Décisions de la Cour d'appel fédérale

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Date : 20071101

Dossier : A‑364‑07

Référence : 2007 CAF 350

 

CORAM :      LE JUGE NADON

                        LE JUGE SEXTON

                        LA JUGE SHARLOW

 

ENTRE :

APOTEX INC.

et

APOTEX PHARMACHEM INC.

appelantes

et

LES LABORATOIRES SERVIER,

ADIR, ORIL INDUSTRIES,

SERVIER CANADA INC.,

SERVIER LABORATORIES (AUSTRALIA) PTY LTD.

et SERVIER LABORATOIRES LIMITED

intimées

 

 

 

Audience tenue à Toronto (Ontario), le 4 octobre 2007

Jugement rendu à l’audience à Ottawa (Ontario), le 1er novembre 2007

 

MOTIFS DU JUGEMENT :                                                                                 LE JUGE NADON

Y ONT SOUSCRIT :                                                                                          LE JUGE SEXTON

                                                                                                                        LA JUGE SHARLOW

 

 


 

Date : 20071101

Dossier : A‑364‑07

Référence : 2007 CAF 350

 

CORAM :      LE JUGE NADON

                        LE JUGE SEXTON

                        LA JUGE SHARLOW

 

ENTRE :

APOTEX INC.

et

APOTEX PHARMACHEM INC.

appelantes

et

LES LABORATOIRES SERVIER,

ADIR, ORIL INDUSTRIES,

SERVIER CANADA INC.,

SERVIER LABORATORIES (AUSTRALIA) PTY LTD.

et SERVIER LABORATOIRES LIMITED

intimées

 

 

 

MOTIFS DU JUGEMENT

LE JUGE NADON

[1]               Il s’agit d’un appel de la décision rendue le 10 août 2007 par la juge Snider de la Cour fédérale (la juge), 2007 CF 837, qui a accueilli la requête des intimées (Servier) visant à obtenir une ordonnance radiant les paragraphes de la défense et demande reconventionnelle qui traitent de la « paternité de l’invention » en ce qui concerne le brevet canadien no 1,341,196 (le brevet 196).

 

[2]               Dans les paragraphes contestés de leurs actes de procédure, les appelantes (Apotex) soutiennent que le brevet 196 est invalide parce que les individus y désignés comme étant les inventeurs n’étaient pas les premiers et véritables inventeurs de l’invention décrite dans le brevet.

 

[3]               Dans le cadre de sa requête en radiation déposée en application des alinéas 222(1)a) et f) des Règles des Cours fédérales, Servier affirme que les paragraphes contestés ne révèlent aucune cause d’action ou de défense et constituent un abus de procédure.

 

[4]               La juge a tout d’abord conclu que Servier s’était acquittée du fardeau de démontrer qu’Apotex n’avait aucune chance d’obtenir gain de cause sur la question de la « paternité de l’invention » soulevée aux paragraphes contestés de sa défense et demande reconventionnelle. Plus particulièrement, la juge a accepté l’interprétation avancée par Servier de l’alinéa 61(1)b) de la Loi sur les brevets qui était en vigueur avant le 1er octobre 1989, L.R.C. 1985, ch. P‑4 (l’ancienne loi) : dans les cas où le commissaire aux brevets (le commissaire) a dû délivrer un brevet contenant des revendications concurrentes sur la « paternité de l’invention », il n’est plus loisible aux tierces parties de contester la validité d’un tel brevet pour ce motif. Par conséquent, il s’ensuivait nécessairement, selon la juge, que les paragraphes contestés ne révélaient aucune cause d’action ou de défense raisonnable.

 

[5]               La juge a ensuite examiné le deuxième motif sur lequel se fondait Servier pour la présentation de sa requête, soit l’abus de procédure. Elle a conclu qu’Apotex, par les paragraphes contestés, tentait de remettre en cause l’ordonnance sur consentement délivrée par la Cour le 12 décembre 2000 (l’ordonnance sur consentement). À son avis, Apotex aurait dû la contester directement; cette tentative constituait donc un abus de procédure. Elle a également conclu que les paragraphes contestés représentaient une contestation indirecte de l’ordonnance sur consentement, qui ne devrait pas être accueillie.

 

[6]               Pour ces motifs, la juge a radié, sans autorisation de les modifier, les paragraphes suivants (ou une partie de ceux‑ci) de la défense et demande reconventionnelle :

(a) la déclaration suivante : [traduction] « de façon à “créer” elles‑mêmes la paternité de l’invention qui fait l’objet de l’entente », au paragraphe 26 de la défense et demande reconventionnelle;

(b) les paragraphes 48 à 54 de la défense et demande reconventionnelle;

(c) le paragraphe 65 de la défense et demande reconventionnelle;

(d) le paragraphe 68 de la défense et demande reconventionnelle;

(e) la déclaration suivante, au paragraphe 71 de la défense et demande reconventionnelle : [traduction] « et répartir entre elles les revendications qui se chevauchent à l’égard de certains composés inhibiteurs de l’ECA et qui ne rendent compte ni du véritable inventeur de ces composés ou de leurs catégories d’éléments constituants, ni de la conclusion à laquelle est arrivé le commissaire aux brevets en 1996 quant à la paternité de l’invention ».

 

 

[7]               Avant de poursuivre, il est opportun de reproduire ici le paragraphe 221(1) des Règles des Cours fédérales :

221. (1) À tout moment, la Cour peut, sur requête, ordonner la radiation de tout ou partie d’un acte de procédure, avec ou sans autorisation de le modifier, au motif, selon le cas :

 

a) qu’il ne révèle aucune cause d’action ou de défense valable;

 

b) qu’il n’est pas pertinent ou qu’il est redondant;

 

c) qu’il est scandaleux, frivole ou vexatoire;

 

d) qu’il risque de nuire à l’instruction équitable de l’action ou de la retarder;

 

e) qu’il diverge d’un acte de procédure antérieur;

 

f) qu’il constitue autrement un abus de procédure.

