’elle avait loué le navire à Allseas ‑ un contrat de location qui équivalait à un contrat d’affrètement à coque nue. L’appelante a reconnu devant le juge de la Cour de l’impôt que, si elle « exer[çait] des activités », celles‑ci étaient en rapport avec l’exploration et l’exploitation du sol et du sous‑sol marins ainsi que de leurs ressources naturelles. Aussi, la seule question que la Cour doit trancher en l’espèce consiste à déterminer si le juge de la Cour de l’impôt pouvait statuer valablement que GONS « exer[çait] des activités » au sens de l’article 27A.

 

[22]           L’expression « exer[çait] des activités » au sens de l’article 27A du traité n’est définie nulle part. L’appelante prétend que le juge de la Cour de l’impôt a donné une interprétation littérale à cette expression, ce qui allait à l’encontre de l’intention du législateur et des parties au traité. Comme l’intimée l’avance cependant, il n’y a aucune raison de ne pas attribuer aux termes pertinents du traité leur sens ordinaire, ainsi que le juge de la Cour de l’impôt l’a fait (se référer à l’alinéa 31(1)a) de la Convention de Vienne). Je suis incapable de relever une erreur dans la manière dont le juge de la Cour de l’impôt a interprété les termes pertinents du traité.

 

[23]           Je suis incapable également de conclure que le juge de la Cour de l’impôt a commis une erreur manifeste ou dominante dans son appréciation de la preuve. Comme il l’a souligné, l’appelante n’a pas conclu un contrat de location à coque nue avec Allseas. Dans le cadre d’un tel contrat, un navire est fourni sans équipage.

 

[24]           Le fait qu’Allseas a obtenu le permis de cabotage, a donné des instructions nautiques au capitaine et a déterminé quelles fournitures étaient transportées à bord du navire n’est pas incompatible avec la conclusion du juge de la Cour de l’impôt selon laquelle GONS exploitait le Highland Pride. À mon avis, le fait que GONS a fourni l’équipage, a été chaque jour en contact avec le navire, a chargé le capitaine de tenir des livres de bord au sujet des déplacements du navire et était en tout temps responsable de la maintenance du navire démontre amplement que c’est elle qui exploitait le navire, comme le juge de la Cour de l’impôt l’a conclu.

 

[25]           L’appelante n’a relevé aucune erreur susceptible de contrôle au regard de la conclusion du juge de la Cour de l’impôt selon laquelle elle exerçait des activités au Canada au sens de l’article 27A du traité.

 

[26]           En ce qui concerne la deuxième question, je suis d’accord avec l’avocat du ministre lorsqu’il dit qu’aucune question de droit ne se pose relativement au calcul du bénéfice proposé par l’appelante dans le présent appel (Candarel, précité). La question en litige en l’espèce est une question de preuve; elle concerne les frais d’intérêt engagés par l’appelante qui se rapportent au Highland Pride.

 

[27]           Le présent appel aurait pu soulever une question semblable à celle en litige dans Candarel si l’appelante avait démontré que ses frais d’intérêt afférents au prêt consolidé pouvaient être considérés comme des frais généraux bénéficiant aux 27 navires. Dans ce cas, les frais d’intérêt auraient dû être répartis d’une certaine façon, et, faute d’une meilleure suggestion du ministre, la méthode proposée par l’appelante aurait peut‑être alors été retenue.

 

[28]           Toutefois, non seulement cette démonstration n’a pas été faite, mais le dossier révèle que le prêt consolidé a été utilisé pour financer un nouveau navire (et non des « navires » comme le juge de la Cour de l’impôt l’a dit au paragraphe 12 de ses motifs), et l’appelante n’a pas été en mesure de préciser la fraction du prêt qui avait été utilisée à cette fin (contre‑interrogatoire de M. Guthrie, dossier d’appel, vol. II, à la page 321).

 

[29]           Par conséquent, je ne relève aucune erreur dans la conclusion du juge de la Cour de l’impôt selon laquelle GONS n’a pas démontré, comme il lui incombait de le faire, que la méthode qu’elle proposait pour ventiler les frais d’intérêt était acceptable lorsqu’il s’agissait d’établir les dépenses associées au Highland Pride en tant qu’entreprise distincte.

 

[30]           Je rejetterais l’appel avec dépens.

« Marc Noël »

j.c.a.

 

« Je suis d’accord.

      J. Edgar Sexton, j.c.a. »

 

« Je suis d’accord.

      J.D. Denis Pelletier, j.c.a. »

 

 

 

Traduction certifiée conforme

Michèle Ledecq, B. trad.

 


COUR D’APPEL FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

DOSSIER :                                                      A-217-06

 

(APPEL D’UN JUGEMENT OU D’UNE ORDONNANCE DE LA COUR CANADIENNE DE L’IMPÔT, RENDU EN DATE DU 21 AVRIL 2006,

DOSSIER : 2004‑3596(IT)G)

 

INTITULÉ :                                                    GULFMARK OFFSHORE N.S. LIMITED

                                                                         c.

                                                                         SA MAJESTÉ LA REINE

 

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                              OTTAWA (ONTARIO)

 

DATE DE L’AUDIENCE :                            LE 18 SEPTEMBRE 2007

 

MOTIFS DU JUGEMENT :                          LE JUGE NOËL

 

Y ONT SOUSCRIT :                                      LE JUGE SEXTON

                                                                          LE JUGE PELLETIER

 

DATE DES MOTIFS :                                   LE 21 SEPTEMBRE 2007

 

 

COMPARUTIONS :

 

Vern Krishna, C.M., c.r.

Isabella Mentina

     POUR L’APPELANTE

 

 

John Bodurtha

     POUR L’INTIMÉE

 

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Borden Ladner Gervais LLP

Ottawa (Ontario)

     POUR L’APPELANTE

 

 

John H. Sims, c.r.

Sous-procureur général du Canada

     POUR L’INTIMÉE

 

 

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