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Date : 20071102

Dossier : A-435-06

Référence : 2007 CAF 346

 

CORAM :      LE JUGE LÉTOURNEAU

                        LE JUGE PELLETIER

                        LA JUGE TRUDEL

 

ENTRE :

LE MINISTRE DU REVENU NATIONAL

appelant

et

CHAMBRE IMMOBILIÈRE DU GRAND MONTRÉAL

intimée

 

 

 

 

Audience tenue à Montréal (Québec), le 9 octobre 2007.

Jugement rendu à Ottawa (Ontario), le 2 novembre 2007.

 

 

MOTIFS DU JUGEMENT :                                                                                LA JUGE TRUDEL

Y ONT SOUSCRIT :                                                                                LE JUGE LÉTOURNEAU

                                                                                                                       LE JUGE PELLETIER

 

 


 

Date : 20071102

Dossier : A-435-06

Référence : 2007 CAF 346

 

CORAM :      LE JUGE LÉTOURNEAU

                        LE JUGE PELLETIER

                        LA JUGE TRUDEL

 

ENTRE :

LE MINISTRE DU REVENU NATIONAL

appelant

et

CHAMBRE IMMOBILIÈRE DU GRAND MONTRÉAL

intimée

 

 

MOTIFS DU JUGEMENT

 

LA JUGE TRUDEL

Les faits et la procédure

[1]               Le ministre du Revenu national (MRN) interjette appel d’une décision de l’honorable Johanne Gauthier (la juge) rendue le 6 septembre 2006. Cette décision a pour effet d’annuler une ordonnance antérieure du 28 juin 2005 émise ex parte en vertu du paragraphe 232.2(3) de la Loi de l’impôt sur le revenu, L.R.C. 1985 (5e supp.), c. 1 (la Loi). Cette ordonnance autorisait le MRN à exiger de la Chambre immobilière du Grand Montréal (la CIGM) qu’elle fournisse des renseignements et documents concernant un groupe de contribuables non désignés nommément.

 

[2]               La CIGM est un organisme à but non lucratif qui a pour mission première de promouvoir et protéger les intérêts professionnels de ses membres. Dans le cadre de l’opération d’un service inter-agence, elle recueille divers renseignements sur ses membres et sur les propriétés qu’ils vendent.

 

[3]               À l’automne 2004, l’Agence des douanes et du revenu du Canada (l’ADRC), desservant le territoire de la Montérégie/Rive-sud, entreprend de vérifier si les agents immobiliers et courtiers agréés y demeurant ou y faisant affaires se conforment à la Loi et la respectent. Cette vérification vise à déterminer, entre autres choses, si ces agents et courtiers ont dûment rempli leurs déclarations d’impôt et s’ils y ont rapporté les commissions gagnées.

 

[4]               Afin d’effectuer cette vérification visant l’application et l’exécution de la Loi, le MRN requiert l’autorisation judiciaire du paragraphe 231.2(3).  L’article 231.2 énonce :

Production de documents ou fourniture de renseignements

 

231.2 (1) Malgré les autres dispositions de la présente loi, le ministre peut, sous réserve du paragraphe (2) et, pour l’application et l’exécution de la présente loi, y compris la perception d’un montant payable par une personne en vertu de la présente loi, par avis signifié à personne ou envoyé par courrier recommandé ou certifié, exiger d’une personne, dans le délai raisonnable que précise l’avis :

a) qu’elle fournisse tout renseignement ou tout renseignement supplémentaire, y compris une déclaration de revenu ou une déclaration supplémentaire;

b) qu’elle produise des documents.

 

Personnes non désignées nommément

(2) Le ministre ne peut exiger de quiconque — appelé « tiers » au présent article — la fourniture de renseignements ou production de documents prévue au paragraphe (1) concernant une ou plusieurs personnes non désignées nommément, sans y être au préalable autorisé par un juge en vertu du paragraphe (3).

 

Autorisation judiciaire

(3) Sur requête ex parte du ministre, un juge peut, aux conditions qu’il estime indiquées, autoriser le ministre à exiger d’un tiers la fourniture de renseignements ou production de documents prévue au paragraphe (1) concernant une personne non désignée nommément ou plus d’une personne non désignée nommément — appelée « groupe » au présent article —, s’il est convaincu, sur dénonciation sous serment, de ce qui suit :

a) cette personne ou ce groupe est identifiable;

b) la fourniture ou la production est exigée pour vérifier si cette personne ou les personnes de ce groupe ont respecté quelque devoir ou obligation prévu par la présente loi;

c) et d) [Abrogés, 1996, ch. 21, art. 58(1)]

 

Signification ou envoi de l’autorisation

(4) L’autorisation accordée en vertu du paragraphe (3) doit être jointe à l’avis visé au paragraphe (1).