 

Elle peut aussi ordonner que l’action soit rejetée ou qu’un jugement soit enregistré en conséquence.

 

[Non souligné dans l’original.]

 

221. (1) On motion, the Court may, at any time, order that a pleading, or anything contained therein, be struck out, with or without leave to amend, on the ground that it

 

(a) discloses no reasonable cause of action or defence, as the case may be,

 

(b) is immaterial or redundant,

 

(c) is scandalous, frivolous or vexatious,

 

(d) may prejudice or delay the fair trial of the action,

 

 

(e) constitutes a departure from a previous pleading, or

 

(f) is otherwise an abuse of the process of the Court,

 

and may order the action be dismissed or judgment entered accordingly.

 

 

[Emphasis added]

 

 

[8]               Apotex formule de nombreuses observations quant à la raison pour laquelle son appel devrait être accueilli. Tout d’abord, en ce qui concerne la partie de la requête de Servier ayant trait à l’alinéa 221(1)a) des Règles des Cours fédérales, Apotex affirme, en se fondant sur Apotex Inc. c. Eli Lilly and Co. (2001), 13 C.P.R. (4th) 78, que parce que l’alinéa 61(1)b) de l’ancienne loi était une disposition légale complexe et peu souvent examinée, il ne pouvait valablement servir de fondement à une requête en radiation. Apotex soutient par ailleurs que la juge a tranché le sort de la requête en se fondant sur des faits qui ne ressortaient pas des actes de procédure dont elle disposait. De plus, Apotex fait observer que Servier n’avait pas le droit de présenter une deuxième requête en radiation, faute de circonstances particulières. Enfin, Apotex affirme que la juge a commis une erreur lorsqu’elle a procédé à un « nouvel » examen de l’alinéa 61(1)b) de l’ancienne loi.

 

[9]               En ce qui concerne la partie de la requête ayant trait à l’alinéa 221(1)f) des Règles des Cours fédérales, Apotex soutient que la juge a commis une erreur en concluant que, par les paragraphes contestés, elle avait tenté de « remettre en cause » la question de la « paternité de l’invention » qui avait été tranchée dans la procédure en cas de conflit ayant donné lieu à l’ordonnance sur consentement. Apotex déclare par ailleurs qu’une ordonnance sur consentement ne lie que ceux qui y sont parties et que, par conséquent, on ne peut pas dire que la question de la « paternité de l’invention » des revendications du brevet 196 a été tranchée par l’ordonnance sur consentement.

 

[10]           Apotex affirme également que parce que l’ordonnance sur consentement ne fait pas jurisprudence sur la question de fond découlant des allégations relatives à la « paternité de l’invention » qu’elle soulève, on ne peut donc pas dire qu’une décision rendue à l’égard de la présente action qui serait incompatible avec l’ordonnance sur consentement porterait atteinte à l’intégrité du système judiciaire.

 

[11]           Pour les motifs exposés ci‑après, je conclus que le présent appel devrait être accueilli.

 

L’ABUS DE PROCÉDURE

[12]           Je me penche tout d’abord sur l’abus de procédure. Pour placer cette question dans le contexte approprié, il est opportun de reproduire ici les paragraphes 7 à 10 des motifs de la juge :

[7]        De façon générale, le brevet 196 revendique le composé périndopril, vendu au Canada et ailleurs sous la marque de commerce déposée COVERSYL.

 

[8]        Les démarches qui ont mené à la délivrance du brevet 196 ont débuté le 1er octobre 1981 lorsque Adir, l’une des demanderesses dans la présente action, a déposé, au Canada, la demande 387,093 (la demande 093). Dans cette demande, MM. Michel Vincent, George Remond et Michel Laubie étaient désignés comme les auteurs de l’invention. Dans des demandes distinctes, deux autres demandeurs ont aussi réclamé la délivrance de brevets protégeant certains composés. Comme le prévoyait l’ancienne loi, certaines des revendications contenues dans la demande 093 ont été confrontées à celles d’autres demandes. Voici, sous forme de tableau, les détails concernant les demandes et les revendications concurrentes :

 

 

Demandeur

Numéro de la demande

Date de la demande

Revendications concurrentes

Adir

… (la demande 093)

1er oct. 1981

C19, C25 à C28, C33 et C34, C39 et C40

Schering

… (la demande 336)

20 oct. 1981

C19, C39 et C40

Hoechst Aktiengesellschaft (Hoechst)

… (la demande 787)

28 août 1981

C19, C25 à C28

Hoechst

… (la demande 453)

23 déc. 1982

C33 et C34

 

[9]        Dans quatre décisions en date du 8 août 1996, le commissaire aux brevets a statué sur la paternité des inventions, conformément au paragraphe 43(7) de l’ancienne loi. En bref, par suite de ses décisions, certaines revendications ont été attribuées à Adir et d’autres à Hoechst et Schering respectivement. Il convient de signaler que le commissaire a accordé à Schering, et non à Adir, les éléments visés par les revendications concurrentes C19, C39 et C40. Les conclusions du commissaire sont résumées dans le tableau qui suit :

 

Numéro de la revendication

Date de la première invention

Revendication attribué à :

Revendications rejetées

C19

8 août 1980

Schering (demande 336)

Adir (demande 093)

Hoechst (demande 787)

C25, C27

8 mai 1981

Hoechst (demande 787)

Adir (demande 093)

C26, C28

2 oct. 1980

Adir (demande 093)

Hoechst (demande 787)

C33

8 oct. 1981

Hoechst (demande 453)

Adir (demande 093)

C34

29 déc. 1981

Hoechst (demande 453)

Adir (demande 093)

C39, C40

8 août 1980

Schering (demande 336)

Adir (demande 093)

 

