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Date : 20070924

Dossier : A-301-07

A-302-07

 

Référence : 2007 CAF 304

 

CORAM :      LE JUGE DÉCARY

                        LE JUGE LÉTOURNEAU

                        LA JUGE SHARLOW

 

ENTRE :

CITY CENTRE AVIATION LTD., REGCO HOLDINGS INC.,

PORTER AIRLINES INC. et ROBERT J. DELUCE

 

appelants (A-301-07)

intimés/intervenants (A-302-07)

et

 

JAZZ AIR LP

intimée (A-301-07)

intimée (A-302-07)

et

 

ADMINISTRATION PORTUAIRE DE TORONTO

 

intimée (A-301-07)

appelante (A-302-07)

 

 

 

Audience tenue à Ottawa (Ontario), le 24 septembre 2007

Jugement prononcé à l’audience à Ottawa (Ontario), le 24 septembre 2007

 

MOTIFS DU JUGEMENT DE LA COUR :                                                     LA JUGE SHARLOW

 


Date : 20070924

Dossier : A-301-07

A-302-07

 

Référence : 2007 CAF 304

CORAM :      LE JUGE DÉCARY

                        LE JUGE LÉTOURNEAU

                        LA JUGE SHARLOW

 

ENTRE :

CITY CENTRE AVIATION LTD., REGCO HOLDINGS INC.,

PORTER AIRLINES INC. et ROBERT J. DELUCE

 

appelants (A-301-07)

intimés/intervenants (A-302-07)

et

 

JAZZ AIR LP

intimée (A-301-07)

intimée (A-302-07)

et

 

ADMINISTRATION PORTUAIRE DE TORONTO

 

intimée (A-301-07)

appelante (A-302-07)

 

MOTIFS DU JUGEMENT DE LA COUR

(prononcés à l’audience à Ottawa (Ontario), le 24 septembre 2007)

 

LA JUGE SHARLOW

[1]        Les présents appels découlent d’une demande de contrôle judiciaire présentée par Jazz Air LP à l’égard de la décision de l’Administration portuaire de Toronto (l’APT) de lui refuser l’accès aux établissements de l’Aéroport du centre‑ville de Toronto (T-1427-06). Cette demande a été déposée le 8 août 2006. Il s’agissait de la deuxième demande de cette nature présentée par Jazz Air LP. La première demande (T‑431‑06) a été déposée le 9 mars 2006, mais elle a été abandonnée le 8 août 2006, après que le juge Rouleau eut maintenu l’ordonnance de la protonotaire Milczynski convertissant la demande en une action.

[2]        Le 1er février 2007, la protonotaire Milczynski a accueilli la requête de City Centre Aviation Ltd., Regco Holdings Inc., Porter Airlines Inc. et Robert J. Deluce (collectivement désignés sous le nom de « Porter Airlines ») et de l’APT visant à obtenir la radiation de la deuxième demande de Jazz Air LP au motif qu’elle constituait un abus de procédure (2007 CF 114). Jazz Air LP a interjeté appel de cette ordonnance en vertu de l’article 51 des Règles des Cours fédérales. Le 12 juin 2007, le juge Hugessen a accueilli l’appel, infirmé l’ordonnance de la protonotaire et lui a substitué une ordonnance autorisant la poursuite de la demande sous forme d’action à certaines conditions (2007 CF 624).

[3]        À l’instar de la protonotaire, le juge Hugessen a estimé que les actions intentées par Jazz Air LP étaient de nature purement tactique et visaient à contourner l’ordonnance convertissant la première demande en une action, mais il a jugé que la réparation ordonnée était excessive. Son ordonnance vise à faire échec à ce qu’il a appelé la « stratégie peu judicieuse » de Jazz Air LP, sans nier à celle‑ci la possibilité d’être entendue en cour.

[4]        Porter Airlines et l’APT ont interjeté appel de l’ordonnance du juge Hugessen, faisant valoir que ce dernier avait commis une erreur de droit en infirmant l’ordonnance de la protonotaire. Les deux appels soulevaient essentiellement la même question et ont été réunis. Les appelants soutiennent que le juge Hugessen n’avait aucune raison de modifier l’ordonnance de la protonotaire puisqu’il n’y a relevé aucune erreur de droit ou de fait.