 

Révision de l’autorisation

(5) Le tiers à qui un avis est signifié ou envoyé conformément au paragraphe (1) peut, dans les 15 jours suivant la date de signification ou d’envoi, demander au juge qui a accordé l’autorisation prévue au paragraphe (3) ou, en cas d’incapacité de ce juge, à un autre juge du même tribunal de réviser l’autorisation.

 

 

Pouvoir de révision

(6) À l’audition de la requête prévue au paragraphe (5), le juge peut annuler l’autorisation accordée antérieurement s’il n’est pas convaincu de l’existence des conditions prévues aux alinéas (3)a) et b). Il peut la confirmer ou la modifier s’il est convaincu de leur existence.

 

NOTE : Les dispositions d’application ne sont pas incluses dans la présente codification; voir les lois modificatives appropriées. L.R. (1985), ch. 1 (5e suppl.), art. 231.2; 1996, ch. 21, art. 58; 2000, ch. 30, art. 176.

 

Requirement to provide documents or information

 

231.2 (1) Notwithstanding any other provision of this Act, the Minister may, subject to subsection (2), for any purpose related to the administration or enforcement of this Act, including the collection of any amount payable under this Act by any person, by notice served personally or by registered or certified mail, require that any person provide, within such reasonable time as is stipulated in the notice,

(a) any information or additional information, including a return of income or a supplementary return; or

(b) any document.

 

 

 

Unnamed persons

(2) The Minister shall not impose on any person (in this section referred to as a “third party”) a requirement under subsection 231.2(1) to provide information or any document relating to one or more unnamed persons unless the Minister first obtains the authorization of a judge under subsection 231.2(3).

 

Judicial authorization

(3) On ex parte application by the Minister, a judge may, subject to such conditions as the judge considers appropriate, authorize the Minister to impose on a third party a requirement under subsection 231.2(1) relating to an unnamed person or more than one unnamed person (in this section referred to as the “group”) where the judge is satisfied by information on oath that

(a) the person or group is ascertainable; and

(b) the requirement is made to verify compliance by the person or persons in the group with any duty or obligation under this Act.

(c) and (d) [Repealed, 1996, c. 21, s. 58(1)]

 

Service of authorization

(4) Where an authorization is granted under subsection 231.2(3), it shall be served together with the notice referred to in subsection 231.2(1).

 

Review of authorization

(5) Where an authorization is granted under subsection 231.2(3), a third party on whom a notice is served under subsection 231.2(1) may, within 15 days after the service of the notice, apply to the judge who granted the authorization or, where the judge is unable to act, to another judge of the same court for a review of the authorization.

 

Powers on review

(6) On hearing an application under subsection 231.2(5), a judge may cancel the authorization previously granted if the judge is not then satisfied that the conditions in paragraphs 231.2(3)(a) and 231.2(3)(b) have been met and the judge may confirm or vary the authorization if the judge is satisfied that those conditions have been met.

NOTE: Application provisions are not included in the consolidated text; see relevant amending Acts. R.S., 1985, c. 1 (5th Supp.), s. 231.2; 1996, c. 21, s. 58; 2000, c. 30, s. 176.

 

 

 

[5]               Il ressort de la lecture de cette disposition que l’ordonnance ex parte sera émise si la personne ou le groupe visé est identifiable et si la fourniture ou la production est exigée pour vérifier le respect des devoirs et obligations imposés par la loi.

 

[6]               Dans l’ordonnance sous étude, la juge réaffirme sa conclusion première que le groupe auquel le MRN réfère dans sa requête ex parte constitue un groupe identifiable au sens de l’alinéa 231.2(3)a). Par ailleurs, elle annule son ordonnance antérieure et conclut que le « Ministre n’a pas établi qu’à ce stade-ci du projet, la demande de renseignements vise à établir si tous et chacun des membres de la CIGM (agents et courtiers immobiliers) ont respecté la loi en déclarant tous leurs revenus » : paragraphe 58 de l’ordonnance.

 

Les questions en litige

[7]               L’analyse de l’article 231.2 de la Loi et son application aux faits de l’espèce sont au cœur du débat, comme en témoignent les prétentions des parties. Le MRN soutient que le premier jugement est entaché d’une erreur en ce que la juge conclut à l’absence d’une « enquête véritable et sérieuse » sur les agents et courtiers ciblés par la demande de renseignements. De son côté, la CIGM trouve erreur dans la conclusion portant sur le caractère identifiable du groupe visé.