[10]      Toutefois, l’affaire ne s’est pas arrêtée là. Comme le permettait le paragraphe 43(8) de l’ancienne loi, les parties ont introduit six actions demandant à la Cour fédérale de déterminer leurs droits respectifs relativement aux éléments visés par les revendications concurrentes. Toutes les instances ont été réunies à la suite d’une ordonnance rendue le 27 mai 1997 par le juge Joyal (dans le dossier T‑228‑97 de la Cour). Quand toute la communication préalable dans les instances réunies a été terminée, le juge Nadon a délivré, le 12 décembre 2000, une ordonnance sur consentement qui prévoyait la répartition des revendications comprises dans les trois demandes. Certaines revendications ont été attribuées à Adir, d’autres à Aventis Pharma Deutschland (Aventis, successeur de Hoechst), d’autres encore à Schering. Par suite de cette ordonnance, le brevet 196 a été délivré à Adir. Il est utile, dans la présente action [introduite par Servier], de savoir que les revendications attribuées à Adir aux termes au paragraphe 43(8) de l’ancienne loi incluaient les revendications 1, 2, 3 et 35 que les défenderesses [Apotex], prétend‑on, auraient contrefaites.

 

 

[13]           Comme la juge l’a clairement souligné, de nombreuses demandes concurrentes ont été présentées au Bureau des brevets à l’égard de certains composés. Par conséquent, le commissaire a rendu quatre décisions, en vertu du paragraphe 43(7) de l’ancienne loi, sur la question de la « paternité de l’invention ». À la suite de ces décisions, les parties ont introduit des actions demandant à la Cour fédérale de déterminer leurs droits respectifs. Cependant, avant que les actions soient instruites, j’ai délivré une ordonnance sur consentement le 12 décembre 2000 qui prévoyait la répartition des revendications entre les parties. En conséquence, le brevet 196 a été délivré au nom de l’intimée Adir. Le litige met en cause les revendications 1, 2, 3 et 5 de ce brevet, qu’Apotex aurait contrefaites; c’est ce que prétend Servier.

 

[14]           Après avoir énoncé les principes ayant trait à la doctrine de l’abus de procédure exposés par la Cour suprême dans l’arrêt Toronto (Ville) c. S.C.F.P., section locale 79, [2003] 3 R.C.S. 77, la juge s’est demandée i) si les allégations soulevées aux paragraphes contestés des actes de procédure d’Apotex correspondaient à une remise en cause et, dans l’affirmative, ii) si la remise en cause constituait un abus de procédure. Elle a répondu aux deux questions par l’affirmative.

 

[15]           À mon avis, la conclusion de la juge était manifestement erronée. On ne peut pas dire qu’Apotex, en faisant les allégations qui se trouvent aux paragraphes contestés, tente de remettre en cause la question qui a été tranchée par l’ordonnance sur consentement. À vrai dire, Apotex n’était pas partie à l’instance qui a conduit à l’ordonnance sur consentement. Contrairement à l’affirmation formulée par la juge au paragraphe 80 de ses motifs, Apotex ne pouvait pas contester l’ordonnance sur consentement parce qu’elle n’avait pas et n’aurait pas pu avoir le statut de partie aux procédures en cas de conflit.

 

[16]           Comme je l’ai déjà mentionné, pour tirer sa conclusion, la juge s’est fondée sur la décision de la Cour suprême dans l’arrêt CUPE, précité. Plus récemment, la Cour, dans l’arrêt Sanofi‑Aventis Canada Inc. c. Novopharm Limitée et al., 2007 CAF 163, le 23 avril 2007, a examiné en profondeur la doctrine de l’abus de procédure. À mon avis, ni l’une ni l’autre des décisions sont profitables à Servier.

 

[17]           Dans CUPE, la question en litige était de déterminer si un arbitre du travail pouvait, dans le contexte d’un grief, réexaminer la culpabilité d’une personne déclarée coupable d’agression sexuelle qui, en conséquence, avait été congédiée. Pour conclure que la culpabilité de la personne ne pouvait pas être remise en cause, la Cour suprême a appliqué la doctrine parce que l’employé, qui avait été accusé d’avoir agressé sexuellement un garçon confié à sa surveillance, tentait de présenter à l’arbitre des éléments de preuve établissant son innocence quant aux accusations portées contre lui et pour lesquelles il avait été condamné à quinze mois d’emprisonnement.

 

[18]           Dans ces circonstances, il n’était pas étonnant que la Cour suprême conclue que le fait d’autoriser l’employé à tenter d’établir son innocence dans le cadre de la procédure de règlement des griefs constituerait un abus de procédure. Comme l’a souligné la juge Arbour aux paragraphes 56 et 57 de ses motifs :

 

56         À mon avis, les faits de la présente espèce illustrent l’abus flagrant de procédure qui résulte de l’autorisation de ce type de remise en cause. L’employé avait été déclaré coupable par un tribunal criminel et il avait épuisé toutes les voies d’appel. La déclaration de culpabilité était valide en droit, avec tous les effets juridiques en découlant. Pourtant, comme l’a signalé le juge Doherty (au par. 84) :

[traduction]  Même si l’arbitre s’est défendu d’avoir examiné le bien‑fondé de la décision du juge Ferguson, c’est exactement ce qu’il a fait. Il est impossible de ne pas conclure, à la lecture des motifs de l’arbitre, qu’il avait la conviction que l’instance criminelle était entachée de graves erreurs et qu’Oliver avait été condamné à tort. Cette conclusion tirée à l’occasion d’une instance à laquelle la poursuite n’était pas même partie ne peut que porter atteinte à l’intégrité du système de justice criminel. Tout observateur sensé se demanderait comment il se peut qu’un tribunal ait conclu hors de tout doute raisonnable qu’Oliver était coupable, et qu’après confirmation du verdict par la Cour d’appel, il soit déterminé, dans une autre instance, qu’il n’a pas commis cette même agression. Cet observateur ne comprendrait pas non plus qu’Oliver ait pu à bon droit être reconnu coupable d’agression sexuelle contre le plaignant et condamné à quinze mois d’emprisonnement, mais qu’une autre instance donne lieu à la conclusion qu’il n’a pas commis l’agression sexuelle et qu’il doit être réintégré dans des fonctions où des jeunes comme le plaignant seraient placés sous sa surveillance.

