Décisions de la Cour d'appel fédérale

Informations sur la décision

Contenu de la décision

Date : 20071102

Dossier : A-93-06

Référence : 2007 CAF 355

 

CORAM :      LE JUGE LÉTOURNEAU

                        LE JUGE PELLETIER

                        LE JUGE RYER

 

ENTRE :

SADHU SINGH HAMDARD TRUST

appelante

et

LE REGISTRAIRE DES MARQUES DE COMMERCE

intimé

 

et

 

AJIT NEWSPAPER ADVERTISING, MARKETING AND

COMMUNICATIONS, INC.

intimée

 

Audience tenue à Ottawa (Ontario), le 5 septembre 2007

Jugement rendu à Ottawa (Ontario), le 2 novembre 2007

 

MOTIFS DU JUGEMENT :                                                                     LE JUGE PELLETIER

Y ONT SOUSCRIT :                                                                            LE JUGE LÉTOURNEAU

LE JUGE RYER

 

 


Date : 20071102

Dossier : A-93-06

Référence : 2007 CAF 355

 

CORAM :      LE JUGE LÉTOURNEAU

                        LE JUGE PELLETIER

                        LE JUGE RYER

 

ENTRE :

SADHU SINGH HAMDARD TRUST

appelante

et

LE REGISTRAIRE DES MARQUES DE COMMERCE

intimé

 

et

 

AJIT NEWSPAPER ADVERTISING, MARKETING AND

COMMUNICATIONS, INC.

intimée

 

 

MOTIFS DU JUGEMENT

LE JUGE PELLETIER

INTRODUCTION

[1]               Il s’agit d’un appel interjeté à l’encontre d’une décision du juge von Finckenstein, de la Cour fédérale, publiée sous l’intitulé Hamdard c. Canada (Registraire des marques de commerce), 2006 CF 171, [2006] A.C.F. no 198, laquelle a rejeté la requête de l’appelante visant à obtenir une prorogation de délai pour déposer un avis d’appel de la décision du registraire qui a admis l’enregistrement de la marque de commerce de l’intimée. Ce qui donne à cette cause un caractère unique, c’est le fait que l’appelante cherche à exercer son droit d’appel, en vertu de l’article 56 de la Loi sur les marques de commerce, L.R.C. 1985, ch. T-13 (la Loi), après l’enregistrement de la marque de commerce.

 

LES FAITS

[2]               Le 20 janvier 2004, l’intimée a déposé une demande d’enregistrement de sa marque de commerce, AJIT WEEKLY Design, laquelle demande a été publiée le 10 novembre 2004. Le délai pour déposer une déclaration d’opposition a commencé à courir à compter de cette date et a expiré deux mois plus tard, soit le 10 janvier 2005 : voir l’article 38 de la Loi. L’appelante a pris connaissance de la demande d’enregistrement au cours d’un autre litige relatif à une marque de commerce entre les mêmes parties au Royaume-Uni et elle a donné instructions à des mandataires au Canada de s’y opposer. Le 23 décembre 2004, soit dans la période accordée pour la production, le mandataire de l’appelante a écrit au registraire pour solliciter une prorogation de trois mois pour produire sa déclaration d’opposition [traduction] « afin de permettre à l’opposante de bien étudier ses motifs d’opposition » (dossier d’appel, à la page 56).

 

[3]               Nul ne conteste que le bureau du registraire a reçu cette lettre, mais on n’en a jamais accusé réception. En outre, que ce soit par inadvertance ou pour quelque autre raison, le registraire s’est prononcé sur la demande d’enregistrement de l’intimée sans tenir compte de la demande de prorogation. Le mandataire de l’appelante n’a pas assuré le suivi pour voir ce qu’il était advenu de sa demande de prorogation.

[4]               Le 28 janvier 2005, le registraire a avisé l’intimée, au moyen d’un avis d’admission, que sa demande avait été admise. La marque de commerce a été enregistrée le 3 mars 2005.

 

[5]               Le mandataire de l’appelante, qui ne savait pas qu’on n’avait pas tenu compte de la demande de prorogation, a produit sa déclaration d’opposition le 31 mars 2005, pour apprendre que la marque avait été enregistrée. L’appelante a d’abord cherché à contester l’enregistrement au moyen d’une demande de contrôle judiciaire, en invoquant un manque d’équité procédurale, mais elle a décidé de se désister de cette demande. Elle a ensuite présenté la requête faisant l’objet du présent appel, afin de solliciter une prorogation de délai pour déposer un avis d’appel en vertu de l’article 56 de la Loi. L’appelante cherche à obtenir les réparations suivantes dans son projet d’avis de demande :

[traduction]

 