 

[8]               Je propose donc d’examiner chacune de ces questions en commençant par la prétention de la CIGM.

 

Le groupe identifiable

[9]               La juge a eu raison de conclure, sous l’alinéa 231.2(3)a) de la Loi, que le groupe visé par la requête est identifiable.

 

[10]           La CIGM prétend qu’un groupe est identifiable lorsque les personnes composant celui-ci posent ensemble des gestes précis dans la poursuite d’un but commun, ce qui ne serait pas le cas, en l’instance, « puisqu’il n’existe aucune raison de croire qu’elles ont un lien en commun en rapport avec l’application de la Loi » : mémoire de l’intimée, paragraphe 52. La CIGM réfère aux décisions dans : Canada (M.R.N.) v. National Foundation for Christian Leadership, 2004 CF 1753 (appel rejeté : 2005 FCA 246), [Christian Leadership]; Artistic Ideas Inc. c. Canada (Agence des douanes et du revenu), 2005 CAF 68, [Artistic Ideas]; M.R.N. c. Sand Exploration Ltd. Et al., [1995] 3 C.F. 44, [Sand Exploration] ; et Fédération des caisses populaires Desjardins du Québec, No : 200-00-000001-94, [1997] 2 C.T.C. 159 (C.S.), [Fédération des caisses].

 

[11]           Ces jugements ne sont d’aucun secours, en l’espèce, et ne peuvent appuyer la thèse de la CIGM sur la notion du « groupe identifiable ». Il faut en lire les motifs avec prudence en se situant dans le contexte particulier de la législation en vigueur au moment de leur diffusion puisque l’article 231.2 de la Loi a été substantiellement amendé en 1996. Il ne faut pas, non plus, ignorer les autres dispositions législatives sur lesquelles ils se fondent.

 

[12]           Ainsi, dans Fédération des caisses, le MRN procédait à une identification arbitraire effectuée à partir de la nature des transactions et non des auteurs de ces transactions, en l’occurrence, les particuliers ou les corporations ayant transité des sommes d’argent à l’extérieur du Canada par l’entremise de la Fédération ou de l’une de ses caisses affiliées pour une période donnée. Cette décision commandait l’analyse de l’article 231.2 avant qu’il ne soit modifié.

 

[13]           Dans l’arrêt Artistic Ideas, notre Cour a permis au MRN d’obtenir le nom d’organismes de bienfaisance impliqués dans des opérations « achat et vente successifs d’œuvres d’art » sous le paragraphe 231.2(1) et non sous les paragraphes (2) et (3). La Cour statuait qu’aucune preuve n’indiquait que le MRN souhaitait obtenir le nom des organismes de bienfaisance pour vérifier s’ils se conformaient à la Loi. En effet, leur nom était alors nécessaire seulement pour l’enquête effectuée par le MRN sur le tiers Artistic Ideas.

 

[14]           Les arrêts Sand Exploration et Christian Leadership n’appuient pas davantage la prétention de la CIGM, à savoir que la poursuite d’un but commun est un prérequis pour qu’un groupe soit identifiable.

 

[15]           Enfin, la CIGM prétend qu’il ne peut s’agir d’un groupe identifiable puisque le groupe visé compte près de 2 000 personnes : mémoire de l’intimé, paragraphe 52.  Cet argument n’est pas convaincant. Dans Église orthodoxe grecque de tous les saints c. Canada (MRN), 2006 CF 374, au moins 1 300 donateurs formaient le groupe identifiable au sens de la Loi.

 

[16]           En l’instance, la vérification porte sur le groupe formé des agents et courtiers immobiliers domiciliés ou pratiquant sur le territoire desservi par le Bureau des services fiscaux de la Montérégie/Rive-Sud de l’Agence du revenu du Canada.  La juge Gauthier a conclu à juste titre qu’il s’agissait d’un groupe identifiable pour les fins de l’article 231.2 de la Loi.

 

[17]           Je passe maintenant aux arguments portant sur la notion d’enquête sérieuse et véritable.

 

L’enquête sérieuse et véritable

[18]           La juge a retenu la prétention de la CIGM, soit l’absence d’une enquête sérieuse et véritable de la part du MRN à l’égard d’une ou des personnes du groupe visé. Elle a fait de cette enquête sérieuse et véritable une qualification préalable à l’autorisation judiciaire du paragraphe 231.2(3) de la Loi.