 

 

57         Ces décisions contradictoires mettraient inévitablement la Ville de Toronto dans une situation où une personne condamnée pour agression sexuelle est rétablie dans un emploi qui la met en contact avec des jeunes très vulnérables comme la victime de l’agression dont elle a été déclarée coupable.  On peut supposer que cela induirait le public informé et sensé à évaluer le bien‑fondé de l’un ou l’autre des jugements relatifs à la culpabilité de l’employé.  L’autorité et l’irrévocabilité des décisions de justice visent précisément à éliminer la nécessité d’un tel exercice.

 

[Non souligné dans l’original.]

 

 

[19]           Dans l’arrêt Sanofi‑Aventis, précité, la Cour a conclu que Sanofi‑Aventis, titulaire d’un brevet, avait abusé de la procédure en tentant de remettre en cause une allégation d’invalidité faite par un fabricant de médicaments génériques du fait que, dans une instance différente, elle n’avait pas établi qu’une allégation semblable faite par un autre fabricant de médicaments génériques n’était pas justifiée. Bien que les parties aux deux instances ne fussent pas les mêmes (différents fabricants de médicaments génériques), Sanofi‑Aventis, pour laquelle la Cour a conclu que les procédures intentées étaient abusives, était partie aux deux instances. Ce n’est pas le cas dans la présente affaire.

 

[20]           La doctrine de l’abus de procédure vise à empêcher la remise en cause de litiges dans des circonstances où les exigences strictes de la préclusion découlant d’une question déjà tranchée ne sont pas remplies, mais où la remise en cause porterait atteinte à l’intégrité des procédures judiciaires et à la bonne administration de la justice; voir les motifs exposés par le juge Doherty dans CUPE c. Toronto (City) (2003), 55 O.R. (3d) 541, au paragraphe 65. Dans ce contexte, les paroles du lord juge Kerr, à la page 137 de ses motifs dans Bragg c. Oceanus Mutual Underwriting Association (Bermuda) Ltd., [1982] 2 Lloyd’s Rep. 132, C.A., sont à tous égards à propos :

[traduction]

Si l’on examine tout d’abord la jurisprudence, il est évident qu’une tentative de débattre à nouveau dans une autre instance des questions qui ont été pleinement examinées et tranchées dans une instance antérieure peut constituer un abus de procédure, indépendamment de toute question relative à l’exception de la chose jugée ou à l’irrecevabilité résultant de l’identité des questions en litige au motif que les parties ou leurs intérêts sont les mêmes. Il serait erroné de tenter de catégoriser les situations dans lesquelles une telle conclusion s’appliquerait. Cependant, il est important que dans les causes auxquelles on nous a renvoyés, et où cette conclusion a été tirée, la tentative de remise en cause n’avait pas de fin autre que celle que lord Diplock a décrite comme suit :

 

[…] lancer une attaque indirecte contre une décision finale […] qui a été rendue par une autre cour compétente dans une instance antérieure dans laquelle […] (la partie concernée) a eu amplement l’occasion de contester la décision de la Cour par laquelle elle a été rendue.

 

[Non souligné dans l’original.]

 

 

[21]           Je suis tout à fait convaincu que les paragraphes contestés ne représentent pas une contestation indirecte de l’ordonnance sur consentement. Enfin, quant à savoir si Apotex peut soulever la question de la « paternité de l’invention » à titre de motif d’invalidité, j’estime que cela dépendra en fin de compte de l’interprétation de l’alinéa 61(1)b) de l’ancienne loi. Si cette disposition est interprétée de façon à exclure pareille possibilité dans les cas où des procédures en cas de conflit ont été intentées, la contestation d’Apotex ne sera donc pas justifiée. Cependant, si la cour finissait par adopter l’interprétation donnée par Apotex à cet alinéa, alors Apotex aurait certainement de bonnes chances si elle arrivait à prouver ses allégations. Toutefois, vu qu’elle n’a pas été partie à la procédure ayant conduit à l’ordonnance sur consentement, Apotex n’a pas été en mesure de contester les affirmations relatives à la « paternité de l’invention » exprimées dans cette procédure qui a donné lieu à l’ordonnance sur consentement.

 

[22]           Pour ces motifs, j’estime que la juge a commis une erreur en concluant que les paragraphes contestés correspondaient à un abus de procédure.

 

LA Cause D’Action OU DE DÉFENSE RAISONNABLE

[23]           Je me penche maintenant sur l’alinéa 221(1)a) des Règles des Cours fédérales, soit la question de savoir s’il est évident et manifeste que les paragraphes contestés ne révèlent aucune cause d’action ou de défense valable. À mon avis, la juge a également commis une erreur en répondant par l’affirmative à cette question.

 

[24]           Les parties conviennent que le critère applicable est celui établi par la Cour suprême dans l’arrêt Hunt c. Carey Inc., [1990] 2 R.C.S. 959; la cour devait déterminer si certaines parties de la déclaration, dans lesquelles le demandeur affirmait que les défenderesses avaient comploté de ne pas divulguer certains renseignements concernant les effets des fibres d’amiante, révélaient une cause d’action raisonnable. Une requête en radiation avait été présentée en vertu du paragraphe 19(24) des Rules of Court de la Colombie‑Britannique, qui est presque identique au paragraphe 221(1) des Règles des Cours fédérales.