[5]        L’arrêt de principe sur la norme de contrôle qui s’applique à l’égard des décisions discrétionnaires des protonotaires de la Cour fédérale est Canada c. Aqua-Gem Investments Ltd. (C.A.), [1993] 2 C.F. 425, où la norme de contrôle d’une ordonnance discrétionnaire rendue par un protonotaire a été décrite dans les termes suivants par le juge MacGuigan, qui s’est exprimé au nom de la majorité, à la page 463.

[…] le juge saisi de l’appel contre l’ordonnance discrétionnaire d’un protonotaire ne doit pas intervenir sauf dans les deux cas suivants :

a) l’ordonnance est entachée d’erreur flagrante, en ce sens que le protonotaire a exercé son pouvoir discrétionnaire en vertu d’un mauvais principe ou d’une mauvaise appréciation des faits,

b) l’ordonnance porte sur des questions ayant une influence déterminante sur l’issue du principal.

[6]        En dissidence, le juge en chef Isaac a énoncé le critère comme suit (non souligné dans l’original) :

J’estime que ces ordonnances [les ordonnances discrétionnaires des protonotaires] ne doivent être révisées en appel que dans les deux cas suivants :

a) elles sont manifestement erronées, en ce sens que l’exercice du pouvoir discrétionnaire par le protonotaire a été fondé sur un mauvais principe ou sur une fausse appréciation des faits,

b) le protonotaire a mal exercé son pouvoir discrétionnaire sur une question ayant une influence déterminante sur la solution des questions en litige dans la cause.

[7]        L’unique différence tient au fait que le juge en chef Isaac a utilisé l’adverbe « mal » dans le volet du critère se rapportant à l’« issue » ou la « solution » de l’affaire. La raison pour laquelle il l’a fait n’est pas claire. Le juge MacGuigan et lui ont tous deux indiqué qu’ils adoptaient par analogie le critère de contrôle des décisions discrétionnaires des juges locaux, énoncé par la Cour d’appel de l’Ontario dans l’arrêt Stoicevski c. Casement (1983), 43 O.R. (2d) 436 (C.A.O.), lequel correspond en gros au critère formulé par le juge MacGuigan au nom de la majorité dans l’arrêt Aqua‑Gem.

[8]        Quelle que soit l’explication qui sous‑tend la différence de formulation entre le critère énoncé dans les motifs de la majorité et celui énoncé dans les motifs dissidents de l’arrêt Aqua‑Gem, notre Cour et la Cour fédérale sont liées par la décision de la majorité à moins qu’elle ne soit modifiée par une décision subséquente.

[9]        Les appelants font valoir que le critère qu’a énoncé le juge MacGuigan au nom de la majorité dans l’arrêt Aqua-Gem a été modifié par l’arrêt Z.I. Pompey Industries c. ECU-Line N.V., [2003] 1 R.C.S. 450. La question de la norme de contrôle d’une décision discrétionnaire d’un protonotaire est abordée au paragraphe 18 des motifs, dont voici le texte (non souligné dans l’original) :

Le juge des requêtes ne doit modifier l’ordonnance discrétionnaire d’un protonotaire que dans les cas suivants : a) l’ordonnance est entachée d’une erreur flagrante, en ce sens que le protonotaire a exercé son pouvoir discrétionnaire sur le fondement d’un mauvais principe ou d’une mauvaise appréciation des faits, ou b) le protonotaire a mal exercé son pouvoir discrétionnaire relativement à une question ayant une influence déterminante sur la décision finale quant au fond : Canada c. Aqua-Gem Investments Ltd., [1993] 2 .C.F. 425 (C.A.), le juge MacGuigan, p. 462-463.

[10]      Lorsqu’elle a énoncé cette norme de contrôle dans l’arrêt Z.I. Pompey, la Cour suprême du Canada a mentionné la décision rendue par la majorité dans l’arrêt Aqua-Gem, mais elle a cité les motifs dissidents. Nous partageons l’avis du juge Hugessen selon lequel la Cour suprême du Canada n’avait pas l’intention de modifier la norme de contrôle énoncée par la majorité dans l’arrêt Aqua‑Gem. La Cour suprême n’apporterait pas sans le préciser et sans en donner la raison un changement aussi important à la jurisprudence de notre Cour et de la Cour fédérale, particulièrement sur une question qui n’était pas pertinente quant au fond de l’affaire dont elle était saisie.