1. une ordonnance accueillant l’appel que Trust a interjeté à l’encontre de la décision du registraire d’admettre l’enregistrement de la marque AJIT WEEKLY Design et déclarant que cet enregistrement est nul et sans effet juridique;

 

2. une ordonnance prescrivant que l’opposition à l’encontre de la marque de commerce AJIT WEEKLY Design procède conformément à la déclaration d’opposition produite auprès du registraire et datée du 31 mars 2005;

 

3. subsidiairement, une ordonnance prévoyant la radiation de l’enregistrement de la marque AJIT WEEKLY Design, parce que, à la date où elle a été enregistrée, la marque AJIT WEEKLY Design n’exprimait ou ne définissait pas exactement les droits existants d’Ajit Newspaper Advertising, Marketing and Communications, Inc. ("ANAMCI"), la personne paraissant être le propriétaire inscrit de la marque AJIT WEEKLY Design;

4. les dépens de Trust afférents à la présente demande;

 

5. toute autre réparation que la Cour juge appropriée.

 

[6]               La requête en prorogation de délai a été entendue par le juge von Finckenstein, qui l’a rejetée après avoir conclu que l’appelante n’avait pas choisi le recours qui lui convenait. Il a conclu qu’il n’y avait aucune décision du registraire pouvant être contestée par l’appelante. Celle‑ci avait demandé une prorogation, mais cette demande n’avait pas été rejetée; elle était simplement restée sans réponse. Puisque le registraire n’était pas tenu d’accorder une prorogation, la période de production s’était écoulée, de sorte que l’appelante n’avait pu respecter le délai. Le juge des requêtes a reproché à l’appelante son omission d’assurer le suivi de sa demande de prorogation, parce que sa position était qu’une demande de prorogation constituait [traduction] « une demande courante qui est invariablement accordée par le registraire ».

 

[7]               Le juge des requêtes a conclu que, puisqu’elle n’avait pu respecter le délai de production d’une déclaration d’opposition, le recours de l’appelante était de contester l’enregistrement au moyen d’une procédure en radiation aux termes de l’article 57 de la Loi. Étant donné qu’il n’y avait pas de décision du registraire, le droit d’appel prévu par l’article 56, lequel s’applique à « toute décision rendue par le registraire, sous le régime de la présente loi », n’entrait pas en jeu. L’appelante était tenue d’engager une procédure en radiation aux termes de l’article 57 de la Loi.

 

LES OBSERVATIONS DE L’APPELANTE

[8]               Avant la tenue de l’audition de l’appel, la Cour a donné une directive aux parties leur demandant de formuler des observations à la Cour, lors de l’audience, sur la question suivante :

[traduction]

 

Le législateur a jugé opportun d’établir, au paragraphe 39(3) de la Loi sur les marques de commerce, un recours pour le cas où un enregistrement d’une marque de commerce serait admis sans tenir compte d’une demande d’ajournement. Comme elle n’a pas tiré avantage du recours prévu par le législateur, l’appelante n’est‑elle pas limitée à contester l’enregistrement en engageant une procédure en radiation?

 

 

[9]               Les avocats de l’appelante ont tenté de répondre à cette question en faisant référence à la décision Aliments Ault Ltée c. Canada (Registraire des marques de commerce) (1992), 48 F.T.R. 1 (C.F. 1re inst.), conf. par [1993] 1 C.F. 319 (C.A.F.) (Aliments Ault). Selon l’appelante, la décision Aliments Ault appuie la proposition voulant que la Cour ait compétence pour intervenir en sa faveur, même après l’enregistrement de la marque de commerce. Les faits dans l’affaire Aliments Ault étaient semblables à ceux de l’espèce, en ce que le registraire avait donné un avis d’admission de la marque de commerce sans tenir compte d’une demande de prorogation pour produire une déclaration d’opposition. Lorsque l’opposante a cherché à faire annuler l’admission, le registraire a pris la position qu’il n’avait pas le pouvoir d’intervenir, vu le paragraphe 39(2) qui, à l’époque, se lisait ainsi :

39. (1) Lorsqu'une demande n'a pas été l'objet d'une opposition et que le délai prévu pour la production d'une déclaration d'opposition est expiré, ou lorsqu'une demande a fait l'objet d'une opposition et que celle-ci a été définitivement décidée en faveur du requérant, le registraire l'admet aussitôt.

 

 

(2) Le registraire ne peut proroger le délai accordé pour la production d'une déclaration d'opposition à l'égard d'une demande admise.

39. (1) When an application for the registration of a trade mark either has not been opposed and the time for the filing of a statement of opposition has expired or it has been opposed and the opposition has been decided finally in favour of the applicant, the Registrar thereupon shall allow it.