 

[25]           Après avoir examiné attentivement les jurisprudences britannique et canadienne à ce sujet, la Cour suprême, à la page 980 de l’arrêt Hunt, précité, a expliqué comme suit le critère qui régit les dispositions semblables au paragraphe 221(1) :

Ainsi, au Canada, le critère régissant l'application de dispositions comme la règle 19(24)a) des Rules of Court de la Colombie‑Britannique est le même que celui régissant une requête présentée en vertu de la règle 19 de l'ordonnance 18 des R.S.C. : dans l'hypothèse où les faits mentionnés dans la déclaration peuvent être prouvés, est‑il « évident et manifeste » que la déclaration du demandeur ne révèle aucune cause d'action raisonnable? Comme en Angleterre, s'il y a une chance que le demandeur ait gain de cause, alors il ne devrait pas être « privé d'un jugement ». La longueur et la complexité des questions, la nouveauté de la cause d'action ou la possibilité que les défendeurs présentent une défense solide ne devraient pas empêcher le demandeur d'intenter son action. Ce n'est que si l'action est vouée à l'échec parce qu'elle contient un vice fondamental qui se range parmi les autres énumérés à la règle 19(24) des Rules of Court de la Colombie‑Britannique que les parties pertinentes de la déclaration du demandeur devraient être radiées en application de la règle 19(24)a).

 

[Non souligné dans l’original.]

 

 

[26]           La Cour suprême s’est ensuite penchée sur la question particulière dont elle était saisie, soit de savoir s’il était « évident et manifeste » que l’allégation du demandeur relative au délit civil de complot révélait une cause d’action valable. Plus particulièrement, il s’agissait de déterminer si la théorie du complot, à l’extérieur du contexte commercial, avait quelque chance d’être retenue.

 

[27]           Pour trancher la question, la Cour suprême a examiné les jurisprudences canadienne et anglaise. En ce qui concerne le droit anglais, la Cour a conclu qu’en Angleterre, un demandeur ne pouvait pas obtenir gain de cause en alléguant le délit civil de complot, sauf s’il était en mesure de démontrer que l’objet des actes accomplis par les conspirateurs était de lui causer un préjudice. À la page 189 de ses motifs dans Lonrho Ltd. c. Shell Petroleum Co. (No. 2), [1982] A.C. 173, lord Diplock a expliqué comme suit le point de vue qui avait cours en Angleterre :

[traduction]

[…] Selon moi, cette Chambre doit reconnaître le délit civil de complot en vue de nuire aux intérêts commerciaux du demandeur lorsque tel est l'objet prédominant de la convention entre les défendeurs et des actes accomplis en exécution de cette convention qui ont causé un préjudice au demandeur, car il s'agit d'un délit civil trop bien établi pour être écarté, quelque exceptionnel qu'il puisse paraître aujourd'hui. Cette Chambre l'a appliqué il y a 80 ans dans l'arrêt Quinn v. Leathem, [1901] A.C. 495, et a confirmé sa validité en droit dans l'arrêt Crofter, [1942] A.C. 435, où l'on a signalé clairement que l'accord en exécution duquel les actes dommageables ont été accomplis doit avoir pour objet prédominant de causer un préjudice au demandeur et non pas simplement de servir les intérêts personnels des défendeurs.

 

[Non souligné dans l’original.]

 

 

[28]           La Cour suprême s’est ensuite penchée sur la situation au Canada. Elle a débuté son analyse en soulignant que le droit canadien, en ce qui a trait au délit civil de complot, ne concordait pas complètement avec le droit anglais énoncé dans l’affaire Lonhro, précitée. La cour a mentionné son arrêt Ciments Canada LaFarge Ltée c. British Columbia Lightweight Aggregate Ltd., [1983] 1 R.C.S. 452, où le juge Estey a présenté les observations suivantes, aux pages 468, 471 et 472 :

La question qui se pose maintenant est de savoir si, au Canada, le délit civil de complot s'étend au‑delà des situations où le but prédominant des défendeurs est de nuire au demandeur et s'il englobe les cas où cette intention de nuire est absente, quoique la conduite du défendeur soit en elle‑même illégale et porte en fait préjudice au demandeur.

 

[…]

 

Bien que le droit soit loin d'être clair sur l'étendue du délit civil de complot, je suis d'avis qu'en matière de responsabilité délictuelle, on ne peut poursuivre un défendeur seul qui a causé préjudice à un demandeur, mais que, lorsqu'il y a au moins deux défendeurs qui ont agi de concert, il est possible d'exercer contre eux un recours délictuel pour complot, si :

1) indépendamment du caractère légal ou illégal des moyens employés, la conduite des défendeurs vise principalement à causer un préjudice au demandeur; ou

2) lorsqu'il s'agit d'une conduite illégale, elle est dirigée contre le demandeur seul ou contre lui et d'autres personnes en même temps et que les défendeurs eussent dû savoir dans les circonstances que le préjudice subi par le demandeur était une conséquence probable.

 

Dans le second cas, il n'est pas nécessaire que l'objet prédominant de la conduite des défendeurs soit de nuire au demandeur, mais il doit y avoir dans les circonstances une intention implicite découlant du fait que les défendeurs auraient dû savoir que le demandeur en subirait un préjudice. Dans l'un et l'autre cas, cependant, le demandeur doit subir un préjudice réel.

 

[Non souligné dans l’original.]

 

 

[29]           À la suite de son examen de l’arrêt Ciments Canada LaFarge, précité, la Cour suprême a souligné que pour les situations qui entrent dans le deuxième scénario du juge Estey, il n’est peut‑être pas nécessaire, au Canada, de prouver l’intention réelle des conspirateurs. Ainsi, en présence de jurisprudences contradictoires, la Cour suprême a clairement établi qu’il ne convenait pas, dans le contexte d’une requête en radiation, de décider ce qui constitue du « droit valable » sur la question. La cour a ajouté que malgré le fait que les actes de procédure démontraient qu’une question de droit difficile ou importante était en cause, il n’y avait aucune urgence à radier la déclaration. Au contraire, la cour a affirmé ce qui suit aux pages 990 et 991 de Hunt :

[…] lorsqu'une déclaration révèle une question de droit difficile et importante, il peut fort bien être capital que l'action puisse suivre son cours.  Ce n'est que de cette façon que nous pouvons nous assurer que la common law en général, et le droit en matière de responsabilité civile en particulier, vont continuer à évoluer pour répondre aux contestations judiciaires qui se présentent dans notre société industrielle moderne.