 

[19]           La juge suggère que toute nouvelle demande d’autorisation du MRN devra préciser « qu’une véritable vérification est en cours à l’égard de tous et chacun des membres de ce groupe et pas seulement une enquête ou projet visant à sélectionner les membres du groupe qui devront plus tard faire l’objet d’une vérification » : paragraphe 59 de l’ordonnance. En conséquence, elle est insatisfaite de la preuve jugeant que le MRN n’a entrepris qu’un projet de vérification, et annule son ordonnance antérieure en concluant à l’absence d’une enquête véritable et sérieuse.

 

[20]           La disposition législative sous étude ne mentionne pas l’expression « enquête sérieuse et véritable ». Cette notion, qui émane de l’affaire The Canadian Bank of Commerce c. The Attorney General of Canada, [1962] R.C.S. 729, [Canadian Bank of Commerce] et, qui découlait alors d’une simple admission des parties (ibidem, p. 733), a depuis été reprise et plaidée tel un principe de droit consacré.

 

[21]           Je suis d’avis que « l’enquête sérieuse et véritable » n’est pas le critère approprié pour l’examen d’une demande sous le paragraphe 231.2(3) de la Loi. La question à se poser n’est pas celle de savoir si le MRN a entrepris une enquête sérieuse et véritable, et encore moins sur chacune des personnes non désignées nommément du groupe. La question est plutôt la suivante : le juge des requêtes est-il convaincu que les renseignements ou documents concernant une ou plus d’une personne non désignées nommément (formant un groupe identifiable), sont exigés pour vérifier le respect de la Loi?

 

Les arrêts Richardson et Canadian Bank of Commerce

[22]           Au fil des ans, la disposition sous étude a fait l’objet d’amendements législatifs que l’on ne peut ignorer dans l’analyse des arrêts cités par les parties au soutien de leurs prétentions. Je m’attarderai plus longuement à l’affaire Richardson (James Richardson & Sons) c. Le ministre du Revenu national, [1984] 1 R.C.S. 614, [Richardson], citée avec Canadian Bank of Commerce, comme l’arrêt de principe sur la notion d’enquête sérieuse et véritable.

 

[23]           Dans Richardson, la Cour suprême du Canada examinait les faits à la lumière de l’article 231 de la Loi [1970-71-72 (Can.), c. 63], dont les parties pertinentes se lisaient alors comme suit :

231.

 

(3) Pour toute fin relative à l’application ou à l’exécution de la présente loi, le Ministre peut, par lettre recommandée pou par demande à personne exiger de toute personne :

a) tout renseignement ou tout renseignement supplémentaire, y compris une déclaration de revenu ou une déclaration supplémentaire, ou

b) la production ou la production sous serment de livres, lettres, comptes, factures, états (financiers ou autres) ou autres documents.

Dans le délai raisonnable qui peut y être fixé.

 

(4) Lorsque le Ministre a des motifs raisonnables pour croire qu’une infraction à cette loi ou à un règlement a été commise ou sera probablement commise, il peut, avec l’agrément d’un juge d’une cour supérieure ou d’une cour du comté, agrément que le juge est investi par ce paragraphe, du pouvoir de donner sur la présentation d’une demande ex parte, autoriser par écrit tout fonctionnaire du ministère du Revenu national ainsi que tout membre de la Gendarmerie royale du Canada ou tout autre agent de la paix à l’assistance desquels il fait appel et toute autre personne qui peut y être nommée, à entrer et à chercher, usant de la force s’il le faut, dans tout bâtiment, contenant ou endroit en vue de découvrir les documents, livres, registres, pièces ou choses qui peuvent servir de preuve au sujet de l’infraction de toute disposition de la présente loi ou d’un règlement et à saisir et à emporter ces documents, livres, registres, pièces ou choses et à les retenir jusqu’à ce qu’ils soient produits devant la cour.

 

(5) Une demande faite à un juge en vertu du paragraphe (4) sera appuyée d’une preuve fournie sous serment et établissant la véracité des faits sur lesquels est fondée la demande.

 

[Je souligne]

 

231. […]

 

(3) The Minister may, for any purposes related to the administration or enforcement of this act, by registered letter or by a demand served personally, require from any person

(a) any information or additional information, including a return of income or a supplementary return, or

(b) production, or production on oath, of any books, letters, accounts, invoices, statements (financial or otherwise) or other documents.

within such reasonable time as may be stipulated therein.

 

 

     (4) Where the Minister has reasonable and probable grounds to believe that a violation of this act or a regulation has been committed or is likely to be committed, he may, with the approval of a judge of a superior or county court, which approval the judge is hereby empowered to give on ex parte application, authorize in writing any officer of the Department of national Revenue, together with such members of the Royal Canadian Mounted Police or other peace officers as he calls on to assist him and such other persons as may be named therein, to enter and search, if necessary by force, any building, receptacle or place for documents, books, records, papers or things that may afford evidence as to the violation of any provisions of this Act or a regulation and to seize and take away any such documents, books, records, papers or things and retain them until they are produced in any court proceedings.