 

(2) The Registrar shall not extend the time for filing a statement of opposition with respect to any application that has been allowed.

 

[10]           Avant l’enregistrement de la marque de commerce, l’opposante avait présenté une demande de contrôle judiciaire visant à obtenir l’annulation de l’admission. La Cour fédérale a jugé que le paragraphe 39(2) empêchait le registraire de donner suite à la demande de prorogation après qu’une demande a été admise, mais que l’article 18 de la Loi sur la Cour fédérale permettait à la Cour, dans des circonstances appropriées, d’annuler l’admission et d’ordonner au registraire d’examiner la demande en prorogation de délai pour produire une opposition. Le défaut du registraire de tenir compte de faits pertinents, en l’occurrence la demande en prorogation de délai, constituait des circonstances appropriées. Par conséquent, la Cour a annulé l’admission et ordonné au registraire d’examiner la demande de prorogation.

 

[11]           En appel devant la Cour, la décision de la Cour fédérale a été confirmée. La Cour a conclu que « c'est une condition préalable à l'admission par le registraire d'une demande d'enregistrement que celle-ci n'ait fait l'objet d'aucune opposition (ou, bien entendu, subsidiairement, qu'une opposition ait été décidée en faveur du requérant) » (au paragr. 18). Selon la Cour, il n’y avait aucune distinction à faire entre « l'opposition proprement dite et l'avis de l'intention de faire opposition accompagné d'une demande de prorogation ». L’appelante avait droit à ce que sa demande de prorogation soit traitée avant que le registraire rende une décision sur la demande d’enregistrement. La Cour a rejeté la procédure en radiation en tant que recours subsidiaire viable, au motif qu’elle devait être introduite à la Cour fédérale plutôt qu’au moyen d’une procédure sommaire devant le registraire.

 

[12]           Après la décision Aliments Ault, la Loi a été modifiée pour y ajouter le paragraphe 39(3) qui prévoit ce qui suit :

39. (1) Lorsqu'une demande n'a pas fait l'objet d'une opposition et que le délai prévu pour la production d'une déclaration d'opposition est expiré, ou lorsqu'il y a eu opposition et que celle-ci a été décidée en faveur du requérant, le registraire l'admet ou, en cas d'appel, il se conforme au jugement définitif rendu en l'espèce.

 

 

(2) Sous réserve du paragraphe (3), le registraire ne peut proroger le délai accordé pour la production d'une déclaration d'opposition à l'égard d'une demande admise.

 

(3) Lorsqu'il a admis une demande sans avoir tenu compte d'une demande de prorogation de délai préalablement déposée, le registraire peut, avant de délivrer un certificat d'enregistrement, retirer l'admission et, conformément à l'article 47, proroger le délai d'opposition.

39. (1) When an application for the registration of a trade-mark either has not been opposed and the time for the filing of a statement of opposition has expired or it has been opposed and the opposition has been decided in favour of the applicant, the Registrar shall allow the application or, if an appeal is taken, shall act in accordance with the final judgment given in the appeal.

 

(2) Subject to subsection (3), the Registrar shall not extend the time for filing a statement of opposition with respect to any application that has been allowed.

 

 

(3) Where the Registrar has allowed an application without considering a previously filed request for an extension of time to file a statement of opposition, the Registrar may withdraw the application from allowance at any time before issuing a certificate of registration and, in accordance with section 47, extend the time for filing a statement of opposition.

 

[13]           En réponse à la question que la Cour lui a posée, l’appelante a fait valoir que, bien que le paragraphe 39(3) ait habilité le registraire, cela n’a pas modifié sa position à l’égard d’une décision erronée. De même que la Cour fédérale est intervenue dans la décision Aliments Ault, alors que le registraire ne le pouvait pas, l’appelante fait valoir que la Cour pourrait, une fois encore, intervenir alors que le registraire ne le pouvait pas, cette fois‑ci en annulant l’enregistrement et en ordonnant au registraire d’examiner sa requête en prorogation. Autrement dit, la mesure de redressement prévue au paragraphe 39(3) n’a pas limité l’appelante, parce que le problème auquel elle faisait face n’était pas l’admission de la marque de commerce, mais son enregistrement. Dans cette mesure, il y avait un vide juridique similaire à celui qui existait avant l’adoption du paragraphe 39(3), auquel la Cour fédérale pouvait répondre comme elle l’a fait dans la décision Aliments Ault.