 

 

[30]           Le différend quant à l’application de l’alinéa 221(1)a) des Règles des Cours fédérales porte sur l’alinéa 61(1)b) de l’ancienne loi, qui prévoit ce qui suit :

 

61. (1) Aucun brevet ou aucune revendication dans un brevet ne peut être déclaré invalide ou nul pour la raison que l’invention qui y est décrite était déjà connue ou exploitée par une autre personne avant d’être faite par l’inventeur qui en a demandé le brevet, à moins qu’il ne soit établi que, selon le cas :

 

[…]

 

b)   cette autre personne avait, avant la délivrance du brevet, fait une demande pour obtenir au Canada un brevet qui aurait dû donner lieu à des procédures en cas de conflit;

 

[Non souligné dans l’original.]

 

 

61. (1) No patent or claim in a patent shall be declared invalid or void on the ground that, before the invention therein defined was made by the inventor by whom the patent was applied for, it had already been known or used by some other person, unless it is established that

 

 

(b)  that other person had, before the issue of the patent, made an application for patent in Canada on which conflict proceedings should have been directed;

 

[Emphasis added]

 

 

[31]           La question précise que la juge devait trancher consistait à savoir s’il était « évident et manifeste », par application de l’alinéa 61(1)b), qu’Apotex ne pouvait pas obtenir gain de cause sur la question de la « paternité de l’invention ». Il ne s’agissait pas pour la juge de faire un choix entre deux interprétations, mais de décider si l’interprétation qu’il fallait donner de l’alinéa était inévitable. À mon avis, elle ne l’était pas.

 

[32]           Après avoir examiné la jurisprudence se rapportant à l’alinéa 61(1)b), la juge a fait les commentaires suivants. Tout d’abord, au paragraphe 52 de ses motifs, elle affirme que les affaires citées corroborent l’interprétation avancée par Servier. Cependant, au paragraphe 53, elle déclare qu’« [é]tant donné que la jurisprudence pertinente ne tranche pas directement la question qui se pose en l’espèce », elle procédera à une nouvelle interprétation de l’alinéa. La juge a ensuite tranché la question quant à savoir quelle interprétation était juste en procédant à une interprétation téléologique et contextuelle de l’alinéa 61(1)b), qui l’a amenée à conclure ce qui suit aux paragraphes 61 et 62 :

[61]      L’interprétation que font les demanderesses de l’alinéa 61(1)b) correspond aux principes énoncés dans l’arrêt Free World Trust, se concilie tant avec le courant jurisprudentiel traitant de l’alinéa 61(1)b) qu’avec celui portant sur les instances en conflit de priorité et contribue au régime de concession des brevets mis en place dans l’ancienne loi plutôt que de lui nuire. Suivant cette interprétation téléologique des dispositions de l’ancienne loi, il est tout à fait logique d’accorder au concept de paternité de l’invention un « traitement spécial », distinct. En empêchant qu’une conclusion d’invalidité soit prononcée dans les cas où une instance en conflit de priorité a eu lieu, le principe de base de l’ancienne loi – la paternité de la première invention– est protégé. Par contre, l’ancienne loi ne contient aucune disposition spéciale protégeant le titulaire d’un brevet de contestations fondées sur d’autres motifs d’invalidité. En conséquence, les autres motifs d’invalidité peuvent être soulevés dans le cours normal de la procédure. À mon avis, c’est là le résultat souhaité par le législateur.

 

[62]      En outre, il convient de réitérer que cette interprétation servirait uniquement à empêcher les parties d’alléguer la paternité antérieure de l’invention dans les cas où il n’existe pas de « conflit qui ne s’est pas matérialisé par l’introduction d’une procédure ». Les autres motifs pour contester la validité d’un brevet ne sont pas touchés.

 

 

[33]           En raison de l’interprétation de l’alinéa qu’elle choisit, la juge conclut ensuite au paragraphe 64 de ses motifs qu’elle est convaincue qu’Apotex « […] [est] incapable de satisfaire aux exigences de l’alinéa 61(1)b) de l’ancienne loi » et que, « [p]ar conséquent, il est évident et manifeste que les allégations attaquées de la défense et demande reconventionnelle ne révèlent aucune cause d’action valable et devraient être radiées ».

 

[34]           Au paragraphe 39 de ses observations écrites, Apotex soutient, et justement à mon avis, que [traduction] « si la partie intimée a proposé une interprétation contradictoire qu’il " convient d’examiner ", il n’est pas évident et manifeste que la revendication sera rejetée ». Bien qu’il soit clair que la juge a correctement interprété le critère du caractère « évident et manifeste » énoncé dans Hunt, elle n’a pas déterminé s’il « convenait d’examiner » l’interprétation avancée par Apotex ou si cette interprétation avait quelque chance d’être accueillie. Elle a plutôt tiré sa propre conclusion sur la question litigieuse de l’interprétation de la loi. À mon avis, la juge a commis une erreur. C’est pourquoi je me penche maintenant sur la question de savoir si l’interprétation avancée par Apotex a quelque chance d’être accueillie.

 

[35]           J’énonce tout d’abord l’interprétation que la juge a acceptée comme étant l’interprétation correcte de l’alinéa 61(1)b) : une tierce partie ne peut pas soulever la question de la « paternité de l’invention » à titre de motif d’invalidité dans les cas où il n’existe pas de « conflit qui ne s’est pas matérialisé par l’introduction d’une procédure », c’est‑à‑dire dans les cas où une demande de brevet a été présentée, qu’elle pouvait donner lieu à des procédures en cas de conflit et qu’elle a bel et bien donné lieu à une procédure de cette nature.