 

 

 

     (5) An application to a judge under subsection (4) shall be supported by evidence on oath establishing the facts upon which the application is based.

 

[Emphasis added]

 

 

L’article référait à la commission d’une infraction et permettait d’entrer et de chercher des éléments de preuve de cette infraction.

 

[24]           Dans cette affaire, le MRN avait jugé nécessaire de vérifier si les négociants en denrées à terme se conformaient à la Loi. Pour ce faire, il avait demandé à Richardson de fournir les états mensuels des opérations à terme de ses clients afin de pouvoir traiter ces renseignements à titre d’essai. Richardson avait fourni ces renseignements en indiquant les numéros de compte des clients sans qu’il soit possible de les identifier. Le MRN avait demandé des renseignements additionnels, dont la liste complète des clients et des renseignements personnels les concernant. Richardson avait refusé alléguant, entre autres, que les demandes du MRN visaient à obtenir « des déclarations renfermant des renseignements en ce qui concerne … [un] genre de renseignements » requis relativement aux cotisations. Il ajoutait que ces demandes étaient plutôt visées par l’alinéa 221(1)d) et l’article 233 de la Loi qui prévoyaient :

221. (1) Le gouverneur en conseil peut établir des règlements

 

d) enjoignant à toute catégorie de personnes de faire des déclarations renfermant des renseignements en ce qui concerne tout genre de renseignements requis relativement aux cotisations sous le régime de la présente loi,

 

233.  Qu’elle ait produit ou non une déclaration renfermant des renseignements requise par un règlement établi selon l’alinéa 221(1)d), toute personne doit, sur demande émanant du Ministre faire par personne ou par poste recommandée, produire auprès du Ministre la déclaration prescrite renfermant les renseignements qu’indique la demande, dans le délai raisonnable que celle-ci peut fixer.

 

 

221. (1) The Governor in Council may make regulations

 

 (d) requiring any class of persons to make information returns respecting any class of information required in connection with assessments under this Act;

 

 

 

233. Whether or not he has filed an information return as required by a regulation made under paragraph 221(1)(d), every person shall, on demand from the Minister, served personally or by registered mail, file with the Minister, within such reasonable time as may be stipulated in the demand, such prescribed information return as is designated therein.

 

 

[25]           Richardson a eu gain de cause devant la Cour suprême du Canada qui a affirmé que la portée de l’ancien paragraphe 231(3) de la Loi se limitait aux cas où le MRN menait une enquête réelle et sérieuse sur l’assujettissement à l’impôt d’une ou plusieurs personnes précises et qu’il ne s’étendait pas à une enquête sur une catégorie de personnes. Le MRN était alors invité à se prévaloir de l’alinéa 221(1)d) pour « obtenir un règlement enjoignant à tous ces négociants de déclarer les opérations qu’ils ont conclues dans leur commerce de denrées à terme » (ibidem, p. 625).

 

[26]           L’arrêt Richardson doit être lu et appliqué avec prudence. Dans Artistic Ideas, la Cour d’appel fédérale, sous la plume du juge Rothstein, adopte une position réservée quant aux arrêts Richardson et Bank of Commerce. Le juge Rothstein écrit :

[9]     […] Ces arrêts sont antérieurs aux paragraphes 231.2(2) et (3), dont l’adoption semble cependant avoir été motivée, à tout le moins en partie, par l’arrêt Richardson. Bien que ces arrêts fournissent des renseignements généraux utiles, les dispositions législatives applicables ont changé depuis qu’ils ont été rendus.

 

 

[27]           En effet, le paragraphe 231.2(1), tel qu’il se lit maintenant, est l’ancien paragraphe 231(3) précité auquel le législateur a ajouté, en 1986, les termes « malgré les autres dispositions de la Loi » et « sous réserve du paragraphe 2 ». Cette modification apportée à l’article 231.2 ne changeait pas substantiellement le texte législatif antérieur.

 

[28]           Au même moment, le législateur ajoutait les paragraphes 231.2(2) à (6), ce qui, en 1995, amenait le juge Rothstein, siégeant alors à la Cour fédérale, Section de première instance, à constater que la procédure imposée par les paragraphes 231(2) et (3) de la Loi réglait la « question des effets néfastes » décrits dans l’affaire Richardson (Sand Exploration, supra).