 

[14]           L’appelante s’est également appuyée sur la décision Aliments Ault pour répondre à l’argument avancé par l’intimée selon lequel l’appelante n’avait pas la qualité requise pour interjeter appel de la décision du registraire, parce qu’elle n’était ni une partie ni une intervenante : voir l’arrêt Ordre des architectes de l’Ontario c. Assn. of Architectural Technologists of Ontario (C.A.), 2002 CAF 218, [2003] 1 CF. 331, au paragraphe 42. Selon l’appelante, la décision Aliments Ault était un précédent appuyant la thèse selon laquelle une demande en prorogation de délai équivalait à une déclaration d’opposition, de sorte que l’appelante était, en effet, une partie jusqu’à ce que sa demande soit traitée. Comme le registraire n’a pas répondu à sa demande, l’appelante était une partie aux fins du traitement de la demande de prorogation.

 

[15]           Enfin, l’appelante s’est défendue contre l’allégation selon laquelle elle était quelque peu responsable des événements qu’elle avait subis. Les avocats ont pris la position que c’était la pratique, parmi les avocats spécialisés en matière de marques de commerce, de faire des demandes en prorogation de délai juste avant l’expiration des périodes de production et que ces demandes étaient accueillies automatiquement. Les avocats ont rejeté l’allégation selon laquelle l’appelante devait suivre sa demande de prorogation afin de pouvoir exercer ses droits aux termes du paragraphe 39(3), au cas où le registraire manquerait à son obligation d’examiner la demande de prorogation. Selon les avocats, c’était au registraire qu’il incombait de remplir son obligation conformément à la loi; l’appelante n’était pas tenue de faire quoi que ce soit.

 

[16]           En supposant que la Cour était convaincue qu’elle avait un droit d’appel en vertu de l’article 56, l’appelante a ensuite fait valoir qu’elle avait satisfait aux exigences pour obtenir une prorogation de délai, comme l’énonce la décision Sim c. Canada (1996), 67 C.P.R. (3d) 334.

 

[17]           L’intimée a souligné que l’appelante avait laissé périmer son droit de produire une déclaration d’opposition en présumant qu’un ajournement discrétionnaire lui serait accordé. L’article 47 de la Loi établit clairement (comme le fait l’avis de pratique publié par l’Office de la propriété intellectuelle du Canada) qu’une prorogation ne sera accordée que lorsque l’opposant en justifiera le besoin :

47. (1) Si, dans un cas donné, le registraire est convaincu que les circonstances justifient une prolongation du délai fixé par la présente loi ou prescrit par les règlements pour l'accomplissement d'un acte, il peut, sauf disposition contraire de la présente loi, prolonger le délai après l'avis aux autres personnes et selon les termes qu'il lui est loisible d'ordonner.

 

(2) Une prorogation demandée après l'expiration de pareil délai ou du délai prolongé par le registraire en vertu du paragraphe (1) ne peut être accordée que si le droit prescrit est acquitté et si le registraire est convaincu que l'omission d'accomplir l'acte ou de demander la prorogation dans ce délai ou au cours de cette prorogation n'était pas raisonnablement évitable.

47. (1) If, in any case, the Registrar is satisfied that the circumstances justify an extension of the time fixed by this Act or prescribed by the regulations for the doing of any act, he may, except as in this Act otherwise provided, extend the time after such notice to other persons and on such terms as he may direct.

 

 

(2) An extension applied for after the expiration of the time fixed for the doing of an act or the time extended by the Registrar under subsection (1) shall not be granted unless the prescribed fee is paid and the Registrar is satisfied that the failure to do the act or apply for the extension within that time or the extended time was not reasonably avoidable.

 

 

[18]           L’intimée conclut que l’appelante ne peut présumer qu’une demande de prorogation sera invariablement accueillie. Dans cette mesure, il semblerait qu’une demande de prorogation ne saurait être assimilée à une déclaration d’opposition comme on l’a laissé entendre dans la décision Aliments Ault.

 

[19]           En réponse à la question que la Cour a posée aux parties, l’intimée convient que l’appelante, n’ayant pas tiré avantage de la mesure de redressement prévue au paragraphe 39(3), est limitée à procéder au moyen d’une action en radiation. L’intimée souligne qu’une marque de commerce enregistrée constitue un actif de grande valeur pouvant faire l’objet de différentes transactions commerciales. Par conséquent, une fois qu’une marque de commerce apparaît sur le registre, il n’y a qu’un nombre limité de façons de la retirer, comme l’article 57 traitant de la radiation ou l’article 45, la disposition relative au « bois mort ». C’est pourquoi le recours par l’appelante au droit d’appel prévu par l’article 56 à l’égard d’une marque de commerce enregistrée est inapproprié. L’article 56 s’applique à toute décision du registraire, y compris celle d’admettre l’enregistrement d’une marque de commerce, mais une fois que la marque de commerce est enregistrée, l’intimée affirme que la procédure appropriée pour la faire retirer du registre est une action en radiation.