 

[36]           Par contre, Apotex soutient que l’alinéa 61(1)b) ne peut pas se limiter [traduction] « aux situations où des procédures en cas de conflit auraient dû être intentées, mais qui en fait n’ont pas été intentées » (paragraphe 69 du mémoire des faits et du droit d’Apotex). D’après Apotex, l’alinéa comprend toutes les situations où une procédure en cas de conflit aurait dû être intentée, qu’elle ait ou non été intentée dans les faits. Apotex affirme que cette approche est conforme à l’intention du législateur et à la jurisprudence.

 

[37]           En ce qui concerne l’intention du législateur, Apotex souligne que l’article 61 a été ajouté à l’ancienne loi à la suite de la décision rendue par le Conseil privé dans l’affaire Rice c. Christiani, [1931] A.C. 770, qui avait conclu qu’une invention danoise, gardée secrète et confidentielle et n’ayant jamais été accessible au public, permettait d’invalider un brevet canadien au motif qu’un autre inventeur était « l[e] premie[r] et véritabl[e] inventeu[r] ».

 

[38]           Selon Apotex, l’article 61 visait à annuler l’effet de l’affaire Rice, précitée, et à réaccorder le droit des brevets du Canada avec celui de l’Angleterre et des États‑Unis. Plus particulièrement, Apotex affirme que cet article visait à empêcher les inventeurs antérieurs d’antidater leur invention, sauf s’ils avaient divulgué ou exploité leur invention de telle manière qu’elle était devenue accessible au public canadien ou s’ils avaient, avant la délivrance d’un brevet, présenté une demande pour obtenir un brevet au Canada.

 

[39]           Aux paragraphes 82 à 84 de son mémoire, Apotex affirme par ailleurs ce qui suit :

[traduction]

82.        L’alinéa 61(1)b) prévoit une contestation de l’antériorité/de la nouveauté qui n’est pas fondée sur la divulgation ou l’exploitation de l’invention. Une allégation relative à la paternité antérieure de l’invention pourrait rentrer dans ce scénario. Dans pareils cas, l’alinéa précise qu’un brevet ne peut être déclaré invalide à moins qu’il ne soit établi qu’avant la délivrance du brevet contesté, le présumé inventeur antérieur avait fait une demande de brevet « qui aurait dû donner lieu à des procédures en cas de conflit ».

 

83.        Mise en contexte, l’expression « qui aurait dû donner lieu à des procédures en cas de conflit » signifie simplement que les circonstances justifiant les procédures en cas de conflit au titre du paragraphe 43(1) de l’ancienne loi doivent avoir existé. En d’autres mots, il doit être établi que la demande présentée par le présumé inventeur antérieur et la demande aux termes de laquelle le brevet contesté a été délivré contenaient « une ou plusieurs revendications qui définissent substantiellement la même invention » ou encore que l’« une ou plusieurs revendications d’une même demande décrivent l’invention divulguée dans l’autre ou les autres demandes ».

 

84.        En adoptant cette interprétation, le but de l’alinéa 61(1)b) serait atteint si non seulement une procédure en cas de conflit devait avoir eu lieu, mais si elle avait également eu lieu (mais que la question n’ayant pas été tranchée correctement, il avait été possible de délivrer le brevet contesté). En réalité, l’alinéa 61(1)b) atteindrait encore davantage son but si on montrait que le Bureau des brevets même avait noté qu’une autre demande pendante définissait « substantiellement la même invention ».

 

 

[40]           Apotex soutient aussi que si l’intention du législateur avait été d’empêcher une tierce partie de soulever la question de la « paternité de l’invention » à titre de motif d’invalidité dans les cas où des procédures en cas de conflit avaient été intentées par le commissaire, on aurait pu s’attendre à ce que la formulation choisie soit plus explicite.

 

[41]           Enfin, Apotex affirme que l’interprétation adoptée par la juge n’est pas compatible avec le fait que la portée des procédures en cas de conflit se limite aux parties à ces procédures. De ce fait, puisque les tierces parties n’ont pas la qualité voulue pour intervenir dans ces procédures, on se serait attendu à ce que le législateur énonce clairement que ces personnes ne pouvaient pas contester la paternité antérieure de l’invention.

 

[42]           Quant à la jurisprudence concernant les « procédures en cas de conflit », Apotex soutient qu’elle corrobore l’interprétation qu’elle a avancée. Premièrement, Apotex souligne que deux des affaires sur lesquelles s’est fondée la juge, soit Texaco Development Corp. c. Schlumberger Ltd. (1967), 49 C.P.R. 225 (C. de l’É.), et Nakoosa Packaging Corp. c. Amca International Ltd. (1989), 27 C.P.R. (3d) 153 (C.F. 1re inst.), [traduction] « vont directement à l’encontre des conclusions qu’elle a tirées au paragraphe 55 de ses motifs de l’ordonnance » (paragraphe 110 du mémoire des appelantes). Deuxièmement, les appelantes affirment que les affaires Radio Corp. of America c. Hazeltine Corp. (1977), 33 C.P.R. (2d) 211 (C.A.F.), et Air Products and Chemicals, Inc. c. Bayer Aktiengesellschaft (1979), 55 C.P.R. (2d) 1984 (C.F. 1re inst.), confirment leur point de vue, ce qui a incité Apotex à déclarer ce qui suit au paragraphe 117 de son mémoire :

[traduction]

117.      En somme, contrairement aux conclusions de la juge, la jurisprudence concernant la portée des procédures en cas de conflit est incompatible tant avec son interprétation de l’alinéa 61(1)b) de l’ancienne loi qu’avec son interprétation des affaires mêmes qu’elle a citées relativement à la portée des procédures en cas de conflit. Nous faisons respectueusement valoir que, en ce qui concerne la jurisprudence susmentionnée, rien ne permet, sur le plan juridique, de confirmer la décision de la juge. On peut difficilement dire qu’il est évident et manifeste que le législateur avait l’intention de rendre les brevets délivrés à l’issue de procédures en cas de conflit « inattaquables » sur la question de la paternité de l’invention. Par contre, il est évident et manifeste qu’une partie puisse contester la paternité de l’invention dans le cadre d’une instance ultérieure aux procédures en cas de conflit à la suite desquelles un brevet a été accordé.