 

[29]           Je ne crois pas que Richardson et Canadian Bank of Commerce constituent un obstacle à la prétention du MRN en l’espèce. Dans Richardson, comme je l’ai souligné plus tôt, le MRN demandait des informations pour les traiter à l’essai.  Par ailleurs, le jugement rendu dans Canadian Bank of Commerce était fondé sur le fait, reconnu par les parties, que la demande dans cette affaire était faite de bonne foi et qu’elle portait sur une enquête véritable et sérieuse visant des personnes déterminées. Le juge Cartwright écrit en page 738 :

it appears to be common ground, (i) that the requirement addressed to the appellant relates to a genuine and serious inquiry into the tax liability of some specific person or persons …

 

[Je souligne]

 

 

[30]           Respectueusement, et contrairement à la juge Wilson qui écrit pour la Cour dans Richardson, je ne crois pas que le juge Cartwright ait ainsi « affirmé clairement que son jugement se fondait sur l’existence de cette condition essentielle » (ibidem, p. 624), c’est-à-dire que la demande doive porter sur une enquête véritable et sérieuse.

 

[31]           Mais il y a plus. Avant 1996, le paragraphe 231.2(3) de la Loi exigeait que la demande d’autorisation soit soutenue par une dénonciation sous serment dont les affirmations répondaient aux quatre conditions suivantes :

231.2 (3) […]

 

a) cette personne ou ce groupe est identifiable;

 

b) la fourniture ou la production est exigée pour vérifier si cette personne ou les personnes de ce groupe ont respecté quelque devoir ou obligation prévu par la présente loi;

 

c) il est raisonnable de s’attendre -- pour n’importe quel motif, notamment des renseignements (statistiques ou autres) ou l’expérience antérieure, concernant ce groupe ou toute autre personne – à ce que cette personne ou une personne de ce groupe n’ait pas fourni les renseignements exigés ou ne les fournisse vraisemblablement pas ou n’ait pas respecté par ailleurs la présente loi ou ne la respecte vraisemblablement pas;

 

d) il n’est pas possible d’obtenir plus facilement les renseignements ou les documents.

 

 

231.2 (3) …

 

(a) the person or group is ascertainable;

 

(b) the requirement is made to verify compliance by the person or persons in the group with any duty or obligation under this Act;

 

(c) it is reasonable to expect, based on any grounds, including information (statistical or otherwise) or past experience relating to the group or any other persons, that the person or any person in the group may have failed or may be likely to fail to provide information that is sought pursuant to the requirement or to otherwise comply with this Act; and

 

(d) the information or documents is not otherwise more readily available.

 

 

 

[32]           Par la suite, en 1996, les exigences des alinéas c) et d) du paragraphe (3), soit les motifs raisonnables de croire que la Loi n’a pas été respectée et l’impossibilité d’obtenir l’information plus facilement par d’autres moyens, étaient abrogées.

 

L’article 231.2 de la Loi en vigueur

[33]           Selon la juge, le MRN devait démontrer que tous et chacun des membres de la CIGM ciblés par la demande faisaient l’objet d’une enquête sérieuse et véritable. Sinon, il s’agissait d’une recherche à l’aveuglette proscrite par Richardson. Je ne suis pas d’accord. Cette conclusion perpétue le raisonnement dans Canadian Bank of Commerce et Richardson sans distinction eu égard aux faits de l’espèce et à la disposition législative présentement en vigueur.

 

[34]           De façon générale, les pouvoirs d’enquête et de vérification du MRN dans la Loi sont la contrepartie d’un régime fiscal d’auto-déclaration et d’autocotisation dont le succès repose sur l’honnêteté et l’intégrité des contribuables (R. c. McKinlay Transport Ltd., [1990] 1 R.C.S. 627).

 

[35]           Il est reconnu que les pouvoirs de vérification prévus à l’article 231.2 de la Loi sont une mesure attentatoire au droit de protection des renseignements privés et doivent s’interpréter restrictivement (Sand Exploration, précité, p. 52).

 

[36]           Ces principes généraux ne sont pas remis en question, mais il faut, tout de même, donner un sens aux modifications législatives. Commentant les documents budgétaires de 1995, le fiscaliste David M. Sherman écrit quant aux conditions des alinéas c) et d) :

Ces restrictions [231.2(3)c) et d)], qui compliquent l’accès de l’ARDC à des renseignements opportuns pour vérifier le respect de la Loi, sont abolies. Cette mesure proposée ajoutera à la capacité de l’ARDC de vérifier le respect du régime d’autocotisation relativement aux transactions à l’égard desquelles la divulgation de renseignements n’est pas requise [Loi du praticien – Loi de l’impôt sur le revenu, 16e éd. (Toronto : Carswell, 2007)].