 

ANALYSE

[20]           L’appelante vise à exercer le droit d’appel que l’on trouve à l’article 56 de la Loi, lequel prévoit ce qui suit :

56. (1) Appel de toute décision rendue par le registraire, sous le régime de la présente loi, peut être interjeté à la Cour fédérale dans les deux mois qui suivent la date où le registraire a expédié l'avis de la décision ou dans tel délai supplémentaire accordé par le tribunal, soit avant, soit après l'expiration des deux mois.

 

[…]

 

(5) Lors de l'appel, il peut être apporté une preuve en plus de celle qui a été fournie devant le registraire, et le tribunal peut exercer toute discrétion dont le registraire est investi.

56. (1) An appeal lies to the Federal Court from any decision of the Registrar under this Act within two months from the date on which notice of the decision was dispatched by the Registrar or within such further time as the Court may allow, either before or after the expiration of the two months.

 

 

(5) On an appeal under subsection (1), evidence in addition to that adduced before the Registrar may be adduced and the Federal Court may exercise any discretion vested in the Registrar.

 

[21]           Par souci de commodité, je répète ici les réparations que l’appelante sollicite dans son projet d’avis de demande :

[traduction]

 

1. une ordonnance accueillant l’appel que Trust a interjeté à l’encontre de la décision du registraire d’admettre l’enregistrement de la marque AJIT WEEKLY Design et déclarant que cet enregistrement est nul et sans effet juridique;

 

2. une ordonnance prescrivant que l’opposition à l’encontre de la marque de commerce AJIT WEEKLY Design procède conformément à la déclaration d’opposition produite auprès du registraire et datée du 31 mars 2005;

 

3. subsidiairement, une ordonnance prévoyant la radiation de l’enregistrement de la marque AJIT WEEKLY Design, parce que, à la date où elle a été enregistrée, la marque AJIT WEEKLY Design n’exprimait ou ne définissait pas exactement les droits existants d’Ajit Newspaper Advertising, Marketing and Communications, Inc. ("ANAMCI"), la personne paraissant être le propriétaire inscrit de la marque AJIT WEEKLY Design;

4. les dépens de Trust afférents à la présente demande;

 

5. toute autre réparation que la Cour juge appropriée.

 

[22]           Il ressort des paragraphes 1 et 2 ci‑dessus que l’appelante vise à obtenir l’annulation de l’enregistrement de la marque de commerce de l’intimée comme moyen pour permettre l’audition de son opposition. Subsidiairement, le paragraphe 3 vise à obtenir une ordonnance radiant l’enregistrement de la marque de commerce de l’intimée, au motif que l’enregistrement n’exprime ou ne définit pas exactement les droits existants du propriétaire inscrit, l’intimée. On peut à juste titre avancer que l’appelante vise à obtenir de la Cour qu’elle radie du registre la marque de commerce de l’intimée au moyen d’un appel aux termes de l’article 56, que ce soit pour des motifs d’ordre procédural ou de fond.

 

[23]           La difficulté à laquelle se heurte l’appelante, c’est qu’une demande visant à annuler l’enregistrement d’une marque de commerce, à savoir la radiation, n’est pas sur un pied d’égalité avec un appel d’une décision du registraire. Un appel peut être interjeté, en vertu de l’article 56, à l’encontre d’une décision du registraire qui admet une marque de commerce, c.‑à‑d. qui rejette une opposition, mais une fois que la marque de commerce est enregistrée, elle ne peut être contestée que pour des motifs de fond au sens de l’article 57. Le registraire peut annuler un enregistrement au motif que certaines exigences formelles n’ont pas été remplies (voir les articles 43, 45 et 46 de la Loi), mais seule la Cour fédérale peut annuler un enregistrement au motif que « le registre n'exprime ou ne définit pas les droits existants de la personne paraissant être le propriétaire inscrit de la marque ». Même le registraire doit présenter une demande à la Cour fédérale pour radier une marque de commerce pour des motifs de fond :

57. (1) La Cour fédérale a une compétence initiale exclusive, sur demande du registraire ou de toute personne intéressée, pour ordonner qu'une inscription dans le registre soit biffée ou modifiée, parce que, à la date de cette demande, l'inscription figurant au registre n'exprime ou ne définit pas exactement les droits existants de la personne paraissant être le propriétaire inscrit de la marque.

 

(2) Personne n'a le droit d'intenter, en vertu du présent article, des procédures mettant en question une décision rendue par le registraire, de laquelle cette personne avait reçu un avis formel et dont elle avait le droit d'interjeter appel.

57. (1) The Federal Court has exclusive original jurisdiction, on the application of the Registrar or of any person interested, to order that any entry in the register be struck out or amended on the ground that at the date of the application the entry as it appears on the register does not accurately express or define the existing rights of the person appearing to be the registered owner of the mark.