 

 

[43]           Apotex formule ensuite de nombreuses observations au sujet des affaires auxquelles la juge s’est référée en ce qui concerne l’interprétation du paragraphe 61(1), soit Aventis Pharma Inc. c. Apotex Inc., 2005 CF 1283; AT&T Technologies Inc. c. Mitel Corp. (1989), 26 C.P.R. (3d) 238; Pfizer Canada Inc. c. Canada (Ministre de la Santé), 2007 CAF 209. Apotex affirme que la question à trancher dans ces trois affaires n’était pas la même que celle que la juge devait trancher et que, par conséquent, cette jurisprudence ne corrobore pas l’interprétation adoptée par la juge.

 

[44]           Par conséquent, Apotex a formulé l’observation suivante au paragraphe 118 de son mémoire : [traduction] « la jurisprudence citée par Servier et sur laquelle s’est fondée la juge pour étayer son interprétation de l’alinéa 61(1)b) est loin de rendre le résultat évident et manifeste ».

 

[45]           Dans Pfizer Inc. c. Canada, [1999] A.C.F. no 1598 (dossier de la Cour A‑469‑99, jugement en date du 14 octobre 1999), la Cour, en rejetant un appel interjeté à l’encontre d’une décision du juge Lemieux de la Cour fédérale, qui avait radié en entier la déclaration des demanderesses au motif que leur interprétation de diverses dispositions légales ne pouvait vraisemblablement pas être accueillie, avait présenté les commentaires suivants :

[1] À l'instar du juge des requêtes, nous sommes d'avis qu'il est évident et manifeste que les appelantes ne peuvent avoir gain de cause. Ni la Loi de mise en oeuvre de l'Accord sur l'Organisation mondiale du commerce (la Loi sur l'OMC) ni l'Accord sur les aspects des droits de propriété intellectuelle qui touchent au commerce (l'Accord sur les ADPIC) ne prévoient expressément la prorogation de la durée de la protection conférée par un brevet délivré avant l'entrée en vigueur de la loi.

 

[2] Pour accueillir l'appel, la Cour doit être disposée à accepter, au chapitre de l'interprétation législative, des arguments qui, dans le meilleur des cas, sont ténus. Les appelantes soutiennent par exemple que c'est par mégarde que le Parlement n'a pas modifié l'article 45 de la Loi sur les brevets en conformité avec la Loi sur l'OMC. Avec égards, cette prétention est sans fondement. Tout comme d'autres arguments du même acabit, le juge des requêtes l'a rejetée. Ce faisant, il n'a pas commis d'erreur, non plus qu'en radiant la déclaration modifiée des appelantes en application de l'alinéa 221(1)a) des Règles des Cours fédérales.

 

[3] Vu cette conclusion, il n'est pas nécessaire que nous nous prononcions sur la validité des restrictions prévues aux articles 5 et 6 de la Loi sur l'OMC. L'appel est rejeté avec dépens.

 

[Non souligné dans l’original.]

 

 

[46]           Après avoir examiné attentivement l’argumentation d’Apotex et la jurisprudence qu’elle a citée, je suis convaincu qu’il n’est pas possible de dire que son interprétation de l’alinéa 61(1)b) est faible ou dénué de tout fondement. J’aimerais ajouter qu’aucune décision publiée à ce jour ne porte sur l’interprétation appropriée de l’alinéa 61(1)b) et qu’aucune des affaires mentionnées par la juge et les parties ne vont clairement dans le sens de l’interprétation préconisée par la juge.

 

[47]           Par conséquent, je conclus qu’il n’est pas « évident et manifeste » qu’Apotex n’est pas en mesure d’obtenir gain de cause sur la question soulevée aux paragraphes contestés.

 

[48]           Pour ces motifs, j’accueillerais l’appel, j’infirmerais la décision de la Cour fédérale et je rejetterais la requête en radiation de Servier. J’adjugerais les dépens à Apotex ici et devant la cour d’instance inférieure.

 

 

 

« M. Nadon »

j.c.a.

 

 

« Je suis d’accord

            J. Edgar Sexton, j.c.a. »

 

« Je suis d’accord

            K. Sharlow, j.c.a. »

 

 

 

 

 

Traduction certifiée conforme

Annie Beaulieu


COUR D’APPEL FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

DOSSIER :                                                                            A‑364‑07

 

INTITULÉ :                                                                           APOTEX INC. ET AL. c. LES LABORATOIRES SERVIER ET AL.

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                                                     Toronto (Ontario)

 

DATE DE L’AUDIENCE :                                                   Le 4 octobre 2007

 

MOTIFS DU JUGEMENT :                                                LE JUGE NADON

 

Y ONT SOUSCRIT :                                                             LE JUGE SEXTON

                                                                                                LA JUGE SHARLOW

 

DATE DES MOTIFS :                                                          Le 1er novembre 2007

 

 

COMPARUTIONS :

 

Harry Radomski

Nadon De Luca

Benjamin Hackett

 

POUR LES APPELANTES

 

 

Daniel Artola

Judith Robinson

 

POUR LES INTIMÉES

 

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Goodmans LLP

Toronto (Ontario)

 

POUR LES APPELANTES

 

Ogilvy Renault LLP

Montréal (Québec)

POUR LES INTIMÉES

 

 

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