[11]      Nous en arrivons à la conclusion qu’en dépit du paragraphe 18 de l’arrêt Z.I. Pompey, la Cour fédérale et notre Cour continuent d’être liées par le critère énoncé par le juge MacGuigan au nom de la majorité dans l’arrêt Aqua-Gem.

[12]      En outre, malgré les observations habiles de l’avocat des appelants, qui s’est fondé notamment sur les nouvelles Règles des Cours fédérales, adoptées après que l’arrêt Aqua‑Gem eut été rendu, nous ne sommes pas convaincus que notre Cour doive modifier le critère.

[13]      Le critère a récemment été réitéré par le juge Décary, qui s’est exprimé à cet égard au nom de la Cour dans l’arrêt Merck & Co. c. Apotex Inc., 2003 CAF 488, au paragraphe 19. Le critère reformulé est libellé dans les termes suivants :

Le juge saisi de l’appel contre l’ordonnance discrétionnaire d’un protonotaire ne doit pas intervenir sauf dans les deux cas suivants : a) l’ordonnance porte sur des questions ayant une influence déterminante sur l’issue du principal, b) l’ordonnance est entachée d’erreur flagrante, en ce sens que le protonotaire a exercé son pouvoir discrétionnaire en vertu d’un mauvais principe ou d’une mauvaise appréciation des faits.

 

Cette nouvelle formulation inverse simplement l’ordre des deux volets du critère pour qu’ils soient examinés dans un ordre plus logique. Une fois qu’il est décidé qu’une révision de novo s’impose, il n’est pas nécessaire de tenter de relever quelque erreur que ce soit dans la décision visée par l’appel.

[14]      Dans la présente affaire, la requête en radiation de la procédure au motif qu’elle constitue un abus de procédure a soulevé des questions ayant une influence déterminante sur l’issue du principal. Pour cette raison, le juge Hugessen était tenu d’exercer son pouvoir discrétionnaire de novo, ce qu’il a fait. Le dossier ne révèle aucune erreur du juge Hugessen justifiant l’intervention de la Cour.

[15]      Les présents appels seront rejetés, avec un seul mémoire de dépens.

« K. Sharlow »

j.c.a

 

 

 

Traduction certifiée conforme

Sandra de Azevedo, LL.B.


COUR D’APPEL FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

DOSSIER :                                                                            A-301-07

                                                                                                A-302-07

 

(APPEL D’UNE ORDONNANCE DU JUGE HUGESSEN EN DATE DU 12 JUIN 2007, DOSSIER No T-1427-06)

 

INTITULÉ DE LA CAUSE :                                                CITY CENTRE AVIATION LTD.,

                                                                                                REGCO HOLDINGS INC.,

                                                                                                PORTER AIRLINES INC., et

                                                                                                ROBERT J. DELUCE

appelants (A-301-07)

intimés/intervenants (A-302-07)

                                                                                               

                                                                                                et

 

                                                                                                JAZZ AIR LP

intimée (A-301-07)

intimée (A-302-07)

 

                                                                                                et

 

                                                                                                ADMINISTRATION PORTUAIRE DE TORONTO

                                                                                                intimée (A-301-07)

                                                                                                appelante (A-302-07)

 

 

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                                                     Ottawa (Ontario)

 

 

DATE DE L’AUDIENCE :                                                   24 septembre 2007

 

MOTIFS DU JUGEMENT DE LA COUR                         (les juges Décary, Létourneau et Sharlow)

 

PRONONCÉS À L’AUDIENCE PAR :                               la juge Sharlow

 


COMPARUTIONS :

 

O. Pasparakis                                                                           POUR LES APPELANTS

R. Armstrong

 

E. Cherniak                                                                              POUR L’INTIMÉE

B. Radnoff                                                                                (JAZZ AIR)

 

F. Kristjanson                                                                           POUR L’INTIMÉE

N. Essendi                                                                                (ADMINISTRATION

C. Shannon                                                                              PORTUAIRE DE TORONTO)

 

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

Ogilvy Renault s.r.l.                                                                   POUR LES APPELANTS

Toronto (Ontario)

 

Lerners s.r.l.                                                                             POUR L’INTIMÉE

Toronto (Ontario)                                                                     (JAZZ AIR)

 

Borden Ladner Gervais s.r.l.                                                     POUR L’INTIMÉE

Toronto (Ontario)                                                                     (ADMINISTRATION PORTUAIRE

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