 

 

[37]           Je crois que le retrait des conditions c) et d) de l’ancien paragraphe 231.2(3) montre l’intention du législateur d’alléger le fardeau de preuve du MRN dans le sens suggéré par le fiscaliste Sherman, puisque le MRN n’a plus à établir qu’il a des motifs raisonnables de croire qu’une infraction a été commise ou à démontrer qu’il ne peut trouver plus aisément l’information recherchée.

 

[38]           Tout en reconnaissant l’exigence d’une interprétation stricte, celle-ci ne doit pas avoir pour effet, comme c’est le cas si l’on retient la prétention de l’intimée, d’ajouter au texte en y insérant une condition supplémentaire, soit celle pour le MRN de prouver qu’il effectue une enquête sérieuse et véritable à l’endroit des personnes non désignées nommément visées par sa demande. Il ne faut pas non plus interpréter la disposition de sorte d’y insérer, de nouveau, les conditions des alinéas c) et d).

 

[39]           L’article 231.2 de la Loi doit être interprété en tenant compte de tous ses éléments, y incluant les rubriques et intertitres qui font aussi partie de la Loi (Pierre-André Côté, Interprétations des Lois, 3e éd. (Thémis : Montréal, 1999) p. 79 ; R. c. Lucas, [1998] 1 R.C.S. 439, 463). Les rubriques peuvent être utiles en permettant de situer une disposition dans la structure générale du texte et en permettant de préciser l’objectif du législateur.

 

[40]           Alors, qu’en est-il de l’article 231.2 de la Loi ? Il se trouve dans la partie XV de la Loi, intitulée « Application et exécution » sous la rubrique « Généralités ». Comme ils le prévoient expressément, les paragraphes 231.1(1) et 231.2(1) sont destinés à être utilisés « pour l’application et l’exécution » de la Loi.

 

[41]           Cette expression générale introductive à la disposition sous étude permet une mise en contexte de l’article 231.2 de la Loi qui fait appel aux pouvoirs de vérification du MRN, par opposition à ses pouvoirs d’enquête. Il est possible, nous rappelle la Cour suprême du Canada dans R. C. Jarvis, [2002] 3 R.C.S. 759 à 761, « d’établir une distinction entre les pouvoirs de vérification et les pouvoirs d’enquête » sous le régime de la Loi.

 

[42]           Les politiques et l’interprétation administratives, bien que non contraignantes, revêtent aussi une certaine importance en cas de doute sur le sens de la législation (R. c. Nowegijick, [1983] 1 R.C.S. 29). En l’instance, l’intimée s’appuie sur la circulaire d’information IC71-14R3, intitulée La vérification fiscale, pour établir que le « projet de vérification » qui concerne certains membres de la CIGM, n’est pas une vérification au sens de la Loi.

 

[43]           Cet argument est sans fondement. D’une part, je conclus qu’il y a, en l’instance, une vérification fiscale au sens de la Loi. D’autre part, la circulaire explique le rôle, les politiques et les méthodes de la vérification fiscale, dont les projets de vérification qui ne sont que l’un des moyens auquel le MRN peut avoir recours dans son processus de « prélèvement des données pour vérification » (ibidem).

 

[44]           En l’instance, le MRN demande à l’intimée de lui fournir une liste de ses membres, pour un secteur géographique donné, afin d’en comparer les données à celles qu’il possède déjà. Le fait que le MRN en soit au début de sa vérification n’empêche aucunement l’application de l’alinéa 231.2(3)b). Il est évident que le MRN ne peut prétendre que tous et chacun des membres font déjà l’objet d’une « enquête sérieuse et véritable », ce que lui reproche la juge : ces membres ne sont pas encore désignés nommément. Imposer une telle exigence au MRN enlève toute utilité pratique aux paragraphes 231.2(2) et (3) de la Loi qui permettent, sous autorisation judiciaire, le contrôle fiscal de la sincérité d’une déclaration de revenus.

 

[45]           Quoi qu’en dise la CIGM, il me semble qu’en abolissant les alinéas c) et d) du paragraphe 231.2(3), le législateur a permis une certaine forme de recherche à l’aveuglette, avec l’autorisation du Tribunal et aux conditions prescrites par la Loi, le tout dans le but de rendre l’accès aux renseignements plus facile au MRN. Il me semble que le point de vue restrictif adopté par la juge, en l’instance, ne convient pas à la disposition sous étude. Ce point de vue, emprunté à Richardson, était justifié par l’ampleur de l’ancienne disposition qui, interprétée trop libéralement, aurait ouvert la porte à des abus de la part du fisc (Sand Exploration, précité).