 

(2) No person is entitled to institute under this section any proceeding calling into question any decision given by the Registrar of which that person had express notice and from which he had a right to appeal.

 

[24]           En l’espèce, la marque de commerce a été enregistrée, à tort ou à raison. Contrairement à une procédure aux termes de l’article 56, une action en radiation n’est pas un appel. Elle peut être introduite par toute personne ayant un intérêt, même s’il ne s’agit pas d’une partie à la procédure d’opposition. Il n’y a pas de délai imparti pour l’introduire. Le résultat s’impose à tous en ce sens que dès qu’une marque de commerce est retirée du registre, elle l’est à tous égards : voir la décision Compulife Software Inc. c. Compuoffice Software Inc. (1997), 77 C.P.R. (3d) 451. Les différences entre un appel prévu à l’article 56 et une action en radiation aux termes de l’article 57 sont réelles et importantes.

 

[25]           L’appelante concède que, selon les faits de l’espèce, le registraire ne peut pas intervenir au sujet de l’enregistrement, mais elle fait valoir, en invoquant la décision Aliments Ault, que la Cour n’est pas liée par la compétence du registraire. En d’autres termes, la Cour n’est pas limitée à n’ouvrir droit qu’à la réparation que pourrait accorder le registraire. Comme cela a déjà été mentionné, à l’époque où la décision Aliments Ault a été rendue, le registraire ne pouvait pas accorder une prorogation de délai après l’admission d’une marque de commerce. Cela n’empêchait pas la Cour fédérale d’annuler l’admission afin de permettre au registraire d’exercer sa compétence pour accorder la prorogation. En l’espèce, l’appelante affirme que, bien que le registraire ne puisse pas prendre des mesures à l’égard de l’enregistrement, rien n’empêche la Cour fédérale de l’annuler (même si le registraire ne pourrait pas le faire) afin de permettre au registraire d’exercer son pouvoir discrétionnaire d’accorder la demande en prorogation de délai, présentée par l’appelante, pour produire son opposition.

 

[26]           L’appelante ne peut avoir gain de cause, et ce, pour deux raisons. La première, c’est que la modification de la Loi qui a suivi la décision Aliments Ault lui offre un autre recours approprié, ce qui justifie le refus de la Cour fédérale d’exercer sa compétence aux termes de l’article 18. La seconde, c’est que la Cour a décidé plus récemment, dans l’arrêt Bacardi & Co. c. Havana Club Holdings S.A., 2004 CAF 220, [2004] A.C.F. no 1001 (Bacardi), que l’enregistrement ne doit pas être remis en question au cours d’une procédure d’opposition. Cela est compatible avec le régime de la Loi qui prévoit un forum et des motifs particuliers pour contester un enregistrement existant. Le rejet de l’appel est justifié par l’un ou l’autre de ces motifs.

 

[27]           S’agissant d’abord de l’affaire Aliments Ault, il est utile de rappeler quel fondement a permis à la Cour d’intervenir. En annulant la décision du registraire d’admettre l’enregistrement de la marque de commerce, la Cour a recouru à la compétence qui lui est conférée par l’article 18 de la Loi sur les Cours fédérales, L.R.C. 1985, ch. F-7, pour annuler la décision afin de permettre au registraire d’exercer son pouvoir discrétionnaire de proroger le délai pour la production d’un avis d’opposition. De la même façon, affirme l’appelante, la Cour fédérale pourrait exercer son pouvoir discrétionnaire, aux termes de l’article 18, pour annuler l’enregistrement sur la base d’un déni de justice naturelle, et ce, afin de permettre au registraire d’exercer son pouvoir discrétionnaire de proroger le délai pour que l’appelante puisse produire sa déclaration d’opposition.

 

[28]           La difficulté que présente cet argument, et la raison pour laquelle la Cour a soulevé la question relative au paragraphe 39(3) avec les parties, c’est que depuis que la décision Aliments Ault a été rendue, la Loi a été modifiée pour prévoir un recours dont l’opposante ne disposait pas à l’époque. Ce recours est un autre recours approprié qui autorise la Cour à refuser d’exercer sa compétence aux termes de l’article 18 de la Loi sur les Cours fédérales.

 

[29]           Dans l’arrêt Harelkin c. Université de Regina, [1979] 2 R.C.S. 561, la Cour suprême du Canada, après avoir fait remarquer que le certiorari était un recours discrétionnaire, a décidé que la disponibilité d’un autre recours approprié milite contre l’exercice du pouvoir discrétionnaire d’accorder une réparation. Le contrôle judiciaire remplace maintenant les brefs de prérogative (voir les articles 18 et 18.1 de la Loi sur les Cours fédérales) et est assujetti à la même restriction.