 

Le critère d’analyse applicable

[46]           En dépit des sanctions pénales qu’elle comporte, la Loi est essentiellement et principalement de nature réglementaire et administrative.  Les pouvoirs de vérification du MRN, incluant les pouvoirs décrits au paragraphe 231.2(3), sont nécessaires pour réaliser les objectifs de la Loi et en assurer le respect. (McKinley, supra ; Thomson Newspaper Ltd. c. Canada (Directeur des enquêtes et recherches, Commission sur les pratiques restrictives du commerce, [1990] 1 R.C.S. 425).

 

[47]           Le MRN doit, dans un système d’impôt fondé sur le principe de l’auto-déclaration et de l’autocotisation, pouvoir disposer de larges pouvoirs de vérification des déclarations des contribuables et d’examen des documents qui ont pu servir à préparer ces déclarations (Bisaillon et al c. La Reine, 99 D.T.C. 5695 (CAF)).

 

[48]           Il s’ensuit de ma lecture de l’alinéa 231.2(3)b) que la requête ex parte du MRN sera accordée si le juge des requêtes est convaincu que la fourniture des renseignements ou la production des documents sont exigées dans le cadre d’une vérification fiscale faite de bonne foi. Cette bonne foi est garante de l’exercice judicieux, par le MRN, de son pouvoir de vérification conformément à l’article 231.2 de la Loi, pour en assurer l’application et l’exécution.

 

[49]           Ayant ainsi défini le critère applicable à une demande d’autorisation judiciaire formulée sous le paragraphe 231.2(3), je suis d’opinion qu’il ressort de l’avis de demande ex parte du MRN, supporté par la dénonciation assermentée de la vérificatrice Christiane E. Joly, que la vérification fiscale, en l’espèce, a été entreprise de bonne foi, qu’elle a un fondement factuel véritable et qu’elle vise à s’assurer du respect de la Loi.

 

[50]           En l’espèce, le MRN a reçu des documents de la CIGM en mars 2005, lors de la vérification d’un agent immobilier membre de cet organisme. Venait, quelques mois plus tard, la demande ex parte sous étude visant certains membres de la CIGM non désignés nommément. L’affidavit souscrit au soutien de la demande mentionne expressément l’objectif visé : « déterminer si les courtiers ayant gagné des revenus de commissions suite à la vente d’immeubles, ont respecté tous les devoirs et obligations prévus par la Loi (dossier d’appel, p. 39). Le MRN s’est donc conformé aux prescriptions de la Loi, et plus spécifiquement aux exigences de l’article 231.2.

 

[51]           Enfin, à l’audition, et dans l’éventualité où la Cour devait conclure en faveur du MRN, les procureurs ont mentionné avoir conclu une entente sur les modalités d’échange des documents et des renseignements devant être fournis. Le MRN en souhaite l’homologation. La Cour ne peut faire suite à cette demande puisque l’entente n’a pas été déposée et que les parties n’ont fait aucune représentation quant à son contenu.

 

[52]           En conséquence, je propose d’accueillir l’appel et d’annuler l’ordonnance rendue par la Cour fédérale le 6 septembre 2005 avec dépens devant les deux cours.

 

 

                                                                                                                  « Johanne Trudel »

j.c.a.

 

 

« Je suis d’accord

     Gilles Létourneau j.c.a. »

 

« Je suis d’accord

     J.D. Denis Pelletier j.c.a. »

 

 

 

 

 

 

 


COUR D’APPEL FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

DOSSIER :                                                                            A-435-06

 

INTITULÉ :                                                                           Le MRN c. Chambre immobilière du grand Montréal

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                                                     Montréal (Québec)

 

DATE DE L’AUDIENCE :                                                   Le 9 octobre 2007

 

MOTIFS DU JUGEMENT :                                                LA JUGE TRUDEL

 

Y ONT SOUSCRIT :                                                             LE JUGE LÉTOURNEAU

                                                                                                LE JUGE PELLETIER

 

DATE DES MOTIFS :                                                          Le 2 novembre 2007

 

 

COMPARUTIONS :

 

Me Pierre Lamothe

Me Maria-Grazia Bittichesu

 

POUR L’APPELANT

 

Me Simon Grégoire

Me François Morin

POUR L’INTIMÉE

 

 

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

John H. Sims, c.r.

Sous-procureur general du Canada

 

POUR L’APPELANT

 

Borden Ladner Gervais s.r.l.

Montréal (Québec)

POUR L’INTIMÉE

 

 

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