 

[30]           Dans la décision Aliments Ault, la Cour a exercé sa compétence aux termes de l’article 18 après avoir conclu qu’une action en radiation ne constituait pas un autre recours approprié concernant le défaut du registraire d’examiner la demande en prorogation de délai de l’éventuelle opposante : voir le paragraphe 21 de l’arrêt de la Cour d’appel. Par la suite, quand il a modifié la Loi, le législateur a prévu un autre recours approprié afin de permettre au registraire d’annuler une admission lorsqu’il procédait dans le cadre d’une demande en prorogation de délai. En faisant preuve d’un peu de diligence, une partie dont la demande de prorogation n’a pas été examinée peut porter l’affaire à l’attention du registraire avant que la marque ne soit enregistrée pour que sa demande de prorogation soit examinée au fond. L’appelante ne peut manquer de tirer avantage d’un recours sommaire prévu par la Loi pour ensuite faire valoir que l’omission du registraire a fait qu’elle a subi les inconvénients et les frais liés à une procédure plus pénible.

 

[31]           La route choisie par l’appelante est également bloquée par l’arrêt Bacardi, dans lequel la Cour a déclaré : « Indépendamment de la façon dont la requête est formulée, l'opposition n'est pas la procédure qui convient pour demander expressément ou tacitement la modification du registre. » : voir l’arrêt Bacardi, au paragraphe 38.

 

[32]           En résumé, les faits de cette affaire sont les suivants. Havana Club Holdings S.A. (la demanderesse) visait à enregistrer certaines marques de commerce qui, il est vrai, créaient de la confusion avec la marque de commerce déposée « Havana Club ». La demanderesse s’appuyait sur l’article 15 de la Loi qui permet l’enregistrement de marques de commerce créant de la confusion si elles appartiennent toutes à la même personne. Le déposant initial de la marque « Havana Club », employée en liaison avec du rhum, était Jose Arechabala S.A., une société cubaine qui a été nationalisée par le régime Castro. À la demande de la société nationalisée, Jose Arechabala S.A. Nacionalizada, (Nacionalizada), le registraire a modifié le registre pour qu’elle soit mentionnée à titre de propriétaire inscrit de la marque. La demanderesse était l’ayant cause de Nacionalizada.

 

[33]           Bacardi s’est opposée à l’enregistrement projeté au motif que la demanderesse n’était pas le véritable propriétaire de la marque « Havana Club » et qu’elle ne pouvait donc pas tirer avantage de l’article 15 de la Loi. Bacardi a fait valoir que le registraire avait commis une erreur lorsqu’il avait modifié le registre afin qu’il corresponde à la revendication de Nacionalizada quant à la propriété de la marque parce que, en ce faisant, il avait donné effet à des dispositions législatives confiscatoires. Le registraire a convenu que le registre avait été modifié par erreur mais a décidé qu’il n’avait cependant pas compétence pour modifier le registre, un pouvoir qui, selon lui, appartenait exclusivement à la Cour fédérale.

 

[34]           Bacardi a interjeté appel de la décision du registraire, qui avait rejeté son opposition, devant la Cour fédérale en vertu de l’article 56 de la Loi. La Cour fédérale, concluant que le registraire avait eu raison d’apprécier les limites de sa compétence comme il l’avait fait, a rejeté l’appel : voir la décision Bacardi & Co. c. Havana Club Holdings S.A., 2003 CF 938, [2003] A.C.F. no 1195 (Bacardi). La Cour a été saisie de l’affaire et elle a également rejeté l’appel. La substance de l’arrêt de la Cour se trouve dans les passages suivants :

38. La situation actuelle ressemble à celle qui était soumise au juge Cattanach dans l'affaire Sunshine Biscuits Inc. c. Corporate Foods Ltd., (1982), 61 C.P.R. (2d) 53 (C.F. 1re inst.). Dans cette affaire, qui portait aussi sur une procédure d'opposition, l'appelante exhortait le registraire à ne pas tenir compte de la marque de commerce de la demanderesse. Le juge Cattanach a refusé cette demande en reconnaissant que l'appelante demandait en fait la radiation d'une marque de commerce existante. Dans cette affaire, comme dans la présente, la voie de recours que l'appelante aurait dû choisir était une demande de radiation devant la Cour fédérale. Indépendamment de la façon dont la requête est formulée, l'opposition n'est pas la procédure qui convient pour demander expressément ou tacitement la modification du registre.

 

39. Je tiens par ailleurs à souligner à cet égard que je ne puis accepter l'interprétation par trop restrictive que l'appelante donne du jugement Sunshine Biscuits. Bien que cette affaire ne porte pas sur le paragraphe 15(1) de la Loi, la conclusion du juge Cattanach (à la page 62) suivant laquelle « la validité de la marque de commerce déposée ne peut être remise en question dans le cadre d'une procédure d'opposition » et que le recours approprié pour le requérant est de présenter une demande de radiation s'applique également au cas qui nous occupe.

 

[Non souligné dans l’original.]

[Arrêt Bacardi, aux paragraphes 38 et 39.]

[35]           L’arrêt Bacardi confirme que le registraire ne peut prétendre faire abstraction de l’enregistrement d’une marque de commerce, ou l’annuler, pour des motifs de fond au cours d’une procédure d’opposition, laquelle constitue le forum pour régler les litiges concernant des marques de commerce projetées. Ce forum comprend un appel, en vertu de l’article 56, de la décision du registraire ayant trait à l’opposition. Dans cette mesure, le raisonnement exposé dans l’arrêt Bacardi s’applique à un tel appel.

 

[36]           Si l’appelante prétend qu’une marque de commerce déposée « n'exprime ou ne définit pas exactement les droits existants de la personne paraissant être le propriétaire inscrit de la marque », elle doit alors contester cet enregistrement dans le cadre d’une procédure en radiation.

 

[37]           Par conséquent, la procédure d’opposition de l’appelante doit céder le pas à l’enregistrement de la marque de commerce de l’intimée. Puisque l’appelante ne dispose d’aucun recours aux termes de l’article 56, elle n’a pas besoin d’une prorogation du délai pour interjeter un appel en vertu de cet article et n’y a pas droit.

 

 

 

 

 

 

 

[38]           Pour ces motifs, l’appel devrait être rejeté.

 

 

 

« J.D. Denis Pelletier »

j.c.a.

« Je souscris aux présents motifs

    Gilles Létourneau, j.c.a. »

 

« Je souscris aux présents motifs

    C. Michael Ryer, j.c.a. »

 

 

 

 

Traduction certifiée conforme

 

Christian Laroche, LL.B.

 

 

 

 


COUR D’APPEL FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER DE LA COUR

 

DOSSIER :                                                                A-93-06

 

APPEL D’UNE ORDONNANCE DE LA COUR FÉDÉRALE (LE JUGE VON FINCKENSTEIN), DATÉE DU 9 FÉVRIER 2006, DANS LE DOSSIER No 06‑T‑65.

 

INTITULÉ :                                                               SADHU SINGH HAMDARD TRUST

                                                                                    c.

                                                                                    LE REGISTRAIRE DES MARQUES DE

                                                                                    COMMERCE  et AJIT NEWSPAPER

                                                                                    ADVERTISING, MARKETING AND

                                                                                    COMMUNICATIONS, INC.

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                                         OTTAWA (ONTARIO)

 

DATE DE L’AUDIENCE :                                       LE 5 SEPTEMBRE 2007

 

MOTIFS DU JUGEMENT DE LA COUR :           LE JUGE PELLETIER

 

Y ONT SOUSCRIT :                                                 LE JUGE LÉTOURNEAU

                                                                                    LE JUGE RYER

 

DATE DES MOTIFS :                                              LE 2 NOVEMBRE 2007

 

COMPARUTIONS :

 

Scott Miller                                                                  POUR L’APPELANTE

Sharon Griffin

 

Brian D. Edmonds                                                        POUR L’INTIMÉE

Ajit Newspaper Advertising, Marketing and Communications, Inc.

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Marusyk Miller & Swain, LLP                                      POUR L’APPELANTE

Ottawa (Ontario)

 

McCarthy Tétrault, LLP                                               POUR L’INTIMÉE    

Ottawa (Ontario)                                                          Ajit Newspaper Advertising, Marketing and

                                                                                    Marketing and Communications, Inc.


Date : 20071102

Dossier : A-93-06

 

Ottawa (Ontario), le 2 novembre 2007

 

CORAM :      LE JUGE LÉTOURNEAU

                        LE JUGE PELLETIER

                        LE JUGE RYER

 

ENTRE :

SADHU SINGH HAMDARD TRUST

appelante

et

LE REGISTRAIRE DES MARQUES DE COMMERCE

intimé

 

et

 

AJIT NEWSPAPER ADVERTISING, MARKETING AND

COMMUNICATIONS, INC.

intimée

 

JUGEMENT

            L’appel est rejeté avec dépens.

 

 

« Gilles Létourneau »

j.c.a.

Traduction certifiée conforme

 

Christian Laroche, LL.B.

 Vous allez être redirigé vers la version la plus récente de la loi, qui peut ne pas être la version considérée au moment où le jugement a été rendu.